§2- Le «Droit au Retour» comme Expression
d'un Droit Politique d'Exercice Collectif.
Les droits de l'homme et les droits des peuples sont dans la
plupart des cas indissociables dans leur réalisation concrète. Et
le respect des uns conditionne le plus souvent la garantie des autres.
Le droit des peuples est apparu d'abord, au moins dans sa
substance en droit international général et en dehors de la
problématique coloniale, comme le droit pour une collectivité
nationale d'être protégée dans son intégrité
en cas de conflits et d'agression ou d'occupation armée par d'autres.
L'autodétermination, initialement appelée droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes, est le principe selon lequel
chaque peuple dispose d'un choix libre et souverain de déterminer la
forme de son régime politique. Le principe a été
proclamé, pendant la Première Guerre mondiale, dans les
«quatorze points de Wilson»140, légitimant
après-guerre les nouvelles frontières de l'Europe. C'est, suivant
le droit international, le principe selon lequel un peuple a le droit de
déterminer sa propre forme de gouvernement, indépendamment de
toute influence étrangère. Il a été
réaffirmé, après la Seconde Guerre mondiale, dans la
Charte des Nations Unies, signée en 1945, qui inclut, parmi « les
buts des Nations Unies », celui de « développer entre les
nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de
l'égalité de droits des peuples et de leur droit à
disposer d'eux-mêmes »141.
L'article 73 de la Charte des Nations Unies énonce ce qui
suit :
« Les Membres des Nations Unies qui ont ou qui assument
la responsabilité d'administrer des territoires dont les populations ne
s'administrent pas encore complètement elles-mêmes reconnaissent
le principe de la primauté des intérêts des habitants de
ces territoires. Ils acceptent comme une mission sacrée l'obligation de
favoriser dans toute la mesure possible leur prospérité, dans le
cadre du système de paix et de sécurité internationale
établie par la présente Charte et, à cette fin ils
réclament:
1) D'assurer, en respectant la culture des populations en
question, leur progrès politique, économique et social, ainsi que
le développement de leur instruction, de les traiter avec
équité et de les protéger contre les abus;
2) De développer leur capacité de s'administrer
elles-mêmes, de tenir compte de leurs aspirations politiques et de les
aider dans le développement progressif de leurs libres institutions
politiques, dans la mesure appropriée aux conditions
particulières de chaque territoire et de ses populations et à
leurs degrés variables de développement; enfin
3) D'affermir la paix et la sécurité
internationales. »
140 Les quatorze points de Wilson sont le nom donné au
programme du Président des Etats-Unis Woodrow Wilson pour mettre fin
à la Première Guerre Mondiale et reconstruire l'Europe.
141 Voir, Article 1, alinéa 2.
Le droit à l'autodétermination est alors reconnu
de façon indirecte comme étant une obligation pour les puissances
mandataires, d'encourager l'autonomie de la population indigene et de tenir
compte à juste titre des ambitions politiques des peuples.
L'évolution du droit international offrira un peu plus
tard aux palestiniens un soutien plus précis à leur conception
collective du « droit au retour ». En effet, à partir des
années soixante, tout un corpus de textes vient enrichir le droit des
peuples et en détailler le contenu.142
En fait, vue la non-observation de nombreuses
résolutions de l'ONU concernant les Palestiniens, l'Assemblée
générale a décidé de relier le « droit de
retour » au droit fondamental à l'autodétermination. En
1969, elle adoptait une résolution reconnaissant le «peuple de
Palestine»143. En 1975, l'Assemblée
générale a aussi crée le Comité pour l'exercice des
droits inaliénables du peuple palestinien. Depuis, le droit à
l'autodétermination ainsi que tous les droits du peuple palestinien,
incluant le « droit de retour », ont été
réaffirmés à maintes reprises par la communauté des
nations.
L'avis consultatif de la CIJ concernant l'édification
du mur144 dans les territoires palestiniens occupés vient
s'ajouter dans cette direction ; en fait la cour a considéré que
l'édification du mur est une violation au droit des peuples a disposer
d'eux-mêmes145 et a toutes les règles pertinentes du
droit international, du droit relatif aux droits de l'homme et du droit
international humanitaire146, insistant que certaines conventions
font désormais partie du droit international coutumier147.
142 Le droit à l'indépendance complete et au
respect de l'intégrité du territoire national (résolution
1514 de l'assemblée générale qui forme à partir du
14 décembre 1960 la charte de la décolonisation).
Résolution 2625 du 24 octobre 1970.
Déclaration sur le renforcement de la
sécurité internationale, du 16 décembre 1970 dans laquelle
les Nations Unies demandent aux Etats « de s'abstenir de toute tentative
visant à rompre partiellement ou totalement l'unité nationale et
l'intégrité territoriale de tout autre Etat ou pays ».
143 Résolution 2535 B (XXIV).
144 Voir, Cour Internationale de Justice, «
Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le
territoire palestinien occupé », Requête pour avis
consultatif, (9 juillet 2004).
145 « Quant au principe du droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes, la Cour fait observer qu'il a
été consacré dans la Charte des Nations Unies et
réaffirmé par la résolution 2625 (XXV) de
l'Assemblée générale déjà mentionnée,
selon laquelle «tout Etat a le devoir de s'abstenir de recourir à
toute mesure de coercition qui priverait de leur droit à
l'autodétermination les peuples mentionnés dans ladite
résolution». L'article 1er commun au pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels et au pacte international
relatif aux droits civils et politiques réaffirme le droit de tous les
peuples à disposer d'euxmêmes et fait obligation aux Etats parties
de faciliter la réalisation de ce droit et de le respecter,
conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies. La Cour
rappelle sa jurisprudence antérieure, qui soulignait que
l'évolution actuelle du droit international à l'égard des
territoires non autonomes, tel qu'il est consacré par la Charte des
Nations Unies, a fait de l'autodétermination un principe applicable
à tous ces territoires, et que le droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes est un droit opposable erga omnes».
146«(...) Cette interprétation
reflète l'intention des auteurs de la quatrième convention de
Genève de protéger les personnes civiles se trouvant d'une
manière ou d'une autre au pouvoir de la puissance occupante,
indépendamment du statut des territoires occupés. (...) Au vu de
ce qui précède, la Cour estime que la quatrième convention
de Genève est applicable dans les territoires palestiniens qui
étaient, avant le conflit de 1967, à l'est de la Ligne verte, et
qui ont à l'occasion de ce conflit été occupés par
Israël, sans qu'il y ait lieu de rechercher quel était auparavant
le statut exact de ces territoires ».
147 « Pour ce qui concerne le droit international
humanitaire, la Cour (...) estime que les dispositions du règlement de
La Haye de 1907 ont acquis un caractère coutumier, comme d'ailleurs tous
les participants à la procédure devant la Cour le reconnaissent.
Elle observe en outre que, conformément à l'article 154 de la
quatrième convention de Genève, le règlement de La Haye a
été complété en ses sections II et III par les
dispositions de ladite convention. La section III dudit règlement, qui
concerne «l'autorité
Mais les textes les plus explicites sont ceux des Pactes
internationaux des Nations Unies du 16 décembre 1966, relatifs
respectivement aux droits civils et politiques148 et aux droits
économiques, sociaux et culturels149.
En outre, les articles 1 et 12 du Pacte mentionnent
respectivement le « droit au retour » et le droit à
l'autodétermination des peuples ; ce dernier présentant
également un grand intérêt pour le retour dans un pays ou
sur un territoire dont le statut est disputé.
En tant qu'instruments conventionnels possédant un
caractère obligatoire, les deux Pactes des Nations Unies énoncent
en des termes identiques dans leur article premier, le droit à
l'autodétermination des peuples.
« Article premier : 1. Tous les peuples ont le droit de
disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent
librement leur statut politique et assurent librement leur développement
économique, social et culturel.
2. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent
disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans
préjudice des obligations qui découlent de la coopération
économique internationale, fondée sur le principe de
l'intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un
peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de
subsistance.
3. Les Etats parties au présent Pacte, y compris ceux
qui ont la responsabilité d'administrer des territoires non autonomes et
des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du
droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et de respecter ce
droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies
».
Reconnu non à des individus mais à un groupe
dénué de personnalité légale, ce droit qui n'a pas
de titulaire individuellement identifiable n'est pas cependant en soi un
obstacle à la reconnaissance d'obligations à la charge des
Etats.
Du reste, le tribunal arbitral constitué dans l'affaire
de la détermination de la frontière maritime entre la
Guinée-Bissau et le Sénégal,150 a admis, au
moins implicitement, le caractère impératif du droit à
l'autodétermination des peuples. Après la résolution 181
(II) du 29 novembre 1947, la première résolution de
l'Assemblée générale à reconnaître le droit
des Palestiniens à l'autodétermination est la résolution
2649 (XXV) du 30 novembre 1970.
C'est en se fondant sur cette règle essentielle du
droit international que le peuple palestinien (en tant que collectivité)
livre depuis longtemps un combat pour l'application de son droit à
l'autodétermination. C'est par cet effort que ce peuple a imposé
la reconnaissance de son droit par la Communauté internationale, et
même par Israël à partir des accords d'Oslo.
militaire sur le territoire de l'Etat ennemi», est
particulièrement pertinente en l'espèce(...) La Cour rappelle que
la quatrième convention de Genève a été
ratifiée par Israël le 6 juillet 1951 et qu'Israël est partie
à cette convention».
148 Le pacte international relatif aux droits civils et
politiques (PIDCP) a été adopté à New York le 16
décembre 1966 par l'AGNU. Il est entré en vigueur après la
ratification par 35 États le 23 mars 1976. Il est en principe applicable
directement par les juridictions des États signataires.
149 Le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels a été adopté à New York le 16
décembre 1966 par l'AGNU dans sa résolution 2200 A (XXI). Il est
entré en vigueur après sa ratification par trente-cinq
États le 3 janvier 1976.
150 Sentence du 31 juillet 1989.
Mais la revendication du « Droit au retour »
collectif, tire sa complexité notamment au regard des
négociations sur un accord de paix. Le processus de paix dans la
région ne concerne pas seulement Israël et la Palestine, mais aussi
les Etats arabes ; puisque certains de ces pays reçoivent sur leur
territoire un nombre parfois très élevé de refugiés
palestiniens. (Ce sujet sera traité dans le chapitre consacré au
processus de paix)
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