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Le nominalisme de Guillaume d'Ockham et la naissance du concept de droits de l'homme

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par Yann Kergunteuil
Université catholique de Lyon - Master 2 2006
  

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2. La relation

En redéfinissant la causalité divine d'après une acception radicale la toute-puissance, Ockham affirme que Dieu n'et tenu par aucune loi, ni par aucun de ses actes. Il bouleverse ainsi les concepts antiques de relation, de possible, et de causalité naturelle. Pour la tradition chrétienne, le monde résulte d'une décision de Dieu qui en constate après coup la bonté3. Mais dépassant une interprétation littérale de la Bible considérant que Dieu tisse des liens entre les êtres (il crée des

1 Paul Vignaux, op. cit., p. 760.

2 « Je dis que la connaissance divine concernant les choses que Dieu peut faire est pratique (...). La production divine peut être dite en un sens une «praxis», car elle dépend assurément de la volonté divine de façon contingente, et, par conséquent la connaissance qui lui correspond peut être dite véritablement une connaissance pratique ». Sent. I, dist. XXXV, qu. 6.

3 Cf. Genèse 1-31 : « Dieu vit tout ce qu'il avait fait. Voilà, c'était très bon ».

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espèces, interdépendantes, et dépendantes d'un milieu), Ockham affirme que la Création est une juxtaposition d'actes singuliers1.

De potentia ordinata, les singuliers entretiennent des liens et forment un ensemble cohérent : la graine appelle la fleur, les causes ont des effets. Cet ordre n'est cependant qu'une des déclinaisons possibles de la puissance absolue, il peut être à tout moment brisé. Les régularités causales existent parce que Dieu les a voulues mais ne sont pas immuables pour autant. Il serait absurde de croire que Dieu a décidé d'aliéner à jamais l'expression de sa puissance. La foudre peut encore frapper. S'il le décide, « Dieu peut créer un singulier incompatible avec les existants selon l'ordre des causes secondes, il peut faire pousser un poisson dans un champ et une vache dans un nuage2 ». Ockham déploie entièrement son onto-théologie. Puisque seuls Dieu et ses créatures existent, les relations ne peuvent pas faire partie du monde. La causalité, dont le premier des aspects selon la puissance ordonnée est la nécessité, relève d'après la puissance absolue de l'accident. Les seules relations existantes sont verticales, fulgurantes, singulières. Elles ne concernent que Dieu et les créatures, jamais les créatures entre elles. Cette thèse peut sembler aberrante. Un parent n'est-il pas cause de son enfant ? Ockham l'accorde seulement concernant la puissance ordonnée, et Louis Valcke précise que :

« la «paternité» n'est pas une entité qui vient s'ajouter à Sophronisque lorsqu'il devient le père de

Socrate, la paternité est simplement le concept au moyen duquel l'intellect pense la relation de Sophronisque à son fils3 »

Dieu pourrait donc accorder la paternité à quelqu'un qui n'est pas père. La relation ne constitue aucune forme de réalité, son existence est uniquement sémiologique4. Grâce à la distinction du langage et de l'ontologie, la parentalité se révèle être, comme la chevalité ou l'humanité, un signe mental qui laisse inchangée la nature singulière de l'étant. L'ordre naturel n'est pas une entité collective, il est la visée conceptuelle d'une collection de singularités.

L'inexistence ontologique de la catégorie de relation appelle une redéfinition du concept de possibilité. La méthode est identique et consiste à en analyser le concept d'après les deux

1 « Je dis que le mot «monde» peut être pris de deux manières : parfois pour l'ensemble total [tota congregatio] de toutes les choses créées ; qu'elles soient des substances ou des accidents ; d'autres fois pour quelque tout composé ou agrégé et cela de nouveau en deux sens, soit en considérant exclusivement les parties qui sont des substances, soit toutes indifféremment ». Sent. I, dist. XLIV, qu. 1, p. 651. Ailleurs, en Expositio super VIII libros Physicorum Aristotelis (prologue, § 17, p. 196), parlant de la science, Ockham affirme qu'elle « n'est pas une autrement que la cité est dite une, que le peuple, l'armée comprenant hommes, chevaux et autres choses nécessaires, que le règne, que la totalité, que le monde ».

2 Pierre Alféri, op. cit., p. 130.

3 Introduction au Commentaire sur le livre des prédicables de Porphyre, op. cit., p. 33.

4 Ockham s'oppose ici frontalement à Aristote car pour ce dernier : « on appelle relatives ces choses dont tout l'être consiste en ce qu'elles sont dites dépendre d'autre chose ». Organon, « Catégories », 6 a.

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perspectives pouvant exprimer la puissance divine. De potentia ordinata, le possible correspond aux alternatives prévues par le Créateur : il est `possible' d'être père ou mère d'une fille ou d'un garçon. Le possible est alors limité aux lois du monde. De potentia absoluta en revanche, ces lois pourraient être radicalement différentes :

« aucune règle ne précède la création pour se l'assujettir, pas même ce principe d'économie que les nominalistes aiment à invoquer contre les métaphysiques du XIIIe siècle (...). Si nos explications humaines sont tenues de respecter le principe d'économie, l'action divine s'en moque : (...) Dieu n'est assujetti à aucun principe d'ordre, pas même celui de ne rien faire en vain1 »

Dieu n'a pas à épargner sa force qui est absolue, aucune contrainte externe ne pèse sur ses actes. Le champ du possible est sans limites, si ce n'est celle du principe de non contradiction2. Ceci explique l'étendue des répercussions métaphysiques et morales de l'onto-théologie d'Ockham. En vertu de sa puissance, Dieu aurait pu faire le monde différemment. Cette approche demeurerait classique pour un monothéisme si le venerabilis inceptor n'ajoutait :

« Je dis que, bien que le monde ne reçoive pas le plus et le moins à la manière dont les qualités accidentelles sont susceptibles de plus ou de moins, néanmoins on peut en faire un meilleur que celui-ci et on peut lui faire des ajouts. De même, on peut faire des ajouts à l'eau et ainsi d'une eau en

petite quantité on peut faire une eau plus grande et donc plus parfaite en ce sens3 »

En plus d'être imparfait, notre monde pourrait être bien meilleur ! Ockham condamne ainsi l'entreprise même de théodicée qui consiste à expliquer en quoi notre monde est le meilleur qui soit. Ne s'arrêtant pas là, il attaque l'argumentation d'Aristote et affirme la possibilité d'une pluralité de mondes4. Ce n'est donc pas à la Renaissance mais au bas Moyen Age que les problèmes de l'incomplétude et de l'unicité du monde ressurgissent. Les réponses inédites qu'y apportent des penseurs tels Richard de Middleton5, Etienne Tempier6, ou Guillaume d'Ockham font basculer la chrétienté dans la modernité. Elles relativisent une limite cosmique qui « est aussi, bien sûr, une limite de la pensée7 ».

Cette remise en cause du cosmos antique a pour point d'orgue la redéfinition de la causalité naturelle dont Ockham desserre l'étau. Jusqu'alors, les quatre causes aristotéliciennes

1 Paul Vignaux, op. cit., pp. 764-765. En soutenant que Dieu peut s'il le souhaite agir en vain, Ockham est en confrontation directe avec Aristote. Voir le présent travail : partie I, chapitre I, section A.

2 La non contradiction étant la condition de possibilité de la puissance divine, elle ne saurait d'ailleurs être qualifiée de contrainte interne qu'improprement.

3 Sent. I, dist. XLIV, qu. 1, p. 660.

4 Sent. I, dist. XLIV, qu. 1.

5 Théologien franciscain, 1249 (env.) - 1300/1308.

6 1212-1279, évêque de Paris.

7 Pierre Alféri qui ajoute en bon médiéviste que « la pluralité des mondes est au XIVe siècle une pensée philosophique nouvelle et n'est plus au XVIIIe qu'une fable inoffensive ». Op. cit., p. 134.

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déterminaient le devenir des étants1, et la supériorité ontologique et explicative des causes finales et formelles avait pour conséquence l'enchâssement de chaque substance dans une harmonie d'ensemble. Ce n'était donc pas une manière de parler que d'affirmer que les singuliers tendaient vers la perfection du premier moteur. Aristote attribuait ainsi à la fin une causalité réellement finale et métaphoriquement efficiente.

Duns Scot et Ockham renversent cette perspective et soutiennent que la cause finale n'est qu'une métaphore, applicable aux êtres pensants, non aux étants en général2. Ils rabattent ainsi la cause finale sur la cause efficiente et substituent à :

« la notion aristotélicienne de causes totales et réciproques, une par soi dans l'exercice même de leur causalité (...), la notion nouvelle de causes partielles et autonomes l'une par rapport à l'autre (...) Ainsi apparaît un mode de pensée, universel, ou du moins univoque, qui permet d'interpréter selon un seul système de relations causales mécaniques l'ensemble des phénomènes qui peuvent tomber sous l'expérience humaine, aussi bien physiques que physiologiques et psychologiques3 ».

Dans l'ockhamisme, la causalité à proprement parler est efficiente, l'univers n'est plus régit que par une cause unique et machinale. Puisque la relation n'existe pas et que la causalité interne n'est que métaphoriquement finalisée, les substances sont définitivement isolées.

C'est ainsi dans un même mouvement qu'Ockham dévoile la singularité des substances et du monde. Il pense un monde ouvert (tout est en permanence possible), désacralisé (il pourrait être autre, et même meilleur) et mécanique (la causalité efficiente prime). Du fait de la toute-puissance de Dieu, le monde lui-même est singulier. Cette onto-théologie a des répercussions épistémologiques sans précédent et résolument modernes sur les perspectives de connaissance.

1 Par exemple, la statue a pour cause :

- matérielle le marbre (sa matière, ce dont elle est faite) ;
- motrice le sculpteur (principe du mouvement et du repos) ; - formelle les règles et rapports techniques et esthétiques ; - finale la glorification d'une déesse.

2 Aristote expose dans le De generatione et corruptione que « la fin meut selon la métaphore » (VII, 324 b 14). Ockham lui répond en Summulae in libros Physicorum, II, 6 : « On appelle proprement cause finale ce qui est projeté ou désiré ou aimé et en vertu de quoi l'agent agit ». Et comme le précise Pierre Alféri (op. cit., p. 94, note 136), cette prétendue cause est encore une métaphore : « Ce mouvement n'est réellement pas autre chose que le fait pour l'agent d'aimer la fin elle-même ; d'où il suit que ce mouvement de la fin n'est pas réel, mais est un mouvement métaphorique » (Sent. II, qu. 3).

3 André de Muralt, op. cit., p. 32.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote