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Le nominalisme de Guillaume d'Ockham et la naissance du concept de droits de l'homme

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par Yann Kergunteuil
Université catholique de Lyon - Master 2 2006
  

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3. La théologie

Les écrits ockhamiens s'inscrivent dans une époque marquée par un conflit opposant la dialectique et la foi. Aux Xe et XIe siècles, les vérités antiques sont significativement réinterprétées ; à partir du XIIe siècle, elles sont progressivement dépassées. Ceci ne va pas sans résistances de la part des partisans d'une raison servante de la foi (philosophia ancilla theologiae) :

« Platon ? Je le recrache ; Pythagore ? Je n'en fais aucun cas. Euclide ? Je le congédie de même2 ».

A l'opposé, les pensées de Scot Erigène (IXe siècle) ou Béranger de Tours (mort en 1088) annoncent un retour à la rationalité, et saint Anselme (1033-1109) établit des ponts en tentant de comprendre la foi chrétienne à la lumière de la raison. C'est donc en aval d'un vrai renouveau de la spéculation philosophique qu'Ockham écrit, mais plutôt que de travailler à soumettre l'une à l'autre, il oeuvre à attribuer à chacune son domaine propre.

La démarche ockhamienne est double. D'une part, elle prend le parti d'une stricte application du principe d'identité dans la querelle des universaux. Son ontologie ne relève en cela que de la seule logique. D'autre part, sa théologie a pour ultime fondation un article de foi, le Credo, non une preuve ontologique. Cette dichotomie méthodologique est assumée et s'explique par l'essence divine même :

1 Pierre Alféri, op. cit., p. 93.

2 Cette citation de Pierre Damien (1007-1072) est extraite du traité Que le Seigneur soit avec vous. Cf. Lucien Jerphagnon, Histoire de la pensée, Paris, Tallandier, 1989, vol. 1, p. 354 sq.

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« Que Dieu est une cause libre à l'égard de tout, on doit le tenir comme une croyance, car on ne peut le

démontrer par aucune raison à laquelle un infidèle ne pourrait répondre 1 ».

Dieu ne pouvant être démontré, son existence comme sa nature ne s'inculquent pas à la manière d'un théorème. Ockham en veut pour exemple la question de la sainte Trinité. Comment la nature divine peut-elle être à la fois une et trine ? La seule possibilité est de reconnaître que l'implacable refus opposé à Duns Scot de toute distinction formelle souffre malgré tout une exception : le Père, le Fils et l'Esprit sont réellement identiques et pourtant formellement distincts2. Ceci est absolument incompréhensible. Ockham trace donc un horizon hors de portée pour la raison et choisit de la suivre en tout, sauf où la foi la contredit. Cette position n'était pas rare au Moyen Age mais prend ici une forme particulière car elle refuse, en toute rigueur et de manière symétrique, le recours en ontologie aux mystères de la foi3, et l'usage en théologie des principes de la logique.

Ockham fait ainsi partie des auteurs ayant libéré la pensée occidentale des apories résultants d'une confusion de la raison et de la foi. Si l'ensemble de son système repose en dernière instance sur Dieu, le Credo n'emprisonne pas la raison. Posant que les fondations respectives de la raison et de la foi sont irréductibles, Ockham affirme qu'il est nécessaire d'en dissocier les missions. Au lieu de figer le monde, la toute-puissance divine démultiplie les possibles et rend son ordre contingent. Dans un même mouvement, l'onto-théologie nominaliste expulse la théologie du champ de la connaissance. La foi reste supérieure à la raison mais ne lui dicte plus sa méthode. L'esprit humain ne pouvant franchir le gouffre séparant la Création du Créateur que par un saut dans la foi, la raison gagne une autonomie dont elle ne pouvait jouir aussi longtemps qu'il ne lui était pas reconnu un domaine préservé de l'écrasante tutelle de la théologie. En définitive, Ockham fait de la toute-puissance divine un usage heuristique qui ouvrit à l'Occident les perspectives du raisonnement imaginaire4. Dissociant les vérités rationnelles des vérités surnaturelles, il discrimine les champs religieux et scientifique. C'est un pas important vers la différenciation des sphères structurant la société. Le champ scientifique acquiert une autonomie substantielle vis-à-vis du champ religieux. Ockham libère ainsi la connaissance et laïcise la science.

1 Sent. I, dist. II, qu. 3, p. 55-56.

2 Sent. I, dist. II, qu. 1, F.

3 Sent. I, dist. II, qu. 11. Voir également l'ouvrage de Joël Biard : Guillaume d'Ockham et la théologie, Paris, Cerf, 1999 ; notamment p. 120 sq.

4 La philosophie contemporaine, notamment analytique, recourt très fréquemment aux expériences de pensées dont une fonction clef est de libérer l'esprit du réel en le confrontant aux possibles. Alain de Libéra et Pierre Alféri voient dans la pensée de Guillaume d'Ockham les racines profondes de cette méthodologie. Pierre Alféri, op. cit., p. 97, note 145.

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