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Mise en place des structures et problématique fonctionnelle de l'école haà¯tienne

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par Kathia RIDORà‰
Université adventiste d'Haà¯ti -  Licence en science de l'éducation 2009
  

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B- Ambivalence socio-culturelle haïtienne et péripéties fondamentales de l'École.

Le système socio-culturel haïtien a pris naissance dans un contexte de luttes multiformes. Il s'insère dans la mouvance d'une acculturation forcée de l'esclave par rapport à la culture créole et se caractérise par une extraordinaire capacité de résistance face à un modèle de déshumanisation.

A mesure que les négriers déversaient dans l'espace saint-dominguois les flots de migrants brutalement arrachés de l'Afrique, il se constituait une population servile hétérogène, compte tenu de ses origines diversifiées, de plus en plus dense, au fil du temps, et logiquement ingouvernable.

C'est pour répondre au défi de ce complexe cheptel humain que les stratèges du colonialisme français inventèrent un impressionnant appareil de coercition, un cortège de mesures répressives et un modèle de stratification sociale référant aux nuances de l'épiderme. Le monopole d'une paradoxale légitimité devenait alors la propriété de l'oppresseur.

<< Mieux qu'une hiérarchie, nous dit Aimé Césaire, la société coloniale était une ontologie. En haut, le blanc - l'être au sens plein du terme-, en bas, le nègre, sans personnalité juridique, un meuble ; la chose, autant dire le rien... »1.

Les futurs dirigeants d'Haïti, héritiers d'un régime pigmentocratique multiséculaire, se trouvaient acculés à choisir, malgré eux, entre le système de valeurs qui servaient d'assises aux oppresseurs, le seul valorisé, et

1 Leon-François Hoffmann. Op.cit, page 42.

celui de la masse opprimée, nettement marginalisé. C'est à ce dilemme que se réfèrent les données fondamentales susceptibles d'expliquer la crise d'identité dont souffre, à la naissance même, le système éducatif haïtien.

1- Signification historique et problématique du bilinguisme dans la structuration de

l'École haïtienne.

Nous avons exploité les données d'ordre terminologique pour appréhender le rôle de l'histoire dans la formation de tout système social. Le système éducatif haïtien n'échappe pas à ce déterminisme. Il semble même s'enraciner si profondément dans les vestiges des contradictions propres à l'incubation de notre Etat que son émersion reste encore purement virtuelle.

Acceptant le poids de l'héritage du modèle colonial esclavagiste, et ne trouvant aucune idée plus originale pour combattre la mise en quarantaine de la communauté internationale, les nouveaux dirigeants d'Haïti choisirent d'organiser l'Etat en s'inspirant du modèle européen. « L'énorme majorité des haïtiens ne parlaient que créole, mais on conserva la langue française ; l'énorme majorité ne pratiquaient que le vodou, mais la religion catholique devint la religion officielle. Le code Napoléon, le système éducatif français, les structures administratives élaborées en métropole furent adoptées en bloc. Dans la vie publique comme dans la vie privée, on calqua une organisation et une manière de vivre qui n'avaient à la rigueur de sens que pour l'infime minorité de ceux qui détenaient le pouvoir »1. C'est ainsi que la nation se retrouve aux prises avec une diglossie. On se sert de la langue pour imposer le silence à plus de quatre-vingt pourcent des Haïtiens qui ne parlent pas et ne comprennent pas, ne fût-ce que de façon rudimentaire, la langue dans laquelle on les gouverne.

La mise en place de cette structure scolaire qui brime la parole, trouve ses racines dans l'époque coloniale où l'école jouait le rôle de renforcement de l'inégalité sociale et aidait au maintient de la stratification. L'instruction, pendant toute la période coloniale a été interdite aux esclaves. Mais à l'annonce de la liberté générale en 1793 la conquête du syllabaire devenait, pendant un moment, une nécessité pour la conservation de la colonie à la métropole française. C'est ainsi que Polvérel imposait même le recours à l'instruction pour calmer les effervescences du tout nouveau statut social des anciens esclaves. Jean Fouchard souligne qu'il écrit à la paroisse de l'Anse-à-Veau qui hésite encore à instruire les esclaves : « Vous parlez d'effervescence ; j'entends ! C'est

1 Léon-François Hoffmann, Op.cit. Page 42.

l'effervescence des maîtres dont vous me parlez ; moi, j'ordonne d'instruire les esclaves. C'est le seul moyen d'empêcher une effervescence plus terrible qui ferait égorger tous les maîtres. Si je n'apprends pas que vous avez promptement réparé votre faute, vos têtes m'en répondront »1. Ainsi, si à un moment donné de l'histoire de la colonie la sauvegarde jalouse du syllabaire était un acte politique de contrôle et de maintenance du modèle colonial esclavagiste, à la déclaration de la liberté, sa diffusion joue la même fonction de manipulation. L'éducation, en ce sens, ne cesse de jouer le jeu politique pour la satisfaction des besoins du moment de la classe dominante. Le souci de Polvérel d'assurer rapidement l'instruction de la masse répondait à un besoin pressant de maintenir l'esclavage subjectif dans la colonie, de garder les chaînes mentales qui valident la supériorité du blanc bien en place. Comme il est mentionné tantôt, la prise de contrôle générale du gouvernement de la colonie par Toussaint Louverture, allait normalement impulser un renouveau dans la quête de l'instruction. Mais la personnalité même du précurseur l'inclinait à faire des choix éducatifs dans la lignée du modèle préexistant. L'historien L. F. Manigat le présente en ces lignes : << Le Toussaint Bréda du nom de l'habitation d'un colon français de la partie Nord de Saint Domingue, a passé son enfance, sa jeunesse et sa maturité, non loin du Cap français, capitale de la colonie, alors surnommé le Paris de Saint Domingue, et jouissait de la liberté de fait d'un esclave domestique privilégié, relativement fortuné pour un noir non affranchi (...) »2. Toussaint était un nègre créolisé, qui a intégré les rouages de la culture assimilatrice coloniale Saint-dominguoise, donc il ne pouvait ne pas considérer la langue de la classe dominante comme seul vecteur d'humanité. Non seulement il s'est approprié, malgré lui, le schème de pensée du colonisateur, mais tout comme ce dernier, il a rejeté en bloc tout ce qui touchait à la culture de la masse bossale majoritaire. Sa formation dans la colonie l'empêchait de se concevoir totalement humain sans être chrétien et francisé. Et, comme le christianisme se base sur la négation des altérités, il ne pouvait imaginer de compromis entre les deux manières de voir. C'est ainsi que Toussait imposait le catéchisme et le syllabaire pour, comme le dit Jean Fouchard : << tenter de proscrire la primitivité des superstitions et le dérèglement des moeurs ». L'auteur continue : << Toussaint est profondément chrétien. Il bannit les pratiques superstitieuses, et souvent, pour s'adresser à son peuple, il allait à l'église et, de la chaire sacrée, prenait Dieu à témoin de ses efforts. L'idéal de fraternité du christianisme, la morale chrétienne, ce catéchisme qui fut caché aux nègres de Saint-Domingue, c'est Toussaint qui l'enseigne et l'applique (...) »3. Paradoxe flagrant, mais évidente réalité, dès le départ l'école héritait des contradictions internes de la

1 Jean Fouchard.Op.cit, page 41. Page 93.

2 L.F. Manigat. Op.cit. Page 39. Page 143.

3 Jean Fouchard. Op.cit. Page 41. Page 95.

société esclavagiste de Saint Domingue, Toussaint était bien placé pour savoir et apprécier le rôle de la culture des bossales : le vodou, la langue créole, dans la lutte pour la liberté, mais la liberté une fois établie, ce schème culturel fait vite figure de parent pauvre. La politique diplomatique autonomiste de Toussaint le poussait à être prudent dans ses choix stratégiques, pour ne pas trop bousculer la classe dominante blanche et mulâtre qu'il voulait conserver. La sublimation du modèle de l'ancien maître répondait-t-elle à un besoin de calmer les esprits sur les desseins de son gouvernement ? Complexe question. Mais Toussaint, le précurseur, a choisi de conserver fermement la religion catholique comme seul et unique représentation de Dieu admise dans la colonie. Les élites dirigeantes pendant toute notre histoire n'ont fait que reproduire, et de manière souvent plus radicale, le choix éducatif de Toussaint. Ainsi, la structuration de l'espace éducatif de la nouvelle nation allait être le terrain des luttes d'influence implicite où le christianisme, le vodou, le français, le créole s'affrontent, mais toujours à la perte de la masse, historiquement marginalisée.

2-Evangélisation, oppressions, vodou et luttes d'influence dans la structuration de l'espace
socio-éducatif haïtien.

Le foetus du système éducatif haïtien fut victime de malformation. Porteurs de gènes pathologiques d'un modèle de société basée sur la duperie et la duplicité, il se trouva sous l'emprise d'un cynique conditionnement de telle sorte que l'École haïtienne nouveau-née était drapée de luttes idéologiques, de conflits entre les géniteurs, les clans, les castes, les classes, les compartiments ethno-raciaux menacés de reproduire, sous d'autres formes, le modèle colonial esclavagiste. Après avoir émis ses premiers vagissements à l'aube de la proclamation de l'indépendance nationale, notre système éducatif, traumatisé dans sa conformation, portait l'empreinte de profondes contradictions et de la douleur du martyre.

L'école, comme il est expliqué dans les chapitres précédents, a toujours été dans la colonie, que ce soit avant ou après la proclamation de la liberté générale, un espace privilégié d'évangélisation. On ne concevait pas l'éducation sans la christianisation, et cette dernière ne fonctionne pas sans oppression, car elle jouait un rôle de remodelage, de reformatage de la conscience. C'est ainsi que l'école s'est transformée en un espace de lutte où se confrontent sui generis deux schèmes culturels religieux distincts. En apparence, toutefois, ce litige laisse

l'impression d'être institutionnellement et historiquement résolu. Déjà, l'article trois du code noir stipule : << Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine >>. L'article deux accentue : << Qu'il est interdit tout exercice public d'autre religion que de la catholique... >>. Cependant, le vodou a pris naissance dans un contexte de résistance, et sa structuration interne lui donne une capacité d'absorption énorme pour contrer les agressions du christianisme. C'est ainsi que l'église catholique même sert de lieu de culte du vodou, le sacrément du baptême est reçu avec un certain enthousiasme par les esclaves. Laënnec Hurbon dans le livre << Les mystères du vaudou >> présente un tableau de Rose-Marie Desruisseaux accompagné des mots d'un critique haïtien donnant ses points de vue sur la toile: << Le baptême censé cautionner l'esclavage, renforçait le dispositif des croyances et de pratiques du vodou. Les esclaves le recevaient de trois à six fois, tant pour eux il signifiait un accroissement de pouvoirs magiques (...) >>1, l'auteur renforce que << l'interdit jeté sur les traditions religieuses africaines se trouve déjoué par la pratique même obligatoire du christianisme. L'esclave investit le culte des saints, les sacrements, les processions et toutes les grandes fêtes liturgiques ; il en fait un dispositif protecteur des croyances africaines >>. Aussi est-il que de manière superficielle, l'école ne semble couver aucune contradiction, aucune lutte d'influence, car le vodou garde le statut d'opprimé de ses tenants, il n'a jamais cherché à contester la place d'aucun autre système religieux, il a fini par se créer un monde en marge et à travers les autres systèmes. Mais, c'est mal compter avec les autres schèmes religieux qui ne rêvent que de l'élimination totale du vodou, ce qui explique les différents << campagnes antisuperstitieuses >> qui ont jalonné toute notre histoire de peuple. Dans le livre << Le statut du vodou et l'histoire de l'anthropologie >>2, L. Hurbon rapporte qu'en effet le vodou fut victime de plusieurs vagues de persécutions (1864, 1896,1941) tentant à son éradication immédiate et complète, sous prétexte qu'il constitue << une tare africaine >>. Et l'école a toujours été un espace privilégié, une arène où s'affrontent les différentes tendances. Historiquement, elle a joué un rôle de rupture, de séparation entre la famille et l'apprenant. Un lieu où ce dernier apprend à être autre, à inférioriser le schème culturel ancestral. Conflit, dilemme, aliénation ! L'élève parfois se bute sur des obstacles d'adaptation insurmontable : << Dois-je considérer ma mère comme loup-garou ? >>3 questionne un élève de la quatrième année fondamentale par rapport aux prises de possession auxquelles est sujette sa mère. L'élève parfois entraîne ses parents dans une multiplicité de litiges et de

1 L. Hurbon. Les mystères du vodou. Éditions Gallimard, Paris, 1993. Page 22.

2 L. Hurbon. Le statut du vodou et l'histoire de l'anthropologie. Une partie du texte trouvé dans le texte du cours << Culture et société en Haïti >> de la Faculté des Sciences Humainse. Page 250.

3 Monclair Frantz. Education formelle et société à Baconnois. (Mémoire de sortie à L'Unioversité Aotonome de Port-au-Prince. 10 juillet 2002. Page 20

débats épineux « J'ai envoyé mon enfant à l'école pour être éduqué non pour être évangélisé », martèle un père voudouisant à Baconnois, face à l'option d'un directeur d'école enclin à inculquer des principes chrétiens à son fils, rapporte Monclair Frantz1 dans son mémoire de sortie à l'Université autonome de Port-au-Prince. Si l'école s'est constituée comme impasse obligée de mobilité sociale dans nos sociétés d'aujourd'hui, en Haïti son accès est semé d'embûches de toutes sortes pour bloquer le passage à la masse. Les bienheureux qui réussissent à enjamber les hauts barbelés se trouvent dans une sorte de purgatoire où ils apprennent à se « dégrossir » de tout schèmes de pensée et de manière d'agir propre au peuple. Un processus non exempt de violence, qui demande un profond reniement de la part de l'apprenant. Mais c'est l'une des conditions sine qua non pour se tailler une place dans la société et se laver un peu de la stigmatisation instituée par l'élite et parfois intériorisée par les victimes. Le vodou n'a jamais été considéré comme faisant partie de la conscience collective du peuple en tant que religion et culture, donc digne d'être analysé, respecté, et ayant le droit d'avoir sa place dans la partie du curriculum réservé à l'étude des religions et cultures.

1 Ibid Page 20

DEUXIÈME PARTIE

Maturation et complexification identitaire de l'École haïtienne.
(De la naissance d'Haïti, Etat- Nation aliéné, à nos jours). (1804 - 2009)

CHAPITRE 3
Le poids de l'aliénation dans le patrimoine historico-éducatif haïtien.

Dans les deux premiers chapitres, nous avons essayé de remonter les filières de l'histoire pour sonder les racines coloniales de notre système éducatif dans la perspective de comprendre les rouages de fonctionnement de cette machine à former des êtres aliénés. L'aliénation, dans le sens que nous le concevons, est un construit historique, un produit de l'aventure ethnocide dans laquelle furent embarqués les infortunés du commerce triangulaire, contraints à l'ingurgitation des théories racistes et ethnocentristes de l'occident colonisateur. C'est ainsi que la fameuse proclamation de l'indépendance qui a rompu les chaînes de l'esclavage n'a pas réussi à rompre les chaînes mentales invisibles et subtiles qui tout au long de la période coloniale ont servi d'assise et de toile de fond au théâtre de l'enfer Saint-Dominguois. Après les guerres pour l'indépendance, une autre forme de lutte allait s'installer au coeur du jeune Etat. L'élite, minoritaire, mais historiquement privilégiée, s'est dressée contre le reste de la nation au travers de son engagement à maintenir le statu quo. De cette option naquirent les difficultés de concevoir un modèle éducatif répondant aux aspirations de la masse. Dans ce chapitre nous aurons à présenter la configuration socio-éducative de l'après-indépendance d'Haïti et à étudier les facteurs qui ont fait de notre école l'un des plus performants vecteurs de l'aliénation culturelle dans la société.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore