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Le nominalisme de Guillaume d'Ockham et la naissance du concept de droits de l'homme

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par Yann Kergunteuil
Université catholique de Lyon - Master 2 2006
  

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2. La technique

Chaque étant nominaliste demeure composé d'une matière et d'une forme. Ockham se place dans la continuité d'Aristote dont il reprend la terminaison, mais à son habitude, il en bouleverse la signification profonde. L'aristotélisme a progressivement considéré la « matière première », qui n'était qu'une abstraction pour Aristote, comme un être réel indifférencié, sans qualités, pure potentialité en attente d'une forme. En vertu du principe d'économie, Ockham refuse tout d'abord cette distinction entre matières première et seconde. Mais surtout, puisque qu'elle énonce, d'une part que la matière est un substrat indestructible sous la pluralité des formes qu'il peut prendre1, d'autre part qu'elle fait pleinement partie de l'essence des singuliers, la tradition devrait lui reconnaître le statut d'être réel et permanent :

« Il ne faut pas s'imaginer que la matière soit d'elle-même seulement en puissance d'être, comme la blancheur est seulement en puissance d'être2 ».

D'un point de vue logique, Ockham en déduit qu'il faut attribuer à la matière la qualité intrinsèque de l'étendue.

« Il est impossible qu'il y ait matière sans extension3 ».

A l'opposé d'Averroès, Ockham fait donc de la matière un être intelligible selon une qualité quantifiable. A la différence des qualités aristotéliciennes telles que la lourdeur ou la chaleur, cette matière peut être mesurée, calculée. C'est toujours comme une quantité finie qu'elle existe au sein d'une substance une et unique :

« L'étant singulier comble ainsi de façon décisive l'indétermination de la matière aristotélicienne. En la pensant de façon essentiellement quantitative, l'ontologie du singulier fonde de façon programmatique une connaissance de la matière en tant que telle. En outre, puisqu'elle est toujours finie et locale dans le singulier, sa connaissance ne peut être elle-même que singularisée, c'est-à-dire

1 Sauf, bien sûr, de potentia absoluta.

2 Summulae in libros Physicorum, I, 15.

3 Ibid., I, 19 ; voir aussi Quodl., IV, qu. 20-28.

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expérimentale. Ainsi est pensée, pour la première fois, la possibilité ontologique d'une physique non

aristotélicienne, expérimentale et quantitative1 ».

Ce nominalisme ockhamien fonde ainsi ontologiquement le programme des sciences modernes. En substituant aux vérités de l'Antiquité des axiomes nouveaux (le rapport de l'esprit au monde est dans un premier temps nécessairement singulier, l'universel n'existe pas, la matière est quantifiable) il marche dans les pas de Roger Bacon (1214-1294)2, et ouvre la voie d'une réduction de la nature à ses qualités mathématiques et physiques.

Ockham repense également le concept de forme. Bien qu'Aristote présente la forme des êtres naturels selon le modèle de la t÷v13 (la forme de l'individu est à la nature ce que le plan est au bâtisseur de la maison), ce n'est qu'une méthode d'exposition, non un parti pris métaphysique. L'art n'est mis sur le même plan que la nature que parce qu'il permet d'en distinguer les principes ; c'est le cas des quatre causes. Ce parallèle ne doit cependant pas faire oublier que c'est en fait la p?rnç qui est au principe de la technique. Pour Aristote, « l'art imite la nature »4. Evidemment plus parfaite, elle unit harmonieusement en son sein ces causes que l'art peut dissocier lorsqu'à son plus bas degré, il n'est qu'un assemblage sans finalité. Aristote limite donc la technique à la manifestation de modèles universels. La statue n'est conforme à sa finalité (représenter par exemple un homme ou un dieu) que si l'essence de son objet en est la cause formelle.

La perspective d'Ockham est toute autre puisqu'il sépare radicalement générations naturelle et artificielle. Alors que la nature fait émerger des formes au sein d'une matière singularisée5, la technique n'est qu'une agrégation de formes naturelles qui ne constitue pas à leur tour un être unique :

« Car l'artisan ne fait rien, sinon mouvoir localement : or, ce faisant, il ne cause pas une nouvelle

chose mais fait seulement être la chose en un lieu où elle n'était pas auparavant6 ».

Il libère donc la pensée de la technique du double enfermement où l'aristotélisme la plaçait :

1 Pierre Alféri, op. cit., p. 97. Concernant l'influence d'Ockham sur la physique de son temps (principe d'inertie et analyse des propositions) : ibid., note 145.

2 Franciscain resté célèbre pour la place qu'il estimait devoir être prise par les mathématiques dans les sciences et ses contributions concernant l'avènement de la méthode expérimentale. Ockham s'en démarque cependant par son souci constant d'accorder ses thèses ontologiques à ses principes théologiques.

3 La « techné » renvoie à notre technique. C'est l'art selon son ancienne acception comme ensemble « de moyens, de procédés réglés qui tendent à une certaine fin » (définition du Petit Robert).

4 Aristote, Physique, II, 2, 194 a 21.

5 « La forme est un acte destiné à être reçu dans une matière » (Summulae in libros Physicorum, I, 23).

6 Summulae in libros Physicorum, I, 26. Et aussi I, 22 : « On dit en effet que la maison est faite ou engendrée, non parce qu'une partie en est totalement nouvelle en elle-même, mais seulement parce que des parties sont assemblées par mouvement local et situées comme il convient, de sorte qu'aucune chose nouvelle n'advient, mais qu'elles sont rassemblées l'une contre l'autre ou l'un sur l'autre comme il convient. De même, c'est seulement par la séparation des parties que l'on dit la maison détruite ».

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« Elle était naturalisée, ancrée dans le même sol ontologique que la génération naturelle ; elle était

universalisée, liée à un nombre fini de modèles formels1 ».

Ockham ayant supprimé la forme de la production des artefacts, tout est désormais possible pour la technique. Elle n'est plus qu'une combinatoire artificielle dont le modèle est la volonté de l'artisan, non quelque essence naturelle qu'il faudrait imiter. Cette redéfinition de la nature de la matière et du rôle de la forme permet l'ébauche d'une épistémologie conséquente : d'une part, les expériences singulières se révèlent possibles, nécessaires, quantifiables, d'autre part, elles intègrent une logique de pensée ayant rabattu sur la causalité efficiente les notions vagues de causalité formelle et finale. La conception ockhamienne de la connaissance ouvre ainsi des perspectives inédites de rigueur scientifique. Elle dégage les conditions de possibilités d'une appréhension rationnelle de la nature en vue de sa maîtrise. Ce mouvement va de pair avec une discrimination des tâches respectives de la raison et de la foi.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand