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Le nominalisme de Guillaume d'Ockham et la naissance du concept de droits de l'homme

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par Yann Kergunteuil
Université catholique de Lyon - Master 2 2006
  

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CHAPITRE 2 :

LE MONDE SELON OCKHAM

L'étude des répercussions du nominalisme sur la pensée des droits de l'homme soulève une difficulté chronologique. Ockham est un auteur du XIVe siècle alors que les droits de l'homme, balbutiant au XVIe, prennent leur essor théorique au siècle suivant, pour finalement s'imposer politiquement à partir de la fin du XVIIIe siècle. Pour faire face à ce problème, une possibilité est de chercher dans son oeuvre des prises de positions sans appel en faveur de l'individualisme juridique et politique par exemple.

Mais si la lecture des textes exige dans une certaine mesure qu'on leur fasse violence, ce serait certainement une erreur que de chercher un lien aussi direct. Ockham ne s'est pas intéressé aux questions juridiques pour elles-mêmes mais parce qu'elles étaient l'enjeu de rapports de forces théologiques et politiques. Il avait pour objectif la défense des intérêts de l'ordre franciscain, non de bouleverser les fondements du droit hérités de l'Antiquité.

L'absence de liens directs ne signifie pas pour autant absence de liens, mais il faut procéder autrement, par l'intermédiaire d'autres concepts. Le postulat de ce deuxième chapitre est qu'en insérant la substance au sein d'un monde nouveau, Ockham fait partie des penseurs qui ont posé les fondements métaphysiques, cosmologiques et épistémologiques de la modernité, et, indirectement, des droits de l'homme. Ses concepts de Créateur et de Création sont-ils nouveaux ? Dans quelle mesure ont-ils participé à l'avènement de la modernité occidentale, et par extension des droits de l'homme ?

A. Dieu

Ayant expulsé les universaux de la sphère ontologique, le nominalisme d'Ockham théorise une substance singulière qui, privée des essences communes, doit retrouver un principe d'unité. En théologien, il recourt donc au divin pour rendre cohérent sa conception de l'individu. Le paradoxe est que le système ockhamien, berceau de l'individu moderne vivant en un monde désenchanté, trouve son origine dans une réflexion théologique. Dieu est la clef de voûte de la pensée d'Ockham : il lui permet de s'extraire des deux apories qui enferraient sa conception de la substance.

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1. Les apories de la substance ockhamienne

La première aporie réside pour Ockham dans l'impossibilité de dissocier la substance de ses accidents inséparables. Un accident est dit inséparable lorsqu'il n'est pas possible de le retrancher de son sujet (par exemple être noir pour un corbeau) mais qu'il ne fait pas partie pour autant de son essence (c'est-à-dire de sa combinaison d'une matière et d'une forme). A la différence de l'accident séparable (avoir une plume abîmée), il est extrinsèque et pourtant essentiel. Bien qu'être noir ne soit pas dans l'ontologie ockhamienne constitutif de la substance du corbeau, tout corbeau est noir. Pour montrer qu'il s'agit d'un accident, bien qu'il soit inséparable, Ockham avance que la nature peut le soustraire d'un autre sujet sans qu'il soit pour autant détruit1. Mais ceci revient à déterminer la singularité d'un sujet en référence à un autre sujet. Dans un monde de substances absolument singulières, connaître l'accidentalité inséparable de Socrate ne peut en rien éclairer l'essence d'un corbeau. Si la substance est une, spécifique, et unique, Ockham devrait pouvoir dissocier ce qui est essentiel à son essence de ce qui ne l'est pas, sans interroger l'essence d'aucune autre substance.

La seconde aporie est remarquée par Louis Valcke2 et se trouve au coeur même de la substance : Ockham affirme qu'elle est une, tout en soutenant qu'elle est composée d'une matière et d'une forme3. Or nous avons vu dans le cadre de la querelle des universaux qu'il refuse toute distinction formelle ou réelle à l'intérieur des étants4.

Ockham apparaît donc pris en tenaille entre ses concepts aristotéliciens et les exigences de sa recherche d'une substance une :

« L'ontologie du singulier rencontre ici en effet une limite principielle. Ce qu'elle se trouve incapable de penser, c'est le trait le plus fondamental de l'étant comme substance, c'est-à-dire le noyau élémentaire autour duquel le discours ontologique se construit, dans ce qui précisément distingue l'élément ultime, l'on eskaton, de tout le reste5 »

Comme ses prédécesseurs, Ockham ne parvient par à réduire les singularités du monde (ce corbeau, cet homme) à un principe ontologique pleinement explicatif et cohérent. Aristote avait en

1 « Ainsi, bien que la noirceur du corbeau ne puisse en être retranchée sans destruction du corbeau, elle peut néanmoins être retranchée de Socrate sans destruction de Socrate ». Somme de logique, I, 25, p. 83.

2 Introduction au Commentaire sur le livre des prédicables de Porphyre, op. cit., p. 41.

3 « La forme est une chose qui ne peut être par elle-même, mais est toujours dans un composé avec la matière, sans laquelle elle ne peut être ». Ockham, Summulae in libros Physicorum, I, 21.

4 « Une chose est une seule chose numériquement quand elle ne contient pas en elle une multitude de choses distinctes quelles qu'elles soient ». Commentaire sur le livre des prédicables de Porphyre, chap. 1, § 2.

5 Pierre Alféri, op. cit., p. 102.

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son temps critiqué les formes platoniciennes. Ockham a quant à lui pour but de redécouvrir des thèses du Stagirite via une critique des thèses thomistes et scotistes, mais lui aussi est incapable de rendre compte de la nature des substances par la portée de sa seule logique. Penser l'être comme singulier au Moyen Age requiert un bouleversement du cadre théorique. La logique nous a permis de comprendre ce que la substance n'est pas (l'universel), mais nous ignorons encore tout de son fondement ontologique. L'étant ne peut qu'être singulier mais nous n'en connaissons pas plus la cause que nous ne comprenons le comment de sa venue à l'être. Ayant atteint sa « limite principielle », l'ontologie logique est dans l'impasse et doit être dépassée. L'individu doit être pensé d'après de nouvelles fondations.

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