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Le centre de détention de CASABIANDA, emblématique prison de paradoxes

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par Paul-Roger GONTARD
Université Aix-Marseille III - Master 2 de droit, spécialité lutte contre l'insécurité 2008
  

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- Partie II - CASABIANDA, prison unique et embl\u233·matique.

Titre 1 : Le caractère exceptionnel de CASABIANDA

CASABIANDA est unique. C'est bien souvent la définition qui vous est donnée de cet établissement par les gens qui travaillent, ou ont travaillé dans ce centre de détention. Cette qualité lui donne à l'évidence un caractère exceptionnel. En témoigne le flot régulier d'officiels qui foulent son sol une fois en fonction. La plupart des Gardes des Sceaux de la Vème République, de nombreux Directeurs de l'administration pénitentiaire, parlementaires ou délégations étrangères venues en observation. Pourtant, après s'être déclarés surpris, étonnés, interpellés par le fonctionnement original, voire unique de ce lieu, les réactions des officiels français semblent se borner à oublier CASABIANDA, l'administration réagissant ensuite en fonction de la politique pénale du moment. CASABIANDA pourra alors apparaître tantôt comme un élément encombrant à éviter de promouvoir, tantôt comme une expérimentation hors normes qui prouve le progrès de notre système pénitentiaire dans le chemin de l'humanisation des conditions d'incarcération (surtout quand vient le temps des condamnations des autorités internationales quant au caractère inhumain de certaines prisons françaises).

Cette inconsistance entraîne une inquiétude latente quant à l'avenir de ce lieu. Chaque fois qu'un projet pénitentiaire est envisagé en Corse, le spectre d'une possible fermeture de CASABIANDA refait son apparition. Ce fut déjà le cas lors de l'ouverture de la maison d'arrêt de BORGO, et le projet d'un nouvel établissement pénitentiaire à Ajaccio ravive aujourd'hui ces inquiétudes.

Afin de clarifier ce rôle unique que joue CASABIANDA dans l'administration pénitentiaire, et qui protège certainement ce centre de détention de toute velléité de fermeture, nous verrons comment celui-ci remplit les missions qui sont confiées à l'administration pénitentiaire (chapitre 1), la place qu'elle occupe dans la pénologie pénitentiaire en France et dans le monde (chapitre 2), et enfin, quelles conséquences dans son fonctionnement entraînent les originalités de CASABIANDA (chapitre 3).

Chapitre 1 : De l'applications des missions de l'administration pénitentiaire par le prisme de CASABIANDA.

Les missions de l'administration pénitentiaire sont encadrées par deux textes fondateurs du code de procédure pénale et une décision du conseil constitutionnel qui réaffirment ces principes:

« Article D188

Le service public pénitentiaire a pour fonction d'assurer la mise à exécution des décisions judiciaires prononçant une peine privative de liberté ou ordonnant une incarcération provisoire, et d'assurer la garde et l'entretien des personnes qui, dans les cas déterminés par la loi, doivent être placées ou maintenues en détention en vertu ou à la suite de décisions de justice.

Article D189

A l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale. »

« L'exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et permettre son éventuelle réinsertion. »86(*)

Conseil Constitutionnel, Décision n° 93-334 du 20 janvier 1994

De ces articles et de cette décision se dégagent deux types de public à qui s'adresse l'exécution des peines : la société d'une part (section 1) et le détenu d'autre part (section2).

Section 1 : Des intérêts de la société dans l'application des peines à CASABIANDA.

Comme dans toute peine, l'emprisonnement à CASABIANDA a deux incidences sociétales. Il doit neutraliser l'individu pour toute la durée de sa peine en l'empêchant de commettre de nouvelles infractions (§1) ; et il doit s'efforcer d'empêcher la réitération de l'infraction, évitant ainsi de nouvelles victimes (§2).

§ 1 : De la neutralisation des détenus à CASABIANDA.

Lorsque le législateur de la Révolution Française décide d'ériger la peine privative de liberté comme principale sanction pénale87(*), il la considère comme la plus adaptée aux aspirations humanistes qui portent les discours des philosophes du XVIIIème, mais aussi comme tout à fait conforme à l'obligation de protection que doit nécessairement revêtir une sanction pénale. L'emprisonnement permet en effet d'écarter temporairement ou définitivement d'une société un de ses membres jugé dangereux, et de l'empêcher ainsi de causer de nouveaux dommages.

Le principal article réglementaire relatif à cette mission est l'article D.268 du code de procédure pénale qui stipule :

« Toutes dispositions doivent être prises en vue de prévenir les évasions, notamment en ce qui concerne la disposition des locaux, la fermeture ou l'obturation des portes ou passages, le dégagement des couloirs et des chemins de ronde et leur éclairage. Tout aménagement ou construction de nature à amoindrir la sécurité des murs d'enceinte est interdit. »

Force est de constater que CASABIANDA ne répond que partiellement à cette réglementation.

Tout d'abord, la dernière disposition de l'article est inapplicable puisque les murs d'enceinte sont inexistants à CASABIANDA.

Ensuite, la disposition des locaux peut être considérée comme peu pertinente au regard de la prévention des évasions : ils sont, en effet, à quelques centaines de mètres de la plage, et à 2 km à vol d'oiseau de la route nationale qui coupe le domaine.

Enfin, la fermeture ou l'obturation des passages sont limitées au regard des critères carcéraux habituels, puisque ce sont des moustiquaires qui obstruent les ouvertures en lieu et place de barreaux. Cependant, pour répondre à cette préoccupation de restriction des allers et venues des détenus, il a été mis en place une ceinture de détecteurs de mouvements activée autour des bâtiments accueillant leur « chambre ».

Toutefois, CASABIANDA répond plus à l'esprit de la règle, qu'à sa lettre. En effet, les espaces et les distances qui entourent le domaine font office de barrières, au moins psychologiques, qui peuvent décourager d'hypothétiques évasions. Mais la clef de la neutralisation des détenus à CASABIANDA est avant tout dans la tête de ceux-ci. Je citerai ici deux remarques que me faisaient des détenus. Pour le premier, « à CASABIANDA, les barreaux ils sont dans la tête », et le second rajoutait : « Les murs ici n'existent pas : quand tu prends ton tracteur, c'est toi qui dois en mettre dans ta tête à la nationale ». Et, vraisemblablement, ces murs et barreaux psychologiques sont particulièrement efficaces puisque aucune évasion n'est à déplorer dans cet établissement depuis de très nombreuses années. Comment cet établissement arrive-t-il à ce résultat ? Au lieu d'empêcher ou de décourager l'évasion, CASABIANDA la vide de son sens : l'individu n'a plus intérêt à quitter l'établissement, et la communauté des autres détenus n'a pas intérêt à ce que l'un de ses membres ne s'évadent.

Quitter CASABIANDA par la route ou par les terres signifie accepter de traverser le maquis ou les villages corses. Une épreuve qui nécessite des soutiens locaux, sans quoi la discrétion qui prévaut à ce genre de projet est vite compromise par la vigilance naturelle des natifs de l'île (d'où la très faible proportion de Corses dans la population pénale). Rejoindre le port ou l'aéroport le plus porche nécessitant au moins 1h30 de route, ce temps semble suffisant aux autorités pénitentiaires pour constater et signaler aux autorités aéroportuaires et maritimes la présence potentielle d'un fugitif qui pourrait utiliser leurs installations.

Mais le principal argument qui incite les prisonniers à rester le temps de leur peine à CASABIANDA est l'incontournable comparaison avec les autres centres de détention. Fuir et se faire reprendre, revient à être transférer dans un autre établissement pénitentiaire. Alors, pourquoi risquer de quitter un lieu ou la sécurité individuelle est plus garantie que dans tout autre établissement pénitentiaire ? Pourquoi quitter un lieu où de grands espaces de verdure et l'air marin sont des horizons quotidiens ? Pourquoi quitter un lieu où accueillir sa famille se fait avec beaucoup moins de honte et de ressentiment que dans les autres prisons ? S'évader de CASABIANDA n'a par conséquent que peu d'intérêt.

* 86 Conseil Constitutionnel, Décision n° 93-334 du 20 janvier 1994 portant sur la Loi instituant une peine incompressible et relative au nouveau code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale.

* 87 C'est par un décret du 22 décembre 1790 sur la compétence des tribunaux militaires, leur organisation et la manière de procéder devant eux que la France crée la première peine d'incarcération à temps. Les codifications pénales ultérieures confirmeront et accentueront cette démarche. Pour approfondir ce sujet, se rapporter à l'introduction de mon premier mémoire : GONTARD Paul-Roger (2007), L'utilité des peines privatives de liberté pour les criminels, Mémoire de Maîtrise sous la direction de B. CHAPLEAU, Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse, juin 2007. http://www.memoireonline.com/06/08/1146/m_utilite-peines-de-prison-criminels0.html

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