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Le nominalisme de Guillaume d'Ockham et la naissance du concept de droits de l'homme

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par Yann Kergunteuil
Université catholique de Lyon - Master 2 2006
  

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B. Le monde

A la différence du Dieu thomiste ou scotiste, le Dieu d'Ockham n'a pas de schéma intrinsèquement bon de l'ensemble en vertu duquel il crée chaque singulier. Il est un acte pur et infini que la raison peut circonscrire sans jamais le saisir, et devant lequel elle s'incline. La modernité n'a pas fini de tirer les conséquences de cette onto-théologie. Si la substance est enfin une et unique, le monde au sein duquel elle existe a pour sa part perdu l'ordre que philosophes et religieux s'accordaient jusqu'alors à lui reconnaître. Il n'est plus qu'un artefact soumis à l'absolu arbitraire de la seule volonté divine, c'est un monde nouveau. Comment le définir ? Peut-on le dire moderne ? L'individu se trouve-t-il en son centre ?

1. La Création

Que le monde soit issu du néant est pour Ockham une nécessité qui découle autant de la foi (Genèse) que de la raison. Dieu n'est pas démiurge mais Créateur. Pour illustrer le processus selon lequel il oeuvre, Pierre Alféri use d'une analogie : l'action créatrice de Dieu est à chaque singularité ce que l'éclair est à son point d'impact, le monde est comme un champ au-dessus duquel l'orage plane, Dieu agit à tout moment. Ce parallèle rend compte du caractère absolu, immédiat, inconcevable, et bien sûr singulier, de l'action divine. Son pouvoir terrasse :

« la création est simplement de nihilo, de sorte que rien d'intrinsèque et d'essentiel à la chose ne

précède ; de même, dans l'annihilation, rien ne demeure1 ».

Toute autre perspective signifierait pour Ockham une limitation de la puissance divine. Or celle-ci renouvelle continuellement le monde en générant et pulvérisant certains êtres sans que les autres

1 Sent. I, dist. II, qu. 4, p. 116, l. 13-20.

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soient affectés. La rasoir d'Ockham tire un trait sur ce qui obsédait la métaphysique et fut au coeur de la querelle des universaux : « nec est quaerenda aliqua causa individuationis1 », il n'y a pas à chercher de cause à l'individuation puisque Dieu est seule cause de l'être. Ockham répond ainsi à la question de la venue à l'être des étants en évitant les méandres thomistes et scotistes.

A l'image de l'individu contemporain, la substance ockhamienne n'a pas de racines ou d'histoire qui la précède, elle existe pour elle-même, ce qui est diamétralement opposé à la métaphysique traditionnelle. Pour Augustin, Boèce, Thomas, Duns Scot, les singuliers dérivaient des universaux mais participaient à la perfection de ces modèles qui se trouvaient en Dieu comme une règle. Les idées en Dieu étaient son essence même. L'entendement divin permettant la création des existants singuliers à partir d'essences universelles, il était comme un réceptacle d'archétypes éternels, une « forme théologique du ciel des Idées platonicien2 ». C'était finalement Dieu que les choses désiraient à travers leur modèle, ce qui assurait la cohésion de l'ensemble3. Ockham décrit tout autrement la Création et, donnant une définition révolutionnaire de l'idée divine, bouleverse l'ordre attribué jusqu'ici au monde.

L'idée n'est plus une représentation éternelle servant de référent pour l'élaboration des étants, elle est la créature elle-même :

« Je montre que l'idée est la créature même. C'est en effet à elle que participe chacune des plus

petites parties contenues dans la description. Car c'est elle-même qui est connue par le principe

intellectuel actif, et c'est elle que Dieu regarde pour la produire rationnellement4 ».

L'idée, ce n'est pas le modèle, ce n'est pas une idée générale, c'est le singulier dans le moindre de ses détails, jusqu'aux lignes de la main pour un homme. Cette identité de l'idée et de la chose n'est possible que pour Dieu, elle est une nouvelle conséquence de sa toute-puissance. Il est difficile de se représenter cette doctrine. Il faut en fait redéfinir le terme `idée' pour en comprendre l'acceptation ockhamienne. Dire que Dieu se représente une chose au sein de son entendement avant de la créer peut sembler logique, mais c'est encore une fois tenter d'appliquer le langage des

1 Sent. I, dist. II, qu. 6, p. 197, l. 14-15.

2 Cf. André de Muralt, L'enjeu de la philosophie médiévale, op. cit., p. 117. Sur la question des relations créatures/Dieu via les Idées de celui-ci, l'étude 4 est très éclairante (p. 168 sq.).

3 Ainsi pour saint Thomas, tout être cherche le bien (Somme théologique, Ia, IIae, qu. 66, art. 2), c'est-à-dire « désire Dieu comme sa fin lorsqu'il désire n'importe quel bien, que ce soit par un désir intelligent, par un désir sensible, ou par un désir de nature, lequel est étranger à la connaissance ; car rien n'a raison de bien et de désirable sinon en tant qu'il participe d'une ressemblance avec Dieu ». Ibid., Ia, qu. 44, a. 4, sol. 3. Cf. André de Muralt pour davantage de références, op. cit., p. 235 note 309.

4 Sent. I, dist. XXXV, qu. 5, p. 488. Egalement : « Les idées sont, avant tout, idées des singuliers et ne sont pas idées des espèces, car seuls les singuliers peuvent être produits à l'extérieur et rien d'autre ». Ibid., p. 493. Enfin : « Dieu a des idées en nombre infini, de même que les choses qu'il peut produire sont en nombre infini ». Ibid.

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créatures au Créateur, la logique à la théologie. Si c'est cela avoir une idée, Dieu ne peut en avoir aucune sans qu'une brèche soit ouverte dans sa simplicité. Paul Vignaux précise que l'on peut,

« si l'on y tient, dire que la pierre est en Dieu, mais elle est en Dieu de telle façon qu'elle n'est aucunement Dieu, aussi extérieure à Lui que la blancheur d'un mur est extérieure à l'oeil qui la voit. (...) Pour une doctrine qui éloigne de la simplicité divine l'ombre de toute diversité, la connaissance divine ne peut être qu'une vision radicalement simple d'une multiplicité extérieure à Dieu1 ».

Bien que dans l'impossibilité de comprendre l'exact processus de la Création, l'esprit humain peut comprendre les conséquences d'un acte divin faisant surgir l'être du néant. Aucune volonté divine, aucune forme, pas d'eccéité, d'intermédiaire entre Dieu et ses créatures. L'idée n'est plus le concept général commun de rose mais cette rose que je tiens dans ma main avec la liste exhaustive de ses caractères. L'idée n'est plus un moment de l'entendement mais de la toute-puissance, elle est pratique et non spéculative2.

Il y a donc identité entre le singulier créé et l'idée qu'en a Dieu. C'est l'une des conséquences pratiques découlant de l'identité logique des concepts d'essence et d'existence : chacun est ontologiquement complet car il n'y a pas de divergence entre la visée et le résultat de la toute-puissance divine. La Création libère les étants des archétypes à l'aune desquels ils étaient évalués. En expulsant les universaux du champ ontologique, la philosophie ockhamienne ne prive pas l'individu de ses origines, elle en modifie la genèse. Le singulier n'étant plus que l'idée de lui-même, il gagne en unité et en autonomie ce qu'il perd en relation avec les autres.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams