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Le centre de détention de CASABIANDA, emblématique prison de paradoxes

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par Paul-Roger GONTARD
Université Aix-Marseille III - Master 2 de droit, spécialité lutte contre l'insécurité 2008
  

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Section 3 : De la prison du XXème siècle46(*)

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, un grand vent de réforme souffle sur l'administration pénitentiaire française. Les initiateurs de cette volonté de changement seront principalement deux magistrats : Paul AMOR, directeur de l'administration pénitentiaire et Pierre CANNAT, contrôleur général des services pénitentiaires. Ils vont oeuvrer quotidiennement pour transformer la peine carcérale ; pour cela ils fonderont notamment un nouveau corpus philosophique qui présidera à l'élaboration des nouvelles politiques publiques en la matière. La commission chargée d'étudier, d'élaborer et de soumettre au Garde des Sceaux les réformes relatives à l'administration pénitentiaire, que présidera Paul AMOR entre 1944 et 1945, innovera grandement en plaçant comme principes fondateurs de l'incarcération, l'amendement et le reclassement social du condamné. Elle érigera à nouveau le principe d'un travail pour chaque condamné de droit commun, et rejettera en général toute forme d'oisiveté.

C'est sur ces bases que le projet d'un nouveau CASABIANDA va émerger, à l'initiative des magistrats précités, auxquels se rajoute le Doyen honoraire de la Cour de Cassation André PERDRIAU, alors simple magistrat de l'administration pénitentiaire.

Le domaine était alors géré, mais avec très peu de moyens, par l'administration des Ponts et Chaussées, exploitant à l'époque seulement 115 ha47(*) dix ans avant la réouverture, et 30 ha48(*) sur les 1840 ha du domaine en 1948. Le domaine ayant été assaini par l'utilisation massive de DDT par les forces armées américaines lors de leur débarquement en 1944, il fût donc décidé, au moment où CASABIANDA allait redevenir établissement pénitentiaire, d'incorporer une partie du personnel spécialisé de cette administration dans l'encadrement du nouveau centre pénitentiaire.

Dès le 1er juillet 1948, un premier contingent d'une cinquantaine de détenus, un économe et quelques surveillants y sont envoyés afin de préparer l'arrivée d'une cohorte plus importante.

L'année 1949 marque la nomination du premier directeur de l'établissement, M. Roger DUMAS, qui prendra ses fonctions au printemps de la même année. Le travail à accomplir est alors très important. Le domaine ne dispose encore ni d'eau courante, ni d'électricité. Les bâtiments sont à rénover, voire à reconstruire pour certains. Le cheptel doit être reconstitué, les terres à redéfricher.

La présentation de ce dernier volet historique de CASABIANDA portera donc sur ces premiers temps du centre pénitentiaire au XXème siècle (§1), traités par l'étude de sa population carcérale, et l'organisation de sa détention. Puis nous parcourrons transversalement les décennies jusqu'au IIIème millénaire (§2).

§ 1 : Les premières années du nouveau Centre Pénitentiaire Agricole de CASABIANDA
A/ Population carcérale de CASABIANDA, origine et premières évolutions.

Graphique 6 : Evolution des détenus de CASABIANDA entre 1949 et 1954 en fonction de l'objet de leur condamnation.

Graphique 7 : Répartition par age de la population carcérale de CASABIANDA au 1er octobre 1954.

Graphique 8 : Motifs de sorties des détenus de CASABIANDA entre 1949 et 1954.

Graphique 9 : Flux d'entrée et de sortie de la population pénitentiaire de CASABIANDA entre 1949 et 1954.

La population carcérale était alors, pour les premières années, essentiellement composée de détenus qui furent condamnés pour faits de collaboration ou pour intelligence avec l'ennemi (graphique n°6). Ils devaient en outre posséder une qualification jugée utile à l'ouvrage à accomplir pour remettre en route l'établissement pénitentiaire, et une condition physique les rendant apte à supporter le travail de force qu'ils allaient devoir accomplir (d'où une population en 1954 de 80% de détenus ayant moins de 45 ans ; graphique n°7).

La proportion entre jugés pour faits de collaboration et les droits communs s'inversera avec les flux d'entrées et de sorties de 1953 (graphiques 6 et 9). La population de 1954 ayant absorbée ce changement se répartissait alors de la manière suivante :

Graphique 10: Répartition de la population carcérale de CASABIANDA de 1954 par objet de condamnation des détenus.

Nous observons ici le développement d'une proportion importante de détenus coupables d'une infraction à caractère sexuel, ce qui fait l'une des caractéristiques actuelles du centre de détention de CASABIANDA. Le choix de développer cette catégorie pénale dans le pénitencier agricole résulte d'un accord entre M. Roger DUMAS, alors directeur de CASABIANDA, M. Jean-Marcel COLY, directeur du Centre National d'Orientation de Fresnes, et un autre représentant de l'administration pénitentiaire centrale. Ce choix découlait d'un double constat :

CASABIANDA réclamait des détenus capables de travailler la terre, et d'être au mieux des coutumiers du travail agricole. Force est de constater que parmi les infractions pénales commises dans les années 1950, les délits et crimes sexuels accomplis dans le cadre du cercle familial sont surreprésentés dans la population de détenus issus du monde rural. Jean-Marcel COLY avait même sur cette question une pensée qui démontre le peu d'estime que pouvaient encore avoir ces contemporains citadins pour les habitants des campagnes :

« La grande majorité [des criminels sexuels] sont d'ailleurs des auteurs d'incestes et lorsqu'ils atteignent la quarantaine, ils ont de grandes filles, formées pubères. La mère est souvent vieillie avant l'âge par les durs travaux ménagers et les grossesses nombreuses. Les filles aînées prennent peu à peu sa place aux divers stades de la vie familiale et l'inceste ne tarde pas à se produire. »49(*)

Un constat que Pierre CANNAT expliquait par « une conception [du rapport sexuel] généralement plus frustre, moins évoluée, que la population urbaine. »50(*). Une idée bien réductrice que l'histoire de la criminologie montrera comme erronée ; le tissu social urbain possédant lui aussi son lot de délinquants et criminels sexuels.

CASABIANDA réclamait aussi des détenus capables de se responsabiliser, et, par-dessus tout, de résister à l'envie d'évasion, qui s'avérait d'autant plus facile du fait de l'absence dans l'enceinte du pénitencier de tout type de matériel traditionnellement prévu pour les contrer. La personnalité du détenu était alors primordiale. Puisque les délinquants sexuels étaient réputés souvent plus calmes et plus « dociles » aux règles de détention, ils présentaient alors une garantie supplémentaire de sécurité.

Pour reprendre le propos que me tenait M. Roger DUMAS, CASABIANDA était alors à la recherche d'un détenu « idéal », qui  « ne devait pas être traumatisé ni dépaysé par le travail à accomplir, et il ne devait pas créer de risque majeur de sécurité pour l'établissement ». Une double qualité que l'on trouvait alors souvent chez les « détenus sexuels ».

En outre, afin de choisir les éléments qui présentaient les meilleures chances d'adaptation, les détenus appelés à partir pour CASABIANDA n'étaient que rarement des récidivistes (autour du quart de la population carcérale au 1er Octobre 1954), mais surtout, faisaient le plus souvent possible l'objet d'une observation au CNO de Fresnes. Sur les 82 condamnés de droit commun au 1er Octobre 1954, 78% étaient passés par le centre de Fresnes.

Ce mode de sélection semble avoir été efficace puisque sur les 6 années sur lesquelles porte le rapport PERDRIAU (juillet 1948 - octobre 1954), 86 détenus ont été mutés pour des raisons disciplinaires ou de sécurité, soit autour de 12% du total de la population.

* 46 Cette présentation du centre pénitentiaire de CASABIANDA au XXème siècle s'appuie sur les témoignages d'anciens personnels ou détenus, et plus particulièrement sur celui de M. Roger DUMAS, ancien directeur de CASABIANDA de 1949 à 1959 et ancien directeur régional de l'Administration pénitentiaire. Il sera également fait référence ici aux données du Rapport d'André PERDRIAU portant sur CASABIANDA présentait lors du premier Congrès des Nations Unies en matière de prévention du crime et de traitement des délinquants, Genève 1955.

* 47 VERPRAET Georges (1958), Casabianda, première prison ouverte, Le Figaro, 26-27 Avril.

* 48 Rapport d'activité du Centre de Détention de CASABIANDA, Mai 1998.

* 49 COLY Jean-Marcel (1953), Rapport général sur l'exercice 1953.

* 50 CANAT Pierre (1951), Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, cité in Jean-Marie RENOUARD (2007), Baigneurs et Bagnards. Tourismes et prisons dans l'île de Ré. Edition L'Harmattan.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery