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Dynamique des représentations sociales de l'agriculture et de la ruralité dans un contexte territorial du vieillissement de la population : Le cas du « Projet Nô-Life » de la Ville de Toyota au Japon


par Kenjiro Muramatsu
Université de Liège
Traductions: Original: fr Source:

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Vision de l'Agriculture de type Ikigai chez Monsieur S

Nous avons constaté un point de consensus entre la CAT et la Municipalité sur le problème et l'objectif généraux pour mener une coopération pour le Projet Nô-Life. Cependant, la vision que la CAT porte pour mettre en oeuvre le Projet Nô-Life, notamment celle de l'agriculture de type Ikigai, n'a-t-elle pas un trait spécifique en raison de son propre intérêt ? D'autant plus que la place de cette idée de l'agriculture de type Ikigai est centrale dans le Plan de 96 ainsi que dans le Projet Nô-Life, et que c'était Monsieur S qui a apporté, avec ses propres idées (fortement liées à sa trajectoire), une contribution importante pour l'élaboration du Plan de 96, il nous serait plus éclairant de mettre en évidence les éléments de représentations sous-tendant la vision de Monsieur S sur l'agriculture de type Ikigai.

Expériences antérieures de Monsieur S : une généalogie de ses idées sur l'agriculture de type Ikigai...

« Marché du mardi soir » à la Coopérative de Matsudaira vers 1984 : l'idée de « pouvoir gagner de l'argent avec un plaisir » dans une situation ambivalente

Plusieurs expériences que Monsieur S a antérieurement vécues dans son travail au sein de la Coopérative agricole de Matsudaira (son pays natale) et la CAT, et qu'il nous a racontées, nous apportent certains éléments importants pour comprendre sa propre vision de l'agriculture de type Ikigai. Ces expériences nous montrent qu'il y a une continuité historique dans son approche, voire une généaologie de ses idées sur l'agriculture de type Ikigai.

Vers 1984, il a eu l'expérience d'avoir réussi à organiser un marché de la vente directe à la Coopérative agricole de Matsudaira dans laquelle il était employé à cette époque. Ce marché s'appellant le « Marché du Mardi soir (kayô yû-ichi) », fut organisé par des femmes de 40-50 ans, et des personnes âgées des foyers agricoles pluriactifs de Matsudaira. S'ouvrant chaque mardi vers 16h à 18h, devant la porte du supermarché de la Coopérative de Matsudaira avec une gamme de produits du terroir, ce marché fonctionne jusqu'à aujourd'hui.

En mettant l'accent sur les femmes et les personnes âgées des foyers agricoles pluriactifs, l'action anticipait bien la mode de la « vente directe des produits agricoles », une idée largement diffusée et reconnue au Japon aujourd'hui sous le terme de « Sanchoku », notamment avec le slogan de « produire et consommer localement (chisan chishô) »493(*). Puis, cette anticipation était liée à la situation spécifique et locale de son pays : à Matsudaira situé dans une zone de moyenne montagne, la situation de pluriactivité, du vieillissement et de la stagnation agricole étaient fortement accentué par rapport aux autres zones situées en plaine dans le territoire de la Ville de Toyota où les conditions pour la modernisation étaient relativement favorables (facilité pour effectuer le remembrement, proximité à la zone urbaine, possibilité plus grande pour la spécialisation de la production tel que l'arboriculture etc).

D'ailleurs, à cette époque, il n'y avait pas encore de points de vente directe gérés par la CAT dans chaque quartier de la Ville de Toyota comme aujourd'hui. Ainsi Monsieur S explique comme ci-dessous ses idées qu'il avait à cette époque pour mener cette action :

« Quand j'ai créé le Marché du Mardi soir, en fait, j'avais vu beaucoup de choux chinois laissés aux champs. Et je me suis dit, `Sans doute, il y aurait des gens qui voudront tout ça...' Puis, j'ai fait le tour des mères des fermes et discuté avec elles pour commencer un marché. A cette époque, la vente directe n'exsistait quasiment pas. Le mot de `Vente directe (Sanchoku)' n'existait même pas. Les points de la vente directe comme 'Green center' de la Coopérative n'existaient pas encore non plus. (...) Il fallait le faire de manière 'face-à-face' en sorte que les gens fassent leur achat en parlant avec ces mères. On a commencé ce marché une fois par semaine. Ensuite, dans un certain temps, on a même commencé une livraison de panier avec une coopérative de consommation de Nagoya. (...) Aujourd'hui, il y en a beaucoup qui font comme ça avec e-mail... Mais cela n'existait pas à cette époque. Mais on l'a fait. Et ça continue encore. »

Comme il l'a expliqué ci-dessus, il a conçu l'idée de lancer ce marché en tenant compte de légumes qui restaient aux fermes sans être distribués au marché (« j'avais vu beaucoup de choux chinois laissés aux champs »). Puis, il a mis en oeuvre ce marché de façon à se baser sur sa localité en faisant « le tour des mères des fermes » pour organiser les gens des foyers agricoles pluriactifs de son pays. Quelle était alors la préoccupation de Monsieur S pour cette action ? Il l'explique ainsi :

« [Enquêteur : Est-ce que vous pensiez déjà au problème du manque de successeurs à cette époque ?] Non, c'était plutôt pour la vente. Je me demandais comment pouvoir faire gagner de l'argent, et comment pouvoir faire gagner de l'argent avec un plaisir. Cela en me disant comme ceci : s'il y a des légumes là, ça arrangera ceux qui en veulent'. Quelque chose comme ça. »

Donc, la préoccupation n'était même pas le problème du manque de successeurs, mais la question de « comment pouvoir gagner de l'argent avec un plaisir (tanoshimi nagara kasegu niha dôshitara yoi ka) ». Il nous faut éclaicir les nuances de cette explication. « Gagner de l'argent », il s'agit de la vente de produits agricoles, que la plupart des gens des foyers agricoles pluriactifs ne pouvaient pas effectuer au travers le grand marché (comme chez les grossistes). Puis, l'expression d' « avec un plaisir » semble impliquer une nuance plus particulière. Pour comprendre cette nuance, il faut tenir compte des diffucultés et des contraintes auxquelles les foyers agricoles étaient confrontés pour pouvoir rendre viable leur exploitation face à l'exigence du grand marché qui était établi pendant la Haute croissance économique entre 1955 et 1975. Et la plupart des foyers agricoles sont devenus pluriactifs en raison de l'impossibilité d'adapter à cette logique économique avec la structure défavorable de leur production familiale face à l'exigence du marché. Le mot de « plaisir » doit être interprété dans un tel contexte socio-économique.

* 493 Au Japon, depuis la période de la Haute croissance, le mouvement de « Teikei-sanchoku (vente directe contractuelle) » était déjà né entre des groupes de consommateurs de grandes villes et des groupes de producteurs agricoles. D'ailleurs, un mouvement récemment paru en France s'y réfère. Voir l'AMAP (Association pour le Maintien d'une Agriculture paysanne) : http://alliancepec.free.fr/Webamap/index1.php (site officiel)

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