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Liberté de la presse et droits fondamentaux en France et en Ecosse: influence de la CEDH

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par Abderrahman BENYAHYA
Université d'Auvergne Clermont I - DU Etudes Juridiques et Politiques Comparées 2007
  

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Chapitre 1: La diversité des approches en matière de liberté d'opinion

Le principe de la marge d'appréciation, création prétorienne de la Commission66(*) et reprise par la Cour Européenne des Droits de l'Homme67(*), permet de reconnaître aux Etat une marge de manoeuvre dans la mise en oeuvre des obligations inscrites dans la Convention. Corollaire du principe de subsidiarité, il se justifie par le fait que « la Cour n'a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes compétentes »68(*) et le fait que « [g]râce à leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, les autorités de l'État se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur le contenu »69(*). Bien que cette marge d'appréciation n'est pas illimitée et soumise à la surveillance de la Cour, il est notable que certains domaines disposent d'une plus grande latitude.

Parmi les éléments d'appréciation du degré de liberté accordée aux États, l'existence d'un droit et d'une pratique consensuelle semble la plus pertinente au regard de la jurisprudence européenne concernant la presse70(*). La marge d'appréciation accordée est d'autant plus vaste qu'il y a absence de consensus dans un domaine donnée telle que la place de la morale et de la religion dans la société ou l'Ecosse accorde une protection plus importante que ne le fait la France(Titre I). D'autre part, comme l'indique Howard Charles Yourow dans son article sur la marge d'appréciation71(*), celle-ci a joué un rôle central dans la mise en balance avec le droit à la non-discrimination. Dans ce domaine, cette fois, c'est la France qui réprime plus sévèrement l'expression d'opinions racistes et négationnistes(Titre II).

Titre 1: Religion et moralité: protection renforcée en Écosse

Pour ce qui est de l'obscénité et du blasphème, le juge européen accorde aux juridictions nationales une large part de marge d'appréciation car aucun consensus n'a émergé au niveau européen pour leur donner une définition acceptable par tous: L'arrêt Wingrove résume parfaitement l'état de la jurisprudence

« Une plus grande marge d'appréciation est généralement laissée aux États contractants lorsqu'ils réglementent la liberté d'expression sur des questions susceptibles d'offenser des convictions intimes, dans le domaine de la morale et, spécialement, de la religion. Du reste, comme dans le domaine de la morale, et peut-être à un degré plus important encore, les pays européens n'ont pas une conception uniforme des exigences afférentes à "la protection des droits d'autrui" s'agissant des attaques contre des convictions religieuses. Ce qui est de nature à offenser gravement des personnes d'une certaine croyance religieuse varie fort dans le temps et dans l'espace, spécialement à notre époque caractérisée par une multiplicité croissante de croyances et de confessions »72(*) 

Ainsi, l'Ecosse se singularise par rapport à la France pour la religion par l'existence d'un délit de blasphème (Section I) et pour la moralité par une répression accrue de l'obscénité (Section II)

Section I: Entre blasphème et provocation à la haine religieuse

Contrairement à la France, la Grande-Bretagne n'est pas un Etat laïc et, l'Eglise conserve une place d'importance dans le développement juridique : la Common Law sur le blasphème (déclaration verbale) et la diffamation blasphématoire (publication sous une forme permanente) demeure de rigueur ce qui ne va pas sans s'interroger sur sa compatibilité avec la société démocratique (paragraphe 1). Malgré l'affirmation d'une laïcité stricte par la société française, il est frappant de constater que le débat autour des caricatures de Mohammed a eu une envergure et un impact plus important qu'au sein de la société écossaise (paragraphe 2). 

Paragraphe 1: le délit de blasphème: spécificité anglo-saxonne anachronique?

Le délit de blasphème vise à interdire l'expression d'opinion qui heurte les croyances et la pratique de l'Eglise. Des lors, il convient de s'interroger sur sa compatibilité avec les conditions de nécessité et de proportionnalité posées par le droit européen (A). En outre cette législation pose le problème d'une discrimination instaurée entre les religions qui met en cause la neutralité de l'Etat (B).

A- Le délit de blasphème: une limitation nécessaire dans une société démocratique?

Le blasphème et la diffamation blasphématoire sont des infractions qui peuvent donner lieu a des poursuites judiciaires et à des peines d'amendes voire d'emprisonnement. A la base, cette infraction a été crée pour `la protection de la tranquillité du Royaume`73(*) et tombait sous la compétence des juridictions ecclésiastiques. Historiquement les liens entre l'Eglise et l'Etat étaient si étroits qu'une attaque contre la première semblait nécessairement impliquer une attaque contre le second.

Toutefois en ce qui concerne l'Ecosse, la dernière condamnation pour délit de blasphème remonte à 184374(*). Ce qui fait penser à certains auteurs que du fait qu'il soit extrêmement improbable qu'une poursuite aboutisse, le blasphème n'est plus considéré comme une offense75(*). En effet contrairement à l'Angleterre et au Pays de Galles, le délit de blasphème pour donner lieu à des poursuites requiert la présence d'un intérêt personnel à agir. Au surplus, selon le rapport du comité sur les offenses religieuses en Angleterre et au Pays de Galles76(*), l'Etat est peu enclin à engager des poursuites sur ce fondement. Toutefois, la prise en compte des plaintes déposées pour blasphème contre la diffusion par la BBC d'une exhibition du très controversée Jerry Springer77(*) et contre des affiches pour un festival érotique78(*) démontrent que le délit n'est pas lettre morte. Et, il est éclairant de se référer aux développements contemporains dans la loi anglaise pour en connaître la compatibilité avec les principes européens.

Aujourd'hui, cette réglementation a connu une évolution et il n'est plus suffisant de simplement renier la doctrine chrétienne pour se voir infliger une sanction pour diffamation blasphématoire. Dans l'affaire R v Lemon79(*), Lord Scarman a affirmé que les critères contemporains en matière de blasphème sont formulés dans l'ouvrage de Stephen, Digest of the Criminal Law:

« Une publication revêt un caractère blasphématoire lorsqu'elle contient un quelconque élément de mépris, d'injure, de grossièreté ou de ridicule aÌ l'égard de Dieu, de Jésus-Christ, de la Bible ou du rituel de l'Eglise d'Angleterre tel qu'établi par la loi. N'est pas blasphématoire le fait de prononcer ou de publier des opinions hostiles aÌ la religion chrétienne, ou de nier l'existence de Dieu, dès lors que la publication est libellée en un langage décent et mesureì. »

Cette affaire concernait la publication d'un poème et d'un dessin dans une édition du Gay News qui attribuait au Christ des pratiques homosexuelles durant sa vie et décrivait en détail certains actes sexuels avec son corps après sa mort. La publication a été jugée blasphématoire car susceptible de porter outrage et insulte aux convictions religieuses chrétiennes. Les critères appliqués tentent de restreindre l'application de la loi sur le blasphème à la protection individuelle c'est-à-dire le droit d'être protégé contre les insultes et les attaques à ses convictions religieuses. Il semble bien que les conditions du paragraphe 2 de l'article 10 « prévue par la loi » et « poursuivant un but légitime» sont remplies: la restriction à la liberté de la presse est bien encadrée par une jurisprudence assez claire et prévisible et, elle correspond à la protection du droit d'autrui de ne pas être outragé dans sa conviction religieuse. Il convient de s'interroger sur le respect de la troisième exigence « nécessaire dans une société démocratique »

Cette affaire a été portée devant la Commission Européenne des Droits de l'Homme dans une décision Gay News et Lemon c/ Royaume Uni80(*) qui va nous permettre de connaître la position européenne. Elle confirme tout d'abord que le délit de blasphème se conforme aux exigences d'accessibilité et de clarté de la loi et, poursuit le but légitime `de protéger les droits des citoyens de ne pas être offensés dans [leur] convictions religieuses par une publication`81(*). Ensuite elle estime que « le fait d'ériger le blasphème en infraction pénale ne suscite en soi aucun doute quant à sa nécessité: si l'on admet que les sentiments religieux du citoyen méritent protection contre les attaques jugées indécentes sur des questions que l'intéressé estime sacrées, on peut alors également juger nécessaire, dans une société démocratique, de stipuler que ces attaques, lorsqu'elles atteignent une certaine gravité, constituent une infraction pénale dont la personne offensée peut saisir le juge ». Par conséquent, au vue de la législation présente au Royaume-Uni, le délit de blasphème n'est pas disproportionné par rapport au but poursuivi. Cette jurisprudence a été reprise concernant la diffusion de Vision d'Ecstasy: la Cour Européenne rappelle qu' « il n'y a pas encore, dans les ordres juridiques et sociaux des États membres du Conseil de l'Europe, une concordance de vues suffisante pour conclure qu'un système permettant aÌ un Etat d'imposer des restrictions aÌ la propagation d'articles réputés blasphématoires n'est pas en soi nécessaire dans une société démocratique, et s'avère par conséquent incompatible avec la Convention ».82(*) Par ailleurs, le haut degré de profanation exigé permet à l'exigence de proportionnalité de l'ingérence dans la liberté d'expression d'être remplie.

