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Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

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par Julia Le Floc'h - Abdou
Paris X Ouest - Nanterre La Défense - Master II Droit pénal et Sciences criminelles 2015
  

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IV - Des sacrifices sur l'autel de la révolte

En réponse à leur signalement, les lanceurs d'alerte sont confrontés à des représailles et de l'hostilité. Des affirmations belliqueuses sont prononcées à leur encontre : Traîtres, ennemis, espions. Leur « trahison » apparaît comme une rupture du lien social, une atteinte aux rapports de confiance et de loyauté65 et non comme positive à des fins de bonne gouvernance. Selon William Bourdon, le lanceur d'alerte est perçu comme « l'ennemi de l'intérieur qui a pris parti contre son camp »66.

À cela, Edward Snowden a répondu dans une interview pour le Washington Post : « Ceux qui m'accusent de trahison n'ont pas compris mon objectif, je n'essaie pas de mettre la NSA à terre, j'essaie d'améliorer la NSA [É] »67. Récemment, Eric Holder, ancien ministre de la Justice américaine, a déclaré que Snowden avait rendu « un service public en ouvrant le débat »68 même s'il a contesté la forme employée.

62 Le 25 avril 1991, Anne-Marie Casteret, journaliste à l'Evènement du Jeudi, publie un rapport du Centre national de transfusion sanguine daté du 29 mai 1985. Il y était fait état que la plupart des lots de produits sanguins à destination des hémophiles étaient contaminés par le virus du HIV, et qu'en attendant leur remplacement par des produits chauffés, le CNTS proposait d'en écouler les stocks. Médecin de formation, elle connaissait les blocages et la capacité d'inertie de la sphère médico-politique. « On ne dira jamais assez combien les décisions prises alors, le silence institutionnel ensuite, les omissions officielles enfin, ont constitué une violence atroce pour les hémophiles et les transfusés qui en ont été victimes », a-t-elle écrit dans son livre l'Affaire du sang (Editions La Découverte, Paris, février 1992, 286 pp ). Cette bombe médiatique suivie du livre L'affaire du sang a déclenché l'un des plus grands scandales politico-sanitaire de la Ve République.

63 Irène Frachon a dénoncé l'un des plus gros cas de dysfonctionnement de mise sur le marché et de prescription d'un médicament. C'est l'affaire dite du Médiator. Irène Frachon, pneumologue à l'Hôpital de Brest, est alertée, en 2007, de plusieurs cas de patients atteints de graves pathologies cardiaques sous traitement du Médiator. Elle entame une enquête sur le médicament qui durera plus de deux ans. En 2009, avec plusieurs collègues, elle alerte l'Agence du médicament sur la dangerosité du Médiator. Il sera retiré du marché le 30 novembre 2009. En 2010, Irène Frachon publie un livre qui dévoile son enquête (Médiator, 150 mg, combien de morts ?, Editions Dialogues, Brest, 3 juin 2010, 150 p). À la suite de ces premières révélations, elle a cosigné une vaste enquête pointant la problématique de l'influence des puissants lobbys de l'industrie pharmaceutique offrant, par le biais des experts médicaux et du système juridique, une protection aux industriels (JC. BRISARD, A. BÉGUIN, I. FRACHON, Effets secondaires : le scandale français, Collection First Document, 10 mars 2016, 352 p).

64 Hervé Falciani, informaticien de la banque HSBC Private Bank profite en 2006 d'une faille dans le système informatique pour récupérer un listing d'évadés fiscaux orchestrés par HSBC. Il fut à l'origine du scandale SwissLeaks.

65 Voir : M. HASTINGS, L. NICOLAS, C. PASSARD, Paradoxes de la transgression, Paris, CNRS Éditions, coll. Philosophie et histoire des idées, 2012, 300 p.

66 W. BOURDON, « Le lanceur d'alerte est toujours le traître de quelqu'un », hors-série Le Monde, juillet 2014, p.48/49

67 LE MONDE « Edward Snowden : J'ai déjà gagné », publié 24 décembre 2013 (consulté le 1er avril 2016).

68 D. LELOUP, « D'anciens hautes responsables américains reconnaissent l'apport des révélations de Snowden », Le Monde, publié le 31 mai 2016 (consulté le 5 juin 2016).

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Le lanceur d'alerte est ostracisé, vilipendé au sein de son institution.

Il subit différentes sanctions dissuasives et punitives telles que le blâme, le licenciement, la mise en retraite forcée et une dégradation de ses relations sociales. Ce qui engendre un préjudice financier conséquent pour lui, voire la perte de son logement, l'exil ou l'emprisonnement69. Par ailleurs, l'image du lanceur d'alerte est retravaillée, remodelée, afin de trouver le point abscons de ses intentions70. À l'instar d'Hervé Falciani, qui a vu sa motivation remise en doute, des journalistes faisant l'écho d'une personnalité « mythomane, opportuniste »71.

Brader son intérêt personnel au nom de sa sensibilité éthique peut, dès lors, amener à être honni et à la plus pénible des épreuves : endurer un licenciement pour faute grave, une révocation ou s'exposer à des poursuites judiciaires72.

La question des représailles est au coeur des préoccupations. Ce sont ces ripostes, ces attaques qui empêchent, encore actuellement, la libéralisation de la parole. Les dispositifs mis en place aujourd'hui ne permettent pas cette expression citoyenne et ce malgré quelques avancées importantes.

Soulignons que la prise en compte de l'important apport des lanceurs d'alerte pour l'intérêt collectif et le débat politique ne doit pas introduire la vision binaire et étriquée « des malintentionnés contre les héros ». La sacralisation des lanceurs d'alerte ne peut servir la discussion démocratique puisque le débat contradictoire sur le bien-fondé des alertes sera, de fait, écarté.

69Journaliste au Monde, Florence Hartmann publie en 2007, le livre Paix et châtiment, les guerres secrètes de la politique et de la justice internationale (Flammarion, Paris, 7 septembre 2007, p.319) dans lequel elle y mentionne deux décisions confidentielles (passées sous silence) rendues par la Cour d'appel du TPIY (Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie), dans le cadre du procès de Slobodan Milosevic, qui portaient sur un accord entre le TPIY et la Serbie visant à cacher des preuves cruciales de l'implication de la Serbie dans le massacre de Srebrenica (huit mille morts en 1995) afin d'éviter une éventuelle condamnation de l'État serbe par la Cour internationale de justice. En août 2008, elle est inculpée pour divulgation d'informations. La Chambre de Première instance l'a condamne à sept mille euros d'amende. En juillet 2011, la Chambre d'appel du TPIY confirme la condamnation pour « divulgation de raisonnement juridique confidentiel » (Chambre d'appel TPIY, Procureur Bruce MacFarlane c/ F. Hartmann, n°IT-02-54-R77.5-A, 19 juillet 2011). En novembre 2011, le TPIY commue l'amende en peine de sept jours d'emprisonnement. Elle sera détenue, en 2016, dans la même prison que les criminels de guerre, en isolement et en surveillance accrue. En 2014, elle publie un ouvrage dédié aux lanceurs d'alerte, pour mettre en lumière la réalité et les périples qu'ils vivent, les preuves qu'ils apportent et l'importance de leur combat (Lanceurs d'alerte, les mauvaises consciences de nos démocraties, Don Quichotte Editions, février 2014, p.252).

70 L'exemple du Docteur Jeffrey Wigrand qui dénonça publiquement le comportement sibyllin de la multinationale Brown et Williamson Tobacco Corporation (géant du tabac au sein duquel il était employé comme vice-président du département recherche et développement) qui continuait d'utiliser, la coumarine, substance cancérigène interdite depuis les années 80 aux Etats-Unis. Suites à ces révélations, la multinationale entrepris une campagne médiatique de déstabilisation contre Wigrand.

71 F. LHOMME, G. DAVET, « Qui est Hervé Falciani, le cauchemar de HSBC ? » Le Monde, 9 février 2015 (consulté le 2 avril 2016) et I. HAMEL, « Le polar d'Hervé Falciani, entre fantasmes et mensonges », Bilan, 13 avril 2015

72 Pour diffamation, violation de secrets, dénonciation calomnieuse, manquement au devoir de réserve, vol ou recel, etc.

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Au vu de la tendance sécuritaire croissante et du renforcement d'un système tenu au secret, un régime dit démocratique et constitutionnel ne peut que difficilement coexister.

Dans une démocratie, le public a le droit d'être informé des agissements commis par les acteurs privés et publics. Ces mêmes comportements pouvant être dénoncés avec force afin qu'ils soient interrompus (voire jugés ultérieurement) et ce sans que des mesures soient prises contre ceux qui les dénoncent. L'aide qu'une personne peut apporter à son entreprise ou son État, à des fins d'amélioration, doit être prise en compte avec toute la légitimité qui lui est due, tout en vérifiant la véracité des signalements effectués. Comme le mentionnait Émile Zola « La vérité et la justice sont souveraines, car elles seules assurent la grandeur des nations È73.

Selon Nicole Marie Meyer « La protection des lanceurs d'alerte dans le monde est rarement née de la vertu spontanée d'un peuple, mais plus généralement d'une série de crises et de tragédies, coûtant des centaines de vies humaines, ruinant des pans de l'économie, sapant les fondements de la confiance ; crises et tragédies qui auraient pu être épargnées, si les personnes, averties, n'avaient craint de perdre leur emploi en brisant le silence, ou avaient été entendues lorsqu'elles en ont eu le courage È74. Pourtant, les contributions apportées par les lanceurs d'alerte aux sociétés démocratiques et aux débats publics sont cruciales. Ces individus fournissent un meilleur éclairage des institutions et offrent un remède au dévoiement des organes ou personnes étatiques et privées. Une protection adaptée pour ces individus devient dès lors urgente.

Ce n'est qu'à la suite de différentes crises majeures que la France s'est dotée de lois accordant une protection aux lanceurs d'alerte. Mais cette nouvelle protection peut-elle résister à une étude minutieuse ? Ce mémoire portera alors sur cette question simple à la lumière du droit positif français : les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

Après l'étude d'un droit d'alerter naissant et de règles préexistantes en la matière (Premier titre), la question se tournera sur les risques encourus pour le lanceur d'alerte à la suite d'une divulgation interne ou médiatique et les protections accordées à celui-ci (Deuxième titre). Pour mener cette réflexion, mes recherches m'ont conduite à m'entretenir avec un journaliste, Serge Garde, et à la Bibliothèque Nationale de France.

73 E. ZOLA, L'affaire Dreyfus : la vérité en marche, Paris, Editeur E. Fasquelle, 1901, p.5-314 (mis en ligne par la Bibliothèque Nationale de France le 6 décembre 2007 et consulté le 18 avril 2016).

74 N. MARIE MEYER, « Le droit d'alerte, au coeur de le refondation du bien commun », Edition Camédia, publié le 21 septembre 2014, Médiapart.fr

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo