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La Constitution à  l'épreuve des accords politiques dans le nouveau constitutionnalisme africain


par Pihame BARBAKOUA
Université de Lomé Togo - Diplôme d'études approfondies en droit public fondamental 2008
  

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PREMIERE PARTIE :

LA CONSTITUION SECOUEE DANS SES PRINCIPES

A la question de savoir quelles sont les caractéristiques des constitutions contemporaines, Philippe ARDANT répond que l'innovation des constitutions écrites, c'est qu'elles ont pour vocation à régler entièrement le statut des institutions et qu'elles supplantent la coutume. Elles sont volontaristes, abstraites et générales, c'est-à-dire qu'elles sont rédigées a priori pour fournir des solutions (procédures, principes à respecter) à tous les problèmes que peuvent poser dans l'avenir, l'organisation et le fonctionnement du pouvoir. Charte fondamentale de la nation, la constitution est faite pour durer. Elle s'impose aux citoyens comme aux organes du pouvoir. Comme cela, il sera difficile de la changer. On doit bien sûr, prévoir la possibilité de la modifier pour l'améliorer, l'adapter à l'évolution de la société. Mais la procédure de révision doit garantir l'acceptation de ces retouches par les citoyens et éviter qu'elle ne soit pas imposée de façon arbitraire par le pouvoir37. Charles EISENMANN retient quant à lui, le `'principe de constitutionnalité»38. Pour lui en effet, « tout comme le principe de la légalité qui signifie que seule la loi peut déroger à la loi, le principe de constitutionnalité signifie que seule une loi constitutionnelle peut déroger à une loi constitutionnelle ». De cet argumentaire, découlent deux éléments : la suprématie et l'exclusivité. La suprématie de la constitution postule qu'elle est la norme première, celle à laquelle se soumettent toutes les autres pour leur salut. D'où la nécessité d'en garantir le respect par un juge. L'exclusivité quant à elle, prescrit qu'elle seule régit le phénomène du pouvoir dans l'Etat en organisant son acquisition, son exercice et sa dévolution.

Or, à l'analyse, tous ces postulats du constitutionnalisme semblent être battus en brèche par les accords politiques. Au demeurant, ils instaurent des régimes de fait (Chapitre premier), mettant du coup à l'épreuve la suprématie de la constitution (Chapitre deuxième).

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37 ARDANT (P.), Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 2003, p54-55.

38 Cité par FAVOREU (L.), Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1998, p.141.

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CHAPITRE I : L'INSTAURATION DE REGIMES DE FAIT

Avant de rejeter la « propension fâcheuse à assimiler trop rapidement les régimes a-constitutionnels à des pouvoirs inorganisés, n'obéissant pratiquement à aucune règle digne de ce nom et ainsi soumis au bon plaisir et au caprice du prince militaire, détenteur illégal du pouvoir »39, le Professeur AHADZI s'interrogeait sur ce que serait un `' régime de fait `'. Pour répondre, il emprunte la définition que George BURDEAU donne au `'gouvernement de facto» en ces termes : « on entend par gouvernement de facto, un gouvernement créé, soit en contradiction avec la constitution existante, soit ipso facto dans le cas de la non existence d'un ordre étatique préalable. L'originalité du gouvernement de fait est qu'il exerce l'autorité gouvernementale en l'absence de tout fondement constitutionnel. Il s'oppose au gouvernement de jure, où le pouvoir s'exerce conformément à un statut préexistant »40.

Dans le cadre du nouveau constitutionnalisme africain, l'instauration des régimes de fait résulte du basculement d'un système constitutionnel à un système (quasi) a-constitutionnel41 ou inconstitutionnel, que la doctrine identifie sous le nominatif de « coup d'Etat politique »42. Dans le meilleur des cas, on assiste à une cohabitation tumultueuse entre la constitution et l'accord, le second prenant souvent, si non le plus souvent, le dessus (cas de la Côte d'Ivoire). Dans le pire des cas, la première est tout simplement délaissée, suspendue ou abrogée par le second43.

La preuve que les accords politiques mettent sur pied des régimes de fait, découle tout simplement du fait qu'ils sont dépourvus de caractère juridique (Section

I) mais régissent pourtant le phénomène du pouvoir (Section II).

39 AHADZI-NONOU (K.) : Essai de réflexion sur les régimes de fait, le cas du Togo, Thèse de doctorat d'Etat en droit, T I, Université de Poitiers, 1985, p.8

40 BURDEAU (G.), Traité de science politique op.cit., p.610

41 Un système a- constitutionnel est, un système sans constitution .Il ne doit pas être confondu avec le système inconstitutionnel qui désigne un système mis sur pied en violation de la constitution qui existe pourtant. 42KPODAR (A.), « Communauté internationale et le Togo ...» op.cit., p 42

43 Le cas du Madagascar.

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SECTION I : LES ACCORDS POLITIQUES : UN INSTRUMENT NON JURIDIQUE

Certains constitutionnalistes ont essayé d'attribuer aux accords politiques une valeur juridique en se fondant sur la possibilité de les rattacher à la constitution ou d'en faire une norme internationale. Pour eux, les accords politiques sont juridiques parce qu'ils résolvent des crises dont l'acuité n'est plus un secret pour personne. Or, « loin d'être étrangère ou opposée au droit, la crise lui est consubstantielle et familière puisqu'il a précisément pour fin de la prévenir, de la figer, de la circonscrire ou de la maîtriser... parfois d'en sanctionner les effets inéluctables, sinon à l'extrême de s'y adapter »44 . À y voir de près, on se rend à l'évidence que les accords politiques ont difficilement un lien avec la constitution (Paragraphe I). Par ailleurs, ils ne peuvent avoir le label de normes internationales (Paragraphe II).

Paragraphe I : Le rattachement des accords politiques à la constitution : une
logique difficilement défendable

L'existence d'un quelconque lien entre la constitution et les accords politiques, découlerait forcément de leur rattachement aux mécanismes constitutionnels de résolution des crises au sein de l'Etat (A), ou du moins, de leur compatibilité avec la constitution dans son ensemble(B). Malheureusement, il n'en est rien.

A : Impossibilité de rattacher les accords politiques aux mécanismes constitutionnels de résolution de crises

Les constituants africains, comme leurs confrères des vieilles démocraties, ont

refusé de considérer l'Etat comme un lieu où règne la perfection, la liberté, la paix, le bonheur, l'abondance, l'absence de contraintes, de tensions et de conflits. Ils ont donc prévu des mécanismes pour juguler les crises qui naitraient. De ce point de vue, on pourra distinguer les mécanismes juridictionnels faisant donc appel au juge constitutionnel et des mécanismes extra juridictionnels. S'il semble évident que les accords politiques sont par nature incompatibles avec les mécanismes juridictionnels(1), la tentative de les rapprocher aux modes extra juridictionnels semble avoir du plomb dans l'aile(2).

44 ARDANT (P) et DABEZIE (P), « Les pouvoirs de crise », Pouvoirs n° 10, 1979, p.3

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1 : Les mécanismes juridictionnels et les accords : deux modes de résolution
des crises naturellement répulsifs

On entend par mécanismes juridictionnels de résolution des crises, ceux qui connaissent l'intervention du juge constitutionnel. En effet, on observe aujourd'hui que la politique est saisie par le droit, et il en résulte une « juridisation » de la vie politique45. Aussi, certaines constitutions font-elles des juridictions constitutionnelles, les organes régulateurs du fonctionnement des institutions et de l'activité des pouvoirs publics. Les juridictions constitutionnelles se trouvent ainsi investies d'un rôle de pacification et d'encadrement de la vie politique, qui est par nature, tumultueuse46. Ce rôle se matérialise essentiellement à travers le contentieux constitutionnel. Il s'agit en réalité des trois variantes du contentieux constitutionnel à savoir le contentieux électoral, le contentieux des libertés et le contentieux des normes et des institutions47. Cette mission assignée à la juridiction constitutionnelle n'est pas à négliger. Les juridictions constitutionnelles sont, à cette occasion, amenées à édicter des normes dont la force juridique et la portée ne sont plus un secret pour personne48. Ce faisant elles permettent de juguler les crises au sein de l'Etat.

Ici, la question fondamentale qui se pose est de savoir si les accords politiques peuvent avoir un quelconque lien avec le juge constitutionnel ? Si a priori, cette interrogation semble dépourvue de tout intérêt, dû au fait qu'originellement la jurisprudence et accord politique ne font pas bon ménage, il se pose néanmoins une question qui est relative à la nature d'un accord expressément visé par la juridiction constitutionnelle. En effet, il arrive que le juge constitutionnel fasse référence aux accords politiques, surtout dans le contentieux électoral. En 2007, la cour constitutionnelle togolaise a fait référence à l'esprit de l'Accord Politique Global (APG) pour trancher le contentieux préélectoral49. Il s'agit peut-être d'un cas isolé, mais qui nécessiterait d'être approfondi. Hormis cette hypothèse, il semble acquis que les accords politiques, eu égard à leur mode d'érection et à leur effet, sont

45 FAVOREU (L.), Droit constitutionnel.... op.cit. p.331

46 Vè congres d'ACCPUF tenu à Cotonou du 22 au 25 juin 2009

47 FAVOREU (L.), Droit constitutionnel...op.cit.pp.299 et suiv.

48 Ce qui conduit certains auteurs comme L. FAVOREU, à parler de l'émergence d'un droit constitutionnel jurisprudentiel

49 Décision n°E00107/ du 25 septembre 2007, JORT, n° spécial, p.3.

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incompatibles avec les modes juridictionnels de résolution des crises. Ce qui semble ne pas être le cas avec les modes extrajudiciaires.

2 : Les accords politiques et les pouvoirs de crise : une convergence étouffée

S'il est clair, dans le premier cas, que les accords politiques ne peuvent acquérir une juridicité par le biais des mécanismes juridictionnels de résolution des crises au sein de l'Etat, les pouvoirs de crises semblent, quant à eux, plus généreux.

Le droit constitutionnel appréhende la notion de pouvoir de crise comme des procédés de nature et de portée très différentes, destinés à faire face à des situations d'exception de caractère national ou local, mais se traduisant tous, par l'assouplissement ou la mise à l'écart, pour une durée plus ou moins longue, de la légalité. Il s'agit fondamentalement de l'état de siège, l'état d'urgence50 et de la dictature constitutionnelle51.

On entend par état de siège, un régime de temps de crise résultant d'une déclaration officielle et qui se caractérise par la mise en application d'une législation exceptionnelle de prévoyance, soumettant la liberté individuelle à diverses restrictions et à une emprise renforcée de l'autorité publique. L'état d'urgence, quant à lui, désigne une situation dans laquelle les pouvoirs de police administrative se trouvent renforcés et élargis pour faire face soit, à un péril imminent résultant d'atteinte grave à l'ordre public, soit d'événements présentant par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique pouvant ou non résulter des circonstances exceptionnelles. Prenant ses origines dans la dictature romaine, la dictature constitutionnelle est, pour sa part, le point culminant des pouvoirs de crises. Elle postule que toutes les fois que les troubles menacent la sûreté de l'Etat, le Chef de l'Etat peut prendre toutes les mesures exigées par les circonstances. Il s'agit en substance, d'une situation de crise si poussée que le Président de la République, dans sa stature de garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire, du

50 La doctrine de l'état de siège et de l'état d'urgence ont pris naissance aux Etats Unis sous l'impulsion de Abraham LINCOLN qui déclarait à ce propos « j'aime mieux méconnaître une disposition de la constitution et de sauver l'union que de respecter strictement la constitution et de la voir s'effondrer ». Voir TUNC (A.), « Droit des Etats unis », Paris, PUF, p.18.

51 Presque tous les Etats africains ont adopté ces modes de résolution constitutionnelle des crises à l'exception du Togo n'a prévu à cet effet que l'état de siège et l'état d'urgence. Il n'a donc pas adopté la dictature constitutionnelle. Peut-être que le constituant togolais de 1992 l'a considéré comme superfétatoire ou plutôt semble faire confiance à l'intelligence et à l'imagination du Chef de l'Etat qui comprendrait que son rôle de garant de l'indépendance et de l'intégrité du territoire lui confère automatiquement ce pouvoir.

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respect des accords de communauté et des traités, dispose de tous les moyens, à condition que ceux-ci soient justifiés par les circonstances.

Il résulte donc de ce qui précède que, dans tous les cas, il appartient à l'autorité compétente d'apprécier la situation et de choisir la modalité idoine. Dès lors, on pourrait tenter un rapprochement entre les accords politiques et ces procédés, surtout la dictature constitutionnelle. En effet, pourquoi ne peut-on pas considérer que les accords politiques soient la mesure imposée par les circonstances ?

Malheureusement plusieurs éléments fondamentaux empêchent que l'on s'aventure sur ce terrain. En effet, le recours aux pouvoirs de crise est soumis à des conditions aussi bien de forme que de fond52. Dans tous les cas, les accords politiques semblent ne pas supporter ce formalisme. Ce qui conduit encore une fois, à leur refuser une valeur juridique. Cette situation est d'avantage renforcée lorsqu'on envisage une certaine compatibilité avec la constitution dans son ensemble.

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