Toutefois, la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme pourrait évoluer selon la doctrine de l'interprétation vivante de la Convention (« living instrument ») dans le sens de l'incompatibilité du blasphème avec la liberté d'expression: ainsi, dans d'autres domaines (la suppression de châtiments corporels83(*), l'égalité de traitement entre enfants légitimes et enfants naturels84(*), la décriminalisation de l'homosexualité85(*)) où les sociétés modernes ont adopté un même standard, la doctrine de la marge d'appréciation a été écartée par la Cour pour prendre en compte les «conditions de vie actuelles».

De plus, comme le souligne elle-même la Cour de Strasbourg, « de puissants arguments militent en faveur de la suppression des règles sur le blasphème  par exemple leur nature discriminatoire aÌ l'égard de certaines confessions »86(*) : en effet, l'Eglise détient un privilège car, la seule religion visée par les textes est le christianisme. Cette distinction est à même d'enfreindre le principe de non discrimination ensemble des articles 10 et 9 de la Convention.

* 66 Affaire de Chypre, Grèce c/ Royaume-Uni du 2 octobre 1958.

* 67 CEDH, affaire "relative a certains aspects du régime linguistique de l'enseignement en Belgique" c/ Belgique, 23 janvier 1968, Série A6 par. 10 in fine, arrêt Handyside préc. par. 48 CEDH, Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, A25, par. 207.

* 68 Handyside, préc, par. 48.

* 69 Ibid., par. 50.

* 70 Thomas A. O'Donnel, `The Margin of appreciation doctrine standards in the jurisprudence of the European Court of Human Rights`, Human Rights Quarterly, 474, 1982, p479; Cora. S. Feingold, The doctrine of margin of appreciation and the ECHR`, Notre Dame Lawyer October 1977 p106.

* 71 H.C. Yourow, `The margin of appreciation doctrine in the dynamics of European human rights jurisprudence`, Connecticut journal of International Law 111 vol.3 1987-1988, p116.

* 72 CEDH, Wingrove c/ Royaume Uni, 25 Novembre 1996 Recueil 1996-V, para 58.

* 73 Lord Scarman dans R v Lemon [1979] 1 All ERR 898.

* 74 Henry v. Robinson 1843 1 Brown 643.

* 75 Sir G. H. Gordon, Criminal Law of Scotland, 3rd ed. By M. G. A. Christie, W. Green, Edinburgh (2001), par. 41.28, p 671.

* 76 Select committee on religious offences in England and Wales volume I -- report published by authority of the house of lords London - the stationery office limited HL Paper 95-I p 56 disponible a l'adresse http://www.parliament.the-stationery-office.co.uk/pa/ld200203/ldselect/ldrelof/95/95.pdf.

* 77 K. FOSTER, `Springer TV opera faces blasphemy complaint`, The Scotsman, 16 January 2005 < http://news.scotsman.com/topics.cfm?tid=929&id=56322005>;

BBC News, `Group to act over Springer opera`, 10 January, 2005, <http://news.bbc.co.uk/1/hi/entertainment/tv_and_radio/4161109.stm >

* 78 R. EDWARD, `Blasphemy claim over erotic festival posters`, The Scotsman, 2 September 2004, < http://thescotsman.scotsman.com/edinburgh.cfm?id=1029272004 >

* 79 R v Lemon préc.

* 80 Com.EDH Gay News et Lemon c/ Royaume Uni, 7 Mai 1982, (1983) 5 E.H.R.R. 123.

* 81 Ibid, par. 4-11.

* 82 Wingrove préc. par. 57.

* 83 CEDH, Tyrer c/ Royaume Uni, 25 avril 1978, Série A26.

* 84 CEDH, Marckx c/ Belgique, 13 Juin 1979, Série A31.

* 85 CEDH, Dudgeon c/ Royaume-Uni, 22 Octobre 1981, Série A45.

* 86 Ibidem.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera