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Le nominalisme de Guillaume d'Ockham et la naissance du concept de droits de l'homme

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par Yann Kergunteuil
Université catholique de Lyon - Master 2 2006
  

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2. Dieu et la toute-puissance

L'époque et la personnalité d'Ockham lui indiquèrent tout naturellement la voie à suivre. C'est dans la théologie que son nominalisme trouve son fondement ultime. Il faut garder à l'esprit qu'en dépit de son parti pris pour la rigueur logique, Ockham se considérait avant tout comme un serviteur de Dieu devant s'incliner face aux vérités révélées. On fait trop souvent du venerabilis inceptor l'un des pères de la modernité, oubliant sa vocation de moine et les aspects mystiques de ses écrits. Or c'est précisément dans la transcendance qu'il trouve la solution ultime des apories que la raison peut soulever. En cela, il est un homme de son temps. Dieu est une évidence imprégnant tous les aspects de la pensée ainsi que les imaginaires. Voilà pourquoi ce que nous considérons de nos jours être un saut logique et ontologique n'est pour Ockham qu'une transition naturelle et légitime. Qui est Dieu pour Ockham ? Son concept permet-il au nominalisme ockhamien de dépasser ses apories ? Ces questions ont pour enjeu l'unité de la substance ockhamienne. Il s'agit d'établir s'il est légitime d'y reconnaître les origines de l'indépendance de l'individu moderne à l'égard du reste du monde.

La connaissance de la nature de Dieu est pour les hommes conditionnée à ce qu'ils peuvent en dire. Que peut dire, que peut savoir l'homme, créature imparfaite ? A la grande surprise du lecteur, Ockham répond en réintroduisant en théologie un principe qui avait pourtant montré ses limites en ontologie : le principe de non-contradiction. Si Dieu « peut » d'innombrables choses, c'est qu'appliqué à sa suprême essence :

« Pouvoir signifie pouvoir faire tout ce qui n'implique pas de contradiction (...) et c'est par la

puissance absolue que l'on dit que cela peut-être fait1 ».

1 Quodl., VI, qu. 1, p. 586.

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La fonction du principe de non contradiction est chez Ockham de fonder cette absoluité qui, bien qu'elle occupe une place à part, a elle aussi besoin d'un fondement. Dans sa perspective, la non contradiction n'est pas une limite apportée à la puissance de Dieu mais au contraire la condition de possibilité de son exercice : elle est ce qui fonde sans devoir être fondé. La première caractéristique de Dieu est ainsi sa toute-puissance. Sur ce point, Ockham a conscience de s'inscrire dans une longue tradition que l'on peut faire remonter au moins à Pierre Damien (1007-1072) et sa Lettre sur la toute-puissance divine1. Bien qu'à son habitude il en tire des conclusions radicalement différentes, Ockham scinde en accord avec ses prédécesseurs la toute-puissance divine en potentia absoluta et potentia ordinata :

« Cette distinction doit être entendue de la manière suivante. On dit quelque fois que Dieu «peut» quelque chose en entendant ce pouvoir comme suivant les lois ordonnées et instituées par Dieu et l'ont dit que Dieu peut faire cela par sa puissance ordonnée. D'autres fois, l'ont entend par «pouvoir» : pouvoir de faire tout ce qui n'implique pas contradiction, soit que Dieu ait décidé qu'il le ferait soit qu'il ne l'ait pas décidé, car Dieu peut faire beaucoup de choses qu'il ne veut pas faire2 »

Cette distinction n'est pas réelle, Dieu ne pose pas deux actes, auquel cas on diviserait son unité. Il s'agit plutôt de deux points de vue sur sa puissance selon qu'on la considère en elle-même ou dans la réalité causale de la nature3. Il faut entendre par potentia absoluta ce que Dieu peut accomplir dans le respect du principe de non-contradiction, et par potentia ordinata ce qu'il accomplit lorsqu'il donne un ordre stable au monde. A proprement parler, il n'existe donc pas deux puissances divines.

Seconde caractéristique de Dieu : son absolue simplicité. Traditionnellement, c'est en distinguant différents attributs, par exemple un entendement infini et une parfaite volonté, qu'on le qualifie. Afin de montrer que l'unité divine n'est pas pour autant brisée, Ockham retrouve la théorie de la suppositio :

« les attributs ne sont que certains prédicats mentaux4 ».

Mais qu'ils soient des visées connotatives n'indique aucunement qu'il faille introduire de pluralité en Dieu. Ockham n'a en fait qu'à renvoyer à ses considérations sur les universaux ceux qui affirment que Dieu est traversé par des distinctions formelles ou de raison. Les multiples noms

1 Cette lettre cherche à savoir si Dieu pourrait détruire le passé en faisant par exemple que Carthage soit et ne soit pas détruite, et répond par la négative. Pierre Lombard (1100-1160) ajoute dans ses Sentences les impossibilités logiques (cercle carré) et naturelles (un homme irrationnel) ainsi que les actes contraires à la nature de Dieu qui, étant un pur esprit parfait, ne peut marcher ou être déficient par exemple). Saint Thomas reprend ces perspectives dans la Somme contre les Gentils, t. 2, II, 22, § 2. Sur les questions relatives à la puissance divine, voir : Olivier Boulnois (dir.), La puissance et son ombre de Pierre Lombard à Luther, Aubier, Paris, 1994.

2 Quodl., VI, qu. 1.

3 Pierre Alféri, op. cit., p. 114.

4 Quodl., III, qu. 2.

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(Etre suprême, Créateur, Père) et concepts (parfaits, absolu, infini, miséricordieux) nous permettent de penser Dieu et d'en parler, mais leur existence est sémiotique, non ontologique. Dieu est un en soi mais pluriel pour l'intellect qui le considère. Cette réponse au problème des distinctions dissipe les questions relatives à un éventuel ordre en Dieu. Tout ordre reposant sur une diversité, la perfection des prétendus éléments divins leur interdit toute hiérarchie. Si l'entendement précédait sa volonté, il serait plus parfait qu'elle et Dieu ne serait plus parfait en tous points1. Or Dieu ne peut qu'être parfait, il ne peut en être autrement à l'époque de la chrétienté. Ockham peut finalement définir la nature de Dieu : il est l'Etre parfait, tout-puissant et absolument simple.

Mais comment s'assurer de son existence ? La théologie fonde la cohérence de la pensée d'Ockham mais quel en est le fondement ? Ockham se montre ici d'une étonnante modernité car à la différence de saint Anselme par exemple, il se refuse à toute démonstration de l'existence de Dieu2. Il reconnaît recevoir cette idée de la foi :

« articulum fidei : Credo in Deum Patrem omnipotentem, quem sic intelligo, quod quodlibet est

divinae potentiae attribuendum quod non includit manifestam contradictionem3 ».

Hors du credo, « on ne peut savoir avec évidence que Dieu existe4 ». Ockham expose et revendique son refus de toute analyse trop poussée des choses divines. Nos attributs ne sont que des signes de la pensée et nous devons veiller à ne jamais nous payer de mots. L'homme n'a tout simplement pas les capacités pour penser rationnellement Dieu, comme l'illustre la question de sa prescience :

« modum quo [Deus] scit omnia futura contingentia exprimere est impossibile omni intellectui pro

statu isto5».

Comment d'ailleurs faire l'analyse rationnelle d'un Dieu dont la simplicité interdit à l'esprit aussi bien la distinction que l'ordre ? Je ne peux que croire que Dieu existe. Ockham n'en doute pas un seul instant. Le fondement ultime de ce nominalisme se révèle être une croyance qui donne un coup d'arrêt à la régression exigeant à l'infini que soit justifié le dernier fondement exposé. C'est seulement après ce saut qu'est l'acte de foi pour l'esprit que le principe de non-contradiction intervient. Quiconque croit doit reconnaître la nature divine comme une exigence logique : de sa perfection découle sa toute-puissance et son absolue simplicité.

1 « omne posterius perfectione est imperfectius, sicut omne prius perfectione est perfectius ». Sent. I, dist. XXXV, qu. 3, O (« tout ce qui vient après la perfection est imparfait plus imparfait, de même que tout ce qui vient avant est plus parfait »).

2 C'est notamment au travers de son Proslogium contenant le célèbre argument ontologique qu'Anselme (1033-1109) marqua l'histoire de la philosophie.

3 Quodl., VI, qu. 4 (« article de foi: je crois en Dieu, le père tout-puissant, que je conçois ainsi : quoi que l'on attribue à la puissance divine, il ne renferme pas de contradiction »).

4 Quodl., I, qu. 9.

5 Sent. I, dist. XXXVIII, qu. 1, D (« la manière par laquelle Dieu sait tout ce qui concerne le futur est impossible à toute faculté humaine de compréhension en vertu de notre essence »).

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Nous avons rejoint le coeur du nominalisme ockhamien. Le Credo est l'acte de foi à la suite duquel l'esprit armé du principe de non contradiction peut se représenter un Dieu qu'il ne connaîtra jamais. Ce concept de Dieu est-il en mesure d'extraire le nominalisme de ses apories ? Assure-t-il aux substances l'unité que la stricte logique ne pouvait leur conférer ? Trouve-t-on dans la pensée d'Ockham un individu fragmenté, ou au contraire d'une unité suffisante pour être susceptible de constituer une ébauche de l'individu moderne ?

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle