Partie 1. Eléments de contexte
Chapitre 1. L'action sociale : de l'assistance à
une injonction à l'autonomie
Les politiques sociales, l'intervention sociale, le travail
social : les définitions sont diverses. Elles s'entremêlent ou
bien se confrontent. L'ensemble est à replacer dans le champ plus vaste
de l'action sociale au sein duquel j'ai choisi de situé mon objet de
recherche.
L'action sociale, bien qu'ancienne, s'est structurée au
fil des différentes crises de la société telles que les
guerres et les révolutions. La révolution industrielle, en
particulier, a marqué un tournant important vers sa
professionnalisation. De Robertis (1994) précise que nous sommes
passé de l'assistance (au XIXème siècle), à l'aide
et la protection (entre 1904 et 1930), au suivi (entre 1930 et 1945), à
la prise en charge (entre 1946 et 1970), puis à l'approche globale et
à la notion d'intervention (entre 1970 et 1985) et finalement à
l'accompagnement à partir de 1985.
1.1.L'action sociale au coeur de la révolution
industrielle : de l'assistance à l'accompagnement
Bien qu'elles puissent s'inspirer de la Grèce Antique,
les origines de l'action sociale sont vagues. Celles-ci sont
évoquées, plus précisément, dans le contexte de la
révolution industrielle (1820-1910). En effet, au début
du XIXème siècle, l'action sociale se résume aux
oeuvres de bienfaisance ainsi qu'à la charité induite par la
religion et la philanthropie (Pascal, 2014). Le bénévolat est de
rigueur : il n'y a pas de titres professionnels. L'assistance est au
coeur des pratiques. Selon son étymologie, l'assistance est
définie comme l'action d'« être présent auprès
de quelqu'un » ; il s'agit d'aider en servant, de secourir (CNRTL,
Assister). En effet, l'aide sociale est définie comme « l'ensemble
des oeuvres d'assistance et de bienfaisance régies par les
collectivités publiques » (CNRTL, Aide). Nous remarquons le terme
d'aide qui renvoie bien à l'idée de charité. Ces
définitions nous apportent un éclaircissement sur les pratiques
prépondérantes de l'action sociale au cours la période
préindustrielle.
Les années passent, et, au cours de la
révolution industrielle, une transition s'opère entre
l'engagement religieux et la professionnalisation de l'action sociale. Au
début du XXème siècle, les premiers centres sociaux sont
créés, leurs buts sont de préserver la santé des
individus et de parvenir à limiter les éventuelles
épidémies. En 1922, Mademoiselle Delagrange fonde l'Association
des travailleuses sociales et revendique des valeurs « non politiques et
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confessionnelles » (Baudain, Pommier, & Pommier,
2015, p. 3). L'action sociale rompt ainsi avec la bienfaisance et la
charité. La fin de cette transition s'effectue nettement
à partir de 1938 avec la création du diplôme d'État
d'assistante de service social (2015). De fait, la professionnalisation
de l'action sociale est reconnue par l'État, et ce, à
l'aube de la seconde Guerre Mondiale.
La période d'après-guerre est celle d'un fort
développement des actions sanitaires et sociales. L'action sociale
renforce son rôle : répondre aux besoins individuels et familiaux
d'une population fragilisée. Le terme de prise en charge, fortement
lié au secteur sanitaire, apparait. Il désigne « le fait de
prodiguer des soins à un patient » mais renvoie également au
fait de « se substituer à autrui » et d' « assumer une
responsabilité » (Lintern@ute). La prise en charge contribuait
à une stigmatisation des classes inférieures dans un rôle
de dépendance et de soumission. Nous précisons qu'en psychologie,
la dépendance est définie comme l' « état d'une
personne qui est ou se place sous l'autorité, sous la protection d'une
autre par manque d'autonomie » (CNRTL, Dépendance). La notion de
prise en charge induirait donc l'idée que l'individu manquerait
d'autonomie et qu'une forme de dépendance pourrait se dégager de
la relation avec les assistants. Ces derniers devraient pallier au manque
d'autonomie dans un principe de réparation (Paul, 2004). Djaoui
(2002, p. 107) émet l'idée que « dans cette volonté
d'aider se révèle un désir de réparer. On veut
réparer ce qui a été détruit, mal formé,
mal-aimé, méprisé, opprimé. » Nous
comprenons qu'en se substituant à l'Autre ainsi qu'en se sentant
responsable de ce dernier, les assistants sont amenés à prendre
une posture de savant, de sauveur ; créant ainsi une dépendance
et une soumission de la personne prise en charge. Ce dernier est alors
perçu comme inférieur, placé sous l'autorité, la
protection d'un être supérieur.
Par la suite, les Trente Glorieuses s'avèrent
être une période de reconstruction puis de croissance pour
l'action sociale. Grâce aux divers financements et au rapprochement avec
le monde universitaire et les sciences humaines, un travail théorique et
réflexif est entrepris. C'est ainsi que des pratiques sont
théorisées et des diplômes reconnus ou
réformés. Le terme travail social apparait au cours des
années 1970 ; la professionnalisation de l'action sociale est
ancrée. L'Etat poursuit la reconnaissance de cette
dernière et tente de d'éclaircir son rôle : le 30 juin
1975, la loi N°75-535 relative aux institutions sociales et
médico-sociales vient confirmer l'identité du secteur social et
médico-social par rapport au secteur sanitaire. Donnant suite à
cette distinction, le secteur social et médico-social s'ordonne.
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La loi N°2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant la loi
de 1975 vient préciser que l'action sociale « tend à
promouvoir, [...] l'autonomie et la protection des personnes,
la cohésion sociale, l'exercice de la citoyenneté, à
prévenir les exclusions et à en corriger les effets.
» (Legifrance, 2002). Cette loi permet de clarifier la place de
l'usager : celui-ci est au coeur de la prise en charge. Dans un contexte social
laissant plus de place à la participation active et à
l'initiative de l'usager, la notion de d'assistance connote fortement
d'une attitude passive à l'autre et devient
péjorative.
Dans leur article, Kertudo et Vanoni (2014, p. 8)
définissent le travail social comme « un processus
organisé d'accompagnement des personnes et des groupes,
visant à leur faire retrouver leur autonomie. ».
La finalité du travail social est d'augmenter l'autonomie de
l'individu par des interventions qui permettent d'aider sans assister,
de soutenir sans dominer (Chambon, David, & Devevey, 1982) : une
rupture s'opère avec l'assistance.
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