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Moyen terme aristotélicien et médiation dans les organisations

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par Guillaume RIVET
UFR Poitiers sciences Humaines et Arts - Master2 professionnel médiation dans les organisations 2008
  

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b- "medium"

Le médiateur est un acteur particulier, puisqu'il règle des conflits sans juger, qu'il met en relation des parties sans prendre partie, qu'il met à jour les problèmes sans imposer la solution. D'où peut bien venir cette singularité qui le rend si précieux ? Nous répondons que cette vertu tient à la place même du médiateur, celle d'un juste milieu. Cet équilibre n'est ni indifférence, ni vision condescendante envers les médiés, mais justice et prudence. La vertu elle-même est une forme de médiété, comme nous allons le voir ; par ailleurs, la vertu du syllogisme, outre la recherche de la vérité par le raisonnement qu'il permet, possède dans sa forme même la présence d'un moyen terme qui ne peut que rappeler la médiété de la vertu. Nous verrons qu'il est possible de différencier la vertu du médiateur de celle du syllogisme sans pour autant y voir une opposition.

La pratique du médiateur ne peut pas faire l'économie d'une réflexion éthique. Cette dernière débouche sur un système de valeurs. Un de ses principes réside dans le refus de l'individualisme et de l'immédiateté. Ce principe tient donc à la responsabilité du médiateur. Pour respecter ces valeurs, il est nécessaire d'avoir des qualités morales. Un certain courage est exigé, puisqu'il est possible de considérer que l'individualisme et l'immédiateté sont fleurissants de nos jours50(*). Rappelons à ce propos que la critique de l'individualisme est basée sur les travaux sociologiques de la fin des années soixante-dix et du début des années quatre-vingt de Christopher Lasch et de Gilles Lipovetsky, ainsi que sur une certaine philosophie des valeurs et du sens a fait de l'individualisme un terme repoussoir et explicative des mouvements sociaux et politiques depuis plus de trente ans. Il est accusé de déliter le lien social et d'affaiblir la conscience citoyenne. En effet, chaque individu considère aujourd'hui le respect de sa singularité et de son identité comme une valeur non négociable. L'affirmation et la confrontation des subjectivités peuvent être source de conflit, car les individus tentent de plus en plus de judiciariser des difficultés des luttes interpersonnelles ou inter groupales qui pourraient être quelquefois résolues par un dialogue pacifié. De là viennent le courage et l'utilité du médiateur. La prudence est une autre qualité à posséder lorsque l'on est médiateur, car il faut avancer par tâtonnement et laisser les choses mûrir, afin de ne pas exacerber les passions ou brusquer les parties. À cela s'ajoute une modestie, puisque le médiateur ne tire ni gloire ni pouvoir de ses services. Enfin, il lui faut de la justesse, son rôle n'étant pas de substituer les volontés des médiés à la sienne, mais plutôt de trouver la voie du compromis. À cela doit s'ajouter une certaine maturité, déjà évoquée51(*). Il est clair que le médiateur a des qualités morales et une éthique. Il convient donc de dire que le médiateur a le caractère de quelqu'un de prudent, et que « la prudence est une disposition, accompagnée de raison de raison juste, tournée vers l'action et concernant ce qui est bien et mal pour l'homme52(*) ».

Nous pouvons alors aller plus loin en disant qu'il est vertueux : il s'oppose à la destruction que la violence engendre, il réunit ce qui était séparé ? Les membres d'une famille dans la médiation familiale, les individus et les groupes dans la médiation dans les institutions ? il évite la juridiction, les amendes, le châtiment de la justice pénale pour le remplacer par un apaisement des relations, il restructure les relations interpersonnelles et la dynamique des groupes. Sa manière d'être est vertueuse, puisque le médiateur est un homme prudent, comme nous l'avons vu précédemment. Il use de la raison et de l'argumentation53(*) pour aider les individus à sortir des impasses du conflit ; il correspond donc à la définition de la vertu aristotélicienne : « disposition à agir d'une façon délibérée, consistant en une médiété relative à nous, laquelle est rationnellement déterminée et comme la déterminerait l'homme prudent54(*) ».

Le caractère médian de la vertu trouve un écho dans l'étymologie même du mot médiateur. En effet, le mot mediateur est apparu au début du XIV° siècle sans accent et devient médiateur vers dix-sept cent quarante pour désigner la personne qui se met au milieu55(*). La médiété du médiateur est immanquablement liée à la vertu, car d'une manière générale, il n'existe ni médiété d'excès et de défaut, ni excès et défaut de médiété56(*). Cela ne veut pas dire que la position moyenne (medius : intermédiaire entre deux partis ou entre deux opinions, medium quoddam tuum consilium fuit) soit synonyme de médiocrité (mediocris -medius, ocris- moyen, faible, médiocre). Ce que veut dire Aristote est au contraire que dans l'ordre de la substance et de la définition exprimant la quiddité, la vertu est une médiété, tandis que dans l'ordre de l'excellence et du parfait, c'est un sommet57(*). La posture médiane prédispose donc une attitude vertueuse. De la juste moyenne découle ce qui est juste : « Puisque l'injuste ne respecte pas l'égalité et que l'injustice se confond avec l'inégalité, il est évident qu'il y a une juste mesure relativement à l'inégalité. Cette juste moyenne, c'est l'égalité. Dans les actes qui comportent le plus et le moins, il y a place pour une juste moyenne. Si donc l'injuste, c'est l'inégalité, le juste est l'égal. [...] Or, puisque l'égal consiste dans une juste moyenne, il pourra en être ainsi du juste58(*) ». Nous avons établi que le moyen est une juste moyenne, nous pouvons donc dire que la justice est un juste milieu en deux termes extrêmes : « Il nous faut maintenant étudier la justice et l'injustice, chercher avec quelles actions elles ont rapport, définir quelle sorte de moyenne constitue la justice, et trouver à quels extrêmes la justice est bien le milieu59(*) ». Le médiateur est donc le plus propre à pouvoir rendre justice, le médiateur et la justice étant tout deux une juste moyenne : « Aussi, lorsque quelque différent se produit entre les hommes, ils ont recours au juge. Aller trouver celui-ci, c'est aller devant la justice, car le juge entend être, pour ainsi dire, la justice incarnée. Dans la personne du juge on un tiers impartial et quelques-uns appellent les juges des arbitres ou des médiateurs, voulant signifier par là que, quand on aura trouvé l'homme du juste milieu, on parviendra à obtenir justice. La justice est donc un juste milieu, si du moins le juge en est un60(*) ». C'est là une vertu non négligeable du médiateur. En un sens, le médiateur peut être vu comme un juste milieu entre les excès des médiés. Il dévoile aux médiés la voie la plus juste vers laquelle il serait préférable qu'ils tendent, pour le bien de tous. Pour arriver à jouer le rôle vertueux du médiateur, le juste milieu entre les intérêts et les passions de l'âme du médiateur est sans nul doute un facteur facilitant. Autrement-dit, le médiateur arrivera d'autant mieux à instaurer le juste milieu entre les médiés qu'il éprouve cette attitude vertueuse en lui-même et qu'elle fait partie de son caractère. Le médiateur est donc à équidistance des excès, centre d'un cercle sur lequel deux points s'affrontent. Le rôle du médiateur est ?pour poursuivre cette métaphore de géométrie euclidienne? de tracer la diagonale entre les points en conflit en passant par son intermédiaire, montrant ainsi aux points en conflit qu'ils sont sur le même cercle, qu'ils ont un intérêt commun.

Il convient de discerner de quel type est cette vertu. Comme l'action du médiateur est liée à la contingence du conflit à résoudre, la pratique du médiateur n'est ni une science, ni un art61(*) : elle est une pratique vertueuse, capable de déterminer ce qui est avantageux. C'est en ce sens que la pratique du médiateur se distingue de la science du syllogisme : « ce qui est objet de science peut être démontré, tandis que l'art et la prudence ont pour matière ce qui est de l'ordre du possible62(*) ». En effet, la science obéit à des règles qui sont formalisées et immuables, par exemple les règles et les figures du syllogisme. En revanche, le médiateur, bien qu'il soit encadré par les normes sociales et parfois juridiques, est avant tous dans le domaine de la prudence et du cas particulier, comme l'exprime l'exemple d'Aristote : « les jeunes gens peuvent devenir géomètres et mathématiciens et acquérir de l'habilité dans ces matières ; il n'en va pas de même pour la prudence. La raison en est que la prudence porte sur des cas particuliers, qui ne sont connus que par expérience, et le jeune homme est inexpérimenté - il faut un long laps de temps pour faire naître l'expérience. [...] Par conséquent, la prudence s'oppose à la connaissance par l'esprit. L'esprit s'applique aux principes premiers dont on ne peut donner la raison ; la prudence, au contraire, aux termes inférieurs qui relèvent, non pas de la science, mais de la sensation63(*) ». Cette remarque ne dévalorise pas le caractère impératif et vertueux de la prudence et du médiateur, elle permet de distinguer la vertu pratique du médiateur de la vertu logique et scientifique du syllogisme. Ces deux parties ne s'opposent pas, pas plus que pour Aristote la partie connaissante de l'âme et sa partie raisonnante sont conflictuelles : elles possèdent toutes deux leur vertu propre64(*).

* 50 L. FERRY, Lettre à tous ceux qui aiment l'école, Paris, Odile Jacob, 2003. Évidemment, il serait possible de discuter de la pertinence de la critique de l'individualisme, beaucoup l'ont fait, mais ce n'est pas l'objet ici.

* 51 Voir II, b, p. 18.

* 52 ARISTOTE, Ethique de Nicomaque, traduction préface et notes par J. Voilquin, Paris, GF, 1965, p. 158, (VI, Chapitre V).

* 53 Voir III a, p 21.

* 54 Op. cit., p. 53, (Ethique de Nicomaque, II, Chapitre VI).

* 55 SIX Jean François, Les médiateurs, Paris, Editions Le Cavalier Bleu, 2003, p. 3.

* 56 Op. Cit. p. 54, (Éthique de Nicomaque, II, VI).

* 57 Ibid., (Éthique à Nicomaque).

* 58 Ibid., p. 128, (Chapitre III).

* 59 Ibid., p. 122, (Livre V, Chapitre I).

* 60 Ibid., p. 130, (Chapitre IV).

* 61 « Aussi, puisque la science s'accompagne de démonstration et qu'il n'y a pas de démonstration de ce dont les principes ne sont pas nécessaires - car tout ici est successible de changement ; puisque, enfin, il n'est pas possible de délibérer sur ce qui possède un caractère de nécessité, il en résulte que la prudence ne saurait relever ni de la science, ni de l'art. Elle ne saurait être une science, parce que ce qui est de l'ordre de l'action est susceptible de changement, non plus qu'un art, parce qu'action et création sont différentes de nature ». Ibid., p. 158, (VI, Chapitre V).

* 62 Ibid., p. 159, (VI, Chap. VI).

* 63 Ibid., pp. 162-163, (VI, Chap. VIII).

* 64 Ibid., p. 154, (VI, Chap. I).

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo