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La performance de l'achat public

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par Jérémy FASS
Université de Montpellier - Master 2 contrats publics et partenariats 2016
  

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B. Les nouvelles libertés des acheteurs publics

Une prise de conscience à venir ? Ainsi le nerf de la guerre en termes de performance de l'achat public prend la forme de la liberté contractuelle.

Or celle-ci, si elle a bien été consacrée pour les personnes publiques, demeure purement formelle en matière d'achat public. Les acheteurs publics ne semblent en effet pas capables de l'utiliser. Raymond Aron considérait d'ailleurs à propos des libertés purement formelles comme celle-ci qu'on n'en « tire aucun profit », si on « n'est pas capable de les utiliser », car « il ne suffit pas que la loi accorde des droits, il faut encore que l'individu se donne les moyens de les exercer (É) être libre est une chose, être capable est une autre chose. »416

Aussi afin de placer les acheteurs publics dans de bonnes dispositions et de les « éduquer » à avoir plus de liberté lorsqu'ils achètent, la procédure adaptée va être mise en place (1) et la négociation va être progressivement étendue (2).

1) La procédure adaptée

Une procédure plus libre. L'article 27 du nouveau décret relatif aux marchés publics perpétue la possibilité pour l'acheteur qui existe depuis 2004, de recourir à une procédure adaptée qui l'autorise à déterminer « librement, les modalités en fonction de la nature et des caractéristiques du besoin à satisfaire, du nombre ou de la localisation des opérateurs économiques susceptibles d'y répondre, ainsi que des circonstances de l'achat. »417 Les acheteurs publics doivent néanmoins respecter les principes fondamentaux.

La peur de la liberté. Pourtant la procédure adaptée a d'abord été vue uniquement par le prisme du risque juridique qu'elle véhicule. La liberté fait aussi peur. Les procédures formalisées sont certes lourdes, mais elles sont pourtant rassurantes. Aujourd'hui, selon Florian Linditch « la peur de la liberté s'est muée en intérêt pour la procédure adaptée, désormais utilisée avec efficacité. »418 Cette procédure adaptée fait d'ailleurs échos à la

416 R. ARON, Essai sur les libertés, Calmann Levy, 1965.

417 D. n 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, art. 27.

418 F. LINDITCH, « Dix ans de commande publique », art. préc.

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proposition que faisait Jean-Marc Peyrical dès 2004, de prendre le régime des délégations de service public comme modèle pour le droit des marchés publics419.

Il reste que cette liberté ne produit pas toujours de la performance, ou en tous cas elle est souvent insuffisante pour cela. Il en est de même pour les marchés inférieurs à 25 000 euros qui sont passés en procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence préalable. C'est ce que pointe du doigt le Professeur Linditch en dénonçant une « sous-réglementation » qui nuit à la rencontre du contrat et de la performance420. D'autres estiment qu'une telle réglementation serait au contraire mal venue421.

Il faut en tout état de cause que cet encadrement reste prudent pour ne pas vider ces procédures d'une liberté bienvenue. Concrètement, il faudrait préciser la portée des principes fondamentaux pour que ces différentes procédures non formalisées portent leurs fruits en terme de performance. C'est d'ailleurs ce que le juge a tenté de faire, mais le législateur devrait se saisir de cette question422. La récente réforme de la commande publique apporte cependant peu de précisions sur ce point.

Finalement la principale qualité de cette procédure adaptée est qu'elle permet de procéder à une négociation, à condition que le pouvoir adjudicateur l'ait précisé dans les documents de la consultation transmis aux candidats423.

2) La négociation

La négociation et la performance. Négociation et performance sont le plus souvent présentées comme ne faisant qu'un en matière d'achat public. La rencontre de la performance et du contrat d'achat public a pour prérequis la rencontre entre l'offre et la demande. Or cette rencontre suppose une optimisation de l'offre et de la demande.

A cette fin la définition des besoins de l'Administration doit être la plus précise possible, de façon à ce que les offres correspondent au maximum à ce que souhaite l'Administration. De plus, une connaissance approfondie du marché est nécessaire. Ces prérequis sont cependant très rarement réunis lors de la passation d'un marché public, comme

419 J.-M. PEYRICAL, « Régime de passation des contrats publics : le droit des délégations comme modèle ? », AJDA 2004, p.2136.

420 F. LINDITCH, « Le contrat et la performance, une rencontre impossible ? », art. préc

421 F. ALLAIRE, « Dépasser le droit des marchés publics », art. préc.

422 CE, 30 janv. 2009, ANPE, n° 290236.

423 D. n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, art. 27.

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le souligne Marion Ubaud-Bergeron424. Refuser dès lors la négociation serait une démarche utopique et tout sauf pragmatique, car seule cette technique peut permettre d'accomplir ces prérequis devant précéder toutes acquisitions. Jean-Marc Peyrical lui aussi explicite parfaitement cette ambition irréaliste d'un appel d'offre qui serait amplement suffisant, car continuer à n'accepter la négociation que dans de très rares cas signifie que pour le reste « les cahiers des charges préparés par les collectivités publiques doivent parfaitement traduire la définition de leurs besoins, tant sur le plan financier que technique, afin que les offres présentées par les candidats soient les plus adaptées possible à de tels besoins. Etant donné que l'on se situe, en cas d'appel d'offres, dans le domaine des contrats d'adhésion, les possibilités d'ajustement entre l'offre et la demande se trouvent particulièrement restreintes et nécessitent une compétence aiguë de la part de l'administration afin qu'elle puisse contracter avec l'entreprise la plus à même de fournir la prestation attendue. »425

Ce manque de réalisme qui sclérose à tous les niveaux le droit des marchés publics atteint son paroxysme avec le refus de la négociation qui est la figure de proue des fervents défenseurs de la performance. Si bien que les voeux d'ouverture à la négociation des marchés publics se multiplient426, au nom d'une plus grande efficacité de l'achat public.

Les avantages de la négociation. Il est parfois essentiel de négocier. La négociation permet de prime abord « de discuter des conditions économiques de la réalisation de la prestation. »427 Aussi s'impose-t-elle seulement lorsqu'il ne s'agit pas de choisir une offre portant sur un service ou un produit courant, et pour lesquels la concurrence est suffisante. Dans ces cas là, le prix suffit en effet à départager les différentes offres (on retrouve ici les deux conditions sine qua non du recours à la négociation : une mauvaise connaissance du marché et une définition imprécises des besoins).

Dans l'hypothèse inverse où la négociation s'impose, celle-ci permet d'avoir un « échange réel Ð et constructif Ð entre l'administration et ses candidats »428. Ainsi cette

424 M. UBAUD-BERGERON, « La négociation », Contrats-Marchés publics, 2014, dossier 7.

425 J.-M. PEYRICAL, « Régime de passation des contrats publics : le droit des délégations comme modèle ? », art. préc.

426 V. en ce sens quelques exemples : F. LINDITCH, « Le contrat et la performance, une rencontre impossible ? », art. préc. ; M. UBAUD-BERGERON, « La négociation », art. préc. ; F. LINDITCH, « Dix ans de commande publique », art. préc. ; F. VILLETTE, « Plaidoyer pour (un vrai) management de l'achat public », www.achatpublic.info, 2014. ; J.-M. PEYRICAL, « Régime de passation des contrats publics : le droit des délégations comme modèle ? », art. préc.

427 A. JOSSAUD, « Marchés publics : dialoguer n'est pas négocier », AJDA 2005, p. 1718.

428 J.-M. PEYRICAL, « Régime de passation des contrats publics : le droit des délégations comme modèle ? », art. préc.

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procédure se justifie pour trouver l'offre économiquement la plus avantageuse lorsque celle-ci n'apparaît pas immédiatement et objectivement.

Les opérations complexes qui ne sont pas pour autant des marchés de partenariat, doivent pouvoir donner lieu à des négociations qui permettraient à la personne publique non seulement de préciser ses besoins, tout en permettant aux opérateurs de proposer des solutions « concurrentielles non anticipées, éventuellement innovantes »429.

Ensuite une bonne négociation évite de recourir par la suite à des avenants430, ce qui est un gain de sécurité juridique et qui permet d'éviter les surcoûts engendrés par de telles renégociations.

La négociation permet également aux pouvoirs adjudicateurs d'exiger des justifications des opérateurs sur leurs offres, ce qui permettrait d'éviter notamment de choisir des entreprises qui pour remettre une offre aussi séduisante ne respecteraient pas le droit de la concurrence431.

La négociation implique nécessairement la possibilité de modifier tant la commande que l'offre, au fur et à mesure des discussions avec les candidats. Aussi un point de rencontre de l'offre et de la demande se dessine progressivement grâce à elle. La négociation représente « l'acte de commercer »432 par essence. Surtout ce droit à la négociation est le principe en droit privé car la liberté contractuelle suppose fondamentalement de pouvoir « contracter en toute compétence et connaissance de cause. »433

La directive fait également valoir dans son considérant 42 que « les offres transnationales obtiennent un taux de réussite particulièrement élevé dans le cas de marchés passés par une procédure négociée avec publication préalable. » 434 Lorsque plusieurs cultures administratives, commerciales ou juridiques doivent se concilier, la négociation devient rapidement nécessaire.

L'extension de la négociation ne fait néanmoins pas l'unanimité puisque certains

429 P. BAJARI, R.S. MCMILLAN et S. TADELIS: « Auctions versus Negotiations in Procurement : An Empirical Analysis », Journal of Law, Economics, and Organization, vol. 25, n° 2, 2009, pp. 372-399, in S. SAUSSIER, J. TIROLE, « Renforcer l'efficacité de la commande publique », art. préc.

430 J-L GUASCH., J-J. LAFFONT et S. STRAUB : « Renegotiation of Concession Contracts in Latin America: Evidence from the Water and Transport Sectors », International Journal of Industrial Organization, vol. 26, n° 2, 2008, pp. 421-442, in S. SAUSSIER, J. TIROLE, « Renforcer l'efficacité de la commande publique », art. préc.

431 S. SAUSSIER, J. TIROLE, « Renforcer l'efficacité de la commande publique », art. préc.

432 Plus exactement, c'est la « transmission des effets du commerce », www.Larousse.fr.

433 J.-M. PEYRICAL, « L'évolution du droit de la commande publique, quelques commentaires et réflexions », AJDA 2009, p. 965.

434 Dir. 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics, Consid. 42.

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comme le Professeur Allaire, sont d'avis que l'effet d'une telle ouverture ne serait que relatif. Il fustige la doctrine économique d'avoir une telle idée, en mettant en avant le déséquilibre originel, qui existe en faveur de l'Administration au moment de contracter. Autrement dit, le rapport de force contractuel qui existe dans chaque contrat public penche en faveur de l'Administration et ne saurait être rééquilibré par la négociation 435 . A choisir l'Administration devrait donc plutôt ne pas négocier et imposer ses propres conditions. Sauf que celles-ci pourraient être non viables économiquement, annonçant du même coup un contrat dont l'exécution sera rythmée par de nombreuses péripéties contre-performantes (avenants, tensions, retard, etc.). Ces considérations datent toutefois de 2009 et l'évolution de la pratique et du droit des marchés publics semble ne pas aller dans ce sens.

Constat : La négociation comme simple dérogation. La sélection des offres annoncent de nombreuses difficultés que les Professeurs Saussier et Tirole ont tâchés d'énumérer : « risque de collusion lorsque les marchés sont concentrés ; risque de «malédiction du vainqueur« (lorsque la meilleure offre émane du partenaire le plus optimiste et non du plus efficace) ; risque de recevoir des offres excessivement agressives afin d'être retenu, avec l'idée de renégocier ensuite le contrat ; risque de corruption. »436 Or la négociation devrait permettre de réduire ces différents risques, mais ces procédures de négociation sont trop peu utilisées en Europe (dialogue compétitif inclus).

L'article 42 de l'Ordonnance du 23 juillet 2015 met en avant quatre procédures possibles lorsque le marché à passer se situe au-dessus des seuils et qu'il ne s'agit pas d'un marché de partenariat : l'appel d'offre, le dialogue compétitif, la procédure concurrentielle avec négociation et la procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence préalable. Ces différentes opportunités se différencient les unes des autres par la place que chacune laisse à la négociation437 : interdite ou asymétrique - où soit seuls les besoins peuvent varier (dialogue compétitif), soit seules les conditions de l'offre peuvent varier (procédure concurrentielle avec négociation ou la procédure négociée sans mise en concurrence ni publicité préalables). Pour autant la pleine négociation où chacune des parties

435 F. ALLAIRE, « Dépasser le droit des marchés publics », art. préc.

436 S. SAUSSIER, J. TIROLE, « Renforcer l'efficacité de la commande publique », art. préc.

437 M. UBAUD-BERGERON, « La négociation », Contrats et Marchés publics, n° 6, 2014.

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peuvent faire évoluer leurs propositions est exclue dès lors que le marché a une valeur qui le situe au-dessus des seuils européens de passation438.

Aujourd'hui, avec les nouveaux textes, la procédure de principe reste l'appel d'offre, tandis que pour négocier des conditions doivent être remplies439. Contrairement aux règles applicables aux entités adjudicatrices, un libre choix n'est donc pas permis440. Lorsque l'on parle d'extension de la négociation ou d'ouverture de celle-ci, cela signifie que les conditions à remplir pour y recourir sont de plus en plus larges.

Finalement, la négociation reste non seulement dérogatoire mais, même lorsqu'elle est admise, en procédure formalisée, celle-ci est restrictivement entendue (toujours asymétrique). Pour autant, il faut reconnaître quelques récentes avancées.

Une ouverture progressive441. Les directives européennes de 2014 ont été à la hauteur des attentes, quant à l'élargissement des possibilités de négociation. Ces avancées sont reconnues par la majorité des auteurs, dont Laurent Richer442.

Désormais, d'après les directives, la négociation (dialogue compétitif ou procédure concurrentielle avec négociation) peut désormais être utilisée dès lors que le service, le produit ou les travaux commandés ne sont pas « standardisés » selon le Professeur Richer443, qui voit dans cette progression de la négociation une atténuation significative de l'écart entre le régime applicable aux pouvoirs adjudicateurs et celui des entités adjudicatrices.

Si le Professeur Richer semble se contenter de cette ouverture, le Professeur Ubaud-Bergeron considère plutôt et à juste titre que cette évolution reste inachevée puisqu'une totale liberté du choix de la procédure n'est toujours pas reconnue. Il a du être jugé trop difficile de savoir si un achat mérite ou non le recours à une négociation.

438 On ne traitera pas ici la possibilité de négocier pour passer un marché de partenariat, qui est la procédure négociée avec mise en concurrence préalable.

439 D. n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, arts. 25-I (procédure concurrentielle avec négociation ou le dialogue compétitif) et 30 (Marchés publics négociés sans publicité ni mise en concurrence préalables). Les conditions de recours au dialogue compétitif ou aux marchés publics négociés sont équivalentes.

440 Ibid., art 26.

441 V. pour les conditions de recours à la négociation sous l'empire du Code de 2006 à l'article 35 : « la négociation n'était au final permise qu'en raison du caractère exceptionnel de la nature de l'achat ou des circonstances de l'achat », résume Marion Ubaud-Bergeron.

442 L. RICHER, « la concurrence concurrencée : à propos de la directive 2014/24 du 26 février 2014 », art. préc. Dans le même sens : M. UBAUD-BERGERON, « La négociation », art. préc.

443 V. en ce sens les six hypothèses dans lesquelles le dialogue compétitif ou la procédure concurrentielle avec négociation sont autorisées : D. n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, art. 25-II.

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La subjectivité attachée à ce choix de la procédure est pourtant la conséquence directe de l'utilisation de l'instrument contractuel qui ne doit pas sans cesse être objectivée, par la soumission de sa passation à un certain nombre de critères objectifs tout aussi malléables les uns que les autres.

Les raisons de la frilosité du législateur et des acheteurs publics à l'égard de la négociation. Il existe deux raisons principales à cette méfiance vis-à-vis de la négociation. D'une part, il y a des doutes quant à la capacité des acheteurs publics à négocier, et d'autre part, le respect des principes fondamentaux de la commande publique lors d'une négociation n'est pas garanti. La problématique est ainsi résumée par Jean-Marc Peyrical, qui au moment de s'intéresser à la négociation écrit que se pose « la problématique de la capacité des structures publiques à mener à bien des politiques d'achat à la fois sécurisées juridiquement et efficaces économiquement. »444 Ces raisons ont été détaillées, puis relativisées par Marion Ubaud-Bergeron445.

De prime abord, lors de négociations le principe d'égalité risquerait de ne pas être pleinement respecté, puisque la personne publique serait susceptible de favoriser certains candidats en leur donnant des informations les avantageant. De même, la modification des besoins de la personne publique en cours de négociation, pourrait porter atteinte à la liberté d'accès à la commande publique ainsi qu'à l'égalité de traitement entre les candidats effectifs et potentiels, puisque certains opérateurs auraient pu vouloir participer à la procédure s'ils avaient eu connaissance d'un tel changement. En outre, le secret des affaires et le respect de la confidentialité des offres seraient également susceptibles d'être ignorés lors d'une négociation.

Toutes ces considérations qui ont trait à la sécurité juridique de la procédure ne sauraient être retenues, car si cette inquiétude est légitime, refuser la négociation pour ces motifs relève de l'excès de prudence. Il faudrait plutôt encadrer d'avantage la négociation. Formaliser davantage cette procédure de négociation semble donc être l'alternative adéquate446. Or le Professeur Ubaud-Bergeron met en avant que le législateur européen s'est

444 J.-M. PEYRICAL, « L'évolution du droit de la commande publique, quelques commentaires et réflexions », art. préc.

445 M. UBAUD-BERGERON, « La négociation », art. préc.

446 A. JOSSAUD, « Marchés publics : dialoguer n'est pas négocier », art. préc. : l'auteur après avoir relevé le risque de la négociation quant à l'égalité de traitement, considère qu'il est nécessaire de se poser la question suivante : « comment organiser la discussion de façon à ce qu'elle (la négociation) ne devienne pas inégalitaire, au risque de mettre en péril l'efficacité de l'achat (?) ».

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récemment attaché à encadrer, non plus le recours, mais bien la forme que doit prendre cette négociation.

Enfin, cette méfiance peut également s'expliquer par une surprotection des personnes publiques, qui ne seraient pas capables de négocier. N'étant par formées à la conduite de négociations, elles seraient susceptibles d'en sortir perdantes. Or il est approprié de soulever un manque d'expérience, mais celui-ci est directement lié à la limitation de la pratique des négociations, et surtout ce retard est en train de se réduire447.

Une professionnalisation des acheteurs quant à la négociation semble néanmoins nécessaire et si la formation a nécessairement un coût, on opposera à ces atermoiements la fameuse réplique attribuée à Abraham Lincoln : « if you think education is expensive, try ignorance. »448. De plus, l'ouverture à la négociation contribuerait du même coup à la banaliser449.

Un refus de la négociation inconstitutionnel et inconventionnel ? Cette frilosité vis-à-vis de la négociation serait légitimée juridiquement, ce qui contribuerait à freiner son extension450.

La liberté contractuelle permet de laisser le choix aux cocontractants, ou au moins à l'un des deux, de négocier ou non, comme c'est le cas pour les contrats dits « d'adhésion » qui sont très répandus dans le secteur privé. La passation d'un contrat n'impose donc pas de procéder à une négociation. Toutefois si la liberté contractuelle ne recouvre pas forcement « un droit à négocier »451, cette liberté impose qu'au moins l'un des cocontractants en ait fait le choix. Libre à l'un des cocontractants de conditionner son consentement à une passation non-négociée, pour autant, les pouvoirs réglementaire ou législatif ne sauraient l'imposer, si l'on s'en remet au seul principe constitutionnel de liberté contractuelle.

Il apparaît cependant que cette fâcheuse restriction de la liberté contractuelle trouve sa justification dans un autre principe constitutionnel, avec lequel il faut concilier cette liberté de négocier : le principe d'égalité de traitement. Il reste que ce principe est issu du

447 Ibid.

448 Trad. : « Si vous pensez que l'éducation est cher, essayez l'ignorance ». Citation attribuée à A. Lincoln ou D. Bok, avocat et président de l'Université d'Harvard 1971-1991, in F. Linditch, « Le contrat et la performance, une rencontre impossible ? », art préc.

449 M. UBAUD-BERGERON, « La négociation », art. préc.

450 Ibid.

451 Ibid.

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principe de libre-concurrence et qu'il se fonde sur l'efficacité et le bon usage des deniers publics qu'il doit permettre.

Si l'on s'accorde sur ce postulat de départ, il est alors aisément possible de considérer qu'égalité de traitement et négociations ne s'opposent plus, mais servent le même objet : l'efficacité. Dès lors refuser l'usage de plein droit de la négociation aux pouvoirs adjudicateurs, sous prétexte qu'un risque pour l'égalité de traitement existe, ne tient plus. Il reste pour autant nécessaire de garantir cette égalité de traitement au cours de la négociation, mais la juste conciliation des deux principes ne va pas de pair avec une régulation aussi drastique de la négociation.

En outre, la négociation, ainsi que les principes fondamentaux applicables à l'achat public, tel que l'égalité de traitement des candidats, sont comme le souligne le Professeur Ubaud-Bergeron, autant l'un que l'autre destinés à placer les personnes publiques dans les conditions d'un acheteur « normal » du marché452. Autrement dit, le principe européen de libre concurrence n'est pas non plus respecté en refusant un plein accès à la négociation.

Ce faisant, en ignorant le but dans lequel ont été instaurés les principes fondamentaux de la commande publique, il n'est pas étonnant que l'efficacité de l'achat public ne soit pas optimale.

Les évolutions à apporter. Il reste que la négociation demeure une mesure d'exception, mais que l'imprécision des conditions qui sous-tendent son utilisation contribue à placer les pouvoirs adjudicateurs dans une certaine insécurité juridique. La négociation n'est certes pas indispensable pour choisir l'offre économiquement la plus avantageuse, cependant seul le pouvoir adjudicateur est capable d'en juger. Il n'est de fait pas adéquat de laisser le juge valider son utilisation. Il serait préférable de laisser le libre choix de la procédure aux personnes publiques, tout en laissant au juge la possibilité de sanctionner une éventuelle erreur manifeste d'appréciation.

Il faudrait par ailleurs continuer à encadrer l'utilisation de cette procédure de négociation. Si les guides de bonnes pratiques ou même les textes normatifs peuvent et doivent être utilisés, il doit revenir également au juge administratif de forger « une culture et une éthique de la négociation. »453 Autrement dit, il faudrait permettre un meilleur contrôle

452 Ibid.

453 Ibid.

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de ces négociations en garantissant une certaine transparence454, tout en préservant la confidentialité. C'est dans ce sens que Stéphane Saussier et Jean Tirole proposent de rendre obligatoire l'établissement par le pouvoir adjudicateur de deux rapports synthétiques portant sur l'analyse des offres, avant et après la clôture des négociations455, afin de rendre compte des acquis de celle-ci. Ce rapport trouverait une utilité bien supérieure, comparé au rapport justifiant actuellement le recours à la négociation. De même il faudrait que le pouvoir adjudicateur prenne les dispositions nécessaires pour prouver que les principes fondamentaux ont été respectés au cours de la négociation. Autrement dit, il faut laisser la place au principe de traçabilité, car une négociation doit être vue comme un surplus de concurrence et non pas l'inverse.

Finalement, même après plusieurs avancées, permises par les nouveaux textes, il reste que les marchés publics sont encore trop souvent des contrats d'adhésion456. La négociation doit donc encore se développer et les praticiens doivent par ailleurs être formés en ce sens.

C'est une véritable liberté qui doit être recherchée. Aussi s'il semble à l'heure actuelle difficilement contestable, que « le contrat administratif (pris dans son ensemble) est hermétique à ce dogme »457 de la liberté contractuelle, il n'est pas certain qu'il ne faille pas différencier l'acte d'achat, de la masse uniforme formée par l'ensemble des contrats administratifs. Car contrairement à ce qui est soutenu par Sophie Nicinski, il semble que l'intérêt des parties prenantes d'un achat public ne soit pas dépassé458. Au contraire la protection de la concurrence, le bon usage des deniers publics, ainsi que la performance « sont de l'intérêt même de la personne publique »459 à condition de garder comme objectif que les droits découlant d'une telle liberté permettent d'aboutir à un équilibre entre efficacité et sécurité juridique, c'est à dire entre une vision managériale de l'achat public et une vision bien trop juridique et contraignante de ce dernier (Chapitre 2).

454 J.-M. PEYRICAL, « Régime de passation des contrats publics : le droit des délégations comme modèle ? », art. préc.

455 S. SAUSSIER, J. TIROLE, « Renforcer l'efficacité de la commande publique », art. préc.

456 J.-M. PEYRICAL, « L'évolution du droit de la commande publique, quelques commentaires et réflexions », art. préc.

457 S. NICINSKI, « le dogme de l'autonomie de la volonté dans le droit des contrats administratifs », in Contrats publics, Mélanges Guibal, Montpellier 2005, T.1, p. 45 et s.

458 Idem.

459 B. NAYRAUD, « L'optimisation de l'offre et la demande en Marchés publics », Master 2 Contrats publics et partenariats, Université de Montpellier, 2012, p. 32.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein