![]() |
Répression de la cybercriminalité à l'ère du code congolais du numérique: étude comparative entre les droits français et congolaispar Henri Thomas Lupantshia Kangomba Université officielle de Mbujimayi - Licence/Master en Droit 2024 |
A. La naissance et l'évolutionÀ l'instar des autres États du monde, la RDC a progressivement rejoint la tendance mondiale de la révolution numérique. Ce mouvement s'est traduit par la construction, dès le XXe siècle, d'un secteur des télécommunications dont les débuts furent marqués par les considérations politiques de l'époque (A.1.). Par la suite, ce secteur, caractérisé par un système monopolistique, a difficilement évolué avant de subir la montée en puissance des technologies de l'information et de la communication ainsi que celle du libéralisme dans le monde (A.2.).170 A.1. Les débuts du numérique en RDC169 Il sied de noter qu'il existe trois grands modes de transmission de données à distance : la transmission optique, la transmission filaire et la transmission radio ou par ondes électromagnétiques. 170 KODJO NDUKUMA ADJAYI, Cyber droit : Télécoms, Internet, Contrats de e-Commerce, une contribution au Droit congolais, Presses Universitaires du Congo (PUC), Kinshasa, 2009, p. 77. Les esquisses du numérique en RDC appellent à cerner, dans un premier temps, le contexte colonial de l'époque et, dans un second temps, le monopole absolu originel). > Le prisme colonial Vingt-trois ans après la Conférence de Berlin de 1885, la Belgique héritait, elle aussi, d'un empire colonial. Considérant toutefois l'ancien statut de « territoire international» lié au « bassin conventionnel du Congo »171 et la malheureuse expérience de l'aventure léopoldienne, les autorités coloniales avaient pris le soin d'établir une nette distinction entre la métropole et la colonie du Congo. Il demeurait toutefois une question fondamentale: celle de savoir s'il serait possible d'administrer des terres quatre-vingts fois plus vastes que le territoire belge. En termes de gestion, au « Congo belge », le douloureux souvenir des atrocités commises durant la période léopoldienne avait conduit à la fixation de remparts pour éviter d'autres méfaits. Néanmoins, les réformes adoptées conféraient à la structure de la colonie une forme kafkaïenne. L'organisation se caractérisait « par une extrême centralisation, non pas sur le terrain, auprès du gouverneur général, mais à Bruxelles, autour du Ministère des Colonies, la nouvelle fonction politique mise en place, en octobre 1908, au sein du gouvernement belge ».172 > Un début marqué par un monopole d'État S'appuyant sur l'administration postale créée en 1885, du temps de l'État indépendant du Congo (EIC), les autorités coloniales renforcèrent les moyens de communication avec l'arrivée du téléphone filaire, de la radiophonie et du télégraphe. Pour mieux réguler ce domaine, l'Ordonnance législative 254/TELEC du 23 août 1940, premier texte réglementaire sur les télécommunications, fut prise par le Gouverneur 171 NDAYWEL E NZIEM, Nouvelle histoire du Congo: des origines à la République Démocratique, Le Cri- Afrique Éditions Histoire, Bruxelles, 2009, p. 42. 172 NDAYWEL E NZIEM, op. cit., p. 345. général du Congo belge. Ce texte, marqué par la politique économique de l'époque, disposait à l'alinéa 1er de son article 2 : « La colonie a seule le droit d'établir et d'exploiter sur son territoire des voies et des installations des télécommunications de quelque nature que ce soit pour la correspondance publique ».173 L'ordonnance législative de 1940 accordait à l'État le monopole de l'exploitation des télécommunications.174 Cette exploitation s'opérait par voie de régie,175 à travers l'Administration des Postes, Téléphones et Télécommunications (PTT) qui dépendait directement du ministère des Finances.176 Le monopole ainsi défini se fondait également sur le caractère de service public des télécommunications dans ce pays. Toutefois, la colonie pouvait, à travers le Gouverneur général, confier partiellement ou totalement à des tiers, par voie de concession ou d'autorisation particulière, l'établissement et l'exploitation des voies de télécommunications. Le Gouverneur général disposait également d'un pouvoir d'instruction des commandes visant à autoriser des installations de télécommunications privées et du pouvoir de réglementer l'établissement, la mise en oeuvre et l'exploitation des installations. Au demeurant, il pouvait retirer cette autorisation à tout concessionnaire qui contrevenait à ces règles. Notons également que selon la même ordonnance législative, les détenteurs d'installations autorisées ne pouvaient franchir les limites de leurs propriétés sans autorisation du Gouverneur général. Il leur était également interdit de percevoir des redevances, rémunérations ou avantages du fait de leurs activités. 173 Article 2 alinéa 1er, Ordonnance législative 254/TELEC du 23 août 1940, Moniteur congolais, JO RDC, numéro spécial, 25 janvier 2005. 174 Selon l'article 1er de l'Ordonnance législative précitée: « est réputée télécommunications toute communication télégraphique, téléphonique de signe, de signaux, d'écrits, d'image et de sons de toute nature, par fil, radio en autres systèmes ou procédés de signalisation électrique ou visuelle ». 175 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, 11e éd., PUF/Quadrige, Paris, 2016, p. 878. 176 Société Congolaise des Postes et des Télécommunications, Qui sommes nous? [en ligne], Disponible en ligne : http://www.scpt.cd/web , consulté le 12 octobre 2024 ; A.2. Les axes de l'évolution du numérique en RDC : cas du secteur des télécommunications Durant la seconde moitié du XXe siècle, le secteur des télécommunications a entamé son évolution sous le prisme du monopole ayant prévalu avant 1960. Au vu des nombreuses limites de ce système, une observation diachronique [jusqu'au début des années 2000] de ce secteur permet de retenir deux situations marquantes dans ce processus évolutif. > La persistance du monopole d'État Les années ayant suivi l'accession de la RDC à la souveraineté internationale ne furent pas de tout répit. L'instabilité politique, d'une part, et les sécessions (Katanga et Sud-Kasaï) et guerres civiles, d'autre part, rendirent le Pays ingouvernable. Dans ce contexte, le Lieutenant-Général Joseph Désiré Mobutu, commandant en chef de l'Armée nationale congolaise, prit le pouvoir le 24 novembre 1965 par un coup d'État qui aboutit à la destitution du premier Président de ce pays, Joseph Kasa-Vubu. Le nouveau régime s'activa à mettre en place un pouvoir énergique « tranchant avec le laxisme des années précédentes ».177 Dans la foulée, la suppression des partis politiques fut décrétée, le poste de Premier ministre connut le même sort et l'organisation territoriale fut revue. Le fédéralisme céda sa place à une plus grande centralisation en ce que les vingt-deux provinces existantes furent d'abord réduites à douze, puis à huit. Elles étaient redevenues de simples entités administratives comme au temps colonial. Le secteur stratégique des télécommunications, alors caractérisé par une bureaucratie excessive, une centralisation extrême du pouvoir décisionnel et une absence d'esprit commercial dans un monde en pleine mutation, n'a pas échappé aux réformes du nouveau pouvoir en place. L'administration des PTT céda sa place à un établissement public dénommé « Office Congolais des Postes et 177 NDAYWEL E NZIEM, op. cit., p.504. Télécommunications178 » (OCPT), créé par l'Ordonnance-loi n°68-475 du 13 décembre 1968. L'OCPT se voyait confier un monopole d'État par l'article 2 dudit texte qui disposait: « l'office est chargé de l'exploitation du service public des postes et télécommunications, à cet effet, il exerce le monopole postal, télégraphique, téléphonique et des signaux et communications par satellites ».179 De facto, l'OCPT exerçait aussi une fonction de réglementation par la tenue des dossiers d'octroi de licences et la gestion des fréquences radioélectriques. Il disposait aussi d'un pouvoir de concession. Qualifié « d'exploitant public », il appliquait « la réglementation aux acteurs privés intervenant dans son champ de gestion à monopole absolu du service public ».180 Logiquement, des royalties lui étaient versées pour les autorisations qu'il délivrait aux détenteurs des installations radioélectriques privées. Le monopole dans les activités de télécommunications se justifiait, tant il était considéré que celles-ci demeuraient un élément de l'administration publique, au même titre que la poste ou la voirie. La logique monopolistique perdura avec la création d'une autre compagnie d'État, par l'Ordonnance n° 97/240 du 30 Septembre 1991, chargée d'assurer les communications nationales par satellite. Le Réseau National des Télécommunications par Satellite (RENATELSAT) venait en complément à l'OCPT, en vue de servir à la transmission des programmes de la radio et télévision nationale, de la capitale (Kinshasa) vers les provinces où étaient installées des stations terriennes. 178 De nos jours: Société Congolaise des Postes et des Télécommunications 179 Article 2, Ordonnance-loi n°68-475 du 13 décembre 1968 portant création de l'OCPT, Moniteur congolais, n°3, 1er février 1969. 180 KODJO NDUKUMA ADJAYI, Droit des télécoms et du numérique: Profil africain et congolais, prospective comparée d'Europe et de France, L'Harmattan, Paris, 2019, p. 69. 181 Article 26, Ordonnance n°78-222 du 5 mai 1978 portant statuts de l'ONPTZ, JOZ n°3, 15 juin 1978, Kinshasa, 19ème année. > Les esquisses d'un changement de paradigme : Réforme de l'exploitant public et démonopolisation de fait La concentration des pouvoirs, qui prévalait depuis 1965, commençait à s'essouffler. La RDC, débaptisée Zaïre (à partir du 27 octobre 1971), était en proie à une grande cacophonie sur le plan organisationnel. Frôlant une apoplexie, les pouvoirs publics réalisèrent que l'organisation centralisée - certes déconcentrée - avait montré ses limites, notamment dans le secteur des télécommunications. C'est ainsi que fut entamée la réforme des entreprises publiques monopolistiques. L'OCPT, autrefois établissement public, fut reformé en entreprise publique industrielle et commerciale. L'idée était de rapprocher son mode de gestion de celui des entreprises privées pour lui conférer plus d'autonomie. La matérialisation de cette idée se fit à travers l'ordonnance n°78-222 du 5 mai 1978 portant statuts d'une entreprise publique dénommée Office national des postes et télécommunications du Zaïre (ONPTZ). Cette entreprise publique continuait d'exercer le monopole de l'exploitation dans le secteur, avec, notamment, l'ambition de réhabiliter les installations existantes (réseaux, commutations, communications régionales et internationales) et d'investir dans les réseaux locaux. Bien qu'autonome juridiquement, l'ONPTZ était placé sous une double tutelle des Ministères des PTT et du portefeuille.181 Néanmoins, la dichotomie entre les textes et la réalité n'était un secret pour personne. Le monopole de l'opérateur historique accusait bien des faiblesses. Dans le temps, le constat était tel que les ressources financières essentielles à une fourniture adéquate de services faisaient défaut. Cela étant dû à la situation économique désastreuse de l'époque et à la mégestion des équipes dirigeantes qui se sont succédées. Les usagers ne pouvaient donc pas bénéficier d'un service de qualité. Par ailleurs, les rapports entre l'ONPTZ et les ministères de tutelle étaient souvent tendus du fait de leurs animateurs. Cela avait naturellement réduit le pouvoir d'action de l'exploitant public, désormais dans la difficulté de réaliser ses missions de manière efficiente. « Le manque de vision et de volonté politique véritable, l'inexistence d'un plan d'ensemble cohérent de développement économique pour le pays, l'insuffisance de programmation des investissements dans le secteur et l'insatisfaction des demandes de plus en plus nombreuses de raccordement au réseau public» appelaient à reformer les choses. Cependant, en lieu et place d'entamer une réforme profonde, les autorités zaïroises choisirent de délivrer des licences de concessions de services publics des télécommunications à des opérateurs privés alors que le monopole d'État demeurait consacré sur le plan textuel. Les difficultés rencontrées par l'opérateur public n'ont pas échappé aux mutations technologiques des années 1980. À défaut de s'adapter sur le plan juridique, l'exploitant public a été amené, avec une réglementation désuète et incomplète à l'égard des « normes comme les procédures d'agrégation des matériels et des firmes actives dans le domaine des télécommunications », à concéder une partie de son marché. Ce fut le cas en 1989, avec l'entrée en lice du premier opérateur de réseau mobile privé appelé TELECEL (devenu STARCEL). La société avait obtenu une concession de 30 ans pour exploiter la téléphonie cellulaire dans 25 villes du Zaïre. Elle opérait par la technologie Advanced Mobile Phone System (AMPS) sur la bande de 800 MHz et comptait près de 14000 abonnés sur l'ensemble du territoire, au début des années 2000. En 1995, une deuxième licence d'exploitation de la téléphonie AMPS fut accordée à COMCELL. Cette société disposait de plusieurs stations terriennes sur le territoire national et comptait 3000 abonnés. Il est à noter que ces deux premiers opérateurs ne répondaient qu'aux besoins de communication des personnes les plus nanties. TELECEL, par exemple, offrait certains de ses téléphones à 2500 $ [environ 2250 €]. Avec le temps, plusieurs faits ont confirmé la démonopolisation progressive qui s'opérait: > En 1997182 : le Gouvernement désigna la technologie Global System for Mobile Communication (GSM) comme standard officiel du fonctionnement des réseaux mobiles et obligea les deux premiers opérateurs à s'y conformer; > En 1998 : une licence GSM 900 était accordée à Congolese Wireless Network, le premier opérateur de téléphonie GSM (devenu Vodacom Congo, à la suite d'une joint-venture signée avec Vodacom International Ltd, en 2001) ; > En 2000 : le Gouvernement accorda respectivement une licence GSM 900 à Celtel Congo , une licence GSM 1800 à SAIT Télécom et une autre à Congo Chine Télécom (CCT)183 ; > En 2002 : le réseau Vodacom Congo fut officiellement ouvert au public. Il ressort de ce qui précède que le secteur des télécommunications et numérique en RDC a connu une démonopolisation de fait. 1.2. Cadres juridiques liés aux NTIC L'écosystème numérique en RDC dispose de quelques instruments juridiques qui couvrent le secteur pour assurer une collaboration fluide entre les différents organismes étatiques et privés qui sont considérés comme des partenaires dans la lutte pour une connectivité significative en RDC. Les deux plus importants sont présentés ci-dessous. 182 Suite au changement intervenu à la tête de l'État, le 17 mai 1997, le Zaïre fut rebaptisé République démocratique du Congo. 183 De nos jours, SAIT Télécom (devenue plus tard Tigo) et Congo Chine télécom (devenue Orange RDC) ne forment plus qu'une seule entreprise de Télécommunications: Orange RDC. 1.2.1. La Loi de 2020 sur les Télécommunications et Technologies de l'Information et de la communication de la RDC désigné dans cette étude sous le nom de Loi sur les télécommunications et les TIC de 2020 Ce document est considéré comme la loi-cadre la plus importante qui supervise le secteur des télécommunications et des TIC dans le pays. Selon le cabinet du Premier Ministre184 : «Cette loi vise également à faire des télécommunications et des technologies de l'information et de la communication un véritable secteur de croissance économique et créateur d'emplois en République Démocratique du Congo.» Projet très attendu par les différents acteurs du secteur, cette loi, promulguée en novembre 2020, est venue en remplacement de la loi-cadre n°013/2002 du 16 octobre 2002 relative aux télécommunications en RDC, majoritairement axée sur les télécoms. Il était important pour le pays de le faire mettre à jour dans le but de combler les lacunes qui entravent le bon fonctionnement du marché et la rentabilité économique du secteur des TIC pour l'État congolais et d'adapter la législation aux impératifs de sécurité et à l'évolution. De l'industrie des télécommunications à l'ère du numérique. 1.2.1.1. Le Code du Numérique Il s'agit de l'Ordonnance-Loi n°023/10 du 13 mars 2023 portant Code du Numérique, un projet porté par le Ministère du Numérique et l'un des chantiers mentionnés dans le Plan National du Numérique, au titre de son 3ème pilier, Gouvernance et Régulation. Cela s'inscrit dans le cadre du Projet 62, dont l'objectif est la «mise en oeuvre d'un cadre juridique et réglementaire des activités numériques avec une approche participative, corrective, adaptative, complémentaire et 184 PNN : https://www.numerique.cd/pnn/pnn/Plan National du Nume%CC %81riqueHORIZON 2025.pdf , (Plan National Numérique, page 66), Consulté le 21 septembre 2024 à 19h 38' ; prospective, en cohérence avec les engagements aux niveaux sous-régional, régional et international».185 Cette ordonnance loi est considérée comme le levier juridique de la transformation numérique de la RDC, car elle se positionne comme un instrument de développement et de diversification de l'économie nationale. Il vise à favoriser l'émergence de l'économie numérique en facilitant le développement des services numériques et la large diffusion du numérique selon des règles établies. 1.3. La présentation du code Congolais du numérique L'Ordonnance-Loi n°023/10 du 13 mars 2023 portant Code Congolais du Numérique est une législation adoptée par la République Démocratique du Congo (RDC) dans le but de régir le secteur numérique et d'encadrer les activités liées à l'économie numérique, aux nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), et à la protection des données personnelles. Cette loi marque une étape importante dans l'évolution de la régulation du secteur numérique en RDC, en s'alignant sur les tendances législatives internationales en matière de numérique et de cybersécurité. |
|