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Les recours individuels dans le système inter-africain de contrôle: la coexistence de la cour africaine et des juridictions des communautés économiques régionales

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par Christian BAHATI BAHALAOKWIBUYE
Université Catholique de Bukavu - Licence 2011
  

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Section II : La coexistence des « cours africaines » des droits de l'homme

A priori, la concurrence entre systèmes, et partant entre juridictions ne devrait pas exister. En effet, « chaque juridiction créée est censée opérer dans un espace géographique limité aux contours territoriaux des Etats membres de la Communauté ou de l'Organisation dont elle est l'organe de contrôle juridictionnel ». Mais c'est sans compter avec les chevauchements entre organisations qui génèrent une concurrence territoriale, ainsi qu'avec le processus inexorable d'accroissement des compétences ratione materiae des juridictions qui engendre une concurrence matérielle169(*).

La juridictionnalisation du droit international et l'accroissement sensible du nombre des tribunaux internationaux au cours des quinze dernières années se sont accompagnés d'un essor préoccupant du forum shopping et, au-delà, d'une augmentation des phénomènes de concurrence de procédures contentieuses dans l'ordre juridique international.

La prolifération des juridictions internationales nuit à la cohérence du droit international. Avec l'expansion des juridictions internationales, il y a certes des avantages, mais nous devrons aussi nous interroger sur le risque d'un chevauchement des compétences de ces instances pouvant mener à une possible contrariété de jugements et au forum shopping.

La concurrence matérielle inter-systémique également concerne la capacité des organisations régionales de type économique et de leurs juridictions à intervenir sur le terrain de la protection des droits de l'homme.

§1. La coexistence matérielle des juridictions en droit international

Ainsi, quand on sait que ces organisations ont ou auront à intervenir et à adopter des actes sur des matières identiques, on imagine sans peine le désarroi du justiciable confronté à des législations concurrentes et potentiellement dissonantes. On imagine également sans peine le désarroi du juge national devant lequel deux ou trois obligations internationales s'entrechoqueront. Quel droit fera-t-il primer et quel juge régional saisira-t-il ? Ici, il est patent que la nature des compétences des Cours pourra influer sur ce dilemme170(*). Au niveau européen la prolifération des juridictions s'est traduite en concurrence entre la cour de justice des communautés européennes et la Cour de Strasbourg. L'Afrique n'est pas en reste avec ce phénomène car il remporte la palme de la prolifération avec plus d'une demi-douzaine d'institutions régionales et sous-régionales.

Ces chevauchements se traduisent par une appropriation subreptice par les Cours des systèmes économiques, de compétences en matière de droits de l'homme. Si on garde à l'esprit le fil rouge que constitue le précédent européen, on réalise que toute juridiction qui organise, de façon plus ou moins élaborée, l'accès des particuliers à son prétoire, peut, à terme, être amenée à se prononcer sur une question de protection des droits de l'homme car « nulle cloison étanche » ne sépare la sphère économique (i.e. libre circulation des personnes, liberté d'établissement, égalité de traitement et principe de non discrimination) de la sphère de la protection des droits. La jurisprudence des Cours de Justice des ensembles régionaux peut à terme toucher cette question d'autant, qu'en réalité, rares sont aujourd'hui les traités institutifs des organisations de type économique qui n'opèrent pas de renvois plus ou moins précis aux droits de l'homme. A signaler toutefois qu'un seul système, le centraméricain, prohibe tout empiètement de la Cour SICA sur les compétences de la CIDH selon l'article 25 de l'Accord de Panamá : la précision n'est pas inutile quand l'amplitude des compétences de la Cour centraméricaine laissait au contraire présager un empiètement inévitable de sa jurisprudence sur celle de la CIDH (article 22 f) notamment). Ce texte symbolique est la démonstration éclatante qu'aujourd'hui, au regard d'un contexte marqué depuis le Sommet de Vienne (1993) par la « prégnance des droits de l'homme » dans la rhétorique internationale, les ensembles économiques ne peuvent pas rester rivés sur la seule donne mercantile. Pour reprendre l'heureuse formule de Guy Braibant, ils aspirent tous, tôt ou tard, à devenir des « fonds communs de valeurs », après n'avoir été que de simples « fonds communs de placement »171(*).

§2. La coexistence matérielle des cours africaines des droits de l'homme

Le glissement jurisprudentiel du champ économique vers le champ de la protection des droits pourrait également se réaliser suite à une extension significative de compétences de l'organisation régionale. Le cas de la CEDEAO, de la SADC et de l'EAC est significatif à cet égard.

D'aucun affirme que les compétences des Cours de justice des CER en matière de protection des droits de l'Homme ont été acquises à un moment où la mise en place de la Cour africaine était encore hypothétique. Il s'agissait donc de permettre à des instances supra nationales de palier les déficiences de certaines juridictions nationales en l'absence d'un mécanisme continental de protection des droits de l'Homme. A présent, il est difficile d'entrevoir les relations qui existeront entre les Cours de justice des CER et la Cour africaine.

La coexistence de ces juridictions pourrait amener des différences d'interprétation de la Charte africaine et ainsi entraîner une protection différente de ces droits. Cette situation amènera-t-elle les individus et ONG à choisir leur recours supra national en fonction des jurisprudences des différentes juridictions?

A cette question il faut dire qu'aucun lien organique ne relie la Cour africaine aux autres cours régionales. Les cours de justice sont ainsi amenées à connaitre des litiges en matière des droits de l'homme en même temps que la Cour africaine.

On peut à cet égard se demander, si saisie d'un litige en matière de protection des droits de l'Homme, les Cours de justice des CER auront la volonté de se dé-saisir au profit de la Cour africaine. La Cour africaine autorisera-t-elle une procédure, en se fondant sur l'article 56 du Protocole qui permet aux organisations internationales africaines de saisir la Cour? Par ailleurs, un individu ou une ONG pourraient-ils saisir la Cour africaine d'une décision prise en leur défaveur par une Cour de justice d'une CER, ou bien la Cour considérera-t-elle qu'une telle procédure est contraire au principe ne bis in idem qui empêche un tribunal de se prononcer sur une affaire qui a déjà été jugée sur les mêmes fondements?

Autant de questions qui ne pourront trouver de réponses que par des décisions jurisprudentielles172(*).

Disons d'emblée que l'égocentrisme juridictionnel concerne l'attitude instinctive des juridictions à défendre leur « pré-carré », tant institutionnel que matériel. Cette logique, consubstantielle au phénomène institutionnel -- y compris judiciaire -- est, à mon sens, démultipliée s'agissant des juridictions régionales. Elle est poussée à son paroxysme à l'intérieur d'ensembles régionaux où la tension est perceptible, le rapprochement géographique donnant un relief particulier à l' « affrontement » : le cas européen est topique sur le sujet173(*).

Dans le cadre africain, toutes ces trois juridictions sous régionales ayant vocation, dans le cadre de leurs compétences matérielles et territoriales respectives, à connaitre des affaires touchant directement ou indirectement à la protection des droits de l'homme, il se posera inévitablement le problème de comptabilité de leurs procédures et jurisprudences respectives avec celles de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples.174(*) C'est notamment le cas avec l'affaire Habré qui était pendant à la fois devant la Cour africaine et devant la CJCEDEAO. On peut ajouter à cela le fait que ces différentes juridictions statuent conformément aux clauses de la Charte Africaine des droits de l'homme et des peuples.

on s'imagine sans peine le désarroi du justiciable confronté à des législations concurrentes et potentiellement dissonantes. On imagine également sans peine le désarroi du juge national devant lequel deux ou trois obligations internationales s'entrechoqueront. Quel droit fera-t-il primer et quel juge régional saisira-t-il ?

Ce problème se résoud en droit international par la coordination qui passe par la coopération de ces différentes juridictions. En effet, un certain courant doctrinal estime que la création d'une culture judiciaire de coopération a fini par émerger, le juge national prenant à coeur son office de juge communautaire de droit commun. Cette culture nécessite l'existence d'un système marqué par un minimum de centralisation. Celle-ci existe dans les systèmes d'intégration ; elle fait cependant cruellement défaut à l'échelle universelle. Tant que le système international ne sera pas marqué, de jure, par un plus fort degré de centralisation, tant que la CIJ ne s'extirpera pas d'une politique judiciaire marquée par une frilosité symptomatique d'un droit international révolu, il n'y a aucune raison, d'un point de vue institutionnel, pour que les autres juridictions internationales, régionales et universelles spécialisées, doivent révérence et allégeance à la CIJ175(*).

Par ailleurs, Ces chevauchements matériels ne sont cependant pas synonymes ipso facto de divergences. Surtout, sur la base du phénomène de cross fertilization, ils peuvent constituer un puissant point de dialogue entre les juges.

Si les dialogues des juges ont toujours été occasionnées par des renvois préjudiciels, intervenant ainsi en aval, en Afrique, la rencontre est intervenue en aval afin de préserver, sans paraphraser la Charte des NU, les futurs justiciables africains du fléau du forum shopping qui en l'espace d'une vie humaine a placé autant de justiciables européens dans le désarroi confrontés à des législations concurrentes instituant la cour de Luxembourg et celle de Strasbourg.

C'est ainsi qu'à l'initiative de la Cour africaine, il s'est tenu à Arusha le 06 octobre 2010 le Colloque sur les Cours africaines des droits de l'homme et des institutions similaires avec pour objectif général d'initier le dialogue judiciaire entre ces organisations, en vue d'explorer les voies et moyens d'assurer la coopération et la coordination, notamment l'échange d'informations et d'expertise entre tous les organismes judiciaires et quasi-judiciaires continentaux et sous-régionaux chargés de la promotion et de la protection des droits de l'homme en Afrique.

Outre la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, le Comité africain des experts sur les droits et le bien-être de l'enfant , et des institutions judiciaires et quasi-judiciaires de droits de l'homme créées au niveau continental par l'Union africaine, le Colloque a vu la participation de représentants de haut niveau de la Cour de justice de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, du Tribunal de la Communauté de développement de l'Afrique austral et de la Cour de justice de l'Afrique de l'Est. Le Forum des Présidents des Cours suprêmes de la Communauté de l'Afrique de l'Est a été également représenté à ce colloque.

Après trois journées de discussions approfondies et constructives, les participants ont élaboré un communiqué final où ils ont convenus de ce qui suit :

- Les participants ont réitéré leur engagement en faveur de la promotion et de la protection des droits de l'homme et des peuples dans le contexte de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (la Charte africaine), le principal instrument continental de droits de l'homme et d'autres instruments régionaux et internationaux pertinents de droits de l'homme.

- Étant donné l'influence du droit international en matière de droits de l'homme sur l'application à l'échelon national des droits de l'homme et au regard du fait que les normes et décisions internationales ne deviennent véritablement pertinentes qu'une fois qu'elles sont acceptées et mises en oeuvre à l'échelon national, les participants ont souligné l'importance d'associer les institutions judiciaires nationales au dialogue sur la promotion et la protection des droits de l'homme sur le continent. A cet effet, les participants ont; aux fins d'élargir le dialogue; recommandé l'organisation de rencontres similaires auxquelles seront invitées toutes les institutions judiciaires sous-régionales et nationales.

- Les participants reconnaissent que leurs différentes institutions sont partie intégrante du système de protection des droits de l'homme en Afrique et que leur coexistence aux niveaux continental, sous-régional et national constitue une condition sine qua non pour la coordination et le renforcement de la promotion et de la protection des droits de l'homme et des peuples sur le continent. À cet égard, les participants se sont engagés à partager les informations sur les décisions pouvant être utilisées par les autres dans le cadre de leur travail en vue de constituer une riche jurisprudence africaine sur les droits de l'homme. Ils ont également souligné la nécessité de mettre en place des mécanismes pour l'échange approprié d'informations pour faciliter l'élaboration d'une jurisprudence et approche cohérentes de droits de l'homme, de façon à éviter qu'une même affaire fasse l'objet d'examen par deux ou plusieurs juridictions en même temps.

- Les participants se sont félicités de ce que le Colloque ait offert un cadre utile pour le partage d'expériences et d'informations, et encouragent la coopération entre les institutions de droits de l'homme en Afrique afin d'élaborer une jurisprudence cohérente de droits de l'homme, ainsi que pour examiner les défis qui se posent aux juges, aux commissaires et autres experts de droits de l'homme dans la protection des droits de l'homme en Afrique. À cette fin, il a été convenu d'institutionnaliser le colloque et de le tenir tous les deux ans.

- Les participants ont exprimé leur préoccupation quant aux difficultés que rencontrent les citoyens africains ordinaires dans les efforts qu'ils déploient pour accéder à la justice tant au niveau national qu'international. À cet effet, les participants ont souligné la nécessité de mettre en place des systèmes adéquats et durables d'assistance juridique à tous les niveaux.

- Les participants ont exprimé leur préoccupation quant aux difficultés que rencontrent les citoyens africains ordinaires dans les efforts qu'ils déploient pour accéder à la justice tant au niveau national qu'international. À cet effet, les participants ont souligné la nécessité de mettre en place des systèmes adéquats et durables d'assistance juridique à tous les niveaux. décisions, la Cour africaine, la Commission africaine, le Comité africain sur les droits et le bien-être de l'enfant, la Cour de justice de la CEDEAO et le Tribunal de la SADC se sont engagés à collaborer afin de renforcer l'exécution de leurs décisions et de partager des informations sur les bonnes pratiques dans ce domaine.

- Aux fins de renforcer la coopération et la constitution de réseaux ainsi que de préparer le prochain colloque, les participants ont convenu que les bureaux des institutions participantes se rencontrent au moins une fois par an. La Cour africaine s'est vu confier le rôle de secrétariat temporaire avec pour mission, notamment d'explorer la possibilité d'abriter une base de données, un portail de communication et un site Internet pour le partage d'informations, et de préparer le prochain colloque.

- Tout en reconnaissant la nécessité des échanges de personnel, les participants ont souligné que ces échanges devraient être dictés par les besoins et la pertinence. A cette fin, les participants ont convenu que chaque institution établisse ses priorités en matière d'échange et les communique aux autres. Les participants ont également souligné l'importance du partage d'informations, et à cet égard, exhorté les institutions participantes à améliorer davantage leur site internet et à établir des liens avec les autres institutions177(*).

* 169 L. BOURGOUSEN, Op. Cit., P. 30

* 170 Laurence BOURGORGUE-LARSEN, « le fait régional dans la juridictionnalisation du droit international », in : SFDI, La juridictionnalisation du droit international, colloque de Lille, Paris, Pédone, 2003, Pp.31-32

* 171 Idem, P. 34 citant G. Braibant, « Les enjeux pour l'Union », Vers une Charte des droits fondamentaux de l'Union (Table ronde du 18 mai 2000 organisée par les professeurs Cohen-Jonathan, Decaux et Dutheil de la Rochère), Regards sur l'actualité, Paris, La Documentation française, n° spécial 264, août 2000, p.11.

* 172 FIDH, Op. Cit., P. 39

* 173 L. BOURGORGUE-LARSEN, Op. Cit., P. 42

* 174 L. BOURGORGUE-LARSEN, Op. Cit., Pp. 203-264 cité par Mutoy MUBIALA, Op. Cit., P. 102

* 175 176 L. BOURGORGUE-LARSEN, Op. Cit., Pp. 42

* 177 www.african-court.org/clôture-du-colloque-sur-les-cours-africaines-des-droits-de-l'homme-et-des-institutions-similaires-

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams