WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le nominalisme de Guillaume d'Ockham et la naissance du concept de droits de l'homme

( Télécharger le fichier original )
par Yann Kergunteuil
Université catholique de Lyon - Master 2 2006
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

C. La connaissance

Ce monde que dévoile le nominalisme s'inscrit dans une certaine continuité avec celui de la tradition biblique. Dieu a placé l'homme au centre de la Création et se définit par sa toute-puissance. Sur les questions relatives à la connaissance néanmoins, Ockham est néanmoins en rupture avec les doctrines antérieures. La science n'a plus selon lui à décrire un ensemble hiérarchisé, elle peut se focaliser sur les mécanismes naturels. Quant aux connaissances théologiques, l'abîme séparant puissances absolue et ordonnée nous permet d'en poser les limites. A l'image de ses thèses métaphysiques, la théorie ockhamienne de la connaissance entretient un lien indirect avec la pensée politique moderne : l'omniprésence métaphysique et épistémologique de la singularité annonce l'ère de l'individu.

1. La science

L'ontologie ockhamienne est révolutionnaire dans ses fondements mêmes. Sa troisième définition du singulier souligne que les termes discrets rendent compte des singuliers grâce à leur fonction déictique1. Contre la lecture traditionnelle d'Aristote dominant jusqu'à saint Thomas, Ockham affirme que le singulier n'est pas ineffable. Du point de vue heuristique, il est possible de faire référence au singulier, de désigner cet homme, cette pierre. Soutient-il pour autant qu'une connaissance du monde soit possible malgré l'inexistence des universaux ?

Il y a pour l'ockhamisme deux types de connaissance : abstractive2 et intuitive. A cette époque, on qualifie d' « intuition » tout rapport direct de connaissance intellectuelle ou sensible3. Concernant la nature du rapport de l'esprit humain aux étants singuliers, Ockham soutient que la première intellection relève nécessairement de la connaissance intuitive (du singulier) et non abstractive (de l'universel). L'esprit ne fait aucun détour par l'universel pour revenir ensuite au singulier. Il combat pour ce faire la thèse classique des trois primautés de connaissance et montre

1 Pour rappel : « troisièmement, on dit singulier le signe propre à un seul, qui est appelé terme discret ». Voir le présent travail : partie I, chapitre 1, section C.

2 Elle correspond à un acte intellectif clair et distinct relatif à l'objet. Contre la théorie classique affirmant qu'elle libère en l'objet sa forme de la matière et donne accès à son essence universelle, Ockham soutient que l'abstraction n'est qu'un contenu noétique qui n'indique rien de la nature du singulier visé. Elle n'est que l'établissement d'un rapport de connaissance indirect sans aucune portée ontologique entre une unité numérique (le singulier, Pierre) et une unité de signification (le concept, l'humanité).

3 A noter qu'intuitif n'est pas synonyme d'évident.

46

l'absurdité des positions réalistes1. Le singulier est ainsi reconnu comme objet premier de la recherche du vrai.

Est-il alors possible d'établir des vérités générales au sujet d'un monde où tout est irréductiblement singulier ? Contre l'aristotélisme affirmant qu'il n'y a de connaissance que de l'universel, la triple primauté de l'intellection du singulier incite à voir en Ockham un précurseur des sciences modernes expérimentales :

« Il faut noter que toute discipline commence par les individus (...). De même que toute notre connaissance tire origine du sens, de même toute discipline tire origine des individus2 ».

Cependant, bien qu'Ockham ait influencé la modernité scientifique, il est à noter que son ontologie de la singularité a :

« dès le départ, des exigences paradoxales : elle entend définir et penser la singularité des étants en elle-même et donc en général, mais quant à la connaître, comme une science connaît son objet, elle ne peut, par hypothèse, y prétendre3 ».

La possibilité d'une science pour un système de pensée est tributaire de sa réponse à la question de l'être. Chez Ockham, l'identité des concepts d'essence et d'existence implique l'indétermination fondamentale du verbe `être' et l'identité de tous ses dérivés (esse, ens, entitas, essentia, existere, existentia). Impossible donc de statuer sur les catégories de l'être comme le faisait Aristote puisque le singulier est inconnaissable :

« L'ontologie n'est plus en aucune manière une science ; on ne connaît à proprement parler que des singularités à partir d'une expérimentation singulière4 ».

Ockham détruit donc toute possibilité d'une science de l'ontologie. Toute science est-elle impossible pour autant ? Non, à condition de la redéfinir. Bien que les objectifs d'Ockham soient principalement théologiques, sa pensée peut être considérée comme faisant partie des racines du champ scientifique moderne. La science n'est plus une mais multiple, elle est la reproduction mentale de la multiplicité d'un monde possible parmi d'autres. L'espoir d'une science unifiant

1 La source historique du problème réside dans l'interprétation de « l'antérieur » (Aristote, Catégories). La tradition soutient en effet que seuls les universaux seraient intelligibles à l'esprit humain qui, à la différence de Dieu et des anges, serait incapable de connaître le singulier en tant que tel. Les natures communes auraient ainsi une primauté :

- temporelle (elles seraient antérieures aux idées singulières) ;
- d'adéquation (elles conviendraient mieux à la connaissance) ;

- de perfection (elles seraient supérieurs aux singularités).

Le singulier serait pour sa part ineffable. En cohérence avec son ontologie, Ockham répond que :

- la connaissance du plus commun a pour condition celle du particulier (temporalité et adéquation) ;

- l'existence des abstractions est sémiologique et non ontologique (perfection).

Et donc : « la première connaissance du singulier est intuitive ; le singulier est conçu de façon première » (Sent., I, dist.

III, qu. 6, p. 492). Pour plus de détail, lire « Le singulier est le premier intelligible » (Pierre Alféri, op. cit., § 8, p. 74

sq.).

2 Commentaire sur le livre des prédicables de Porphyre, op. cit., chap. III, § 11, p. 48.

3 Pierre Alféri, op. cit., p. 64.

4 Ibid.

47

l'ensemble des connaissances s'évanouit, c'est le début de l'ère des sciences qui, toujours plus spécialisées, conduiront le XXe siècle à la régionaliser en savoirs. Une fois encore, le Moyen Age est à la source de mouvements caractéristiques de la modernité. Cette dernière trouve dans la métaphysique nominaliste les fondements lui permettant d'élaborer un discours réellement scientifique faisant passer au premier plan la technique et l'expérimentation.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote