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Mise en place des structures et problématique fonctionnelle de l'école haà¯tienne

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par Kathia RIDORà‰
Université adventiste d'Haà¯ti -  Licence en science de l'éducation 2009
  

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A.- Les difficultés de conception d'un modèle éducatif haïtien.

Aucune étude historique d'un système éducatif n'est possible sans l'analyse du contexte économique et politique dans lequel s'est opérée son éclosion.

L'école, comme nous l'avons déjà explicité, est un espace politique. Elle charrie, par conséquent, les résurgences des diverses crises du milieu social. En outre, l'institution scolaire peut être considérée comme l'un des plus importants vecteurs culturels d'une société.

La culture, au sens que lui donne globalement l'ethnologie, est : « Cet ensemble complexe qui inclut les connaissances, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes, ainsi que les autres capacités et habitudes acquises par l'homme en tant que membre d'une société »1. Outre ses aptitudes à garantir l'homogénéisation culturelle, la culture ne manque pas de participer à l'édifice de la conscience nationale.

Le poids énorme des contradictions internes de l'État d'Haïti, les séquelles de nos luttes idéologiques, les méfaits de nos guerres intestines n'ont guère facilité une politique d'intégration sociale.

Aux prises avec les complexes particularités de nos assises, les leaders du pays n'ont jamais su choisir un repère susceptible de répondre aux exigences fondamentales d'un système éducatif national. Toute notre identité de peuple en souffre cruellement.

1-Les particularités conjoncturelles du fonctionnement de l'Etat haïtien après
l'indépendance.

Saint-Domingue devient Haïti le 1er janvier 1804, à l'aube du dix-neuvième siècle, dans un monde quasi totalement esclavagiste. Tare, anomalie, anachronisme, les mots manquent pour étiqueter la percée historique de cet Etat qui vient semer le trouble et la peur au coeur de la communauté internationale. Rapidement, il fallait prendre des positions pour l'isoler, le retenir, l'acculer afin d'empêcher la propagation des idées subversives de liberté, d'indépendance, dont se réclame le nouvel Etat. Manigat L. François rapporte que « Talleyrand, de Paris, et le général Ferrand, de Santo Domingo, au nom de la France, appelèrent les puissances à laisser les nègres cuire dans

1 Google (culture wikipedia).

leur jus par une double action concertée d'interdit politique et d'embargo commercial contre l'Haïti indépendante. L'assentiment de principe obtenu de toutes les capitales eut bien pour résultat la non-reconnaissance de l'indépendance haïtienne (...) >>1. C'est ainsi que l'empereur se retrouve face à une masse d'individus, nouveaux et anciens libres, liés seulement par leur aversion de l'ancien ordre de fonctionnement colonial, une société héritière des contradictions internes du modèle colonial esclavagiste. << La politique de la terre brûlée >>, toutes les institutions étaient en faillite ou ne répondaient plus au statut de la nouvelle société. La charge était lourde, sans compter les alliances fragiles entre affranchis, anciens propriétaires d'esclaves et la masse asservie depuis tantôt trois siècles. Les intérêts ne pouvaient alors être les mêmes. Saint-Victor Jn Baptiste dans le livre : << Le fondateur devant l'histoire >>, présente cette situation en ces termes :

<< La hiérarchie sociale n'était point abolie, si les quelques jours qui s'écoulèrent après la proclamation de la liberté vinrent, dans l'enthousiasme des heures de gloire, généraux et soldats, citadins et paysans, mêler leurs voix au grondement du canon pour remercier la providence ou les Dieux de la race d'avoir couronné leurs efforts. Il y eut cependant une certaine discrimination qui caractérisa les éléments composant les différents groupes sociaux. L'élite de la nation s'était constituée >>2.

Plus loin il ajoute que << la nouvelle bourgeoisie née dans la fulgurance d'une épopée formait la structure politique de la société de 1804, et en tant qu'ancienne classe coloniale dont la position doctrinale avait été nettement définie, elle avait ses tendances, ses aspirations et ses besoins >>3, et nous pouvons ajouter que ses exigences étaient absolument distinctes de celles de la masse. D'ailleurs, poursuit l'auteur :

<< C'est justement pour la conservation et même l'extension des privilèges économiques, la conquête des droits civiques et politiques que les affranchis, formant à ce moment là l'élite dirigeante de la nouvelle nation, avaient levé l'étendard de la révolte ; c'est pour l'ensemble de ces franchises qu'ils se sont offerts en holocauste, changeant parfois de position suivant les impératifs du moment et le jeu de leurs intérêts. Par leur participation à l'indépendance nationale, ils entendaient avoir la pleine jouissance de leurs droits et consolider leurs acquis économiques. Là résident les motifs essentiels de leur adhésion au mouvement séparatiste d'avec la France >>4.

En ce sens, Dessalines devait agir vite pour revivifier l'économie du pays, consolider les forces sociales, c'est-à-dire la structure des fondements sociaux, pour éviter la désagrégation des liens fragiles qui les ont façonnés. Et renforcer les dispositifs de sécurité disponible pour palier à un éventuel débarquement de l'armée de l'ancienne métropole, qui ne digérait pas encore la perte de sa perle économique.

1 L. F. Manigat. Op.cit page 39. Page 115.

2 V. Jn. Baptiste. Le fondateur devant l'histoire. Editions Presses Nationales d'Haïti, Collection Mémoire Vivante, Port-au-Prince, 2006. Page 38-39.

3 Ibid 39.

4 Ibid. Page 39.

L'Empereur a effectivement mis les mains à la pâte. L'économie et la politique furent les deux grands axes de ses activités. Pour St. Victor Jn. Baptiste dans l'ouvrage précité, << le gouvernement militaire absolutiste de Dessalines n'a pas trahi la nation. Il s'est placé à la hauteur de sa tâche en prenant des mesures énergiques pour maintenir la discipline dans l'armée, l'instrument de libération et de protection du sol national (...) >>1. Il a nationalisé les biens publics, cherché à lier des relations économiques avec des pays autres que l'ancienne métropole, assuré une organisation politique et administrative de la nouvelle nation en maintenant la division militaire. Le pays fut partagé en six grandes divisions militaires. Il a construit une structure politique en instituant l'empire. Sur le plan économique, sa principale action en faveur de la masse allait lui coûter la vie : << Il a voulu faire de l'administration une oeuvre continue et c'est pour avoir poursuivi, avec inflexibilité, les redressements qui s'imposaient qu'il tomba victime. Sa mort est la conséquence de cette politique de justice sociale qu'il a préconisée, des réformes urgentes qu'il a entreprises pour sauvegarder les droits qu'un groupe de privilégiés, dans leur ambition effrénée, menaçaient de sacrifier >>2.

En effet, exaspéré devant la cupidité et l'avarice des élites à peau claire ou de tout autre acabit qui se réclamaient héritières des biens laissés vacants par les anciens propriétaires, Dessalines a pris position au profit de la masse. Les ethnologues Lorimer Denis et François Duvalier expliquent clairement cette situation dans le texte : << Le problème des classes à travers l'histoire d'Haïti >> quand ils rapportent que : << Deux classes sont maintenant en présence ; la grande classe des anciens esclaves et celle des anciens affranchis. (...) >>, Citant J.C Dorsainvil ils continuent : << Les affranchis déjà possesseurs de terre se réclamaient d'une filiation douteuse, se considéraient comme héritiers naturels des vastes habitations des colons >>3. Dessalines a entamé une lutte pour le partage des biens avec équité entre tous les fils de la patrie. Pour cela il a institué la vérification des titres de propriété. Mesure incendiaire, qui montre la ferme volonté qu'avait l'empereur de défendre les intérêts de la masse. Mais la nouvelle société était victime des gangues ataviques de l'ancien modèle colonial esclavagiste. Rien n'avait changé dans les modes d'appropriation du pouvoir politique et la sauvegarde de la position sociale et économique dominante. Toujours selon Jn. Baptiste dans son étude sur le fondateur de la patrie, << (...) Les procédés les plus blâmables sont employés pour parvenir vite à la fortune : contrebande, corruption de fonctionnaires, malversations, concussions, etc. La société de 1804 n'a pas échappé à la loi de son origine. Simple transition à un régime d'oppression, elle n'a

1 Ibid. Page 52

2 Ibid. Page 118.

3 Cité par St. V. Jn. Baptiste, Op.cit, page 73. Page 57.

pas eu le temps de laisser sur la route de l'histoire les impedimenta qui alourdissent sa démarche et lui donnent une physionomie particulière >>1. Dessalines ne pouvait se battre contre le poids subjectif de trois siècles de fourberie implacable. Il allait de manière inéluctable y laisser sa peau. C'est ce qui s'est effectivement passé au Pont Rouge, le 17 octobre 1806. La société haïtienne, chargée de tout l'héritage idéologique et émotionnel de l'ancienne colonie, exprimait alors la première victoire d'une certaine forme de contre-révolution, couronnant les visées de l'élite au détriment des aspirations de la masse historiquement bafouée dans ses revendications. C'est ainsi que ruiné, de l'extérieur, par l'atrophie qu'imposait la communauté internationale, et, de l'intérieur, par les assauts d'une élite anti-nationaliste et aliénée, l'Empire tombe comme un château de cartes.

Mais si pour certains, l'empereur a failli devant l'histoire, c'est parce qu'ils n'ont pas étudié la période Dessalines à la lumière du contexte historique de son temps et sans une prise en compte rationnelle des difficultés auxquelles son administration a dû se heurter. Cabon Adolphe dans son << Histoire d'Haïti >>, exprime bien cette idée, quand il écrit que :

<< La tâche entreprise par Dessalines et ses collaborateurs, n'était pas achevée à l'évacuation de l'armée française ; il lui restait à donner au peuple les moyens de vivre et de faire figure auprès des nations avec lesquelles il entrait en parallèle et s'établissait sur un pied d'égalité... Ce n'est pas moins un rude travail et si des fautes ont été commises, les auteurs responsables ont leur excuse dans leur inexpérience et dans les difficultés de la tâche >>2.

2-Trahison d'un projet de rédemption collectif, hypothèque du pouvoir politique et rupture
de l'unité nationale.

<< Le soulèvement général qui débouche sur 1804 ne s'alimente pas d'une tradition, d'un présent partagé et d'un désir de vivre ensemble, et la <<nation culturelle >>, n'existe pas encore. En 1804, la volonté générale, base de tout Etat de droit, serait une force à construire à partir de cette soif de liberté individuelle et la réalisation personnelle >>. Cette analyse de Jean Casimir tirée du livre << Haïti et ses élites. L'interminable dialogue de sourds >>, présente un tableau significatif de la configuration de l'après indépendance. Les alliances ethno-socio-politiques

1 Ibid. Page 59

2 Cabon, Antoine, P.- NOTES SUR L'HISTOIRE RELIGIEUSE D'HAITI. DE LA REVOLUTION AU CONCORDAT (1789-1860), Port-auprince, 1936. Page 319.

entre les anciens et nouveaux libres, entre anciens propriétaires d'esclaves et esclaves, étaient des mariages de fait, d'intérêt, promulgués par le tournant explosif et de non-retour que prend la guerre révolutionnaire menée par les <<bossales», ou les multitudes de marrons non intégrés à la culture créole déshumanisante et assimilatrice. Les anciens affranchis, propriétaires d'esclaves, se sont trouvés dans l'impossibilité de faire ralentir la marche de la révolution. Ils prennent alors le leadership de la lutte en partie pour renverser un système social qui obstruait leur liberté politique et aussi pour tenter de conserver la suprématie sociale et politico-économique.

Pour comprendre l'Etat haïtien, explique Jean Casimir, l'on ne peut perdre de vue que les affranchis de vieille souche, et tout particulièrement ceux qui sont nés de pères et de mères, eux-mêmes affranchis, sont des victimes de l'insurrection antiesclavagiste de 1790 et non des collaborateurs et encore moins des promoteurs du mouvement. Autrement dit, les troubles détruisent leurs fortunes construites par les travailleurs coloniaux et la perte de la perle des Antilles les affecte aussi bien que les colons de la métropole. Alors, leur alliance, toujours selon l'auteur, est plutôt provoquée, en plus des prérogatives soulignées plus haut, mais aussi << par la précipitation du général Richepanse, qui, selon Leclerc, met en application en Guadeloupe et de façon prématurée, la révocation du décret d'émancipation générale, puis prend une série de mesures contre les hommes de couleur. (...) Ces affranchis ne participent pas à la révolution de 1804 en tant que planteurs, mais plutôt en tant qu'êtres humains menacés par le génocide ordonné par le premier consul »1.

Le Sociologue Jean Casimir, dans le livre mentionné plus haut met en lumière le caractère fragile et intéressé de l'alliance entre les divers acteurs sociaux de la guerre de l'indépendance. Il va sans dire que la nouvelle nation allait, tout de suite après l'euphorie de la victoire sur l'armée napoléonienne, se maintenir en équilibre instable, car elle souffre de malformation congénitale, puisque très peu de changement s'est effectué par rapport à la configuration sociale de l'époque coloniale. A part l'élimination des colons, tout semble garder sa place dans la structure sociale, avec quelques nuances près et significatives, comme cette sorte de mobilité qu'on assiste dans le rang des affranchis mulâtres et une minorité noire, qui, d'une même action, prend la tête de la révolution, et fait mainmise sur l'hégémonie économico-politique et culturelle de la nation, et les chaînes physiques de l'esclavage rompus pour être remplacées par d'autres chaînes plus subtiles comme l'exploitation à outrance, la misère, et la paupérisation.

1 Jean Casimir. Op.cit page 60. Page 111.

Les luttes de classe de la période coloniale, en transcendant l'Haïti de 1804, font naître deux projets de société distincts et antagoniques. D'un coté, l'élite, privilégiée par sa nouvelle position dans la hiérarchie sociale et qui tient à garder intacts les rouages du fonctionnement hérité de leurs pères, et la masse, pour la majorité << bossale >>, donc non intégrée à la culture dominante. Cette culture vise la déshumanisation, la bestialisation et l'assimilation, ayant une vision du monde en parfaite contradiction, que ce soit au niveau de l'organisation économique, familiale, politique, culturelle de la classe dominante. J. Casimir, toujours dans le souci d'éclaircir les contradictions de la nouvelle société, avance que :

<< Les affranchis et leurs descendants perdent leur nationalité française en 1804, mais la France demeure leur mère-Patrie. Le type d'haïtiens qu'ils construisent n'inclut pas sur un pied d'égalité les anciens Ibos, Yorubas, Kongos, Mandingues et leurs descendants respectifs. Il y a plus : Ils institutionnalisent comme seule voie d'amélioration des niveaux de vie et de mobilité sociale ascendante, la participation aux mécanismes qui visent à exclure la paysannerie des échanges sociaux significatifs et à banaliser les oeuvres culturelles locales >>1.

Mais il faut remarquer que le leader de la révolution de 1804, à savoir Dessalines, avait le souci de rétablir la dignité de la masse trois fois séculairement bafouée parce que lui également, contrairement à certains autres éléments du staff dirigeant, a connu l'enfer du champ et le cinglement du fouet du commandeur. Mais, également il avait le souci, même en éliminant systématiquement la caste blanche, de conserver l'unité fragile du jeune Etat nation en jugulant l'antagonisme de couleur. C'est ainsi que, rapporte L. F. Manigat, << un des premiers rapports d'intelligence français sur le nouvel Etat observait que, sous Dessalines, l'administration n'était dirigée que par les mulâtres instruits en qui il voulait investir sa confiance en faisant d'eux ses plus proches collaborateurs, tel son chef d'état major Bazelais, tels ses conseillers secrétaires et confident Boirond Tonnerre, Juste Chanlatte, Alexis Dupuy, Balthazar Inginac, etc >>2. Pour l'historien L. F. Manigat, l'idéal Dessalinien pour son pays était de maintenir la parfaite réconciliation entre deux classes d'hommes nés pour s'aimer, s'entre-aider, se secourir, mêlées enfin et confondues ensemble. L'auteur retransmet une admonestation qui traduit justement l'admirable pensée du fondateur de la Patrie :

<< Noirs et jaunes... Vous ne faites aujourd'hui qu'un seul tout, qu'une même famille. Les mêmes calamités ont pesé sur vos têtes proscrites... le même sort vous est réservé, les mêmes intérêts doivent donc vous rendre à jamais unis, indivisibles et inséparables. Maintenez votre précieuse concorde, cette heureuse harmonie parmi vous, c'est le gage de votre bonheur, de votre salut, de vos succès : C'est le secret d'être invincible >>3.

1 J. Casimir. Op.cit page 60. Page 126.

2 L.F. Manogat. Op.cit.Page 39. Page 174

3 Ibid. Page 174

Et, pour joindre le geste à la parole, il veut marier sa fille Célimène à Pétion, chef de file des mulâtres, rapporte le même auteur. Mais, parce que justement il voulait réhabiliter la masse d'anciens esclaves, en confondant tous les éléments de la nation sous le générique de << noirs >>, et surtout en défendant les intérêts économiques de cette classe au détriment d'une faction accaparatrice, son beau rêve allait s'écrouler au Pont-Rouge comme une château de cartes. D'ailleurs, souligne Jean. Baptiste St.Victor1 :

<< L'armature interne du groupe des affranchis, sa puissance psychologique, comme classe dirigeante, se trouvait fortement ruinée sous l'action corrosive de l'idéologie particulière de classe et des doctrines de haine qui s'inscrivaient à dessein dans le contexte social de Saint-Domingue. S'étant ralliés au mouvement des masses pour pouvoir jouir des droits et conserver des privilèges primordiaux, les anciens libres n'avaient pas une foi très vive dans le destin du régime... Assurer sa pérennité était quand même une nécessité, ils y souscrivent volontiers ; mais la rupture s'opéra sous l'empire des impératifs économiques au moment oü le fondateur inaugure une politique de justice sociale >>.

Le << contrat-social >> à la base de la consolidation de l'Etat-Nation d'Haïti allait en s'effritant, parce que des deux côtés les intérêts ne concordaient pas. La classe dominante devait par tous les moyens chercher à se réapproprier son cadre de production et ainsi ne voyait dans la masse nouvellement libre que la perpétuation des esclaves, assises de l'économie de plantation. Alors, sous la poussée d'une lutte silencieuse et parfois même transformée en affrontement physique, l'élite réhabilite sa main-d'oeuvre bon gré mal gré, en faisant tout pour inférioriser, diaboliser, discriminer en bloc, et sans aucun effort de compréhension le schème socioculturel de la masse.

De l'avis de Dessalines, explique J. Casimir, il revient à l'Etat de protéger l'accès des anciens captifs à la terre.

<< Il existe donc une communauté d'intérêt entre l'Etat et la société ainsi qu'un espace de négociation politique. Après Pont-Rouge, oü Dessalines perd la vie, aucun chef d'Etat ne reprend cette bannière, et aucun intellectuel ne questionne la raison d'être de la discrimination contenue dans les superficies des lopins octroyés aux anciens captifs. Au Pont-Rouge, la société et l'Etat empruntent des chemins divergents et prennent naissance les << gens du dehors >>, les exclus, en présence de tous nos maîtres à penser >>2.

Ce fut la rupture entre l'Etat et la société, et depuis deux cents ans l'Etat et l`élite intellectuelle travaillent au détriment de la grande majorité affaiblie et acculée dans des espaces géographiques aménagés par l'élite, comme des ghéttos3 provinciaux et urbains, oü le seul chemin de mobilité sociale individuelle réside dans l'aliénation de son soi, à travers les diverses institutions érigées historiquement par la classe dominante, comme l'école, l'église, les médias,

1 St. Victor Jean Baptiste.Op.cit, page 73. Page 41.

2 J. Casimir. Op.cit, page 60. Page 106.

3 Ghettos, pris ici dans le sens d'un espace enclavé, une sorte de prison symbolique, oü on ne permet aux gens de s'aventurer facilement au dehors.

17 Un texte trouvé sur internet sans reference complete. www.google.fr.

etc. << Comme les penseurs européens, avance encore J. Casimir, les élites de Saint-Domingue et, plus tard, d'Haïti, ne voient qu'une des deux faces de la société locale. De l'autre côté de leur champ de vision, fourmille un monde auquel elles n'accordent aucune validité et qu'elles prétendent occidentaliser, sans en savoir la moindre idée, sous prétexte de le (moderniser)>>. Notre incapacité à mener la barque du pays comme une nation souveraine, l'analphabétisme, la dégradation de l'environnement et notre désagrégation sociale en général ne sont-ils pas la résultante de cette rupture de l'unité nationale ? Dans quelle mesure l'école travaille-elle pour la continuation de cette banqueroute?

3-L'Éducation dans la hiérarchie des préoccupations du jeune État d'Haïti.

Albert Memmi, dans un texte intitulé : << La décolonisation >>, fait un saisissant synthèse sur la complexe situation d'un décolonisé dans les premiers temps de sa toute nouvelle condition. Il avance que :

<< Le décolonisé, est un homme en voie de décolonisation, qui continue à se définir et à se conduire par rapport à une condition dont les effets n'ont pas totalement disparu... Il s'agit à la fois d'achever de conquérir l'indépendance vis-à-vis du colonisateur, et de se reconstruire soi-même. D'où l'ampleur et la variété des problèmes qui s'imposent à tout un peuple en voie de décolonisation ; Il faut, en effet, découvrir des solutions nouvelles dans tous les domaines, politique, économique, social et culturel >>1.

De là toutes les difficultés de la jeune nation à penser une politique éducative apte à prendre en main la formation du peuple. Mais il faut remarquer que même au niveau international, au début de la première moitié du 19ème siècle l'instruction n'était pas encore tout à fait démocratisée. Nous avons même été à l'avant-garde quand, dans la constitution de 1805, en son article 19, il est stipulé qu' << il sera établi, dans chaque division militaire, une école publique pour l'instruction de la jeunesse >>. Rodrigue Jean, dans le texte << Crise de l'éducation et crise du développement >>, rapporte qu' << en outre, toute personne est libre d'ouvrir une institution d'enseignement. C'est ce qui ressort de l'interprétation des articles 1, 2, 3, du chapitre IX du décret impérial de 1805 >>2. Edner Brutus, dans le tome I du livre << Instruction publique en Haïti >>, nous présente la jeune nation comme << un camp armé (...) où l'Haïtien vivait fusil au dos, bêche au poing, dans l'attente des frégates françaises >>3. Alors dans cette atmosphère il n'y avait aucune place pour une pensée privilégiant l'éducation de la masse. Toujours selon E. Brutus, les écoles prévues dans l'article 19 de la constitution, << on se soucia si peu de les ouvrir que la charte de 1806 n'évoqua même

1 Une partie du texte trouvé sur Google.

2 Constitution impériale du 20 mai 1805 (art. 19, disposition générales), in 1801-1805 le premier siècle de constitutions haïtiennes, Le Petit
Samedi soir,
livraison du 7-13 septembre 1985, p44. (Cité par Rodrigue Jean dans Haïti : Crise de l'éducation et crise du développement, p15.

3 E. Brutus. Op.cit, page38. Page 27.

pas l'idée de l'enseignement primaire >>1. Toutefois, poursuit-il, << des écoles privées, en nombre restreint, avaient résisté aux bouleversements et d'autres toujours rares, avaient été montées dans certaines villes. (...) Dessalines décida même du coût de leur fréquentation au neuvième chapitre consacré aux institutions particulières, de son décret du 30 août 1805 >>2. Il ajoute rapidement qu'il va de soi qu'à ce prix, ces écoles privées étaient plutôt abordables aux enfants des familles bénéficiant d'un certain revenu. L'enseignement n'avait rien perdu de son caractère aristocratique et continuait à être à la disposition d'une élite, comme durant l'époque coloniale.

Outre les difficultés auxquels la nation faisait face dans l'organisation des différentes structures de son fonctionnement, l'entourage de Dessalines n'avait aucun intérêt immédiat à promulguer une politique éducative en faveur de tous.

<< Personne, écrit Thomas Madiou, ne songeait non plus à donner à Dessalines le conseil d'établir des institutions d'instruction publique afin que le peuple, en s'éclairant, pût concevoir en quoi consistait la dignité humaine. Au contraire, la plupart de ceux qui avaient acquis quelques connaissances redoutaient la propagation des lumières dans les rangs de la masse. L'avenir de la nation était sacrifié à des intérêts privés >>3.

Analysant les réflexions de Madiou sur la perversion ancestrale de notre élite, il ajoute que :

<< Ce mauvais vouloir sinue, depuis, à travers nos annales, habile et multiforme. Selon les tempéraments et la solidité des régimes, il sera étalé sans pudeur dans la législation ou camouflé sous des mesures prometteuses. Il dictera des rapports malhonnêtes, de fausses statistiques, des discours menteurs, des proclamations hypocrites. Il se déguisera sous mille oripeaux. Pour propagande, la classe dirigeante s'agitera beaucoup à propos de l'instruction de nos foules. Elle agira peu ou prou. Cela s'explique par ses intérêts. L'évolution naturelle des villes, grâce au caractère des échanges commerciaux, lui imposera l'école primaire urbaine. Elle l'organisera, petitement, à la taille de ses avantages financiers et politiques. Quant à l'enseignement rural, on connaît son odyssée >>4.

Il faut remarquer que, historiquement, la masse des paysans a toujours été victime du comportement rapace de notre élite. Sa vie a, d'une manière perpétuelle, basculé en équilibre instable entre : Planter et vendre. Tant qu'elle est à même de bêcher avec des outillages moyenâgeux pour satisfaire l'insatiable soif de lucre de la bourgeoisie, tout est parfait. << L'on ne comptera point pour indispensable de donner aux travailleurs de la terre une instruction sans laquelle ils exécutent leurs parties >>5, souligne E. Brutus. Et Jean Price Mars renchérit quand dans le texte << Ainsi parla l'oncle >> il rapporte que :

<< Le statut social (après l'indépendance) resta inchangé. La possession des grands domaines seigneuriaux qui était la principale marque de la puissance et de la fortune, conserva son éternelle signification. Les grands planteurs d'autrefois furent tout simplement dépossédés par les nouveaux chefs

1 E. Brutus. Op.cit, page38 Page 28.

2 Ibid. Page 28

3 Ibid. Page 30.

4 Ibid. Page 31.

5 Ibid. Page 32.

politiques, qui s'installèrent dans leurs privilèges et leurs prérogatives avec une certaine discrétion conforme aux conditions survenues dans la vie publique >>1.

Alors, après l'indépendance, parce que justement l'école ne s'est pas démocratisée pour toucher le plus grand nombre, elle a gardé son caractère élitiste et montre clairement que les élites politiques de cette époque n'ont fait que reproduire quasi sans aucune transformation valable les bases idéologiques de l'époque coloniale dans le domaine de l'éducation et dans tous les autres domaines de l'administration publique.

<< Le parti le plus simple pour les révolutionnaires en mal de cohésion nationale, explique J.P. Mars dans le texte précité, était de copier le seul modèle qui s'offrit à leur intelligence. Donc, tant bien que mal, ils insérèrent le nouveau groupement dans le cadre disloqué de la société blanche dispersée, et, ce fut ainsi que la communauté nègre d'Haïti revêtit la défroque de la civilisation occidentale au lendemain de 1804. Dès lors, avec un constant échec, aucun sarcasme, aucune perturbation n'a pu fléchir. Elle s'évertua à réaliser ce qu'elle crut être son destin supérieur en modelant sa pensée et ses sentiments, à se rapprocher de son ancienne métropole, à lui ressembler, à s'identifier à elle. Tâche absurde et grandiose ! Tâche difficile, s'il en fut jamais ! >>2.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand