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L'UDC de C. Blocher: l'extrême droite au coeur de la concordance helvétique?

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par Julien Vlassenbroek
Université Libre de Bruxelles - Licence en sciences politiques 2004
  

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4.2.2. Un parti xénophobe

L'UDC, parti agrarien conservateur à l'origine, reste jusqu'à la moitié des années quatre-vingts «un parti conservateur de centre-droit»290(*) dont les positions en matière d'immigration et de droit d'asile s'alignent sur celles de ses partenaires gouvernementaux. Mais à la fin de la même décennie et au début des années nonante, le parti, sous l'impulsion de sa section zurichoise, va se radicaliser sur ces questions. Le parti présente, en novembre1990, une pétition populaire réclamant la mise en place de mesures d'urgence contre les abus en matière de droit d'asile et qui vise à introduire dans la législation un pourcentage fixe de résidents étrangers autour de 16% de la population291(*). La radicalisation de la formation se confirme lorsque celle-ci décide de lancer la première initiative populaire de son histoire en avril 1992. Déposée l'année suivante, cette initiative vise à lutter «contre l'immigration clandestine»292(*) exigeant une révision restrictive des conditions d'octroi de l'asile politique, le renvoi immédiat, et sans traitement ultérieur de leur dossier, des requérants d'asile entrés illégalement en Suisse ou encore que ces requérants soient interdits de séjour en Suisse pendant la procédure d'examen de leur dossier.

Cette radicalisation sur les questions de l'immigration et du droit d'asile ayant été concomitante d'une progression électorale sans précédent dans l'histoire politique helvétique, le parti a aujourd'hui structurellement intégré ces positions dans son programme (cf. infra). Son deuxième siège au Conseil fédéral et l'entrée de Cristoph Blocher au sein de cette institution n'ont en rien adouci les positions du parti dans ces matières comme l'a illustré une récente conférence de presse au cours de laquelle Yvan Perrin, conseiller national UDC, s'exprimait en ces termes : «L'origine de ces discussions [les débats sur les naturalisations], ce sont les erreurs commises pendant de nombreuses années dans la politique d'asile et des étrangers. Une politique d'admission sans règle précise et une politique d'asile vague et naïve nous ont apporté une proportion d'étrangers de plus de 20% et quelque 20.000 demandes d'asile en moyenne annuelle. Cette situation, nous la devons à la gauche qui tente par plusieurs voies et avec un succès certain de concrétiser son idéal d'une société multiculturelle. Mais cet idéal n'en est pas un. Il suffit de jeter un oeil sur le monde pour s'en convaincre. Toutes les tentatives d'imposer politiquement la multiculturalité ont échoué. Il est grand temps de l'admettre et de stopper l'offensive de la gauche qui cherche à augmenter l'immigration, à encourager les requérants d'asile à venir dans notre pays et à brader la citoyenneté suisse. J'espère bien que les autres partis bourgeois finiront par comprendre quelle est la nature véritable de cette stratégie sournoise et quel en sera le résultat si nous ne nous y opposons pas. [...]. L'UDC est malheureusement le seul parti à prendre au sérieux les soucis de la population et à combattre ces projets mal intentionnés. Et, actuellement, il s'agit précisément de la politique catastrophique menée en matière de naturalisation»293(*).

Cette conférence de presse, donnée dans un contexte où l'UDC est le premier parti de Suisse et où son leader est entré au gouvernement depuis plusieurs mois, permet de vérifier que les positions du parti dans les matières de l'asile et de l'immigration ne se sont pas (encore ?) adoucies par le fait de cette situation et offre la possibilité de livrer quelques constats sur la position du parti et de ses mandataires dans ces domaines.

Tout d'abord, le fait d'être un étranger sur le sol suisse semble être devenu une faute en soi, puisque M. Perrin ne stigmatise pas ces derniers en tant que parasites sociaux ou comme des criminels (comme le parti le fait habituellement -cf. infra-), mais explique simplement qu'avoir une forte proportion d'étrangers est indésirable car une société multiculturelle est impossible à concrétiser. L'étranger, qu'il soit réfugié ou immigré, aucune distinction n'étant clairement opérée dans cet extrait, est donc, par nature, une menace pour la stabilité de la Suisse. Le conseiller national appuie cette opinion par un argument de bon sens : il suffirait en effet de «jeter un regard sur le monde» pour en être convaincu.

Ensuite, il impute la responsabilité de cette «immigration atteignant des proportions de plus en plus inacceptables»294(*) à un responsable unique, à savoir la gauche. La situation du pays ne serait que le produit de sa stratégie «sournoise», qui chercherait délibérément à «augmenter l'immigration» et à «encourager les requérants d'asile à venir dans notre pays». Une nouvelle fois, la gauche est pointée du doigt et l'UDC est «le seul parti à prendre au sérieux les soucis de la population». Telle une litanie on voit réapparaître le thème de la gauche sournoise et agissant contre la volonté et les intérêts du peuple, face à une UDC qui, seule, lutte pour le salut de ce dernier. L'orateur dit toutefois espérer que les autres partis bourgeois le suivront dans son combat afin d'éviter la réalisation de «ces projets mal intentionnés» dont le danger n'est autre que de créer les conditions d'une société multiculturelle, et donc vouée à l'échec ; mis à part le fait qu'ils soient intrinsèquement porteurs d'une telle société, aucun autre grief n'est en effet formulé à l'encontre des étrangers. C'est leur condition d'étranger en elle-même qui les rend problématiques dans la conception sociétale de cet élu UDC. Ces propos illustrent le constat d'Hans-Georg Betz qui écrit que «les aléas du parti ont changé de façon spectaculaire à la suite de la montée, au sein de la section zurichoise de Cristoph Blocher»295(*) qui introduit une stratégie populiste électoralement très efficace au sein du parti, les «thèmes majeurs de Blocher furent la défense des idiosyncrasies culturelles et politiques du pays [...]. Au cours du processus, le PSP [PSP correspond ici à «Parti du peuple suisse», et est la traduction littérale de SVP (pour Schweizerisch Volkspartei) la dénomination allemande de l'UDC (cf. supra)] essaya de s'établir lui-même comme le seul défenseur des valeurs et de l'identité culturelle de la Suisse contre la montée du multiculturalisme promu par la gauche politique et l'entrée croissante d'étrangers [...]. Pour le PSP, le multiculturalisme était une expérience dangereuse [...]»296(*).

Toutefois, la rhétorique xénophobe de l'UDC ne se limite pas à une condamnation de la société multiculturelle per se. On verra, en effet, que pour ce parti, les étrangers, qu'ils soient immigrés ou requérants d'asile, font peser bien d'autres menaces sur la société suisse.

4.2.2.1. Les étrangers sont des criminels et des profiteurs

Dans un communiqué de presse de décembre 2003 de l'UDC suisse, on pouvait lire les propos suivants : «le problème posé par les trafiquants de drogues africains s'est fortement accentué [...]. La situation se dégrade de jour en jour [...]. Les parlementaires UDC sont d'accord pour demander un renforcement immédiat de la protection des frontières par l'armée, l'ouverture des centres d'hébergement collectifs et l'expulsion des trafiquants de drogues et autres criminels. [...], la Suisse est devenue un eldorado pour les trafiquants et toxicomanes étrangers. Et comme, de surcroît, la politique d'asile suisse invite littéralement aux abus, le trafic de drogues est dominé par des requérants d'asile et autres immigrants clandestins.»297(*)

Les requérants d'asile et les immigrés clandestins, entre lesquels l'UDC opère rarement une distinction dans sa littérature, domineraient selon ce communiqué le trafic de drogue et ils y parviendraient grâce à la naïveté de la politique d'asile suisse, trop laxiste et donc vouée à être victime d'abus. Au point semble-t-il que les criminels soient désormais forcément des étrangers puisque les parlementaires UDC se disent «d'accord» pour «l'expulsion des trafiquants de drogue et autres criminels» sans préciser alors qu'il s'agit de trafiquants et de criminels étrangers, ce qui semble aller de soi pour les parlementaires de ce groupe.

L'amalgame entre les étrangers qu'ils soient demandeurs d'asile, immigrés, clandestins ou non, et criminels est latent dans presque chaque sortie des éminences du parti concernant le sujet. Par exemple, quand le parti publie un communiqué où il soutient que «la criminalité a massivement augmenté ces dernières années. Cette progression concerne tout particulièrement les délits graves comme l'homicide, le viol et les blessures corporelles. Le nombre d'étrangers condamnés est disproportionné par rapport à la population étrangère vivant en Suisse»298(*). Remarquez qu'on parle ici des étrangers en général, plus des requérants d'asile ni des clandestins. Ils sont mentionnés juste après qu'on ait relaté une hausse des délits graves dans le pays. Sans lier objectivement les étrangers avec cette hausse, on entretient à nouveau l'amalgame entre étrangers et crimes lourds, tout en présentant la population étrangère dans son ensemble comme particulièrement criminogène.

Dans le même communiqué, l'amalgame étranger-criminel est encore alimenté de la manière suivante : «Le tourisme criminel doit être combattu par une meilleure protection des frontières. La sécurité de la population est la première des priorités afin que les écoliers, les adolescents et les femmes puissent à nouveau se déplacer sans risquer d'être agressés»299(*). Cette phrase est truffée de sous-entendus. La menace qui pèse ici sur les écoliers, les adolescents et les femmes n'est pas explicitement liée au tourisme criminel, mais c'est l'idée que doit s'en faire le lecteur. Ensuite, si seuls les femmes, les écoliers et les adolescents risquent de se faire agresser, c'est donc que l'on a non seulement affaire à des étrangers délinquants, mais également à des étrangers lâches qui ne s'en prennent qu'aux plus faibles. Enfin, on écrit «afin que» ces victimes potentielles puissent « à nouveau » circuler sans risquer d'être attaquées, ce qui sous-entend que ce n'est plus possible aujourd'hui, que forcément un jeune étudiant ou une femme qui se déplace se fera agressé, et implicitement, sans l'écrire de but en blanc on en impute la responsabilité aux étrangers-criminels.

On retrouve ces procédés quand l'UDC se dit «extrêmement inquiète devant la forte augmentation de la criminalité des étrangers»300(*) et renchérit en affirmant que cela «fait des années que des bandes criminelles étrangères contrôlent le trafic de drogues. La violence prend des proportions alarmantes. [...]. Si cette tendance se poursuit, la criminalité étrangère double tous les quatre ans ! La sécurité publique en Suisse est de plus en plus minée»301(*).

On répand à nouveau l'idée que la criminalité est principalement le fait des étrangers, et on glisse au milieu de ces assertions, des lieux communs comme «La violence prend des proportions alarmantes» ou «La sécurité publique en Suisse est de plus en plus minée», qui ont pour but que le lecteur assimile ces considérations au fait qu'il y ait des étrangers en Suisse et que ceux-ci soient des criminels, ou aient en tous cas une tendance très prononcée à l'être. Remarquez une erreur de syntaxe lourde de sens : il est écrit «si cette tendance se poursuit», cette condition dans la subordonnée appelle donc un conditionnel ou un futur simple dans la principale, or le rédacteur a utilisé un indicatif présent («la criminalité étrangère double tous le quatre ans !»), exprimé de la sorte, le lecteur intègre l'information selon laquelle la criminalité des étrangers double effectivement tous les quatre ans, bien qu'il ne s'agisse-là que d'une spéculation.

Si l'UDC ne va jamais jusqu'à dire que tous les étrangers sont des criminels ou des profiteurs, elle affirme sans scrupule que «Plus de 90% des requérants abusent du droit d'asile suisse»302(*). Ainsi, les «requérants d'asile sont fréquemment des jeunes gens qui cherchent à améliorer leurs conditions de vie. S'y ajoutent de nombreux criminels abusant du droit d'asile suisse pour exercer leur commerce délictueux»303(*). La première proposition ne pourrait être contredite, il s'agit-là de la raison d'être du droit d'asile. Pourquoi, en effet, demander asile si ce n'est dans l'espoir de trouver des conditions de vie meilleures ? Pourquoi dès lors, l'extrait ci-dessus présente-t-il ce fait, somme toute évident, comme un acte répréhensible, comme un «abus du droit d'asile» ? Il s'agit en fait ici d'une manière détournée d'assimiler les requérants d'asile à des immigrés économiques, l'amélioration des conditions de vie telle qu'entendue ici renvoie uniquement à l'aspect économique de celles-ci. En précisant qu'il s'agit de «jeunes gens» on retire aux personnes visées le crédit émotionnel dont auraient pu bénéficier une mère de famille, un(e) adolescent(e) ou une personne âgée. Le jeune étranger abusant du droit d'asile devient la figure incarnant tous les dangers dès lors qu'on achève de le décrédibiliser en l'associant à de «nombreux criminels» qui exploiteraient frauduleusement la filière de l'asile dans des desseins délictueux et malveillants. Cette assimilation est également palpable dans le programme électoral 2003-2007 du parti. On peut par exemple y lire que chaque «année, le Corps suisse des gardes-frontière réussit à empêcher quelques dizaines de milliers de personnes à [sic] entrer clandestinement en Suisse pour y commettre des délits»304(*). On considère donc bien ici que les personnes qui tentent de rentrer clandestinement en Suisse, le font forcément et uniquement dans la perspective d'«y commettre des délits».

* 290 O. MAZZOLENI, «Nationalisme et populisme en Suisse. La radicalisation de la `'nouvelle'' UDC», op. cit., p. 29.

* 291 P. NIGGLI et J. FRISCHKNECHT, «Rechte Seilschaften. Wie die `'unheimlichenPatrioten'' den Zusammenbruch des Kommunismus meisterten», WoZ im Rotpunktverlag, Zurich, 1998, p. 244.

* 292 O. MAZZOLENI, «Nationalisme et populisme en Suisse. La radicalisation de la `'nouvelle'' UDC», op. cit., p. 35.

* 293 Y. PERRIN, «On ne résout pas les problèmes de l'asile et de l'immigration par des naturalisations en masse», aperçu de la conférence de presse du 27 mai 2004, consulté sur www.udc.ch, url : www.udc.ch/print.html?page_id=1072&1=3

* 294 Ibid.

* 295 H.-G. BETZ, «Contre la mondialisation : xénophobie, politiques identitaires et populisme d'exclusion en Europe occidentale», traduit de l'anglais par Jean-Sébastien Guy, sous la supervision de Victor Armony, Politique et Sociétés, n° 2, vol. 21, 2002, p. 19 ; consulté sur www.eurodit.org, url : www.eurodit.org/revue/ps/2002/v21/n2/000477a.pdf

* 296 Ibid.

* 297 «UDC : Il faut expulser les trafiquants de drogues africains», communiqué de l'UDC - Suisse du 16 septembre 2003, Berne, consulté sur www.udc.ch, url : www.udc.ch/print.html?page_id=664

* 298 «Les Socialistes mentent noir sur blanc» , communiqué de l'UDC - Suisse du 16 septembre 2003, Berne, consulté sur www.udc.ch, url : www.udc.ch/print.html?page_id=664

* 299 Ibid.

* 300 «Criminalité des étrangers : Hausse de 20% !», communiqué de l'UDC - Suisse du 4 juillet 2003, Berne, consulté sur www.udc.ch, url : www.udc.ch/print.html?page_id=520

* 301 Ibid.

* 302 «Le Conseil fédéral doit tenir ses promesses», communiqué de l'UDC - Suisse du 6 janvier 2003, Berne, consulté sur www.udc.ch, url : www.udc.ch/print.html?page_id=179

* 303 Ibid.

* 304 UDC, «Plate-forme électorale 2003 à 2007», op. cit., p. 18.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard