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Semelles rouges et propriété intellectuelle.

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par Maëva Ouahlima
Université Toulouse 1 Capitole - Master 2 Droit fondamental des affaires 2014
  

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Introduction

« La copie est chose saine. Habiller cinquante femmes n'a aucun intérêt, mais retrouver ses créations à des prix modérés dans des grands magasins du monde entier, voir les femmes dans la rue adopter votre style, voila le but et la gloire d'une couturière »2.

Comme le laisse transparaitre Coco Chanel, le rapport entre la mode et la « copie » est complexe. D'un côté, la copie peut être perçue par les créateurs comme une flatterie, une marque de succès, mais de l'autre, elle participe à une dépréciation de l'image de marque des créateurs et va à l'encontre de tout ce qui les motive à rechercher la protection de leurs créations.

Le créateur de la semelle rouge, Christian Louboutin, a justement été confronté à cette problématique. Sa semelle a séduit les consommateurs et, très rapidement, cette idée de colorer les semelles des chaussures a été reprise par des concurrents. Cela aurait pu être considéré par le chausseur comme une marque de succès, voire de reconnaissance, toutefois, celui-ci a plutôt vu cette « copie de la semelle rouge » d'un mauvais oeil et l'a davantage considérée comme une source de désagréments.

Il a alors tenté de la protéger par tous les moyens qui lui étaient offerts, particulièrement par le droit de la propriété intellectuelle.

Afin d'appréhender l'importance et la teneur du problème, il semble intéressant de s'imprégner de l'histoire de la semelle rouge et de la place de la création à travers l'histoire avant de s'intéresser aux outils mis à dispositions par le droit de la propriété intellectuelle.

On ne peut parler de la semelle rouge sans tout d'abord s'intéresser à son illustre créateur, Christian Louboutin. Né à Paris en 1964, le chausseur se découvre très jeune une passion pour les chaussures et apprend alors le métier auprès de grands noms de la chaussure, avant de fonder en 1991 la société Christian Louboutin et d'ouvrir sa première boutique à Paris3.

De manière assez fortuite, la première semelle de couleur rouge apparaît en 19934 et fait très vite l'objet d'un succès considérable. Pendant un temps, Christian Louboutin est resté très discret sur l'origine de sa semelle rouge, ce qui eut pour conséquence la circulation de plusieurs rumeurs.

Selon la plus répandue, Louboutin se serait inspiré des chaussures de Louis XIV5. En effet, notre semelle rouge ne serait ainsi pas une première car bien avant son utilisation en 1993 par le chausseur, Louis XIV

2Cité dans : A. R. Bertrand, Droit d'auteur, Dalloz Action, 3ème édition, 2011-2012, p. 270.

3 B. Epinay, Christian Louboutin, toqué de souliers, Les échos style, 13 juin 2014, disponible sur : http://www.lesechos.fr/week-end/styles/0203553147771-christian-louboutin-toque-de-souliers-1012463.php. [Consulté le 12 août 2014].

4 C. Louboutin, Les coulisses de la semelle rouge : la légende de la semelle rouge, Christian Louboutin blog, 01.08.14, disponible sur : http://eu.christianlouboutin.com/fr fr/news/fr behind-the-rouge/. [Consulté le 12 août 2014].

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aurait été un inconditionnel des chaussures à talon haut rouges. Ceci peut paraître étonnant, mais le talon était à cette époque considéré comme synonyme de noblesse et de puissance. Les talons hauts étaient alors l'apanage des hommes et Louis XIV ne manquait pas de porter ses fameux talons hauts à semelle rouges6 lorsqu'il s'agissait de se faire représenter sur une toile. Désireux de ne pas trop voir se démocratiser ces chaussures à talons rouges, il aurait été à l'origine d'un édit réservant le droit de porter des semelles rouges à sa cour ainsi qu'à lui-même7.

Quant à l'origine de la couleur rouge de ces chaussures à talons, la légende est encore plus étonnante.

En effet, dans le domaine de la mode8, le bruit court que la couleur rouge sur les semelles serait apparue par hasard et serait le fait du Duc d'Orléans. Ce dernier, frère du roi Louis XIV, se serait rendu à une séance du conseil après une fête dans les abattoirs, les semelles encore tachées de sang, et aurait ainsi lancé malgré lui la mode des semelles rouges9.

La seconde rumeur relative à l'origine de la semelle rouge, celle que Louboutin a finalement choisi d'officialiser, a quant à elle un rapport avec du vernis rouge. D'après le célèbre chausseur, l'idée de peindre la semelle en rouge lui serait venue en voyant son assistante se vernir les ongles. Le créateur était en train d'observer le modèle de chaussure « Pensée » et déplorait le fait que quelque chose manquait à cette chaussure par rapport au croquis qu'il avait dessiné10. Il constate alors que dans son croquis la totalité de la chaussure est colorée, y compris la semelle, et décide alors de combler ce trou noir que constituait la semelle à l'aide du vernis rouge de son assistante. C'est ainsi que l'on doit la semelle rouge de Louboutin à un simple vernis.

Telles sont ainsi les origines prêtées à la semelle rouge. A ses débuts, cette fameuse semelle de chaussure était uniquement apposée sur des escarpins puis, témoin du succès rencontré par celle-ci, Christian Louboutin s'est mis à dessiner une palette de types de chaussures plus larges et leur a également appliqué ladite semelle. Sous la demande pressante, il a même étendu sa gamme de chaussures à semelles rouges aux souliers pour hommes. C'est ainsi que cette semelle rouge se trouve, depuis 1993, systématiquement apposée sous toutes les paires de chaussures créées par Christian Louboutin. Il existe plusieurs versions de la semelle rouge ; en tant que semelle extérieure sa forme diffère plus ou moins selon la forme de la chaussure dans laquelle elle doit s'insérer. Malgré ces quelques dissemblances en ce qui concerne la forme, elles ont toutes pour point en

5 Château de Versailles, Louis XIV en costume royal, disponible sur :

http://www.versaillespourtous.fr/fr/611 P Costume Royal.php.[Consulté le 13 juillet 2014].

6 Château de Versailles, Louis XIV en costume royal, disponible sur :

http://www.versaillespourtous.fr/fr/611 P Costume Royal.php.[Consulté le 13 juillet 2014].

7 L. Delhay, Les chaussures à talon dans les cabinets de conseil : instrument de pouvoir ou d'aliénation de la consultante. Mémoire de recherche, Paris : Haute école de commerce, 2003, p 4 et 18.

8 L. M, Christian Louboutin : semelles rouges, l'origine historique, Melty Fashion, 22 février 2012, disponible sur : http://www.meltyfashion.fr/christian-louboutin-les-semelles-rouges-l-actu96244.html. [Consulté le 6 janvier 2014].

9 C. Guillot, Trash Cancan : Les talons rouges, [Bande dessinée], disponible sur : http://www.trashcancan.fr/2011/04/15/les-talons-rouges/ .[Consulté le 5 août 2014].

10V. Supra. Note n° 4.

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commun d'être laquées d'un rouge singulier, le rouge Chinois. Elles se parent parfois même de la mention « Christian Louboutin Vero Cuoio made in Italy ».

Ce succès si soudain de la semelle rouge, qui en un peu plus de 20 ans a su rivaliser avec les illustres maisons de luxe françaises, à l'image d'Yves Saint Laurent11, n'est pas passé inaperçu.

Nombreux sont ceux qui ont essayé de profiter de la prospérité de la semelle rouge. Conscient que la « vulgarisation » de la semelle risquerait de porter atteinte à l'image qu'il avait construite de sa marque éponyme, Christian Louboutin a pris l'initiative de chercher des moyens de protéger sa création.

A cet effet, il a pu se tourner vers la propriété intellectuelle. En effet, cette dernière s'attache justement à la protection des créations, tant artistiques que techniques. Le droit de la propriété intellectuelle est le fruit d'un long processus et offre un véritable droit de propriété au créateur sur sa création, mais il n'en a pas toujours été ainsi.

En effet, on peut tout d'abord affirmer que la création et l'innovation ne sont pas apparues en même temps que le droit de la propriété intellectuelle. Bien avant, des oeuvres étaient créées mais il semblerait que les artistes et créateurs n'avaient pas la possibilité de demander de monopole sur leurs créations.

On constate toutefois, à travers l'Antiquité, le Moyen Age, la Renaissance et la période révolutionnaire, que le souci de la protection n'a cessé de croître12. Comme le souligne A.R Bertrand, il semble falloir attendre la Renaissance pour qu'une place soit accordée à l'artiste et au créateur, et qu'ils ne soient plus perçus comme « de simples artisans »13.

L'époque antique n'était semble-t-il pas tournée vers la recherche de droits privatifs accordés aux artistes. Il était certes fait usage de « marques », de signes distinctifs apposés sur des poteries, mais cela n'avait pour unique but que de permettre d'identifier l'origine du produit.

Au Moyen Age, le même constat peut être dressé; les artistes et créateurs, alors regroupés en corporations, n'avaient pas de monopoles à proprement parler sur leurs oeuvres mais avaient, par l'intermédiaire de ladite corporation, le pouvoir de sanctionner le tiers qui enfreindrait le monopole accordé aux membres de celle-ci. Il s'agissait plus à cette époque d'assurer une certaine fonction de police que de reconnaître à l'artiste un véritable droit sur sa création.

11 V.P, Semelles rouges : YSL remporte la première manche contre Louboutin, Les Echos, 2011, disponible sur : http://www.lesechos.fr/11/08/2011/LesEchos/20993-075-ECH semelles-rouges---ysl-remporte-la-premiere-manche-contre-louboutin.htm. [Consulté le 6 mars 2014].

12 P. Tafforeau, C. Monnerie, coll. A. Benfedda, Droit de la propriété intellectuelle, Lextenso 3ème édition, Master pro, p. 37.

13 A. R. Bertrand, p. 5. Op.cit. note n° 2.

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D'autres, à l'image du professeur P. Tafforeau et C. Monnerie14, relient l'absence de considération de la part des artistes pour la consécration d'un droit de propriété sur leurs oeuvres avec la philosophie qui régnait à l'époque. L'art était semble-t-il tourné vers Dieu, « l'inspiration vient de lui, les oeuvres sont pour lui »15. Il y a là l'idée que l'artiste, par son art, ne fait que servir Dieu et qu'il n'a ainsi aucune raison de revendiquer un quelconque droit de propriété sur ses oeuvres.

Un tournant s'amorça pendant la Renaissance ; avec l'invention de l'imprimerie en 1445 par Gutemberg apparaît en effet le souci de lutter contre la copie et la reproduction16. Jusque là, les faussaires n'avaient d'autre choix que de recopier les oeuvres à la main, mais avec l'imprimerie la copie devint un véritable problème. Face à la concurrence que se livraient les imprimeurs entre eux, l'octroi de privilèges fut la solution qui s'est imposée. Mais petit à petit, le privilège s'est écarté de toute idée de protection du droit d'auteur pour devenir un outil au service du pouvoir royal.

Initialement, les privilèges avaient vocation à assurer une protection contre les pouvoirs royaux, mais ils vont rapidement évoluer dans un sens moins favorable et être considérés comme des vecteurs d'inégalités. En effet, seuls les titulaires de privilèges pouvaient exercer certaines prérogatives ou exercer certaines fonctions, mais leurs abus va donner lieu à des vives tensions. Il n'en faudra pas plus pour mettre le feu aux poudres de la Révolution, et l'apport des révolutionnaires sera la clé de l'essor de la propriété intellectuelle.

En effet, la Révolution française a été à l'origine d'un tournant majeur en ce qui concerne la liberté du commerce et de l'industrie. Dès le 4 août 1789, les privilèges qui étaient accordés par le roi sont abolis. Rapidement, le décret D'Allarde17 et la loi Le Chapelier 18 vont tout faire pour mettre en place la liberté d'exercice du commerce et la liberté de la concurrence. Le premier prévoit qu'« il sera libre à toute personne de faire négoce ou d'exercer telle activité, art ou métier qu'elle trouvera bon ; mais elle sera tenue de se pourvoir auparavant d'une patente, d'en acquitter le prix d'après les taux ci-après déterminés, et de se conformer aux règlements de police qui sont ou pourront être faits ». La seconde s'inscrira dans le même mouvement et s'attachera à mettre fin au système des corporations.

La Révolution consacre également un point important, à savoir le droit de propriété. Il est abordé par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, qui lui consacre deux articles, et y est décrit comme un droit naturel, imprescriptible, inviolable et sacré.

La Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen, en son article 2, présente la propriété comme faisant partie « des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme 19» au même titre que la liberté, la sûreté et la

14 P. Tafforeau, C. Monnerie, coll. A. Benfedda, p. 38. Op.cit. Note n°12.

15 P. Tafforeau, C. Monnerie, coll. A.Benfedda, p. 38. Loc.cit. Note n°12.

16 A. R. Bertrand, p.5. Op.cit. Note n° 2

17 Décret D'Allarde des 2 et 17 mars 1791.

18 Loi le Chapelier de 1791.

19 Art. 2 Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.

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résistance à l'oppression. L'article 17, quant à lui, conforte l'idée selon laquelle le droit de propriété est un droit fondamental, « un droit inviolable et sacré, dont nul ne peut être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité 20».

En posant les bases du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, les révolutionnaires ont mis en place un marché ou règne la libre concurrence et où chacun est libre d'entreprendre. Suite à la consécration de la propriété en tant que droit fondamental, tout était réuni pour initier chez les créateurs un élan de revendication de droit de propriété sur les oeuvres qu'ils ont créées. Naît alors chez eux l'idée que les créations, les productions de l'esprit, pouvaient être à l'origine de profits considérables. Il leur est ainsi paru nécessaire, tout comme pour le droit de propriété, de conférer à l'auteur des droits privatifs sur son oeuvre. Ce monopole aurait vocation à lui assurer un retour sur investissement mais également de l'inciter à créer.

Deux lois de 179121 et 179322 vont poser les fondements du droit de la propriété littéraire et artistique et seront les bases de notre droit de la propriété intellectuelle. La première mit en place la protection des spectacles et représentations et permit à leur auteur d'interdire aux tiers de tenir une représentation de son oeuvre, et ce jusqu'à 5 ans après sa mort. La seconde, quant à elle, créa un droit privatif au profit des auteurs d'écrits, peintres, compositeurs de musiques et dessinateurs. Elle leur réserve le droit de « jouir, durant leur vie entière, du droit exclusif de vendre, faire vendre, distribuer leurs ouvrages dans le territoire de la République, et d'en céder la propriété en tout ou en partie »23.

Bénéficient également de ces droits les héritiers et ce sur une période de 10 ans à compter de la mort de l'auteur24.

Pendant très longtemps, ces deux lois seront l'unique base de notre droit de la propriété littéraire et artistique. Ce droit sera au fil du temps complété par d'autres branches pour arriver à ce que l'on appelle aujourd'hui la propriété intellectuelle. On peut citer à ce titre le droit des dessins et modèles qui voit le jour avec la loi du 18 mars 1806 et dont on doit l'initiative aux soyeux lyonnais, le droit des brevets avec la loi du 5 juillet 1844 et un véritable droit des marques qui voit le jour avec la loi du 23 juin 1857. On en arrive donc à un droit capable de protéger toutes sortes de créations, aussi bien les créations artistiques que les dessins ou modèles, brevets ou marques.

20 Art. 17 DDHC.

21 Loi des 13 et 19 janvier 1791 relative aux spectacles

22 Loi des 19 et 24 juillet 1793 relative aux droits de propriété des auteurs

23 Art. 1 de la loi des 19 et 24 juillet 1793

24 Art. 2 de la loi des 19 et 24 juillet 1793

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Pour assurer la protection de ses efforts, investissements et tout ce que le chausseur a construit autour de la semelle rouge, il semble opportun de s'intéresser aux possibilités offertes par le droit de la propriété intellectuelle.

Le droit de la propriété intellectuelle est un instrument incontournable pour les artistes et créateurs, un outil que le chausseur Christian Louboutin, désireux de protéger sa fameuse « semelle rouge », ne devra pas négliger. Il s'agit d'un droit dont le but est de protéger les biens intellectuels. Il semble ainsi intéressant de faire un tour d'horizon des différents instruments que comprend le droit de la propriété intellectuelle pour voir lesquels pourraient être utiles à la semelle rouge.

Tout d'abord, ce droit comporte deux branches qu'il est relativement facile de différencier, le droit de la propriété industrielle et le droit de la propriété littéraire et artistique.

Dans le cas du droit de la propriété industrielle, il s'agit de mettre l'accent sur la protection de l'investissement alors que le droit de la propriété littéraire et artistique, quant à lui, a pour but de protéger la création tout en tenant compte de la sensibilité qui lie l'auteur à son oeuvre.

Par le biais de ces deux branches, le droit de la propriété intellectuelle semble ainsi en mesure de protéger toutes sortes de créations, aussi bien celles marquées par une sensibilité artistique que les créations purement industrielles. Il paraît donc intéressant de voir quel intérêt pourrait présenter chacun des ces outils pour la semelle rouge.

Le droit de la propriété littéraire et artistique a deux objets, le droit d'auteur et les droits voisins. Le droit d'auteur est un droit qui protège les créations de l'esprit, mais pas n'importe lesquelles. En effet, toute chose ne peut pas forcément être qualifiée d'oeuvre de l'esprit. Pour répondre à cette notion, la semelle rouge, comme toute création, devra découler d'une intervention humaine, consciente et qui modifie le réel. Passé ce filtre, la création doit répondre à deux autres exigences que sont l'originalité et la prise de forme. A côté de cela, c'est un droit qui ne conditionne l'acquisition de la protection à aucune formalité, comme le prévoit l'article L.111-1du CPI25. Les droits de l'auteur sur son oeuvre découlent alors tout simplement de la création et, en contrepartie, il se voit accorder des droits de deux ordres, à savoir des droits moraux et des droits patrimoniaux.

Les droits patrimoniaux visent à assurer à l'auteur un monopole sur les revenus que peut générer l'oeuvre. Ils ont vocation à s'appliquer tout au long de la vie de l'auteur, mais également 70 ans après sa mort au profit de ses héritiers. Ces droits comprennent le droit de représentation, le droit de reproduction et le droit de suite. Le premier offre à l'auteur l'exclusivité dans l'exécution de l'oeuvre et sa communication au public. Le droit de reproduction, lui, offre un monopole lorsqu'il s'agit de fixer l'oeuvre sur un support pour la communiquer au

25 Art. L.111-1 alinéa 1 et 2 : « L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code».

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public. Enfin, le droit de suite permet à l'auteur de percevoir un pourcentage du prix des ventes successives de son oeuvre par un professionnel. Il s'agit par ce dernier droit de permettre à l'auteur de profiter de la réputation qu'il s'est forgée au fil des années et d'éventuellement compenser les ventes à « faible prix » de ses oeuvres lorsqu'il était encore inconnu.

Les droits extrapatrimoniaux visent eux à préserver et défendre la personnalité que l'auteur a insufflée dans son oeuvre. Il s'agit de protéger l'oeuvre telle qu'il l'a pensée et conçue. Pour cela, il dispose des droits de divulgation, de paternité, de respect de l'oeuvre ainsi que des droits de retrait et de repentir. Le droit de divulgation offre à l'auteur le droit de décider s'il veut rendre l'oeuvre publique et à quel moment il veut le faire. Le droit à la paternité comprend le droit pour l'auteur d'être mentionné comme l'auteur de l'oeuvre, et ce même s'il s'est initialement engagé à garder l'anonymat. Sa qualité devra également être mentionnée. Le respect de l'oeuvre vise à s'assurer que personne ne pourra modifier l'oeuvre sans l'autorisation de l'auteur ou porter atteinte à son intégrité.

Le repentir et le retrait de l'oeuvre, quant à eux, permettent à l'auteur, moyennant indemnisation du cocontractant, de retirer l'oeuvre lorsqu'il n'en est pas satisfait. Il s'agit ici du pendant du droit de divulgation.

A côté du droit d'auteur, le droit de la propriété littéraire et artistique comprend également des droits voisins. Ces derniers sont une notion qui n'apparaît en droit français qu'avec la loi du 3 juillet 1985 alors qu'en droit international, la convention de Rome du 26 octobre 1971 leur accordait déjà une place 26. Il s'agit de droits accordés à des personnes qui, sans avoir créé l'oeuvre, ont activement participé à son succès. On peut citer à ce titre les droits accordés à l'artiste interprète27 de l'oeuvre, au producteur28 ou aux auxiliaires de la création29. Accordés à côté des droits d'auteurs purs, ces droits auraient pu être source de conflits, mais le législateur, en consacrant la primauté du droit d'auteur sur les droits voisins à l'article L.211-1 du CPI30, a évité tout imbroglio. Au regard du champ de ces droits voisins, il ne semble d'emblée pas intéressant d'envisager la protection de la semelle rouge par ceux-ci. S'agissant de cette dernière en effet, il ne s'agit en aucun cas de protéger les droits d'un artiste interprète ou d'un auxiliaire de création mais de protéger la semelle elle-même, l'oeuvre créée par le chausseur.

S'agissant du droit de la propriété industrielle, il est quant à lui moins marqué par la relation qu'il peut y avoir entre le créateur et sa création, comme c'est le cas avec le droit d'auteur. Avec le droit de la propriété industrielle, il est question de droits des marques, de droits des brevets, d'obtentions végétales et de droits des dessins et modèles.

26 Cité dans : C.Caron, Droit d'auteur et droits voisins, LexisNexis, 3ème édition, p. 537

27 C. Caron, p. 543. Ibid note n° 26.

28 C. Caron, p. 569. Ibid note n° 26.

29 P. Tafforeau, C. Monnerie, coll. A. Benfedda, p. 262. Op.cit. Note n°12.

30 Art. L.211-1 du CPI : « Les droits voisins ne portent pas atteinte aux droits des auteurs. En conséquence, aucune disposition du présent titre ne doit être interprétée de manière à limiter l'exercice du droit d'auteur par ses titulaires ».

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Comme le précise l'article L.611-2 du CPI31, le droit des brevets a pour objet de protéger l'innovation, le progrès technique. Avec ce droit, il s'agit d'inciter les inventeurs et les entreprises à participer au progrès technique et en contrepartie, on leur confère un monopole pour l'invention qu'ils auraient créée. Toutefois, toute innovation n'est pas en soi éligible au droit des brevets. Pour ce faire, elle doit être une invention nouvelle, une innovation découlant d'une activité inventive qui est susceptible d'application industrielle.

Un certain nombre de créateurs et d'entreprises se sont tournés vers le droit des brevets mais cette hypothèse ne semble pas envisageable pour notre semelle. En effet, contrairement à certains à l'image de GEOX32, ce ne fut pas le cas de Christian Louboutin, pour la simple raison qu'au vu de son domaine, le droit des brevets ne semble pas adapté à la protection de la semelle rouge. Celle-ci ne constituant pas une innovation technique, on ne voit pas comment elle pourrait être protégée par le droit des brevets. Effectivement, le simple fait de colorer une semelle ne semble en rien constituer un progrès technique.

Le droit des obtentions végétales constitue le « complément » du droit des brevets33. Il s'agit par ce biais de protéger un nouveau type de plante. La préoccupation pour la protection de ce genre de créations apparaît dès le XIXème siècle, mais ce n'est qu'avec la convention de Paris du 2 décembre 1961 que le droit des obtentions végétales accède au rang de droit de propriété industrielle34. Il s'agit donc, tout comme pour le brevet, d'un outil qu'il ne paraît pas utile d'évoquer dans le cas de la semelle rouge. Il n'est en effet pas question pour Christian Louboutin de demander la protection d'une nouvelle espèce végétale.

Passons à présent au droit des dessins et modèles. Ce dernier a pour objet la protection de l'apparence, de l'aspect extérieur des produits que l'on appellera dessins ou modèles. Cet aspect sera protégé dès que certaines conditions de fond et de forme seront remplies, notamment dès lors que ces dessins ou modèles seront considérés comme des créations de forme, ornementales, nouvelles et présentant un caractère propre. Tout comme pour le brevet, l'acquisition du droit sur des dessins et modèles est également conditionnée au respect d'exigences de forme.

31 Art. L.611-2 du CPI : « Les titres de propriété industrielle protégeant les inventions sont :

1° Les brevets d'invention, délivrés pour une durée de vingt ans à compter du jour du dépôt de la demande ;

2° Les certificats d'utilité, délivrés pour une durée de six ans à compter du jour du dépôt de la demande ;

3° Les certificats complémentaires de protection rattachés à un brevet dans les conditions prévues à l'article L. 611-3, prenant effet au terme légal du brevet auquel ils se rattachent pour une durée ne pouvant excéder sept ans à compter de ce terme et dix-sept ans à compter de la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché mentionnée à ce même article.

Les dispositions du présent livre concernant les brevets sont applicables aux certificats d'utilité à l'exception de celles prévues aux articles L. 612-14, L. 612-15 et au premier alinéa de l'article L. 612-17. Elles le sont également aux certificats complémentaires de protection à l'exception de celles prévues aux articles L. 611-12, L. 612-1 à L. 612-10, L. 612-12 à L. 612-15, L. 612-17, L. 612-20, L. 613-1 et L. 613-25 ».

32 Base brevet INPI, n° demande : EP20010987627 20011012.V.annexe. Document n°1.

33 J-C. Galloux, Obtentions végétales, cours CEIPI, Diplôme d'études internationales de la propriété intellectuelle- parcours marques, dessins et modèles, Université de Strasbourg, année universitaire 2012-2013.

34 Cité dans : J. Azéma, J-C Galloux, Droit de la propriété industrielle, 7ème édition, précis Dalloz, 2012, P612.

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En effet, comme le prévoit l'article L.511-9 du CPI35, un enregistrement auprès de l'INPI est nécessaire et ce dernier sera amené à se prononcer sur l'enregistrement ou le refus de la création. En contrepartie, et comme le prévoit l'article L. 513-2 du CPI36, le déposant, qui est présumé être le créateur, se voit investi d'un droit privatif lui permettant de faire interdire la mise sur le marché, l'offre ou la fabrication du dessin ou modèle, ou de tout objet qui comporterait le dessin ou modèle en son sein.

S'agissant du droit des marques, ce dernier a un statut particulier au sein du droit de la propriété intellectuelle. En effet, il ne s'agit pas véritablement ici de protéger la création, le fruit d'un travail de l'esprit, mais de protéger un signe qui a la particularité d'être distinctif. La fonction première de la marque, la fonction de garantie d'origine, permet au consommateur de distinguer les produits et services de ceux des concurrents. Si la marque a une finalité, c'est bien celle-ci.

Les récentes évolutions au niveau européen ont permis de reconnaître à la marque d'autres fonctions à côté de sa fonction d'indentification.

En effet, depuis l'arrêt Bellure, la CJUE37 a consacré les fonctions de communication, d'investissement, de publicité et de garantie de qualité du produit ou du service. Avant cette affaire, la jurisprudence Arsenal du 12 novembre 200238 de cette même cour avait déjà émis l'idée qu'outre la fonction de garantie d'identité d'origine, la marque avait d'autres fonctions, sans toutefois les nommer ni les définir. Elle s'était limitée à faire référence « aux fonctions de la marque ». Il n'y avait alors officiellement qu'une seule fonction, la fonction d'identité d'origine, largement consacrée39.

Il a donc fallu attendre l'affaire L'Oréal contre Bellure40 pour mettre en lumière ces trois nouvelles fonctions de la marque que sont les fonctions d'investissement, de communication et de publicité.

La CJUE s'est toutefois limitée à nommer les fonctions sans les définir, laissant ainsi la charge du travail de définition aux juges nationaux. La fonction de publicité viserait l'intérêt que présente la marque en ce qui concerne la promotion des ventes. Celle-ci serait un élément clé de la stratégie commerciale de l'entreprise41. La fonction de communication, quant à elle, n'a pas de définition concrète et ne semble pas se distinguer de la fonction de garantie de publicité.

35 Art. L.511-9 du CPI : « La protection du dessin ou modèle conférée par les dispositions du présent livre s'acquiert par l'enregistrement. Elle est accordée au créateur ou à son ayant cause.

L'auteur de la demande d'enregistrement est, sauf preuve contraire, regardé comme le bénéficiaire de cette protection ».

36 Art. L.513-2 du CPI : « Sans préjudice des droits résultant de l'application d'autres dispositions législatives, notamment des livres Ier et III du présent code, l'enregistrement d'un dessin ou modèle confère à son titulaire un droit de propriété qu'il peut céder ou

concéder».

37 CJCE, 1re ch., 18 juin 2009, aff. C-487/07, L'Oréal SA et al. c/ Bellure NV et al.

38 CJCE 12 nov. 2002, aff C-206/01, Arsenal Football Club plc c/ Matthew Reed.

39 CJCE 22 juin 1976, aff 119-75, Société Terrapin (Overseas) Ltd. c/ Société Terranova Industrie CA Kapferer & Co.

40 CJCE 18 juin 2009, aff C-487/07, L'Oréal SA e.a c/ Bellure NV e.a.

41 CJUE 23 mars 2010, aff C-236/08, Google France SARL et Google Inc. contre Louis Vuitton Malletier SA.

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A côté existe également la fonction d'investissement de la marque, critiquée par certains auteurs tels que le professeur J. Passa42, comme étant une sorte de « bricolage juridique ». Elle se rapproche de la fonction de publicité tout en ayant une portée plus large. Elle désigne en effet tous les efforts mis en place par le titulaire pour se forger une réputation et la maintenir. Ce qui est sanctionné ici, ce n'est pas l'atteinte à la fonction distinctive mais plutôt à l'image de prestige et de qualité que la marque essaye de créer. Elle n'a donc rien à voir avec l'investissement comme son intitulé pourrait le laisser entendre.

C'est bien en ce sens que cette dernière peut être qualifiée de bricolage juridique.

S'agissant de la fonction de garantie de qualité, elle renvoie à l'idée selon laquelle le produit sera d'égale qualité que celui qu'il avait précédemment acheté. On peut donc affirmer que ces fonctions sont intimement liées au marketing.

Mais une marque, c'est avant tout un signe qui permet de distinguer les produits et services de ceux des concurrents. Il est à noter l'existence de plusieurs catégories de marques, à savoir les marques collectives, les marques individuelles, les marques de service, les marques de fabrique, les marques de commerce.

A l'intérieur même de ces distinctions, on peut distinguer à nouveau d'autres catégories de marques, telles que les marques figuratives, verbales, sonores ou encore les marques complexes associant plusieurs éléments. Cette tendance à la multiplication des typologies de marques n'est pas près de s'arrêter là, on constate depuis peu que de nouvelles marques apparaissent, notamment les marques de position ou de mouvement.

Le droit des marques était loin d'apparaître comme l'outil le plus adapté aux créations de mode, et plus particulièrement à la semelle rouge. Pourtant, si l'on regarde le régime de ce droit, on se rend compte que son utilisation présente un avantage considérable, notamment pour les créateurs comme Christian Louboutin. Celui-ci a très vite compris l'intérêt d'utiliser son signe à titre de marque et, bien au-delà de la fonction distinctive, il a fait de la semelle rouge un réel concept commercial. La protection du droit des marques offrirait à son titulaire toutes sortes de prérogatives, à savoir une exclusivité d'usage de la marque dans les limites fixées par la loi mais également des droits dits d'interdire, c'est-à-dire la possibilité de faire sanctionner tout usage non autorisé de sa marque.

L'article L.713-1 du CPI43 élève le droit du titulaire sur la marque au rang de droit de propriété.

Le titulaire se verrait ainsi accorder sur cette dernière un monopole pour les produits et services désignés dans le dépôt, et ce pour une « certaine durée » sur un territoire donné. Les droits sont ainsi limités par les principes dits de territorialité et de spécialité. Pour pouvoir prétendre à la protection du droit des marques, plusieurs

42 J. Passa, Les nouvelles fonctions de la marque dans la jurisprudence de la Cour de justice : Portée ? Utilité ?, Propriété industrielle n° 6, Juin 2012, étude 11.

43Art. L.713-1 du CPI: « L'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu'il a désignés ».

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conditions devront être respectées par la semelle rouge, au titre desquelles figurent des conditions de fond et de forme.

Concernant les conditions de forme, il est exigé que soit présentée par le futur déposant une demande auprès de l'INPI. Depuis la loi n° 64-1360 du 31 décembre 1964, un enregistrement est nécessaire pour l'octroi des droits. Il doit ainsi présenter une demande dans laquelle devra figurer une représentation graphique du signe, à savoir ici une semelle rouge.

En ce qui concerne les conditions de fond, il est exigé que le signe choisi, soit disponible, distinctif et licite. Dans la mesure où toutes ces conditions seraient remplies par la semelle rouge, le déposant Christian Louboutin se verrait accorder un monopole sur l'usage de sa marque.

Après avoir perçu la consistance de chacun de ces droits de propriété intellectuelle, il convient de se demander si la semelle arrivera à se conformer à leurs exigences et, dans la positive, quel droit permettrait de la protéger au mieux ?

La démarche consistera à déterminer lesquels de ces outils seraient susceptibles de s'appliquer à la création la plus emblématique du chausseur, la semelle rouge. Pour cela, il faudra s'assurer du respect par la semelle des conditions nécessaires pour acquérir la protection au titre de chacun de ces droits. Plusieurs possibilités s'offrent ainsi à cette dernière mais certains outils semblent plus appropriés que d'autres pour sa protection. A cet effet, on peut citer le droit d'auteur et le droit des dessins et modèles, qui semblent naturellement adaptés au type de créations auxquelles correspond la semelle rouge (Partie I). A côté de cela, il semble nécessaire de rechercher, à travers des moyens détournés de la propriété intellectuelle et du droit commun, une protection alternative dans le cas ou les outils apparemment les plus adaptés ne parviendraient pas à la protéger (Partie II).

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams