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La sécurité juridique en droit administratif sénégalais

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par Abdou Ka
Université Gaston berger de saint Louis - DEA droit public 2015
  

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Paragraphe 2 : L'apport du juge interne

Le juge interne participe largement de ce processus de reconnaissance formelle du principe de sécurité juridique. Même s'il est certain que le besoin de sécurité juridique n'est jamais absent des préoccupations du juge, il reste qu'il est aujourd'hui largement ouvert à sa consécration dans l'ordre positif. Tant pour le juge administratif que pour le juge constitutionnel, la sécurité juridique est devenue un enjeu crucial qu'il est désormais impossible de négliger.

Du côté du juge administratif, le souci de sécurité juridique est de plus en plus perceptible. En effet, longtemps réticent à l'idée d'un principe de sécurité juridique invocable par les administrés, le juge administratif se montre à l'heure actuelle très ouvert à une telle idée. Déjà, en 1929, avec l'arrêt Compagnie des mines de Siguiri46(*), le Conseil d'Etat français reconnût la responsabilité de l'administration pour changement brusque et non justifié de son comportement. En l'espèce, il s'agissait du retrait soudain d'une autorisation que le juge administratif analyse comme réalisée dans des « conditions abusives ». Même s'il ne l'énonce pas expressément, il apparaît que, dans le cas d'espèce, le juge administratifa reconnu la responsabilité de l'autorité administrative sur la base du principe de confiance légitime. L'administration en changeant brusquement et sans justification valable la règlementation a trompé la confiance que l'administré avait pu avoir quant à la stabilité de sa situation juridique.

Globalement, la prise en compte de l'impératif de sécurité juridique s'inscrit dans un cadre plus large de renouvellement de l'office du juge administratif.Ce renouvellement de l'office du juge coïncide avec une perception nouvelle de l'administré en tant que partie au procès administratif,mais aussi avec un réaménagement du principe de légalité.

Dans le procès administratif, l'administré, autrefois marginalisé, acquiert un nouveau statut.En effet, il est de plus en plus perçu comme une partie à part entière du procès administratif. A côté de la fiction juridique qui consiste à dire que le procès administratif est essentiellement un procès fait à un acte, il s'est développé une autre vision selon laquelle l'administré aurait un droit de créance à la légalité. Dans cette logique, le droit à un procès équitable énoncé par l'article 06 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme est venu subrepticement s'intégrer aux règlesgénérales du contentieux administratif. Cette exigence de procès équitable implique nécessairement une reconsidérationde la condition du requérant dans le contentieux administratif. Le juge administratif se montre de plus en plus préoccupé par le sort du requérant. C'est ce qui fait dire à J. B. WOERHLING que « lerenouvellement de l'office du juge administratif est guidé par sa volonté de s'intéresser aux conséquences de ses décisions sur les droits subjectifs des administrés »47(*). Ainsi, il a fini par accepter de moduler dans le temps les effets de ses décisions remettant, par-là, en cause sa jurisprudence antérieure48(*). L'idée,notamment tant défendue par J. RIVERO, selon laquelle « le juge est condamné à larétroactivité »49(*) est aujourd'hui profondément remise en cause.En effet, dans l'arrêtAssociation AC !50(*), le juge administratif procède à une modulation dans le temps d'une annulation contentieuse. En l'espèce, les requérants contestaient la légalité d'arrêtés portant agrément d'une nouvelle convention d'assurance chômage. Le juge considère que l'annulation rétroactive des actes attaqués pourrait porter aux intérêts en cause un préjudiceexcessif. Dès lors, il importait de moduler les effets de la décision d'annulation. De même, dans toujours le souci de préserver la sécurité juridique des administrés, le juge administratif va procéder à la limitation des effets d'un revirement jurisprudentieldans l'arrêtSociété Travaux Tropic et Signalisation51(*). Pour le juge, « eu égard à l'impératif de sécuritéjuridique tenant à ce qu'il ne soit pas porté une atteinte excessive aux relations contractuelles en cours et sous réserve des actions en justice ayant le même objet et déjà engagées avant la date de lecture de la présentedécision, le recours ci-dessus défini ne pourra être exercé qu'à l'encontre des contrats dont la procédure de passation a été engagée postérieurement à cette date ».Dans le cas d'espèce, il s'agissait du recours ouvert pour les concurrents évincés contre un contrat administratif. Inversement, dans l'arrêt Société Techna52(*), le juge administratif diffère dans le temps les effets d'une confirmation de la légalité d'une décision administrative préalablement suspendue afin de préserver la sécurité juridique des acteurs du procès administratif.

Suivant le même raisonnement que le Conseil d'Etat, le juge constitutionnel français admet la possibilité de moduler dans le temps les effets d'une abrogation législative suivant la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité dans la décision Codes des postes ettélécommunications électriques53(*). Dans cette affaire, après avoir constaté, dans le cadre de la nouvelle procédure permettant de contester la constitutionnalité d'une loi déjà promulguée, que l'article L. 45 du Code des postes et des télécommunications électriques était inconstitutionnel, la haute juridiction a estimé qu'une abrogation immédiate de cet article, qui datait de 2004, aurait pour la sécurité juridique des conséquences manifestement excessives. Il décida ainsi de reporter la date d'effet de cette abrogation au 1er juillet 2011. En effet, il considère « qu'eu égard au nombre de noms de domaine qui ont été attribués en application des dispositions de l'article L45 du code des postes et des télécommunicationsélectroniques, l'abrogation immédiate de cet article aurait, pour la sécurité juridique, des conséquences manifestement excessives ».

Au-delà de ce cas d'espèce, l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle sur certains points semble largement liée au souci de préserver la sécurité juridique des justiciables. Dans la décision, Association Vivraviry54(*), le juge constitutionnel français entend limiter les recours en matière d'urbanisme afin de garantir la sécurité juridique des propriétaires. En l'espèce, il décide « qu'en adoptant l'article L. 600-1-I du Code de l'urbanisme, le législateur a souhaité empêcher les associations, qui se créent aux seules fins de s'opposer aux décisions individuelles relatives à l'occupation ou à l'utilisation des sols, de contester celles-ci ; qu'ainsi, il a entendu limiter le risque d'insécurité juridique... ».

En tout état de cause, il est possible de dire que le renouvellement du procès administratif reste essentiellement guidé par la volonté de garantir la sécurité juridique des justiciables. Egalement, les grandes avancées en matière de contrôle de constitutionnalité sont largement liées au souci d'assurer la sécurité juridique des citoyens.

D'un autre côté, le principe de légalité perd de sa sacralité pour se plier aux exigences d'un contentieux administratif rénové. Le juge administratif accepte maintenant de descendre de sa haute tour de gardien de la légalité pour devenir un juge proche de la réalité. Autrefois moulé dans de pures abstractions, l'office du juge administratif est désormais orienté vers l'appréciation des intérêts juridiques en confrontation dans le cadre d'un litige. Il s'intéresse de plus en plus à la situation concrète des parties au procès administratif.Ainsi, même s'il subsiste une distinction des recours selon qu'il s'agisse d'une question de légalité ou de droits subjectifs, la frontière entre les contentieux apparaît aujourd'hui poreuse en ce sens « qu'il n'ya plus de différence de nature entre des situations où le particulier invoque un droit subjectif et celle où il se prévaut d'un droit objectif »55(*).

L'office du juge administratif acquiert une dimension nouvelle. Il dispose désormais d'une palette de techniques de nature à lui permettre d'opérer un arbitrage dynamique entre les intérêts privés, d'un côté, et l'intérêt général, d'un autre. Au départ soucieux de garantir une légalité mécanique des décisions administratives, désormais le juge promeut une certaine souplesse dans le contentieux administratif.

Sous ce rapport, le juge administratif, dans son office, éviteparfois de trop entraver l'action administrative. C'est ainsi que, dans l'arrêt Rozé56(*), il procède d'office à une substitution de base légale. En effet, la substitution de base légaleconsiste pour le juge administratif, confronté à une décision que l'administration pouvait légalement prendre, mais qu'elle a pris sur un fondement autre que celui sur la base de laquelle elle devait être normalement prise, à redonner à celui-ci un fondement correct57(*).Toutefois, la substitution de motifs n'est admise qu'exceptionnellement notamment dans les cas où l'administration dispose d'une compétence liée58(*). Aussi, le juge administratif n'annule une décision administrative pour vice de forme ou de procédure qu'en cas de vice substantiel59(*). Ces techniques de régularisation des décisions administratives se justifient par le souci de préserver l'intérêt général en ce sens qu'une annulation pure et parfaite serait de nature à paralyser l'action administrative. Certes, ces techniques ne sont pas encore éprouvées à proprement parler par le juge sénégalais,mais il reste qu'il évite dans certaines circonstances les annulations contentieuses purement doctrinales afin de préserver l'intérêt public.

Par ailleurs, dans son office, le juge administratif cherche aussi à garantir de manière optimale les droits des administrés. En effet, dans le souci de préserver les intérêts privés en cause dans un litige, il arrive que le juge administratif écarte l'application mécanique du principe de légalité.Il en est ainsi dans le cas où une décision individuelle illégale a créé des droits au profit des administrés. Dans ce cas, après l'expiration d'un certain délai, cette décision ne peut plus être retirée ou même abrogée suivant la jurisprudence Ternon-Coulibaly60(*). De plus, au sens de l'arrêt Commune de Béziers61(*), lorsque le juge est saisi d'une demande visant à faire reconnaitre la nullité d'une convention, il doit vérifier que les irrégularités soulevées par les parties, dans le but de faire constater la nullité du contrat peuvent l'être eu égard à « l'exigence de loyauté des relationscontractuelles ». L'atteinte à la loyauté contractuelle tiendrait au fait de vouloir se libérer d'une convention afin d'éluder sa responsabilité contractuelle en se plaçant sur le terrain de la légalité administrative62(*).

Le juge interne accueille progressivement l'idée de sécurité juridique dans son office. De nombreuses évolutions jurisprudentielles témoignent de cette volonté d'ériger la sécurité juridique en principe positif. Le juge se montre de plus en plus ouvert à la reconnaissance d'un principe de sécurité juridique en droit sénégalais.

Certainement,le droit sénégalais intègre désormais la perspective d'un principe de sécurité juridique. Aussi bien l'évolution du droit communautaire que les mutations récentes de l'office du juge présagent une reconnaissance imminente d'un principe de sécurité juridique en droit positif sénégalais. Toutefois, en l'état actuel du droit, le principe de sécurité juridique demeure encore absent du droit positif sénégalais. La sécurité juridique reste simplement vue comme une valeur du système juridique.

* 46 CE, 22 novembre 1929, Compagnie des mines de Siguiri, S., 1930., 3., p.17 note de R. BONNARD

* 47 J. B. WOERHLING, « Trancher le noeud gordien de la distinction des contentieux », AJDA 2007, p.1777

* 48 CE 26 Décembre 1925, Rodière, Rec. n°88369

* 49 J. RIVERO, « sur la rétroactivité de la règle jurisprudentielle », AJDA 1968, p.16

* 50 CE,Ass., 11 Mai 2004, Association AC ! et autres, RFDA 2004, p.454

* 51 CE,Ass., 16 Juillet 2007, Société Travaux Tropic et Signalisation, Rec. n°291545

* 52 CE, Octobre 2006 Techna, Rec. n°260767

* 53 CC, n°2010-45, QPC, 06 Octobre 2010, Code des postes et des télécommunications électriques, JORF du 07 Octobre 2010, p.18156

* 54 CC, n°2011-138, QPC, 17 Juin 2011, Association Vivraviry, Cons. 6 et 8, JORF du 18 Juin 2011, p.10460

* 55 J. B. WOERHLING, « Vers la fin du REP ? » in L'Etat de droit, Mélanges G. BRAIBANT, Dalloz 1996, p.777

* 56 CE,Sect 08 Mars 1957 Rozé, AJDA 1957, 2, p.181 Chron., J. FOURNIER et G. BRAIBANT

* 57 F. DONNAT, « La substitution de base légale et l'office du juge de l'excès de pouvoir », AJDA 2004, p.202

* 58 CE, Sect., 08 Juin 1934, Augier, D.1943, 3, p.31, Conclusions JOSSE

* 59 CE, 23 décembre 2011, Danthony, Rec. n°335033

* 60 CE,Ass., 26 octobre 2001, Ternon, Rec. n°197018 ; CE, 06 Mars 2009, CoulibalyAJDA 2009, p.817

* 61 CE,Ass., 28 Décembre 2009, Commune de Béziers, Rec. n°304802

* 62 A. BESUSCHI-ORTIZ, « La notion de loyauté en droit administratif », AJDA 2011, p.944

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore