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Le centre de détention de CASABIANDA, emblématique prison de paradoxes

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par Paul-Roger GONTARD
Université Aix-Marseille III - Master 2 de droit, spécialité lutte contre l'insécurité 2008
  

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B/ De l'organisation de la détention dans les premiers temps de CASABIANDA51(*).

Comme le soulignait André PERDRIAU dans son rapport, l'objectif de la détention à CASABIANDA était de l'assimiler à « une forme d'existence honnête, proposée comme modèle » aux détenus qui y sont soumis.

La classification carcérale d'alors ne correspondant pas à l'identité en devenir de CASABIANDA, une nouvelle catégorie carcérale fût donc créée pour l'occasion : le Centre Pénitencier Agricole.

En accord avec les principes de la commission AMOR, le travail y avait une place prépondérante. Au 1er Octobre 1954, la population pénale était occupée de la manière suivante :

Graphique 11: Occupation des détenus de CASABIANDA au 1er Octobre 1954.

La surveillance des détenus était alors majoritairement assurée par les personnels techniques chargés des travaux. La journée était rythmée par trois appels quotidiens : 7h00, 13h00, 18h00. Excepté pour les appels, les détenus étaient libres de circuler pendant la journée sur l'ensemble du domaine, que ce soit pour leur travail, ou pour leur loisir. Le soir venu et jusqu'au matin (soit de 21h00 à 7h00), leur liberté de mouvement est restreinte à un périmètre autour des bâtiments d'habitation.

Lorsque à la fin des années cinquante, les nouveaux bâtiments de détention furent construits sur la côte, chaque détenu avait en sa possession la clef de sa chambre (car ce sont bien de petites chambres individuelles de 9 m² sans barreaux, et non des cellules, dont disposent les détenus, qui furent aménagés, dans certaines limites, à la libre convenance de chacun). Cette particularité de clef est là aussi le choix du directeur DUMAS. En partant du constat que les détenus travaillant à des horaires différenciés en fonction de leurs tâches, et du faible personnel de surveillance qu'il avait sous son autorité, il ne pouvait fermer entièrement tout le bâtiment de détention et le refaire ouvrir à la demande de chaque détenu. Il choisit donc de fermer individuellement chaque chambre et d'en confier la clef à chaque détenu, les surveillants ayant un passe ouvrant la totalité des portes. Cette façon de procéder aura pour autre vertu de permettre aux détenus de se créer une intimité propice à la lecture, à l'écriture et au repos qui succède légitimement au travail physique.

Pour encadrer le centre pénitentiaire, outre le Directeur, le personnel de CASABIANDA comprenait en 1954 : 1 greffier, 1 économe et 2 commis, 3 surveillants affectés aux bureaux, 1 surveillant chef, 1 surveillant chef adjoint, 14 surveillants (dont seulement 7 préposés à la surveillance générale (les autres étant affectés à la direction du mess, du potager ...), 9 membres du personnel technique contractuel (1 assistante médico-sociale, 1 chef de culture, 1 chef berger, 2 gardes troupeaux, 1 conducteur de travaux, 3 chefs d'atelier).

Il faut noter ici que dans l'attente de l'achèvement des bâtiments de détention en aval du domaine, détenus, personnels et familles de personnel cohabitaient dans la même enceinte sans qu'aucun incident grave ne fût signalé.

De plus, le Directeur DUMAS avait le souci d'entretenir de bon rapport avec son environnement proche, ce qui l'aura poussé à ouvrir CASABIANDA sur sa micro-région. Il permettait par exemple aux agriculteurs voisins d'utiliser les outils d'exploitation modernes du pénitencier ; il créa une brigade de lutte contre les incendies, très populaire auprès des villageois. Les prisonniers se trouvant à ces occasions dans une situation d'aide et de soutien qui revalorise l'individu, et donne une autre image du détenu.

Quant aux choix de productions agricoles ou de toutes autres initiatives pouvant induire des changements dans la région de CASABIANDA, le Directeur DUMAS s'est toujours astreint à respecter deux principes :

D'une part, toujours se poser deux questions : A qui cela va-t-il profiter ? et avant tout, à qui cela pourrait-il nuire ?

D'autre part, développer une production sur des marchés porteurs, et peu concurrentiels.

Voilà pourquoi, en collaboration avec les services de l'Agriculture et des Eaux et Forêts, des plantations expérimentales se développeront sur le domaine : riz (jamais exploité depuis la période romaine, 5 tonnes récoltés en 1950), arachide, eucalyptus (pour la pâte à papier, 34.000 pieds plantés en hiver 1958), et pour l'élevage, le choix se portera sur l'acclimations de races dites pures (vaches « Schwyz » et porcs « large white »). Mais pour ce qui est de la production commercialisable de 1953, les 500ha de plantation et le millier de têtes de bétail, se répartissaient de la manière suivante52(*) :

Graphique 12: Répartition de l'exploitation du domaine de CASABIANDA en 1953 par type de culture.

Graphique 13:

Répartition approximative du cheptel de CASABIANDA en 1953 par de tête de bétail.

En 1957, 72.000 litres de lait de brebis sont acheminés vers Roquefort. La production des 7 ha de cultures fruitières ou potagères, la coupe du bois, le lait et la viande produite sur place, permet à la population de CASABIANDA (détenus, personnels et leur famille) de vivre pour beaucoup de biens de première nécessité en complète autarcie.

Ceci cumulé aux autres fruits de la production, permettra en 1957 à l'exploitation de dégager un bénéfice net de 2.110.000 Frs (il est vrai après de lourds et coûteux investissements)53(*).

Par ailleurs, pour permettre aux détenus de conserver des liens familiaux, dans une époque où les moyens de télécommunication sont peu répandus, il a été institué les « week-end familiaux ». Une fois par mois, du samedi midi au dimanche soir, les détenus peuvent se « promener » avec leur compagne ou leur famille, partager un repas dans une salle à manger réservée pour l'occasion, et même profiter d'une plage affectée aux familles.

Autre innovation du Centre Pénitentiaire Agricole, le « comité du balai ». Collège de 10 détenus élus chaque année par leurs pairs, chargé de faire respecter la discipline intérieure, de « faire le ménage » dans les mauvaises pratiques (d'où le terme « balai »). Cette once de démocratie permettait alors de juguler toutes émergences de volonté de caïdat. Un de ces membres déclarait ainsi en 1958 : « les rouleurs de manivelle, ceux qui balancent les épaules n'ont aucune chance de driver notre camp ! »54(*).

Pour ce qui est des résultats de CASABIANDA, en 1958 sur les 132 détenus libérés depuis 1948, 15 avaient commis une nouvelle infraction ; le chiffre alors le plus bas de l'administration pénitentiaire55(*). Avant que les détenus ne soient transférés dans les nouveaux bâtiments de détention, aucun incident n'avait été relevé avec les familles de personnels (femmes ou enfants). Les évasions étaient rares, 19 tentatives en 10 ans (pour près de 900 détenus passés par CASABIANDA)56(*), et souvent infructueuses. Les rapports de détention étaient plus calmes qu'ailleurs. Le coût général de fonctionnement réduit, et la production de revenus conséquente.

* 51 Afin de s'imprégner de l'identité de CASABIANDA dans les années 50, figure en annexe à ce mémoire, une série de planches photographiques confiées par l'ancien directeur de CASABIANDA, M. Roger DUMAS.

* 52 Source des données : Rapport d'André PERDRIAU portant sur CASABIANDA présentait lors du premier Congrès des Nations Unies en matière de prévention du crime et de traitement des délinquants, Genève 1955.

* 53 VERPRAET Georges (1958), Casabianda, première prison ouverte, Le Figaro, 26-27 Avril 1958.

* 54 Cité in ACCOCE Pierre (1959), CASABIANDA, chance unique des détenus, Revue Constellation, le monde vue en français, n°120 avril 1958.

* 55 idem

* 56 VERPRAET Georges (1958), Casabianda, première prison ouverte, moins d'évadés dans un pénitencier sans mur ni verrou que dans les maisons centrales fermées, Le Figaro, 25 Avril 1958.

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