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L'efficience des patrimoines d'affectation en droit privé

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par Romain Coquet
Université de Bretagne occidentale - Master 2 Droit privé fondamental 2012
  

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Première partie : La relativité de l'affectation fiduciaire à vocation de gestion et de garantie

L'unité du patrimoine demeure un principe fondamental du droit privé français, en dépit des critiques acerbes à son endroit. Or « la vie actuellement menée par la personne apparaît en effet plurale et non linéaire, ce qui diffère de l'unité et de la linéarité de la vie de la personne qui ont servi à fonder l'unité du patrimoine. S'il est en effet désormais courant de considérer qu'une personne mène une pluralité de vies ou exerce une pluralité d'activités, il n'en était pas de même lorsque la théorie du patrimoine a été créée »65(*).

Cette pluralité de vies est à l'origine d'un changement de paradigme. Désormais, la personne peut fractionner son patrimoine en différentes masses a priori étanches. L'intronisation de la fiducie par le législateur est ainsi révélatrice de l'émergence du concept de patrimoine d'affectation66(*). La lettre du Code civil démontre pourtant qu'il s'agit d'un patrimoine d'affectation imparfait. A ce titre, la propriété fiduciaire est la traduction d'un malheureux oxymore. Le couple fiducie-propriété est loin d'être un couple idéal, tant ces deux termes sont antinomiques et contradictoires (Chapitre 1).

Après une analyse critique de la fiducie fondée sur les notions-cadre de patrimoine et de propriété, il conviendra d'étudier les modalités pratiques de la fiducie au double visage (Chapitre2). Le secteur bancaire et financier est à l'origine de crypto-fiducies innommées selon l'expression du professeur Witz67(*). Par ailleurs, il sera intéressant de confronter la fiducie des pays de tradition civiliste au trust d'essence anglo-saxonne. Le trust est en effet l'archétype du patrimoine d'affectation susceptible d'être transposé un jour en France. Mais il faudra alors ratifier la Convention de Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance.

Chapitre 1 : L'affectation fiduciaire confrontée aux notions de patrimoine et de propriété

La fiducie avalisée par le législateur en 2007 remet en cause le spectre de l'unité du patrimoine. Elle vient enrichir la catégorie des contrats spéciaux règlementés par le Code civil aux articles 2011 et suivants.

A l'origine contrat innommé ou sui generis, la fiducie s'est métamorphosée en contrat nommé appartenant à la théorie générale des obligations68(*). Au terme de l'article 2011 du Code civil, « la fiducie est l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires ».

Cette définition de la fiducie, aussi salutaire soit-elle, est sibylline. Elle ne précise en effet pas la nature du transfert de biens, droits ou sûretés au profit du fiduciaire. La doctrine majoritaire y voit un transfert de propriété69(*), mais n'est-ce pas plutôt un simple transfert de pouvoirs dans l'intérêt d'autrui ? Transfert de propriété ou transfert de jouissance, telle est la question. La qualification de propriété fiduciaire est donc à relativiser (Section 1).

Parallèlement, l'affirmation selon laquelle la fiducie serait l'apanage du patrimoine d'affectation peut être battue en brèche. Si l'indivisibilité du patrimoine a perdu sa nature dogmatique, en revanche la divisibilité du droit de gage général des créanciers n'est pas absolue. Le fiduciaire ne devient pleinement propriétaire des biens placés dans le patrimoine fiduciaire qu'en cas de défaillance du débiteur. Seule la fiducie-sûreté, protectrice des intérêts des créanciers, constitue un patrimoine d'affectation (Section 2).

Section 1 : L'ambivalence de la propriété fiduciaire

La propriété fiduciaire n'est pas la propriété ordinaire de l'article 544 du Code civil. Saleilles considérait ainsi qu'il fallait « recréer de toutes pièces la propriété fiduciaire dans notre droit »70(*). Pour admettre l'idée même de propriété fiduciaire, il convient de repenser le concept de propriété à l'aune de ses attributs et de ses caractères (§1). Cette qualification est critiquable, malgré nombreuses atteintes au droit de propriété existant en droit positif71(*). Par ailleurs, le développement de la finance islamique en droit français est difficile en raison du démembrement de la propriété fiduciaire, symptomatique d'une entorse réelle au droit de propriété (§2).

§1- Vers une nouvelle approche de la propriété ?

La propriété fiduciaire entre en contradiction avec les caractères classiques attachés au droit de propriété (A). En outre, le fiduciaire voit ses prérogatives limitées par l'objectif de la fiducie qui est d'agir dans un but déterminé au profit d'un tiers bénéficiaire (B).

La propriété demeure aujourd'hui l'un des trois piliers essentiels du droit français avec la famille et le contrat72(*). En effet, « trois choses sont nécessaires et suffisent à l'homme vivant en société : être maître de sa personne; avoir des biens pour remplir ses besoins; pouvoir disposer, pour son plus grand intérêt, de sa personne et de ses biens. Tous les droits civils se réduisent donc aux droits de liberté, de propriété et de contracter »73(*). Cette articulation tripartite de Cambaceres perdure puisque le Code civil promulgué en 1804 opère une division entre les personnes, les biens et les obligations. Portalis ne rejoint pas son homologue et juge que les dispositions du code relatives à la propriété sont succinctes, alors qu'il s'agit d'une matière importante. « Le principe du droit de propriété est en nous, il est dans la constitution de notre être et dans nos différentes relations avec les objets qui nous environnent »74(*).

La propriété est un concept omniprésent dans le Code civil, un concept intemporel de la littérature juridique. Selon Frédéric Zenati-Castaing, « la propriété, avant de traduire un pouvoir, désigne la chose, prise en elle-même et abstraction faite de tout droit »75(*). L'étymologie de ce mot est latine : propriété ne dérive pas de « dominium » qui se définit comme le pouvoir exclusif que l'on a sur une chose mais par le terme de « proprietas ». La proprietas apparaît tardivement dans le langage juridique, après le domaine qui est l'ancêtre du droit de propriété. Sous Justinien, elle désigne le caractère propre de la chose. L'opposition entre sa dimension utilitaire et sa dimension privative est ainsi relevée, la proprietas n'étant pas un droit à Rome76(*).

Il paraît difficile voire impossible de définir la propriété car le droit qu'elle engendre se confond avec la chose elle-même. Le Code civil s'y emploie pourtant et déclare en son article 544 que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Cet aphorisme souligne l'ampleur de la propriété, la plénitude et son contenu. Un auteur considère a contrario que cet article 544 du Code civil est une disposition inutile, il ne peut y avoir de définition positive de la propriété77(*). Or au terme de cette définition, le propriétaire exerce une totale maîtrise sur chaque bien qui enrichit son patrimoine. La propriété est le droit réel le plus complet qui puisse être reconnu sur une chose, dans la limite du respect des lois et règlements.

Le concept de propriété fiduciaire caractérise le lien indéfectible qui existe dans la fiducie française entre le droit des biens et le droit des obligations78(*). La fiducie représente à ce titre un nouveau contrat translatif de propriété selon la majorité des auteurs. Or dans une analyse dissidente, Rémy Libchaber considère que « les indices d'absence de propriété abondent »79(*). Un débat sur la notion de propriété fiduciaire voit ainsi le jour en doctrine.

La fiducie est analysée comme mettant en oeuvre un double transfert de propriété. En premier lieu, il existerait un premier transfert de propriété du patrimoine du constituant au patrimoine fiduciaire géré par le fiduciaire. En second lieu, un second transfert de propriété peut être reconnu à l'extinction du contrat de fiducie. Les biens, droits ou sûretés contenus dans le patrimoine « affecté » ont vocation à rejoindre le patrimoine du tiers bénéficiaire. Ce n'est qu'à l'issue du terme de la fiducie qu'un transfert de propriété existe réellement. Seul le bénéficiaire (qui peut également être le fiduciaire) est apte à exercer une parfaite maîtrise sur le bien en question. Il réunit entre ses mains les attributs de la propriété ordinaire : l'usus, le fructus et l'abusus. La formulation de l'article 2011 du Code civil induit en effet une relation triangulaire, puisque le fiduciaire agit dans un « but déterminé » au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires. Le double transfert de propriété ne se conçoit dès lors que si le fiduciaire est également le bénéficiaire du contrat de fiducie, ce que la lettre de l'article 2011 exclut a priori. Il convient alors d'admettre que ce double transfert n'a pas la même nature.

Michel Grimaldi demeure également sceptique sur la qualification de contrat translatif de propriété. Selon cet auteur, « la formule selon laquelle la fiducie serait un contrat translatif de propriété est à manier avec prudence puisqu'elle n'opère aucun transfert de richesse »80(*). Le contrat de fiducie prévaut donc sur l'opération de transfert de propriété. Il est au coeur du mécanisme alors que la « propriété fiduciaire » si elle existe n'est qu'un instrument au service d'une finalité économique bien définie81(*). Les développements qui vont suivre tenteront de répondre à une question existentielle au plan juridique : la propriété fiduciaire s'analyse-t-elle au regard de l'article 544 du Code civil ou est-ce la manifestation d'un nouveau concept de propriété ?

A- La fiducie à l'épreuve des caractères de la propriété ordinaire

1- La propriété fiduciaire : une propriété temporaire

La propriété fiduciaire est une propriété finalisée. Elle doit être confrontée aux caractères classiques du droit de propriété de l'article 544 du Code civil. En premier lieu, le droit de propriété est perpétuel, il ne s'éteint pas par le non usage82(*), fût-il trentenaire. Cela signifie qu'il dure aussi longtemps que la chose sur laquelle il porte. Le droit de propriété est isolé, il se distingue des droits personnels et des autres droits réels83(*).

La propriété ordinaire est perpétuelle, elle a vocation à se prolonger indéfiniment puisque en droit français, « les héritiers continuent la personne du défunt ». De son côté, la propriété fiduciaire est temporaire et assortie d'un terme84(*). « Ni perpétuelle, ni absolue, cette propriété est ainsi limitée dans sa durée et ses pouvoirs »85(*). La fiducie est par essence limitée dans sa durée car son objet réside dans le but déterminé par le contrat. Il existe pourtant des variétés de propriété temporaires. Le droit de propriété intellectuelle qui protège l'auteur contre toute atteinte des tiers disparaît après une période de 70 ans, quand l'oeuvre tombe dans le domaine public. Cette entorse à la perpétuité de la propriété est justifiée par la nécessité de rendre l'oeuvre accessible au public par la voie de la divulgation.

La propriété fiduciaire se traduit par une absence de liberté du fiduciaire. « Le fiduciaire n'est pas libre à l'égard de la chose, alors que c'est précisément par la liberté que la propriété se définit »86(*). Dans la fiducie-gestion, la propriété ne dure que le temps de la gestion des biens du patrimoine fiduciaire. Il est alors possible d'établir un lien entre le caractère perpétuel de la propriété et la destination donnée au bien approprié. Le fiduciaire doit en effet respecter la destination donnée au bien par le constituant car à l'issue du contrat de fiducie, le bénéficiaire est le propriétaire légitime de ce bien. Ses droits sur la chose ne peuvent donc être que temporaires87(*).

Il peut arriver que le fiduciaire soit également le bénéficiaire du contrat de fiducie. Dans cette hypothèse, il est amené dans un premier temps à gérer les biens d'autrui dans un patrimoine autonome et à devenir pleinement propriétaire à l'issue de la mission fiduciaire. Cette situation est paradoxale puisque à l'origine, le fiduciaire n'est qu'un propriétaire obligé, il devient lors du dénouement de la fiducie un propriétaire ordinaire. La propriété fiduciaire est donc éphémère, elle disparaît une fois l'objectif atteint par le contrat. En matière de fiducie-sûreté, il est admis que le fiduciaire-créancier acquiert la libre disposition du bien en cas de défaillance du débiteur. Ce n'est pourtant pas l'opinion de Pierre Crocq. Selon cet auteur, « si l'on en revient à une conception plus classique du droit de propriété, défini comme un ensemble de prérogatives susceptibles d'être exercées sur un bien, on admettra que la propriété fiduciaire n'est pas temporaire, car elle ne disparaît pas à la fin de la fiducie, mais se transmet au fiduciaire »88(*). Cette proposition est naturellement concevable, mais il semble plus judicieux de distinguer la propriété fiduciaire assortie d'un terme de la propriété du fiduciaire qui réunit en elle tous les attributs de l'article 544 du Code civil.

* 65 A.L THOMAT-RAYNAUD, « L'unité du patrimoine : essai critique », Répertoire Defrénois, thèse Toulouse, Doctorat & Notariat, préface D. Tomasin, 2007, p.40.

* 66 L'article 12 de la loi du 19 février 2007 modifié par la loi du 4 août 2008 est explicite : « Les éléments d'actif et de passif transférés dans le cadre de l'opération mentionnée à l'article 2011 du code civil forment un patrimoine d'affectation ». Le Code civil ne fait pourtant pas référence à la notion de patrimoine d'affectation.

* 67 C. WITZ, « La fiducie en droit privé français », Economica, 1981.

* 68 D. MAINGUY, « Contrats spéciaux », 7ème édition, Dalloz, 2010, p.8 et s.

* 69 Voir notamment F. BARRIERE, « La loi instituant la fiducie : entre équilibre et incohérence », JCP E n°36, 6 septembre 2007, 2053 ; M. GRIMALDI, « Théorie du patrimoine et fiducie », RLDC n°77, décembre 2010, p.73 ; J. ROCHFELD, « La fiducie spéciale ou le droit à deux vitesses », RTD civ 2007 p. 412 : cet auteur affirme d'ailleurs que « la fiducie compose un nouveau contrat synallagmatique spécial par lequel le fiduciaire s'engage, d'une part, à conserver, administrer et disposer des biens dont la propriété est transférée et, d'autre part, à les restituer, soit au constituant, soit à un bénéficiaire préalablement désigné, à une échéance précisée ».

* 70 R. SALEILLES, « De la personnalité juridique, Histoires et théories, Vingt-cinq leçons d'introduction à un cours de droit civil comparé sur les personnes juridiques », préf. H. CAPITANT, 2ème édition, Rousseau 1922, p. 496.

* 71 Parmi les nombreuses atteintes au droit de propriété, on peut citer notamment l'expropriation pour cause d'utilité publique (l'article 545 du Code civil précise que « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité »), les démembrements de propriété tels que l'usufruit ou les servitudes.

* 72 J. CARBONNIER, « Flexible droit, pour une sociologie du droit sans rigueur », 10ème édition, LGDJ, juin 2001.

* 73 Cette déclaration solennelle a été prononcée par Cambaceres lors du second projet de Code civil finalement avorté, en fructidor an III (septembre 1795).

* 74 Présentation du titre « De la propriété » devant le corps législatif, Fenet, t. XI, p. 113.

* 75 F. ZENATI-CASTAING, « La propriété, mécanisme fondamental du droit », RTD civ 2006 p. 445.

* 76 M. VILLEY, « L'idée du droit subjectif et les systèmes juridiques romains », RHD 1945, p.201 et s. les juristes romains n'ont jamais défini la propriété, n'ont pas identifié dominium et jus, ont traité les droits (jura) comme des choses incorporelles qu'ils concevaient en termes de rapport.

* 77 Ch. GRZECORCZYK, « Le concept de bien juridique, l'impossible définition », APD 1979, t. XXIV, p. 268-269.

* 78 B. MALLET-BRICOUT, « Fiducie et propriété », in Liber amicorum Christian Larroumet, Economica, 2009, p.297.

* 79 R. LIBCHABER, « Les aspects civils de la fiducie dans la loi du 19 février 2007 », Defrénois, 30 août 2007, n° 15, p.1094.

* 80 M. GRIMALDI, « L'introduction de la fiducie en droit français », in Les transformations du droit civil français, Universidadexternado de Colombia, Revue de droit Henri Capitant, 2009.

* 81 B. MALLET-BRICOUT, « Fiducie et propriété », préc. p.298.

* 82 L'article 2227 du Code civil issu de la loi du 17 juin 2008 précise que « le droit de propriété est imprescriptible » ; Civ 3ème 14/11/1979, JCP G 1981. II. 19507 : le fait qu'un propriétaire n'entretienne pas son chemin d'exploitation ne lui en fait pas perdre la propriété.

* 83 J-F BARBIERI, « Perpétuité et perpétuation dans la théorie des droits réels », thèse Toulouse, 1977.

* 84 Depuis la loi du 4 août 2008, la durée du transfert ne peut excéder 99 ans à compter de la signature du contrat, en raison de la prohibition des engagements perpétuels (article 2018 2° du Code civil).

* 85 L. KACZMAREK, « Propriété fiduciaire et droits des intervenants à l'opération », D. 2009 p. 1845.

* 86 R. LIBCHABER, « Les aspects civils de la fiducie dans la loi du 19 février 2007 », préc. p. 1094.

* 87 R. BOFFA, « La destination de la chose », Defrénois, t.32, juin 2008 préface M-L Mathieu-Izorche.

* 88 P. CROCQ, « Propriété fiduciaire, propriété unitaire » in La fiducie dans tous ses états, colloque organisé le 15 avril 2010 par l'Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, 2010,

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld