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Pénalisation et dépénalisation (1970 - 2005)

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par Gatien-Hugo RIPOSSEAU
Université de Poitiers - Master II Droit pénal et sciences criminelles 2004
  

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B - La décriminalisation de l'émission de chèques sans provision.

Le chèque a été introduit en France au cours du Second Empire et a très vite donné lieu à des débordements sources de préjudices financiers pour un nombre de victimes sans cesse en augmentation. La constatation du caractère préjudiciable des pratiques de certains débiteurs négligents, va conduire à une pénalisation toujours plus forte et envahissante en matière de chèque. En matière de chèques sans provision, une loi du 14 juin 1865 criminalise l'émission d'un chèque sans date et l'émission d'un chèque sans provision pour pallier l'impossibilité de réprimer ses pratiques frauduleuses au titre de l'escroquerie (art. 405 ACP) : à compter de cette loi, ces deux comportements constituent des délits. Par la suite, le décret-loi du 30 octobre 1935 reprendra toutes les incriminations élaborées en matière de chèque et créera le délit d'acceptation de mauvaise foi d'un chèque sans provision.

Paradoxalement, c'est la prise de conscience du nombre de pratiques irrégulières en matière de chèques qui va motiver la pénalisation comme la dépénalisation initiée par la suite via de différentes réformes successives. En effet, devant la multiplication des chèques sans provision, s'ouvre « la phase de reflux du droit pénal »210(*). Les chiffres des émissions sans provision ont considérablement augmentés et, corrélativement, celui des condamnations pénales pour défaut de provision : 5 600 en 1950, 10 420 en 1960, 19 187 en 1965 et 22 567 en 1966. On peut dire que l'explosion de ce contentieux date des années 60. Certes, le nombre de condamnations a fortement augmenté, mais ce nombre reste bien inférieur à la prolifération des chèques sans provision, et ce, à cause de l'encombrement sans précédent des parquets et des tribunaux correctionnels, véritablement submergés sous l'importance de ce contentieux de masse. Cet encombrement a été à l'origine d'une première phase de reflux du droit pénal, celle de la dépénalisation de fait de l'émission de chèques sans provision puisque seulement 8% des infractions étaient réprimées. Cette « impunité quasi-totale » et « cette disparité inadmissible de la répression » furent jugées « incompatibles avec la dignité de la justice »211(*). Une réforme substantielle du droit existant s'est alors avérée indispensable.

Une première réforme fut mise au point par la loi du 3 janvier 1972 dont l'application partielle212(*) sur le plan pénal, se solda par un échec. Cette loi a tout d'abord contraventionnalisé l'émission des chèques sans provision d'une valeur inférieur à 1000F (contravention de 5e classe213(*)), tout en gardant la qualification délictuelle pour les chèques d'une valeur égale ou supérieure à 1000F214(*). On espérait ainsi diminuer l'embouteillage des juridictions pénales, la régularisation instituée à cette occasion devant entraîner la disparition d'une infraction sur trois ; mais il est apparu que l'application totale de la loi eût conduit à multiplier par sept le nombre des poursuites pénales, et que les tribunaux pourraient y faire face encore moins facilement que par le passé.

Face à cet échec, la loi du 3 janvier 1975 a eu pour objectif d'amender substantiellement le droit tel qu'il résultait de la loi du 3 janvier 1972 et a opéré une dépénalisation encore un peu plus poussée de l'émission de chèques sans provisions. Elle n'a pas décriminalisé l'émission de chèques sans provisions, puisqu'elle a pris le parti de garder la délit qui y est attaché ; néanmoins, celui-ci est compris comme devant être rare, étant donné qu' « il sera seulement celui de l'escroc confirmé »215(*). La loi de 1975 non seulement, ne fait plus état de l'exigence de « mauvaise foi », abandonnée par la loi de 1972, mais elle abandonne également l'emploi de l'adverbe ambigu « frauduleusement », qui avait eu la préférence du législateur de 1972. Le délit d'émission sans provision qui subsiste, est celui du tireur qui émet un chèque sans provision dans l'intention de porter atteinte aux droits d'autrui, L'intention devant être clairement caractérisée, le délit d'émission de chèque sans provision a ainsi vu son champ d'application considérablement réduit par cette loi de 1975. Cette initiative législative de 1975 n'a cependant pas enrayé l'augmentation du nombre de chèques sans provision : ainsi, en 1986, on déplorait presque neuf millions de chèques sans provision, ce chiffre dépassant même les douze millions en 1990216(*).

Ce processus de dépénalisation entamé depuis de nombreuses années déjà, aura pour terme la loi n° 91-1382 du 30 décembre 1991 relative à la sécurité des chèques et des cartes de paiement ( elle même quelque peu modifiée par une loi du 16 juillet 1992). La loi de 1991 décriminalise l'infraction d'émission de chèque sans provision, mais conformément au droit commun, certaines hypothèses d'émission sans provision demeurent punissables au titre de l'escroquerie217(*). En tout état de cause, l'émission de chèque sans provision ne constitue plus une infraction spécifique. La France rejoint ainsi les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne où l'émission sans provision n'est pas d'avantage un délit spécifique.

Désormais, le juge pénal n'est plus compétent en matière d'émission de chèques sans provision, hors les cas de récidive après l'interdiction bancaire qui résulte d'une première émission sans provision : cette première émission entraînant une interdiction bancaire d'autres émissions, la violation de cette interdiction reste délictueuse.

En définitive, la rationalisation du droit pénal au profit de sanctions de nature économiques218(*) mieux adaptées à la nature de ce contentieux et donc plus efficaces a permis de considérablement soulager l'activité des tribunaux correctionnels. La décriminalisation de l'émission des chèques sans provision entrée en vigueur en 1992 a en effet réduit de 10 % le volume des affaires poursuivies devant les tribunaux correctionnels en 1992 et 1993, après une période de stabilité de ce volume jusqu'en 1991219(*).

* 210 PRADEL J. et DANTI-JUAN M., Droit pénal spécial, Cujas, 2e Ed., 2001, n° 1004, p. 652.

* 211 DERRIDA F, Le nouveau régime des chèques sans provision, Dalloz 1976, chr. p. 205.

* 212 Les principales innovations résultant de ce texte ne sont jamais entrées en vigueur, notamment l'exigence d'une intention frauduleuse lors de l'émission.

* 213 La peine encourue au titre de la contravention d'émission de chèque sans provision était de 10 jours à 2 mois de prison et de 1000 à 2000F d'amende.

* 214 La peine encourue au titre du délit d'émission de chèque sans provision n'a pas été modifiéE par cette loi de 1972 : de 1 à 5 ans d'emprisonnement et de 3 600 à 36 000F d'amende.

* 215 VASSEUR M., Le chèque sans provision en France (18965-1992), JCP 1992, I, 3562, p. 111.

* 216 Pour un aperçu plus complet des chiffres concernant l'émission de chèques sans provision entre 1986 et 1990, v. CHAPUT Y., La loi du 30 décembre 1991 relative à la sécurité des chèques et des cartes de paiement, D. 1992, chr., p. 101.

* 217 L'émission sana provision d'un ou de plusieurs chèques, si elle a été accompagnée de manoeuvres frauduleuses en vue de persuader une personne de l'accepter ou de les accepter (mais encore faut-il qu'elle l'ait été), rendra son auteur passible des peines de l'escroquerie. L'exposé des motifs de la loi l'a expressément rappelé.

* 218 Pour un aperçu du nouveau dispositif institué par la loi du 30 décembre 1991, v. PRADEL J. et DANTI-JUAN M., Droit pénal spécial, Cujas, 2e Ed., 2001, n° 1004, p. 652.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus