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Le nominalisme de Guillaume d'Ockham et la naissance du concept de droits de l'homme

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par Yann Kergunteuil
Université catholique de Lyon - Master 2 2006
  

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3. L'unité de la substance et du nominalisme ockhamiens

Pour assurer l'unité du nominalisme ockhamien, le concept de Dieu doit d'abord montrer la possibilité d'une substance une et unique. Sa puissance doit donc être capable de séparer l'accident inséparable du sujet sans que ce dernier soit pour autant détruit. La toute-puissance divine est donc une caractéristique fondamentale pour l'ensemble de la théologie ockhamienne. Absolue, elle est en mesure de réaliser l'identité ontologique des étants singuliers sans violer le principe de non contradiction :

« L'accident séparable est ce qui peut être retranché par la nature sans destruction du sujet ; l'accident inséparable est ce qui ne peut être retranché par la nature sans destruction du sujet, bien qu'il puisse être retranché par la puissance divine1 ».

Dieu a ainsi la capacité de faire subsister le singulier dans sa pure identité. Dans la mesure où A n'est pas B, Dieu peut maintenir A sans B et vice versa. Le corbeau (A) n'est pas dans son unité substantielle la noirceur (B) car bien qu'inséparable, cet accident n'est pas selon Ockham constitutif de son essence. Dieu pourrait donc faire exister un corbeau incolore, séparant de potentia absoluta le naturellement indissoluble. Sa puissance extrait donc de l'impasse théorique la substance en assurant la possibilité de son unité2.

Ockham veut aller plus loin et soutenir sa nécessité. Il réexamine pour ce faire théologiquement la question des universaux avec deux raisonnements simples. Premièrement, Dieu tomberait sous le coup du principe de contradiction s'il créait par l'intermédiaire de natures communes. Affirmer que Socrate et Platon partagent une même humanité reviendrait à soutenir qu'elle existe en deux lieux simultanément. On verrait chacune des deux humanités :

« se distinguer selon le lieu et la situation (...) ; or personne ne sait en particulier et distinctement que des choses se distinguent essentiellement s'il ne connaît en particulier les principes distinctifs

1 Somme de logique, I, 25, p. 83.

2 Voir le présent travail : partie I, chapitre II, section A, 1.

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intrinsèques : donc ces deux humanités se distinguent par elles-mêmes et, en conséquence, sont par elles-mêmes des «ceci»1 ».

Des « ceci », c'est-à-dire des singularités isolées, seulement identiques à elles-mêmes. Soutenir l'existence de natures communes reviendrait à exiger de Dieu qu'il ne respecte pas la condition de possibilité de sa toute-puissance. Deuxièmement, cette thèse conduirait à son inexistence même. La Création sort et retourne au néant. OEuvrant à l'aide d'universaux, Dieu ne pourrait annihiler un étant (cet homme) sans que soit détruite (car A = A) l'humanité présente dans tous les autres. Il aurait donc choisit de créer selon des conditions s'opposant à sa toute-puissance. Impossible, à moins que Dieu ne soit pas Dieu, et qu'empiriquement, la mort d'un homme signifie la fin de tous. Dieu enfin risquerait de se détruire lui-même « dans une sorte de réaction en chaîne2 » car l'annihilation d'un étant, donc de l'universel en lui, impliquerait la destruction d'une partie de son entendement. Un suicide divin. Absurde. La singularité est bien l'unique mode d'être envisageable, nécessité hors de laquelle l'esprit s'enferre dans la contradiction.

En toute rigueur, Ockham n'a malgré tout pas résolu le problème de l'unité du composé forme/matière. L'une des deux contradictions demeure. « Qu'importe ! » semble-t-il dire : montrer la possibilité puis la nécessité de la singularité suffit. La raison indique le nécessaire sans pouvoir le démontrer, ceci vaut aussi bien pour l'unité intime de chaque étant que pour l'existence ou la nature3 du principe divin qui en est le fondement. C'est finalement en Dieu, non en raison, que se résolvent les apories ontologiques. Sortant la métaphysique ockhamienne de ses impasses logiques, la théologie coupe définitivement la substance du grand tout auquel l'Antiquité et le haut Moyen Age l'intégraient. Il n'y a qu'un Dieu simple d'une part et des choses singulières de l'autre. Le Créateur lui-même n'est soumis à aucun ordre ou vérité, il est absolument libre, les étants lui font face et sont confrontés à l'évidence de cette toute-puissance qu'exprime la dévotion du Credo. La théologie ne produit aucun discours rationnel sur l'ordre du monde, elle est plutôt l'invocation d'une puissance sans limite autre que sa condition de possibilité, le principe de non contradiction.

Le concept ockhamien de Dieu fournit à la pensée médiévale une définition de l'individu comme être singulier, et néanmoins uni, ce qui était exclu dans le cadre d'une ontologie réaliste.

1 Sent. I, dist. II, qu. 5, p. 156.

2 Pierre Alféri (op. cit., p. 112) trace sur ce point un parallèle entre les pensées de Guillaume d'Ockham et de John Wyclif (1320-1384) qui montra que tenir jusqu'au bout la réalité de l'universel « conduisait logiquement à limiter la puissance divine, puisque sa moindre intervention destructrice entraînerait dans le néant toute une nature, toute une série de singuliers, toute une partie de l'entendement divin ».

3 Ockham questionne rationnellement l'existence de Dieu en Quodl. II, qu. 1. Son cheminement est résumé par Paul Vignaux : « Au sens où l'on pourrait montrer de Dieu qu'il n'y en a qu'un, on ne peut démontrer qu'il existe ; au sens où l'on démontre qu'il existe, on ne peut démontrer qu'il n'y en a qu'un ». Voir son article déjà cité p. 779 sq.

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L'analyse détaillée de la substance telle qu'Ockham la conçoit montre la nouveauté radicale de son apport. Il est certain que sa pensée ait été en capacité de fournir à l'Occident le concept d'un individu à la fois singulier et autonome, car si la substance ockhamienne demeure absolument soumise à Dieu, elle s'est affranchie des relations terrestres auxquelles la métaphysique la soumettait jusqu'alors. L'originalité d'Ockham ne s'arrête pas là. Sa définition de Dieu est si originale qu'elle renouvelle complètement la compréhension de sa création. Le monde ockhamien est en rupture avec les conceptions antérieures. Il annonce lui aussi la modernité.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius