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La photographie du territoire, entre donnée personnelle et donnée publique

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par Azéline Boucher
Université Paris Descartes - Master 2 - Droit des Activités Numériques 2017
  

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Chapitre 2 - La donnée géographique de référence

La donnée géographique peut être qualifiée de document administratif dès lors qu'elle est produite par un organisme public ou privé dans le cadre d'une mission de service public. Aussi, l'ouverture des données publiques favorise-t-elle l'accès à ces données géographiques, et notamment aux photographies du territoire (Section 1). La question se pose néanmoins de l'accès et de la publication de ces données dès lors qu'elles contiennent des informations nominatives (Section 2).

Section 1 - Une information au service de l'intérêt général : l'ouverture de la donnée géographique

Deux textes fondamentaux ont participé à l'ouverture des données géographiques : la directive INSPIRE(I) et la loi pour une République numérique, dite aussi loi Lemaire (II).

I - L'ouverture des données environnementales : la directive INSPIRE

La directive 2007/2/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2007 établissant une infrastructure d'information géographique dans la Communauté européenne (INSPIRE) s'inscrit dans un mouvement d'ouverture des données environnementales puisqu'elle fait suite à la Convention d'Aarhussurl'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement du 25 juin 1998 et à la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement. Une ordonnance n° 2010-1232 du 21 octobre 2010 a transposé la directive INSPIRE en droit interne et a modifié le Code de l'environnement pour y insérer un chapitre relatif à l'infrastructure d'information géographique.

Les données environnementales, dès lors qu'elles participent à une mission d'intérêt public (A) doivent être harmonisées et partagées (B).

A/ La description du territoire : une mission d'intérêt public

La directive INSPIRE, en son article 11, impose aux États membres de rendre accessibles certaines des données géographiques détenues par des autorités publiques en les publiant sur Internet.Quelles sont ces données?

Dans son article 3, la directive INSPIRE définit la donnée géographique comme « toute donnée faisant directement ou indirectement référence à un lieu ou une zone géographique spécifique ». L'article 4 précise que ce sont les données liées à une zone où l'État exerce ses compétences, qui sont en format électronique, détenues par une autorité publique ou un tiers ayant eu accès au réseau de services de recherche, consultation, téléchargement ou consultation mis en place par l'État83(*), et qui concernent plusieurs thèmes spécifiquesénumérés dans les annexes de la directive. Ces thèmes visent notamment les référentiels de coordonnées, les adresses, les zones cadastrales, l'ortho-imagerie, la situation géographique des bâtiments ou encore l'usage des sols (par exemple, résidentiel, industriel, commercial, agricole, etc...).

Le Conseil national de l'information géographique et forestière (CNIG)considère ainsi que ces thèmes couvrent à la fois les données géographiques de référence et les données environnementales84(*).La frontière entre les deux catégories reste néanmoins très perméable.

La majorité des données collectées par l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), notamment les photographies aériennes et spatiales ainsi que certaines ortho-images,rentrealors dans le champ d'application de la directive INSPIRE.L'article 2, 3° du décret relatif à l'IGN de 2011 précise, en effet,que « (...) le référentiel à grande échelle, système intégré d'information géographique couvrant l'ensemble du territoire national, est composé de bases de données numérisées et interopérables décrivant les thèmes, dénominations géographiques, unités administratives, adresses, parcelles cadastrales issues du plan cadastral, réseaux de transport, hydrographie, altitude, occupation des terres, ortho-imagerie et bâtiments mentionnés aux annexes I, II et III de la directive du 14 mars 2007 susvisée». Le Géoportail prend également en compte les exigences de la directive en matière de services offerts au public.

B/ L'harmonisation et le partage des données environnementales

Si la directive de 2003 avait pour but de garantir le droit d'accès sur demande aux informations environnementales détenues par les autorités publiques, la directive de 2007aspire, quant à elle, à assurer la disponibilité, la qualité et l'accessibilité de l'information géographique grâce à l'établissement d'une infrastructure géographique harmonisée au sein de l'Union européenne : le portail INSPIRE. La compatibilité des différentes structures permet, en effet, un meilleur partage des données et favorise leur réutilisation.

Selon les ingénieurs et géographes François Merrien, MarcLéobet et M. Francès85(*), la directive INSPIRE présente deux intérêts majeurs. Elle ne concerne, tout d'abord, que l'information géographique86(*). Elle dépasse, ensuite, la communication sur demande puisqu'elle « impose » la publication des données sur Internet.

II - L'ouverture des données géographiques : la loi pour une République numérique

La donnée géographique peut bénéficier d'un statut particulier et être considérée comme une donnée de référence (A). La loi Lemaire reconnait également l'accès et la réutilisation de cette information géographique, qu'elle soit ou non de référence (B).

A/ La donnée géographique : une donnée de référence

La loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numériquea introduit un article L 321-4 au sein du Code des relations entre le public et l'administration (CRPA) selon lequel la mise à disposition des données de référence (en vue de faciliter leur réutilisation) constitue une mission de service public à laquelle doivent concourir l'État, les collectivités territoriales ainsi que les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une mission de service public.

Les données de référencey sont définies comme des informations publiques figurant dans des documents communiqués ou publiés par les administrations87(*) et qui répondent à trois critères. Ces données doivent, en premier lieu, constituer une « référence commune pour nommer ou identifier des produits, des services, des territoires ou des personnes ». En second lieu, ces données doivent faire l'objet d'une réutilisation fréquente par des personnes (publiques ou privées) autres que celle qui les détient. Enfin, ces données doivent présenter un niveau élevé de qualité, permettant alors une meilleure réutilisation.

Un décret en Conseil d'État a dressé la liste des données de référence et a désigné les administrations responsables de leur production et de leur mise à disposition. Sont notamment des données de référence le plan cadastral informatisé, produit par la direction générale des finances publiques ; le registre parcellaire graphique, produit par l'Agence de services et de paiement ; le « référentiel à grande échelle », produit par l'Institut national de l'information géographique et forestière ; ou encore la base adresse nationale, coproduite par l'Institut national de l'information géographique et forestière, la société anonyme La Poste et l'association OpenStreetMapFrance. Ainsi, les ortho-images du référentiel à grande échelle (RGE), certaines données parcellaires et les adresses des bâtiments situés sur le territoire sont considérés comme des données de référence.

Au-delà de la donnée de référence, la donnée géographique est parfois même qualifiée de donnée souveraine. La donnée géographique est souveraine lorsque l'Etat y a recours dans le cadre de ses activités régaliennes88(*). Un décret du 5 février 2018 a ainsi chargé la députée Mme Valéria Faure-Muntian d'une mission temporaire89(*) ayant pour objet la transformation de la production, de l'entretien et de la diffusion des données géographiques souveraines. Dans un communiqué de presse90(*), le Ministère de la transition écologique et solidaire précise que cette mission vise à renforcer la coopération entre les administrations pour la production de données géographiques souveraines. C'est notamment l'une des ambitions exprimées par le Premier Ministre dans sa lettre à Mme ValériaFaure-Muntian91(*)puisqu'il souhaite qu'elle s'interroge sur le rôle de chaque acteur du secteur.Cette mission participe ainsi à accroître la qualité de la donnée géographique au bénéfice de tous.

B/ L'accès aux données géographiques et leur réutilisation par des personnes privées

Les documents de l'IGN, dès lors qu'ils sont produits ou reçus dans le cadre de sa mission de service public, peuvent être communiqués ou publiés (1) et réutilisés (2).

1. L'accès et la diffusion des documents administratifs de l'IGN

« L'information géographique est au coeur des stratégies d'innovation sur lesquelles se rejoignent les pouvoirs publics, les entreprises et plus largement la société civile »92(*). Aussi, l'ouverture de l'accès à ces données géographiques ne peut avoir qu'un effet vertueux. Dans son article « Open data : la protection des données comme vecteur de confiance »93(*), la CNIL rappelle que l'un des objectifs majeurs de l'open data, c'est de « communiquer au public une image détaillée du territoire et de son fonctionnement actuel ». Quelle image plus détaillée que la photographie aérienne ou spatiale pour décrire le territoire ?

La loi n° 78-753 du 17 juillet 197894(*), dite loi CADA (pour la Commission d'accès aux documents administratifs),a érigé les prémisses de ce qui deviendrait l'open data. Elle consacre, en effet, la liberté d'accéder aux documents administratifs sur demande de l'administré. Son champ d'application comprend notamment « tous dossiers, rapports, études, (...) statistiques, (...) revêtant la forme (...) d'enregistrements (...) visuels, de traitements automatisés d'informations non nominatives. »

Cette exigence a été reprise par la loi Lemaire et se retrouve au sein de l'article L311-1 du Code des relations entre le public et l'administration.La loi pour une République numérique a également étendu ce droit à la communication des documents administratifs puisque désormais les administrations (et les personnes privées chargés d'une mission de service public) sont tenues de publier en ligne certaines informations.

Le Code précise encore la définition des documents administratifs en son article L300-2. Ce sont ceux reçus ou produits, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Peu importe la date de ces documents, leur lieu de conservation, leur forme ou leur support.

Les photographies aériennes et spatiales entrent ainsi dans le champ d'application de l'accès aux documents administratifs lorsqu'elles sont prises par ou pour l'IGN et dans le cadre de sa mission de service public. La Commission d'accès aux documents administratifs, dans un avis 2007/102395(*), confirme cette position : «  la réalisation de photographies aériennes qui couvrent l'ensemble du territoire national -qu'elles soient numériques ou argentiques-, leur mise à disposition du public et leur diffusion auprès de celui-ci sous forme de tirages, agrandissements, redressements ou assemblages sont au nombre des missions de service public confiées à l'IGN. La commission considère par conséquent que ces photographies constituent des documents administratifs au sens de l'article 1er de la loi du 17 juillet 1978. L'accomplissement, à l'initiative de l'IGN et préalablement à la remise des tirages ou agrandissements, d'opérations de retraitement, notamment chromique, destinées à garantir la qualité de l'image apparaît comme étant inhérente à cette activité de diffusion et n'est pas de nature à mettre en cause cette qualification de document administratif des tirages. » Aussi, l'ortho-imagerie, ou le fait d'ajuster géométriquement les photographies pour qu'elles correspondent à la réalité de la surface terrestre, est un critère inopérant dans la qualification d'un document administratif.

Les bases de données détenues par l'IGN peuvent également être considérées comme des documents administratifs.

Les photographies aériennes et spatiales peuvent également être considérées comme des données de référence puisque le RGE, inséré dans la liste des données de référence par un décret du 14 mars 2017, est constitué des composantes orthophotographique, topographique et adresse, parcellaire et altimétrique. Il comporte notamment la BD ORTHO® 5m ; et la BD ORTHO® 50cm pour certains départements. L'article 3 de l'arrêté du 19 avril 2005 définissant les conditions de constitution et de mise à jour du référentiel à grande échelle, précise que la composante orthophotographique du RGE est « une image numérique multispectrale comportant au moins trois bandes spectrales, au pas de 50 cm, réalisée à partir du redressement au sol d'images aériennes ou spatiales. Elle est actualisée au moins tous les 5 ans. »

Aussi, ces données, considérées comme des données de référence, doivent être mises à la disposition du public. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL)considère que l'on est passé « d'une logique de demande d'accès par des personnes privées à une logique d'offre par les administrations »96(*). Dans l'article 4 de sa délibération de 2012 portant autorisation unique pour les bases de données géographiques de référence utilisées dans les SIG, la CNIL affirme déjà que « le public peut accéder directement par internet à une interface de consultation des informations contenues dans une « base de données géographiques, locale ou nationale, de référence » (« BGR »). »LeGéoportail remplit cette fonction de diffusion des données géographiques de référence depuis 200697(*).

Qu'en est-il alors des données de l'IGN qui ne font pas partie intégrante du RGE ? L'institut doit-il néanmoins les publier en ligne ?

Les personnes de droit public diffusent, de manière obligatoire, les bases de données qu'elles produisent ou qu'elles reçoivent dans le cadre de leur mission de service public (et qui ne font pas déjà l'objet d'une diffusion publique) ainsi que les données disponibles sous forme électronique dont la publication présente un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental, dès lors que ces bases de données et ces données sont mises à jour de façon régulière (article L 312-1-1 du CRPA).

L'IGN publie en ligne les photographies aériennes qu'il collecte et certaines photographies spatiales qui n'ont pas fait l'objet d'un traitement. La diffusion de ces images répond, en effet,à l'intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental.

L'IGN produit également des prises de vue aérienne ou spatiale d'une qualité supérieure à celles diffusées au sein du RGE. C'est le cas de la BD ORTHO HR® (de l'ordre des 20 cm sur certaines zones). Ces données sont, pour la plupart, organisées en bases de données. Il semblerait alors qu'elles doivent être publiées.

La question se pose toutefois de savoir si ces ortho-images sont créées dans le cadre des missions de service public de l'IGN et si elles peuvent alors être considérées comme des documents administratifs. Cette question centrale permet, en effet, la qualification du document administratif. Aussi, deux interprétations peuvent être retenues.

Un tel traitement des prises de vues pourrait répondre à l'article 2 du décret statutaire de l'IGN de 2011 qui prévoit notamment la réalisation et le renouvellement périodique de la couverture en imagerie aérienne et satellitaire de l'ensemble du territoire national.Les données issues de l'ortho-imagerie doivent donc être publiées sur Internet dès lors qu'elles sont mises à jour régulièrement98(*). Toutefois, si de telles imagesne sont pas considérées comme répondant aux missions de service public de l'IGN99(*), alors elles n'ont pas à faire l'objet d'une communication auprès du public.

L'IGN a fait le choix de proposer certaines des données de la base de données ORTHO HR® de plusieurs départements en téléchargement gratuit et sous licence ouverte version 2.0.

La loi Lemaire a, ainsi, instauré un principe d'ouverture par défaut des données publiques et d'intérêt général et a encouragé la diffusion des données de toute sorte. Des restrictions ont néanmoins été posées concernant l'accès à certaines données (qu'elles soient ou non des données de référence).

Notamment, l'article L311-4 du Code des relations entre le public et l'administration dispose que « les documents administratifs sont communiqués ou publiés sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique ». Si l'originalité de la prise de vue aérienne ou satellite peut être débattue en raison des contraintes techniques qui y sont liées ainsi que de leur caractère automatique, l'orthophotographie peut, elle, être considérée comme une oeuvre bénéficiant de la protection par le droit d'auteur. Des choix esthétiques sont effectués et les auteurs impriment une part de leur personnalité.Le droit d'auteur des fonctionnaires trouve alors à s'appliquer. Ainsi, en vertu de l'article L131-3-1 du Code de la propriété intellectuelle, « dans la mesure strictement nécessaire à l'accomplissement d'une mission de service public, le droit d'exploitation d'une oeuvre créée par un agent de l'État dans l'exercice de ses fonctions ou d'après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à l'État ». L'article L131-3-2 du même Code précise que ces dispositions s'appliquent aux établissements publics à caractère administratif « à propos des oeuvres créées par leurs agents dans l'exercice de leurs fonctions ou d'après les instructions reçues ».

Aussi, les agents de l'IGN en charge de corriger les déformations des prises de vue aérienne ou spatiale se voient retirer ab initioleurs droits patrimoniaux sur l'ortho-image originale. Leurs droits moraux sont également réduits puisqu'ils ne peuvent, selon les termes de l'article L 121-1-7 « s'opposer à la modification de l'oeuvre décidée dans l'intérêt du service par l'autorité investie du pouvoir hiérarchique, lorsque cette modification ne porte pas atteinte à son honneur ou à sa réputation » ou « exercer le droit de repentir et de retrait, sauf accord de l'autorité investie du pouvoir hiérarchique ». Ainsi, la diffusion intègre, par l'IGN, des ortho-images sur Internet ne porte pas atteinte aux droits moraux des auteurs-agents. Le droit des bases de données ne saurait non plus être opposé à la réutilisation du contenu des bases de données publiées par les administrations (article L321-2 du CRPA).

En outre, les documents administratifs dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée ne sont communicables qu'à la personne concernée (article L311-6 du CRPA). Néanmoins, la protection des données à caractère personnel transcende celle de la vie privée. Aussi, il est à regretter que la loi Lemaire n'ait pas fait explicitement mention du respect de la loi Informatique et Libertés de 1978 pour la communication des documents administratifs. Toutefois, les prises de vue aérienne et spatiale ne relèvent pas, en règle générale, du régime de communication des documents administratifs mais plutôt du régime de diffusion.

Ainsi, les bases de données faisant l'objet d'une publication en ligne obligatoire en vertu de l'article L312-1-1 du Code des relations entre le public et l'administration, comme c'est le cas des prises de vue ou de la BD ORTHO HR®, lorsqu'elles comportent des données à caractère personnel, ne peuvent être rendues publiques que dans trois cas : après avoir fait l'objet d'un traitement permettant de rendre impossible l'identification des personnes concernées ; si la législation le prévoit ; ou si la personne concernée donne son consentement (article L312-1-2 du Code des relations entre le public et l'administration). Cet encadrement sera étudié dans la seconde partie de ce chapitre.

Concernant la mise à disposition des données de référence, notamment pour les BD ORTHO® du RGE, elle doit se faire « dans le respect du titre II du livre III du Code des relations entre le public et l'administration et des conditions de fiabilité, de disponibilité et de sécurité fixées par un arrêté du Premier ministre » (article R321-7 du CRPA). L'arrêté n'est pas encore paru100(*). Il est à espérer que la protection des données à caractère personnel y soit considérée.

2. La réutilisation des informations publiques de l'IGN

La loi Lemaireconsacre, outre la diffusion des documents administratifs, la réutilisation des informations publiques. Ces données, une fois publiées, doivent, en effet, pouvoir être exploitées et réutilisées facilement par tous, particulier comme entreprise.

Il est précisé, dans le Code des relations entre le public et l'administration, que l'accès est réservé aux documents administratifs tandis que la réutilisation a trait aux informations publiques. Aussi, y-a-t-il une différence entre les « informations publiques » et les « documents administratifs » ? Les informations publiques sont celles qui figurent dans des documents produits ou reçus par les administrations, donc dans les documents administratifs. Deux catégories d'informations sont néanmoins exclues par l'article L321-2 du Codes des relations entre le public et l'information : les informations sur lesquelles un tiers détient des droits de propriété intellectuelle et les informations qui ne sont accessibles qu'à certaines personnes en raison de leur qualité ou de leur intérêt.

Ainsi, les informations publiques contenues dans des documents sur lesquels des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle sont exclues du droit à réutilisation. Qu'entend-on alors par la détention d'un droit de propriété intellectuelle par un tiers ? Lorsque des images aériennes numériques ont été obtenues dans le cadre d'un marché public, la Commission d'accès aux documents administratifs, la CADA, a estimé que la qualification d'informations publiques devait être écartée101(*). Qu'en est-t-il alors de l'auteur-agent ? Peut-il être considéré comme un tiers ? Non, il a cédé tous ses droits patrimoniaux à l'IGN. Il pourra néanmoins, sur le fondement de ses droits moraux, s'opposerà la réutilisation de l'ortho-image qu'il a créé si cette réutilisation porte atteinte à son honneur.

La CADA102(*)considère également que les documents administratifs qui font l'objet d'une diffusion publique (c'est le cas des BD ORTHO® du RGE) ne sont pas soumis aux règles de communication, mais à celles de réutilisation dès lors que ce sont des données géographiques de référence.

Comme pour le droit de communication, il existe également des restrictions à la réutilisation des informations.L'article R322-3 du Code des relations entre le public et l'administration prévoit que « la réutilisation d'informations publiques comportant des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ».

Section 2 -La conciliation entre l'ouverture de l'accès aux documents administratifs et la protection des données personnelles

L'ortho-image produite par l'IGN ainsi que ses prises de vue aérienne et spatiale peuvent être considérées comme des documents administratifs dès lors qu'elles relèvent de sa mission de service public. De tels documents permettent de décrire la surface du territoire : routes, forêts, bâtiments publics mais également habitations privées. Dès lors que cette image de l'habitation privée permet d'identifier un individu (le locataire ou le propriétaire bien souvent), elle est qualifiée de donnée à caractère personnel. Aussi, une ortho-image ou une prise de vue peut avoir une nature ambivalente : un document administratif comportant des données personnelles. Comment concilier alors l'ouverture des documents administratifs et la protection des données à caractère personnel contenues au sein de ces documents ? Comment créer un équilibre entre la transparence et le respect de la vie privée ?103(*)

Il convient d'opérer une balance entre l'intérêt que présente la divulgation des ortho-images pour le public et l'intérêt de limiter cet accès pour l'individu dont le domicile peut être clairement identifié. La Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, considère que les objectifs d'ouverture des données publiques et de protection des données personnelles sont « pleinement conciliables »104(*) dès lors qu'un équilibre entre le droit de toute personne à l'information (article L300-1 du CRPA) et le droit à la protection des données personnelles est établi. En aucun cas, il ne saurait y avoir de dérogation au respect de la loi Informatique et Libertés. Pour autant, l'interdiction de diffusion n'est avancéeque de manière exceptionnelle.

La directive INSPIRE prévoit que les Etats membres peuvent restreindre l'accès du public aux données géographiques concernées105(*) lorsque cet accès serait susceptible, notamment, de nuire à « la confidentialité des données à caractère personnel et/ou des fichiers concernant une personne physique lorsque cette personne n'a pas consenti à la divulgation de ces informations au public, lorsque la confidentialité de ce type d'information est prévue par la législation nationale ou communautaire » (article 13 1.f) de la directive INSPIRE). Deux conditions alternatives sont donc prévues pour la diffusion des ortho-images du RGE : le consentement de la personne concernée ou l'absence de dispositions législatives consacrant la confidentialité de ces ortho-images.Or, la législation française prévoit la protection des données à caractère personnel.

La loi Informatique et Libertés et la loi CADA ont toutes deux été promulguées en 1978. Cette coïncidence, qui n'en est certainement pas une, rappelle le lien indéfectible entre documents administratifs et données personnelles. Ils « font partie du même écosystème : celui de la donnée, qu'elle soit personnelle ou non »106(*).

Le cadre juridique établi parla loi Informatique et Libertés a été modifié pour être conforme au RGPD tandis que celui de la loi CADA aété renouvelé au sein de la loi pour une République numérique. Désormais, trois étapes sont distinguées : la communication des documents administratifs ; leur publication ; et la réutilisation des informations publiques.

L'encadrement prévu par la loi Lemaire pour préserver les données à caractère personnel apparait logique. L'accès individuel (et non la publication étendue) à des documents contenant des données personnelles n'est pas restreint sauf si cette communication porte atteinte à la protection de la vie privée. La loi est, en revanche, plus stricte concernant la publication en ligne de ces informations et a donc posé trois conditions alternatives à cette diffusion massive : le consentement ; l'anonymisation ; ou bien un fondement légal. Enfin, concernant la réutilisation de ces données à caractère personnel, elle est également encadrée puisqu'elle est conditionnée au respect de la loi Informatique et Libertés.

La CNIL considère alors que « le triple filtre prévu (interdiction de publication de documents portant atteinte à la vie privée ; publication sous condition de documents comportant des données personnelles ; réutilisation de telles données dans le respect de la loi Informatique et Libertés) permet de garantir la protection des données des personnes concernées par les informations publiques »107(*).

Les images du territoire (orthophotographie ou prise de vue)considérées comme des documents administratifspeuvent également contenir des données à caractère personnel lorsque la photographie de certains bâtiments permet d'identifier les individus qui s'y rattachent. Dans cette hypothèse, comment la communication et la publication des images du territoire est-elle appréhendée (I) ? Comment réutiliser de telles images (II) ?

I - La diffusion des prises de vues, entre restriction et ouverture

La loi pour une République numérique a harmonisé les régimes de communication et de publication des documents administratifs. Le principe est donc l'ouverture par défaut. Toutefois, cette ouverture est conditionnée lorsque les prises de vue contiennent des données à caractère personnel. Elle peut être restreinte (A) ou nécessiter une autorisation spécifique (B).

* 83La directive INSPIRE n'impose pas aux autorités publiques de collecter de nouvelles données mais de mettre à disposition les données qu'elles détiennent (considérant 13 de la directive INSPIRE).

* 84Présentation de la directive INSPIRE, site du CNIG

* 85MERRIEN François, LEOBERT Marc, FRANCES M., « La directive INSPIRE pour les néophytes », version 4.5, Mission de l'information géographique du Ministère de l'Environnement, 12 octobre 2016

* 86 Les auteurs considèrent ainsi que la donnée géographique transcende la donnée environnementale.

* 87 État, collectivités, personnes de droit public ou personnes de droit privé en charge d'une mission de service public

* 88En matière de défense, de sécurité, de fiscalité, de protection de l'environnement ou de transports, l'État a notamment recours aux données géographiques de référence.

* 89Le rapport de Mme Valéria FAURE-MUNTIAN devait être remis fin avril 2018. Il est toujours pendant au début du mois de juin.

* 90 « Valéria Faure-Muntian, députée de la Loire, est nommée parlementaire en mission temporaire auprès de Nicolas Hulot », Communiqué de presse du Ministère de la transition écologique et solidaire, 6 février 2018

* 91 Lettre de mission n°173/18 SG du Premier ministre à Mme la députée Valéria Faure-Muntian, 5 février 2018

* 92 « L'information géographique et l'Open Data », Afigéo, Groupe de travail Open Data, janvier 2017

* 93 « Open data : la protection des données comme vecteur de confiance », site de la CNIL, 29 août 2017

* 94Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal

* 95 Avis 20071023, CADA, séance du 3 mai 2007

* 96« Open data : la protection des données comme vecteur de confiance », site de la CNIL, 29 août 2017

* 97 L'article L311-2 du Code des relations entre le public et l'administration (CRPA) précise que « le droit à communication ne s'exerce plus lorsque les documents font l'objet d'une diffusion publique ». Aussi, il n'est pas possible de demander à se voir communiquer les données du Géoportail puisqu'elles sont déjà publiées sur Internet.

* 98 Si cette condition n'est pas remplie, la donnée collectée dans le cadre de la mission de service public peut toujours être communiquée à tout administré qui en fait la demande, sur la base de l'article L311-1 du CRPA. Il serait alors nécessaire d'établir une demande précise portant sur un document et non sur un renseignement.

* 99 La BD ORTHO HR® n'est pas intégrée dans le RGE. Certains pourraient alors considérer qu'elle ne répond pas à la mission de service public de l'IGN.

* 100 Ce mémoire a été rendu le 10 juin 2018.

* 101Conseil 20063777, CADA, séance du 14 septembre 2006

* 102 « Le droit de propriété intellectuelle », La réutilisation des informatiques publiques, Les cas particuliers, site de la CADA

* 103 AUBY Jean-Bernard, « Fascicule 109-30 : Données publiques - Définitions. Principes. Orientation », JurisClasseur Administratif, LexisNexis, 10 avril 2018, n°7

* 104 « Open data : la protection des données comme vecteur de confiance », site de la Commission nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL), 29 août 2017

* 105Cf. « A/ La description du territoire : une mission d'intérêt public », pp.43-44 de cette étude

* 106« Première réunion du collège unique CADA-CNIL : une approche conjointe de la donnée publique », site de la CNIL, 24 octobre 2017

* 107 « Open data : la protection des données comme vecteur de confiance », 29 août 2017, CNIL

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