Liberté de la presse et droits fondamentaux en France et en Ecosse: influence de la CEDH( Télécharger le fichier original )par Abderrahman BENYAHYA Université d'Auvergne Clermont I - DU Etudes Juridiques et Politiques Comparées 2007 |
B- Contexte national: entre l'abrogation et interprétation évolutive de la notion de moraleLa France pendant longtemps a connu le délit d'outrage aux bonnes moeurs qui permettait sur le fondement de l'ordre public, de mettre en cause les publications de caractère obscène. Aujourd'hui, cette notion a laissé la place à un principe centré sur le droit de l'individu: le droit au respect de la dignité de la personne qui est une forme modernisée de la morale (1). Le droit écossais a quant à lui conservé le concept d'obscénité même si le juge par une interprétation évolutive en fait muer la notion (2). 1. De l'outrage aux bonnes moeurs au principe de dignité en FranceEn 1819, fut créé le délit d'outrage aux bonnes moeurs et à la moralité publique et religieuse. Ainsi des poursuites ont été intentées sur ce fondement contre Flaubert pour l'écriture de Madame Bovary et contre Baudelaire en raison de son recueil de poème les Fleurs du Mal.110(*) Bien que le premier fut acquitté de justesse, le tribunal a déploré certains passages soient à même de porter atteinte «à de légitimes et honorables susceptibilités ». Quant au second, il fut condamné à une amende et les 6 poèmes incriminés interdits en raison de passages obscènes et immoraux. Il sera tout efois réhabilité par une loi du 25 Septembre 1946 et un arrêt de la Cour de Cassation.111(*) La loi de 1881 avait transformé cette infraction en outrage aux bonnes moeurs puis elle en sera extraite pour intégrer le Code pénal. Il en sera fait utilisation contre la réédition des oeuvres de Sade qualifiées par la cour d'appel de Paris d'obscène et « de nature à choquer (...) même chez les personnes les plus tolérantes »112(*) . Le nouveau code pénal a supprimé l'outrage aux bonnes moeurs mais la moralité en tant que composante de l'ordre public s'est muée en atteinte à la dignité de la personne humaine. Cette proximité des deux notions peut être soulignée dans la mesure où elles se définissent comme une violation des tabous sociaux, de valeurs morales intangibles. Une bonne illustration de ce fait réside dans l'arrêt Commune de Morsang-sur-Orge du Conseil d'Etat dans lequel il a déclaré que « l'attraction de `lancer de nain`(...) porte atteinte à la dignité de la personne humaine »113(*). En ce qui concerne la presse, la Cour de cassation, pour justifier de l'illicéité de la photographie représentant «le corps et le visage du préfet assassiné, gisant sur la chaussée d'une rue d'Ajaccio » a affirmé que «cette image était attentatoire à la dignité de la personne humaine »114(*). Mais c'est un jugement de la Cour de Paris qui semble le plus en ligne avec notre analyse:115(*) il s'agissait en l'espèce, de l'interdiction sur le fondement de l'atteinte à la dignité de la personne humaine d'une publicité (notamment par voie de presse) de Benetton qui représentait des parties de corps nus simplement « marqués » du signe « HIV positive ». En effet, la Cour a justifié sa décision car la publicité avait utilisé « une symbolique de stigmatisation dégradante pour la dignité des personnes ». La dignité de la personne a d'ailleurs été inséré dans le nouveau code pénal en lien avec la protection de l'enfance en interdisant les messages « à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine (...) lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur»116(*). Cette législation vient renforcer la loi relative aux publications destinée à la jeunesse qui sera étudiée après l'analyse de la situation écossaise. * 110 P. Wacksmann, par. 472 p529. * 111 Cass. Crim. 31 Mai 1949, JCP 1949.III.4940. * 112 CA Paris, 12 Mars 1958, D1958, p608. * 113 CE, Commune de Morsang-sur-Orge 27 Octobre 1995 Rec. Lebon p. 372. * 114 Cass. Civ1., 20
Décembre 2000, `préfet Erignac` Bulletin 2000 I N° 341 p.
220. * 115 CA Paris, 28 mai 1996, Sté Benetton, D., 1996, J. 617, note B. * 116 Article 227-24 du Code Pénal : Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur. |
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