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Mise en place des structures et problématique fonctionnelle de l'école haà¯tienne

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par Kathia RIDORà‰
Université adventiste d'Haà¯ti -  Licence en science de l'éducation 2009
  

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B- La mise en place d'une école alternative.

La classe populaire d'aujourd'hui doit non seulement poser des actions en vue d'aider à l'organisation et à la conscientisation du peuple, mais également, et de manière pratique, construire une école alternative pour prendre en main l'éducation de la femme nouvelle et de l'homme nouveau souhaité pour la nouvelle société. Martha Harnecker, dans le livre << La construction d'un mouvement social », soutient que l'école traditionnelle :

<< ...est non seulement un instrument de reproduction de l'idéologie dominante, elle est aussi un engrenage essentiel du système capitaliste pour former une main-d'oeuvre docile prête à travailler dans ses industries. Elle n'éduque pas, elle prépare les << pièces » d'une machine productive. On inculte le minimum indispensable pour effectuer efficacement son travail, en empêchant le développement de tout esprit critique, on ne veut pas de gens qui pensent par eux-mêmes, on veut des gens qui exécutent leur travail de façon << automatique ». L'école fabrique des êtres humains qui sont individualistes, compétitifs et machistes, en définitive, des êtres passifs et dépendants »1.

Cette école qui aura pour objectif la décolonisation des esprits, la démocratisation du savoir, la désaliénation et la réhaïtianisation du peuple, doit se mettre, au niveau de son projet éducatif, en rupture avec l'école établie. Car, cette dernière ne vise qu'à donner une éducation conservatrice, élitiste, individualiste, déshumanisante, dans le but de transformer l'être humain en machine disponible pour le service de l'amplification du capital de la classe possédante. Aussi est-il que l'école alternative que nous devons créer doit prendre en compte la formation intégrale de la personne, pour l'amener à prendre conscience de sa qualité d'homme. Et de ce fait, vouée à la liberté, et tenant toujours le pouvoir, la possibilité d'exercer sa praxis sociale pour prendre en main son destin, et transformer sa réalité.

Dans cet ultime point de notre texte, l'accent sera mis sur la manière dont l'école du peuple à la vision libératrice doit être organisée à travers sa philosophie, son programme, sa pédagogie et la qualité de ses enseignant(e) s.

1 Martha Harnecker. La construction d'un mouvement social. Centre Europe-Tiers Monde (CETIM). Genève, 2003. Page 168.

1- Une école haïtienne axée sur la réalité nationale.

L'école alternative haïtienne, pensée dans une perspective de désaliénation doit se baser sur une philosophie qui prend en compte les spécificités de la réalité haïtienne. La philosophie de cette école ne doit pas seulement viser la transmission d'une connaissance déjà intégralement établie, elle est également construction, reconstruction, valorisation de valeurs, de culture propre à un peuple et à l'humanité. La vision de cette école est la transformation de la personne, assujettie au joug du néo-colonialisme, opprimée économiquement, politiquement, socialement, en sa propre libératrice. Nous voulons des femmes et des hommes engagés, responsables, concernés, et prêts à se livrer dans la bataille pour le développement de leur pays. Des gens qui assument totalement leur origine, leur passé, leur culture, leur histoire, connaissant leurs droits et luttant pour les faire respecter. Notre but est de construire une conception éducative en étroite relation avec les apprenants, les parents, et la communauté.

Pour cela, nous voulons que tous les actes éducationnels soient en accord avec la réalité et la communauté, de telle manière que l'apprenant doive se sentir lié à cette dernière, et contribuer à chercher des solutions pour ses problèmes.

D'un autre côté, nous cherchons à faire de l'école un lieu de démocratie et de liberté, où l'apprenant apprendra à former sa capacité pour la prise des décisions individuelles ou communautaires, grâce à sa participation dans la discipline, la programmation et l'évaluation des activités.

En même temps, nous nous proposons de récupérer à travers diverses activités culturelles, les valeurs et traditions culturelles, qui, avec le processus d'assimilation de l'impérialisme, se sont perdus. De manière à ce que, ces éléments culturels importants puissent jouer leurs rôles dans le processus d'apprentissage et de conscientisation de l'apprenant.

Enfin, nous visons à créer une école nouvelle, qui, à partir du savoir concret de la réalité, à travers un travail collectif entre apprenant, enseignant, parent, arrive à être un instrument de transformation sociale au service de la classe populaire.

2- Une école haïtienne dynamisée par un programme et une pédagogie soucieux de répondre aux besoins d'ordre national.

Par quel processus l'école se transforme-t-elle en instrument d'aliénation pour le peuple?

Premièrement par le choix du programme scolaire. La construction d'un programme, pour tous les niveaux du cycle de formation est un acte très politique. Elle a pour rôle de déterminer que enseigner aux apprenants et, ce que l'on va enseigner découle de la vision totale globale qu'on a de la société. Alors, le choix du programme est déterminant dans l'orientation politique à donner au système éducatif. Ainsi, comme le rêve de l'élite haïtienne est de se conformer chaque jour un peu plus au modèle français, ceci explique pourquoi le programme éducatif de nos écoles est une simple copie de celui de la France. Dans son élaboration, les responsables ne tiennent pas en compte les réalités socio-culturelles propres au peuple et de ses besoins véritables. L'éducation civique qui devrait servir à conscientiser la personne pour l'amener à assumer ses responsabilités citoyennes, à jouer son rôle social en travaillant au profit du bien être de la nation, est quasiment prohibée. On ne fait aucune référence à l'Amérique latine dans le programme, tandis que l'histoire de la France est très présente. Les matières purement culturelles comme le théâtre, la musique, la danse, etc., sont quasiment inexistantes dans les écoles du peuple. Dans celles des riches comme les écoles congréganistes par exemple, ces rubriques sont tournées vers la culture française. D'ailleurs il serait absurde que les éléments de la culture populaire fassent partie de la formation de la classe dominante. Ainsi, se présente de manière succincte la configuration du programme scolaire dans l'école haïtienne.

L'analyse du programme scolaire, nous dit Paulo Freire, aide à répondre à trois grandes questions:Que connaître? Comment connaître? Et pourquoi connaître? Il explique que <<le <<que connaître» influence directement l'élaboration du contenu des programmes de l'action éducative. Cela explique que l'on tient compte de toute une série de points de vue. Ces derniers, intimement liés au <<comment connaître», <<pourquoi connaître», en faveur de qui et de quoi, contre qui et quoi connaître, constituent les principes d'orientation qui servent à délimiter le <<que connaître».»1

Aussi le <<que connaître» marche sur la même longueur d'onde que le <<comment connaître», qui nous renvoie à la pédagogie et à la méthode utilisée pour faire passer le contenu du programme. Car, l'éducation, comme l'a dit l'autre, est libératrice ou aliénante, non pas seulement par le contenu du programme, mais également par la pédagogie utilisée, par le rapport, la relation qui s'établit entre les éducateurs et les éduqués.

1 Paulo, Freire. Lettres à la Guinée-bissau sur l'alphabétisation. Edition François Maspero.

Comme il y a une relation directe entre le <<que connaître» et le <<pourquoi connaître», nul besoin d'aller plus loin pour avancer que la méthode, la pédagogie utilisée dans nos écoles répond à la vision de la classe dominante. Cette vision est l'assimilation, la chosification de la personne, et la maintenance de la grande majorité de la population dans l'ignorance, pour pouvoir mieux l'exploiter. Nous pouvons encore utiliser le fameux concept <<éducation bancaire»1 de Paulo Freire pour expliquer le rapport éducationnel existant dans nos écoles. L'apprenant est considéré comme un tonneau vide, une éponge sur laquelle on va faire un <<dépôt de connaissance».Il n'a d'autre rôle que de faire sienne cette dite connaissance. Il n'y a aucune action dialectique entre la connaissance et la personne. C'est une méthode anti-communicative, qui promeut le silence de l'apprenant. Etouffant dans l'oeuf les soubresauts de sa conscience critique, et ses remises en question.

Paulo Freire2 explique que ce modèle d'éducation, qu'il baptise antidialogique, a trois manières essentielles pour se développer:

1) Une attitude de conquête

L'esprit de cette éducation consiste à dépouiller l'autre de sa parole, de ses moyens d'expression et de sa culture. C'est une sorte de conquête ou invasion culturelle, où le dominant envahit le contexte culturel de l'autre avec ses modèles de valeurs. Cette éducation incite l'apprenant à penser comme supérieure, naturelle ou liée à la modernité la façon d'être de l'autre, et donc, qu'elle est meilleure, qu'il l'a fasse sienne. Il infériorise et auto-censure sa propre créativité. Aussi finit-il par voir sa propre réalité avec les yeux du dominant et non les siens. Cette éducation l'amène chaque jour à se suicider culturellement au profit du modèle étranger.

2) La mystification

Ce modèle préconise le mythe selon lequel l'ordre établi est sacré. Que le monde est bâti sur des principes transcendants qu'on ne peut changer et auxquels on doit s'adapter. Celui qui s'adapte, qui se conforme est valorisé.

1 Paulo ,Freire.Pedagogía de los oprimidos. Edicíon siglo XXème, 1974. Page 24

2 Une analyse du livre «L'éducation, Pratique de la liberté » sous la plume de Paul Concave. www.educationalternative.com.

3) La manipulation

Manipuler, c'est chercher à conformer l'autre à ses objectifs propres, en captant son adhésion par tous les moyens. Cette éducation manipulatrice cherche à anesthésier l'apprenant, à l'empêcher de penser seul, à l'emmener sournoisement à adopter la vision dominante.

L'analyse que nous avons faite depuis le début de ce chapitre montre clairement le caractère antiprogressiste, anti-libérateur de l'éducation à laquelle nous avons droit dans la société. Aujourd'hui, avec les nouveaux besoins sociaux beaucoup plus de personnes fréquentent l'école. Mais le problème de l'éducation en Haïti et dans divers pays dans le monde est non seulement au niveau de l'accès à l'éducation de la population,mais également,et d'une manière plus compliquée,le type d'éducation véhiculé dans le milieu éducatif. En ce sens, la diminution du taux d'analphabétisme ne suffit pas à remplir son rôle dans la marche vers le développement. Car, le modèle éducatif basé sur l'impérialisme enfonce les pays pauvres dans leur pauvreté, tout en les mystifiant avec le modèle de développement dit «universel» de l'occident. Qui doit changer le système éducatif corrompu et aliénant de notre pays? Quelles sont les luttes qu'on doit mener, les actions qu'on doit poser pour arriver à une transformation du système éducatif?

LE PROGRAMME

Comme nous l'avons déjà dit, le contenu du programme de l'enseignement est très important dans le processus éducatif. C'est lui qui va déterminer ce que l'on compte enseigner et quelle priorité donner à chaque matière. Nous devons choisir les cours et orienter leurs finalités dans l'intérêt de notre vision sociale. Des cours à caractères socio-culturels comme l'histoire, le civisme, la géographie, la littérature, les langues, doivent faire l'objet d'une attention particulière. Parce qu'ils sont responsables de la formation de la conscience des individus.

En Haïti, le contenu de ces matières n'est pas tourné vers la réalité du peuple. Pour cela, nous devons révolutionner leurs contenus, et la méthode utilisée pour les transmettre.

L'étude de l'histoire liée au civisme doit permettre à l'apprenant de comprendre le sens de son passé, des combats qu'a menés son peuple pour la liberté. De la manière dont, à un moment donné, il a changé le cours des choses et transformé leur réalité. L'histoire ne doit pas se réduire au récit creux des faits. Car, c'est à travers son analyse, qu'on arrivera à comprendre et à travailler sur le présent pour changer le futur.

La géographie doit servir à développer la connaissance de la personne sur son espace, et les rapports qui existent entre le comportement des humains et le milieu. Son enseignement ne doit pas se faire de manière technique. Elle doit devenir un outil de sensibilisation sur les problèmes environnementaux et leurs aggravations. Et sur les actions que peuvent poser les individus pour la régénération de l'espace.

La littérature, l'art, et tous les autres cours basés sur la culture doivent revêtir une grande importance dans la valorisation de la culture propre au peuple. Pour cela, on doit chercher et mettre en valeur la portée culturelle que contiennent toutes les matières. Aiguiser l'amour, le respect pour les traditions, les valeurs, l'art, la culture du peuple, c'est contrer le plan de rejet et d'assimilation de l'impérialisme. En ce sens nous travaillons à rétablir la dignité et le respect de soi de la personne, et de son peuple. Ce processus de réhabilitation culturelle tiendra compte de la nécessité des échanges culturels entre les nations. Mais, sans aucune logique de domination ou de discrimination.

La langue maternelle, à savoir, le créole, doit occuper la première place à l'école. Sa maîtrise est indispensable pour faciliter l'acquisition d'autres langues, et également parce qu'elle est l'une des composantes principales du patrimoine. Les autres grands domaines disciplinaires de l'apprentissage, comme les mathématiques et ses dérivés, la chimie, la biologie, etc. doivent tous tirer leurs essences de la réalité quotidienne des apprenants. Les mathématiques, par exemple, font partie intégrante de tous les aspects de la vie d'un individu. Alors, l'important c'est de montrer l'utilité concrète de ces matières pour le développement personnel de la personne et de la nation.

Il ne suffit pas de changer ou de réajuster le programme du ministère de l'éducation qui, dans sa pratique, apparaît plutôt comme un ministère de déséducation. En plus, on doit établir la liaison entre sa vision sociétale et l'éducation qui doit devenir son fer de lance. Aussi, est-il qu'en plus des changements portés dans le programme et la méthode d'enseignement, les matériels pédagogiques à savoir,les manuels et d'autres objets utilisés dans le processus éducatif doivent être également transformés. En attendant ce changement structurel profond, leurs utilisations doivent faire l'objet de beaucoup de prudence et de remise en question.

Pour finir, l'élaboration du programme ne doit pas seulement être l'oeuvre de quelques techniciens de l'éducation,mais un processus démocratique où l'apprenant,comme le premier concerné, les parents et les enseignant(e)s sont consultés, ou participent même à son élaboration.

LA PÉDAGOGIE

La vision de l'école alternative de former des agents de transformation pour la société l'empêche de se fermer dans un modèle pédagogique. Elle doit toujours chercher à s'inspirer de diverses théories pédagogiques libératrices répondant à ce qui est nécessaire et s'en approprier pour les besoins éducatifs du moment.

Aujourd'hui, l'école a la responsabilité de promouvoir, plus qu'une instruction ou une transmission de connaissance. Mais, une éducation intégrale qui en plus de la formation intellectuelle, vise également à développer les capacités physiques, morales, civiques, économiques, professionnelles, esthétiques, culturelles et politiques de la personne. Pour cela, nous devons choisir les pédagogies libératrices qui correspondent mieux à la formation de la femme nouvelle et de l'homme nouveau dont la société a besoin.

Premièrement, nous pouvons instrumentaliser la pédagogie de l'opprimé de Paulo Freire, parce qu'il aborde son projet pédagogique dans une perspective de changement. Il rappelle surtout que projet éducatif et projet social sont indissociables, et promeut une éducation où les opprimés deviennent pédagogues pour eux mêmes et pour ceux qui les enseignent. Une pédagogie << qui fait de l'oppression et de ses causes un objet de réflexion des opprimés d'où résultera nécessairement leur engagement dans une lutte pour leur libération, à travers laquelle cette pédagogie s'exercera et se renouvellera ». En ce sens, il n'y a plus celui qui sait et celui qui ignore : << Personne n'éduque autrui, personne ne s'éduque seule, les hommes s'éduquent ensemble par l'intermédiaire du monde »1

La méthode dialogique, basée sur la communication, l'union, l'organisation, la synthèse culturelle, est au centre de cette pédagogie. Cette méthode doit devenir le fondement de toute éducation libératrice depuis son élaboration jusqu'à sa mise en oeuvre. Comme le signale Habermas :

<< La société dans laquelle nous visons aujourd'hui est basée sur la domination et l'exclusion. Alors, des actions stratégiques deviennent une nécessité pour la transformation de l'espace éducatif en un espace de communication qui va pouvoir générer des stratégies orientées vers le changement de la société. Éduquer pour le changement, c'est éduquer stratégiquement pour construire une société de communication ».2

La pédagogie ne peut être libératrice sans incorporer la praxis. Alors, la pédagogie de la praxis a un rôle indispensable dans notre construction. Le mot praxis, d'origine grec, signifie << action ».Il désigne

1 P. Freire. Op.cit, page 157. Page 10.

2 Pedagogía de la resisencia. (cuadernos de educación popular),réflexion sur les points convergents et divergents dans les écrits d'Abermas et de Paulo Freire au sujet du rôle de la communication dans l'éducation.

l'ensemble des activités humaines susceptibles de transformer le milieu naturel ou de modifier les rapports sociaux. Ainsi, pour cette théorie pédagogique, selon les lignes de I.A.Andrioli,

<< La connaissance est construction et reconstruction, basée sur la praxis, un processus dialectique de relation entre théorie et pratique, qui va générer de nouvelles théories et de nouvelles pratiques. C'est un mouvement de constante action et réflexion, réflexion d'action, et action à partir de la réflexion. C'est un travail continu, dynamique et ininterrompu »1.

Aussi est-il que dans cette perspective, la connaissance acquise par l'apprenant dans le dialogue, la communication, doit laisser le stade de simple culture intellectuelle stérile, pour atterrir dans la réalité et servir à exercer la praxis pour révolutionner cette réalité.

Mais cette pédagogie est directement liée à la pédagogie de la solidarité, car les actes où s'exerce la praxis visant la transformation ne peuvent se poser dans une logique individuelle et disparate, mais toujours dans un mouvement d'ensemble, de solidarité entre les concernés. Et précisément cette culture de travailler ensemble se perd dans notre société. Le système éducatif établi développe une culture étroitement liée au mode de vie priorisé par le système capitaliste. Ce qu'il propulse c'est la concurrence, le dépassement individuel, la lutte pour la supériorité en tout, l'exclusion, la destruction. Il encourage également la lutte de tous contre tous, des exclus contre les exclus. Face à cette situation nous devons promouvoir des valeurs comme la solidarité, le travail collectif, la coopération, l'entraide. A tous les niveaux du processus éducatif, que ce soit primaire jusqu'au niveau supérieur, la méthode d'éducation participative doit être priorisée. Intégrant la participation de tous dans la problématisation, le questionnement et le requestionnement de la réalité, ce travail doit se faire dans des groupes où tous les membres seront intégrés et responsabilisés. C'est de cette manière que nous arriverons à construire l'unité culturelle et sociale, et les relations réciproques dans les inter-échanges entre la ou le professeur et le groupe classe, et le groupe-classe entre eux.

Toute cette vision pédagogique ne peut se réaliser en dehors de la pensée de l'espérance. Car sans l'espoir de la victoire qui apportera un demain meilleur, la lutte est perdue d'avance. Alors, notre pédagogie sera également la pédagogie de l'espérance. Il ne peut y avoir de quête sans espoir. Perdre l'espoir revient à perdre la possibilité de nous constituer en sujets, de transformer le monde et par conséquent de le connaître. C'est pourquoi la pédagogie de l'espoir doit être établie pour aider à surmonter l'idéologie fataliste et conformiste dominante. A la mentalité << on n'y peut rien », il faut opposer le droit de rêver qu'un << autre monde est possible ».Cette citation de

1 Andrioli,I,A.Trabalho colectivo e educação. Édition Expression Populaire, Sao Paulo, Brésil, 2ème Edition , 2007. Page 20

Freire résume bien l'importance que revête l'espoir pour le modèle éducatif alternatif : << Dans la mesure où nous nous donnons les moyens de transformer le monde, de mettre un nom sur les choses, de percevoir, de comprendre, de décider, d'évaluer,et finalement de donner une dimension éthique au monde,notre mouvement en son sein et dans l'histoire implique nécessairement les rêves pour la réalisation desquels nous luttons >>1.

Notre rôle est d'aider les apprenants à découvrir qu'il n'y a aucun déterminisme qui fixe les pays dans la misère. Qu'il n'y a ni un Dieu ni un Diable qui établisse les rapports dominants/dominés, riche/pauvre, surabondance et précarité dans les sociétés. L'homme est le seul créateur de l'histoire, des contradictions sociales, des inégalités, alors, c'est à l'homme de les changer.

Pour finir, l'école alternative que nous visons, doit se baser sur des perspectives pédagogiques en parallèle, que ce soit au niveau du contenu ou de la forme, à la pédagogie traditionnelle de nos écoles. Notre pédagogie doit être celle de la liberté, de la démocratie, de l'espérance, de l'égalité, de la sensibilité, contre l'aliénation, l'autoritarisme, le fatalisme historique, et le cynisme.

3- Une école haïtienne ouverte sur la réalité mondiale.

En voulant mettre l'accent sur l'haïtianisation de l'école, on fera attention à ne pas tomber dans un repli sur soi qui serait nocif pour l'école. Mais plutôt adopter une approche pluridimensionnelle du système éducatif qui préconise l'ouverture sur le monde extérieur.

Mais, il est important de faire remarquer qu'il s'avère impossible de pouvoir s'approprier le monde, sans une connaissance et une acceptation de soi au préalable. La classe dominante dans sa politique de mystification, présente le monde populaire rural et suburbain haïtien comme réfractaire à la modernité. En ce sens, l'école haïtienne a toujours voulu, depuis sa mise en place, << moderniser >> l'apprenant. Jean Casimir explique que cette :

<< École, c'est-à-dire le système d'instruction publique, évolue suivant les soubresauts des courants de pensées, mondiaux peut-être, mais étrangers à notre réalité. Ce système ne veut qu'informer le jeune Haïtien ou, en d'autres termes, le découvrir et le couvrir d'un vernis. Comme il ne peut remplir ce rôle sans transmettre les formes de vie occidentales qui sous-tendent l'information, il devient, du même coup, dans les secteurs où il faut lui reconnaître un certain succès, un mécanisme puissant de déformation et de déculturation >>2.

1 Ibid. Page 40

2 Tiré d'une dissertation intitulée Education et instruction en Haïti qui sert d'introduction au texte La culture opprimée.

La compréhension et la valorisation du schème culturel qui régit la manière d'appréhender le monde de la classe populaire est indispensable dans le processus de la mise en place d'une école qui vise l'épanouissement total de l'être. Ce que Charles Tardieu appelle : «marronnage culturel », ou « comportements déviants »1 de la classe des opprimés, n'est qu'une réflexe de conservation ou de survie face à la violence symbolique, morale et physique de toute sorte de la classe dominante pour non seulement les maintenir dans leur précaire situation de vie, et en même temps les rendre coupables de leur infortune socio-économique. Le mensonge est en ce sens à la base de toutes tentatives d'alphabétisation ou de scolarisation en Haïti, la classe dominante n'a aucune intention véritable d'assurer la formation de la masse, mais la formation à l'occidentale retardée de notre système, est présentée comme seul facteur d'humanisation. Alors, la classe populaire n'entre pas dans ce labyrinthe infernal, elle reste en dehors de ce marasme et attend. Son attitude semble vouloir dire que : Soit « elle assure sa présence globale dans l'univers culturel contemporain ou l'on comptera sans lui. Elle sera actuelle ou folklorique, mais un seul à la fois »2.

« L'erreur la plus crasse que l'on puisse imaginer consiste à croire, contre toute évidence, que la diffusion massive de la culture occidentale puisse, par un processus d'imitation spontanée, vitaliser et dynamiser un système culturel autre. En Haïti, il faut permettre à notre culture, telle qu'elle existe, de s'exprimer avec les moyens que nous possédons, dans toute son authenticité à des niveaux de prestige supérieurs à ceux dont jouissent chez nous les productions culturelles occidentales. Dans un dialogue devenu public, la culture haïtienne absorbera, comme bon lui semble, les éléments étrangers qui la complètent et l'enrichissent. L'on peut être certain que la production scientifique et technique de l'Occident sera digérée avec une relative rapidité. Les contenus idéologiques de cette production seront décantés avec une non moins grande facilité »3.

Ainsi, l'école, pour pouvoir s'ouvrir véritablement vers l'extérieur, doit d'abord s'approprier de son intérieur, dans la recherche de la compréhension de sa réalité, dans le respect et la valorisation de son schème culturel. Sinon, toute tentative d'ouverture n'est que farce. Jean Casimir est très explicite en ce sens, quand il souligne que :

« L'idéal serait de monter un système d'instruction propre au pays, où l'école aiderait à accélérer le processus de socialisation de l'enfant. Un système d'instruction tel que le lettré y puiserait du respect pour sa mère ou sa grand-mère analphabète, où la figure du père et de l'aïeul aurait une chance de s'auréoler d'un certain prestige. Haïti n'étant pas isolée, il demeure clair que nous devons ouvrir notre nation aux courants mondiaux. Mais cette ouverture n'est qu'un leurre si la culture haïtienne et ses porteurs sont dénigrés. Elle est possible et même nécessaire, lorsqu'elle se fonde sur l'estime de soi »4.

1 Charles Tardieu. Op.cit, page 12. Page 186.

2 Jean Casimir. La culture opprimée. Imprimerie Media-Texte. Port-au-Prince, Haïti, 2006.Page 14.

3 Ibid. Page 13.

4 Ibid. Page 14

4- Des enseignants engagés au service de l'éducation haïtienne.

La réalisation de cette école alternative ne sera pas possible sans l'engagement d'enseignantes et d'enseignants pour la transformation véritable du système éducatif et de la société. La responsabilité du corps enseignant est fondamentale. Le plus important, c'est la rupture qu'il doit pouvoir effectuer avec les méthodes traditionnelles, où les enseignants étaient considérés comme supérieurs aux apprenants par leurs statuts de détenteurs de la connaissance.

Dans la nouvelle école, les rapports enseignants-enseignés sont irréversiblement changés. L'enseignant n'est plus celui qui dispense un cours. Il devient apprenant au même titre que l'élève. Car, ce dernier en tant que humain détenteur d'un héritage socio-culturel, a également beaucoup de savoir à communiquer. En ce sens, l'éducateur doit toujours se mettre à l'écoute de l'apprenant, et à partir du bagage intellectuel qu'a ce dernier, l'aider à questionner,à analyser, à rectifier ou à mieux comprendre la réalité, toujours dans la communication démocratique et le dialogue. Un enseignant est un artiste qui invente toujours des méthodes adaptées aux besoins des apprenants. Aussi, sa formation personnelle est permanente et elle ou il doit avoir la capacité de s'auto-évaluer constamment.

Pour assumer le rôle d'enseignant, certaines qualités lui sont également indispensables, comme : l'amour, la sensibilité, le sentiment de révolte devant l'injustice, le respect sans aucune discrimination de la personne. Et en plus du savoir scientifique de la matière à enseigner, l'enseignant doit connaître et intégrer la culture, le mode de vie, les valeurs propres au peuple. Et, comme nous ne cessons de le répéter, il ne peut y avoir d'enseignant neutre, car aucun projet éducatif ne saurait être neutre. Celui qui choisit d'être enseignant devient automatiquement un acteur politique actif, qui, à travers ses méthodes pédagogiques s'inscrit dans la lutte soit pour la transformation ou pour la continuité de l'aliénation.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault