WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La sécurité juridique en droit administratif sénégalais

( Télécharger le fichier original )
par Abdou Ka
Université Gaston berger de saint Louis - DEA droit public 2015
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Chapitre 2 : La sécurité juridique, une valeur du système juridique

Certes, le droit a plutôt tendance à rejeter l'idée de valeur et n'y recourir que dans des cas limites, mais en ce qu'elle peut être définie comme un « ersatz de droit naturel »63(*), la notion de valeur permet de réconcilier le droit avec sa finalité première qui est de rendre possible la vie en société. Dans ce sens, la sécurité juridique constitue aujourd'hui une valeur essentielle du système juridique sénégalais (Sect. 1). Ainsi, elle est en passe de devenir le leitmotiv de l'action publique (Sect. 2).

Section 1 : L'affirmation de la valeur de sécurité juridique

La valeur de sécurité juridique s'est affirmée en réaction contre la crise que traverse le droit. En cela elle constitue un principe-remèdeface aux dérives du droit (Par. 1). Aussi, en ce qu'elle est au service d'une double finalité (Par. 2), c'est-à-dire la garantie des intérêts individuels et la préservation de l'intérêt général, la valeur de sécurité juridique devient un principe éminentde régulation du système juridique.

Paragraphe 1 : La sécurité juridique comme remède à la crise du droit

A l'époque moderne, le droit traverse une crise sans précèdent. Longtemps, à l'abri des critiques, car garant de l'ordre et de la justice, le phénomène juridique est, aujourd'hui, confronté à des défis immenses. Il est désormais question de soumettre le droit au crible de la rationalitécritique. Un véritable diagnostic du droit moderne est au goût du jour. Ce diagnostic du droit a révélé un système juridique en proie à une véritable crise. Inflationniste, instable et dégénérescente, la norme juridique devient pathologique.

D'abord, la sobriété juridique tant chantée par MONTESQUIEU64(*) a fait place à une inflation normative devenue inquiétante. En effet, du fait des nombreuses évolutions techniques et scientifiques de nouveaux défis juridiques ont vu le jour.

L'évolution technique et scientifique impliquait nécessairement la prise en considération de nouveaux domaines. Pour combler les vides juridiques, le pouvoir normatif s'est déployé jusque dans les sphères sociales les plus insoupçonnées. Rompant ainsi avec la fameuse idée de PORTALIS qui considère qu'en matière juridique, « il faut être sobre de nouveautés »65(*), le jurislateur fait même un usage théâtral de la norme.Désormais, ce qui importe c'est l'idée de la norme, qu'elle soit utile ou non. Ce maniement publicitaire de la norme conduit à la prolifération désordonnée des textes, ce qui entraine inévitablement une surcharge d'information juridique pour les destinataires des règles juridiques. Ainsi, ils sont quotidiennement confrontés à l'épineuse question du droit applicable.

Déjà, en 1991, dans son rapport consacré à la sécurité juridique,le Conseil d'Etat français dénonçait cette inflation normative grandissante66(*). Pour la haute juridiction administrative française, la prolifération incontrôlée des textes normatifs n'était pas favorable à une bonne résorption du droit par la société.L'exercice débridé du pouvoir normatif pouvait même mener à une dé-légitimation du phénomène juridique. En effet, la théâtralisation de la norme pouvait conduire à une banalisation du processus juridique, ce qui correspondrait à une remise en cause de sa sacralité. Il va sans dire que le droit tire sa force sur la société, en partie, grâce à cette sacralité qu'elle renferme.

Par ailleurs, l'inflation normative induit une complexité croissante des règles juridiques. Encadrant des domaines techniques, le droit en tentant de circonscrire toutes les subtilités que renferment ceux-ci se complexifie au grand dam des administrés.Sombrant jusque dans des détails inutiles, la règle de droit perd de sa lisibilité qui constitue pourtant l'une des conditions de son acceptabilité par le corps social. Cette complexification du droit est vivement dénoncée par le Conseil d'Etat français dans son rapport de 200667(*). Pour les juges du palais royal, cette complexité croissante des normes juridiques menace l'Etat de droit. En effet, l'effectivité du principe de l'Etat de droit suppose une certaine lisibilité de la norme juridique. Un droit complexe conduit inéluctablement à une fracture juridique.Une partie de la population se trouverait marginalisée tandis que d'autres s'accommoderaient de cette complexité normative. Dans la même veine, elle enlèverait tout son sens à la fiction juridique selon laquelle « nul n'est censé ignorer la loi ». Aussi, la complexité juridique constitue un facteur d'accentuation des coûts de prise en compte des normes par les entreprises, ce qui peut constituer un handicap majeur surtout pour les petites et moyennes entreprises68(*).Le coût de la complexité des normes et des procédures a été évalué, pour l'ensemble des pays membres de l'OCDE en 2000, à 3% à 4% du PIB selon les pays.Du point de vue des acteurs politiques, elle conduit à la mise en doute par le citoyen de l'efficacité de la décision politique.

De même, de manière plus spécifique, la complexité normative est largement perceptible dans le domaine de la fiscalité. En effet, dans son rapport sur l'amélioration des relations entre l'administration fiscale et les contribuables, OLIVIER FOUQUET concluait que l'une des difficultés majeures que rencontre le particulier dans ses relations avec le fisc était le caractère complexe de la norme fiscale. Pour lui, « les difficultés qui apparaissent lorsqu'il s'agit del'interpréter constituent une source de risque pour l'ensemble des contribuables dans leur relation avec l'administration fiscale comme dans l'appréhension de la dimension fiscale d'un projet économique »69(*).

Ensuite, l'une des pathologies juridiques contemporaines est la dégénérescence normative. En effet, ce que le droit gagne en quantité, il le perd en qualité. Trop prolixe, le jurislateur en vient même à verser dans la fantaisie. La portée des neutrons législatifs démontre à suffisance cette déliquescence du droit. L'exemple des lois mémorielles en constitue une parfaite illustration. Aussi, la percée du soft law témoigne assez logiquement de cette pathologie juridique. La règle de droit ne se limite plus à ordonner, interdire ou permettre, pour reprendre l'idée de PORTALIS70(*), elle en vient à émettre des recommandations et des encouragements dans le chef des justiciables. Dans son rapport consacré au droit souple71(*), le Conseil d'Etat français peint un tableau des plus sombres de ce droit mou. Certes, il s'inscrit dans une dynamique plus globale de redéfinition des rapports entre la puissance publique et les particuliers, mais il reste que ce nouveau droit connote une certaine crise de la normativité. YVES GAUDEMET ne fait-il pas que traduire cette situation en affirmant : « nouvelle gouvernance, crise de l'Etat, nouvelle normativité, crise du droit ; notre temps, à certains égards, est bien celui du questionnement et de l'inquiétude »72(*).

De plus, la dématérialisation des données juridiques, même si elle permet une large accessibilité de la règle de droit, il reste qu'elle présente des effets pervers certains. Considérée comme une réforme majeure pouvant aboutir à une large diffusion du droit, la dématérialisation de l'information juridique a été perçue comme un remède efficace contre la fracture juridique. Ainsi, pour EMMANUEL CARTIER, « du marbre sur lequel étaient gravées les loisd'Athènes aux impulsions électroniques binaires permettant de stocker et diffuser le droit, le saut qualitatif est certain »73(*). Cependant, très tôt, elle a révélé ses limites en ce sens qu'elle a largement bouleversé les rapports entre l'administration et les administrés. Il s'est avéré difficile de faire le départ entre ce qui est authentique et ce qui ne l'est pas dans l'information juridique véhiculée à travers les technologies de l'information et de la communication.

Enfin, censé préserver une certaine forme de stabilité dans la société, le droit moderne est en proie à une instabilité grandissante. En effet, à l'époque actuelle, le droit en vigueur change à un rythme effréné, c'est l'ère du droit mouvant.Certes, le droit doit s'adapter à l'évolution, mais il n'en demeure pas moins qu'une certaine stabilité dans la durée doit le caractériser. En d'autres termes, « le dynamisme du droit ne doit pas aboutir à une certaine précarité »74(*) pour les justiciables. Un « droit à l'état gazeux »75(*) constitue pour le citoyen un facteur d'angoisse et, partant, d'insécurité juridique. A partir d'un certain degré d'instabilité, il devient difficile pour le citoyen de déterminer la règle de droit qui lui est applicable. Le jurislateur doit ainsi nécessairement prendre en considération le facteur temporel.D'ailleurs, une norme juridique, pour se mouler dans les arcanes de la société et, partant, être intégrée dans la conscience collective des citoyens, doit s'inscrire dans une certaine stabilité dans la durée.

En tout état de cause, il est clair que la crise du droit a pris une ampleur des plus spectaculaires. L'analyse faite par deux sénateurs français, GERARD LARCHER et BERNARD ACCOYER76(*), à propos de la loi est profondément révélatrice de cette crise de la normativité. Pour eux, « la loi souffre de trop de maux, qui nuisent à sa compréhension et à son respect. Trop détaillée, alors qu'elle devrait être centrée sur l'essentiel, elle en devient incompréhensible. Trop déclarative, alors qu'elle devrait être normative, elle se dévalorise ».

Ainsi, il convenait de trouver un remède à ce malqui corrompt l'univers juridique. C'est dans cette perspective que l'idée de sécurité juridique a émergé avec une ampleur remarquable. Elle constitue le dernier rempart contre la crise du droit. D'ailleurs, la sécurité juridique n'est-elle pas, « dans le contexte d'un droit de plus en plus volumineux, complexe et pluraliste, une chimère en devenir ? »77(*).A priori censé être porteur de sécurité juridique, le droit génère par lui-même une insécurité juridique qu'il conviendrait de combattre par une promotion véritable de la valeur de sécurité juridique dans le système juridique. C'est ce qui fait dire à N. MOLFESSIS que « le principe de sécurité juridique ne progresse en effet qu'en raison des atteintes sans cesse croissantes portées à la sécurité juridique elle-même... »78(*).

En fin de compte, c'est le système juridique qui cherche à se réformer. C'est ce que semble dire N. MOLFESSIS en assimilant l'idée de sécurité juridique à une « lutte du système juridique contre lui-même »79(*). Dans la même veine, BERNARD MATHIEU affirme que « la sécurité juridique s'obtient par etcontre le droit »80(*). Elle renvoie dès lors à l'idée d'automédication de la part du système juridique.

Comme remède contre la crise du droit, la sécurité juridique est devenue incontournable au sein du système juridique.Elle est devenue désormais l'axiome à partir duquel tous les rapports juridiques se définissent.Ni sacrificede l'intérêt général au profit des intérêts particuliers, ni promotion outrancière de la légalité au détriment des droits subjectifs, mais le juste équilibre dans les rapports entre la puissance publique et les particuliers : là réside la sécurité juridique.

* 63 HANS-MARTIN PAWLOWSKI, Méthodologie pour juristes, théorie de la norme et de la loi, C. F, Muller, Heidelberg, 1991, p.378

* 64 MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, Paris, Editions Gallimard, 1995, Coll. Folio Essai

* 65 J. E. M. PORTALIS, Discours préliminaire du premier projet de Code Civil, Paris, éd. Confluences, coll. Voix de la cité, 1999, p.26

* 66 Rapport annuel d'activité du CE de 1991, Dela sécurité juridique, op. cit

* 67 Rapport annuel d'activité du CE de 2006, La sécurité juridique et la complexité croissante du droit, op. cit

* 68 Colloque organisé par la Société de législation comparée sur lasécurité juridique et l'entreprise, 21 novembre 2014

* 69 O. FOUQUET, « Améliorer les relations entre l'administration fiscale et les contribuables : une nouvelle approche », Rapport au ministre du Budget, des comptes publics et de la fonction publique, Juin 2008, p. 07

* 70 J. E. M. PORTALIS, Discours préliminaire du premier projet de Code Civil, op. cit

* 71 Rapport annuel d'activité du CE de 2013, Le droit souple, La documentation française, 2013

* 72 Y. GAUDEMET, « La concurrence des modes et des niveaux de régulation », RFAP, 2004, p.13

* 73 E. CARTIER, « Publicité, diffusion et accessibilité de la règle de droit dans le contexte de la dématérialisation des données juridiques », AJDA 2005, pp.102-111

* 74 P. T. FALL, « Normes communautaires et sécurité juridique », op. cit.

* 75 Rapport annuel d'activité du CE de 1991, Dela sécurité juridique, op.cit

* 76 G. LARCHER et B. ACCOYER, communiqué de Presse du Senat du 08 février 2010

* 77 L. BOY, J. B. RACINE, F. SIIRIAINIEN, Sécurité juridique et droit économique, Bruxelles, éd. Larcier, 2008, p.586

* 78 N. MOLFESSIS, « Les avancées de la sécurité juridique », RTD civ. 2000, p.660

* 79 N. MOLFESSIS, « Combattre l'insécurité juridique ou la lutte du système juridique contre lui-même », EDCE, 2006, n°58, p.391

* 80 B. MATHIEU, « Réflexions en guise de conclusion sur le principe de sécurité juridique », in Dossier : Le principe de sécurité juridique, Nouveaux cahiers du Conseil Constitutionnel, n°11, 2001

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore