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La possession d'état dans l'avant-projet du code camerounais des personnes et de la famille

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par Jean Noel TAMEKUE TAGNE
Université de Yaoundé II - DEA en droit privé fondamental 2008
  

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D'ETAT

14. Si on peut comprendre qu'à un moment donné la possession d'état n'était pas considérée comme un mode de preuve de la filiation naturelle et était par contre largement admis à l'endroit de la filiation légitime ; on ne peut aujourd'hui tolérer pareil raisonnement. De même qu'il est reconnu à la possession d'état d'enfant légitime un effet probatoire (§ 1), pareillement, la possession d'état d'enfant naturel devrait être un moyen d'établir la filiation naturelle (§ 2).

§ 1. LA PREUVE DE LA FILIATION LEGITIME PAR LA POSSESSION D'ETAT

L'examen des conditions de preuve de la filiation légitime par la possession d'état (A) précédera celui des modalités d'établissement (B).

A. LES CONDITIONS DE PREUVE DE LA FILIATION LEGITIME PAR

LA POSSESSION D'ETAT

15. L'effet probatoire de la possession d'état ne joue en matière de filiation légitime que lorsque les actes d'état civil font défaut : c'est la condition préalable (1). La possession d'état d'enfant légitime établie en même temps la filiation légitime maternelle et la filiation légitime paternelle. C'est dire qu'elle est indivisible (2).

1. La condition préalable : la défaillance des actes d'état civil48(*)

16. Le mode normal de preuve de la filiation légitime est l'acte d'état civil. Ce n'est qu'exceptionnellement que la possession d'état peut être invoquée à titre de preuve ; ainsi que l'atteste les dispositions de l'Avant-projet de code relatives à la preuve de la filiation dans le mariage. L'article 322 de ce texte préparatoire dispose que :

« (1) La filiation tant maternelle que paternelle se prouve par les actes d'état civil.

(2) À défaut d'acte d'état civil, la possession constante de l'état d'enfant peut suffire à établir la filiation ».

L'article 332 renchérit en disposant que :

« (1) La filiation d'un enfant légitime se prouve :

- par l'acte de naissance inscrit sur le registre d'état civil ;

- par l'acte de mariage de ses père et mère ;

(2) À défaut de l'acte de naissance, la filiation peut être établie par la possession constante de l'état d'enfant légitime ».

17. Il s'agit en réalité d'une application de la théorie de la subsidiarité en droit de la famille. La possession d'état est utilisée uniquement comme un moyen de secours. C'est l'ultime recours dont dispose l'enfant légitime pour pallier à l'absence de l'acte de naissance. C'est dire que, l'invocation de la possession d'état comme mode de preuve de la filiation légitime est subordonnée à la défaillance des procédés normaux de preuve. On ne peut faire appel à la possession d'état lorsqu'on dispose d'un titre de naissance, voire d'un acte de mariage.

On notera que le texte camerounais emboîte le pas non seulement au droit français de la filiation49(*), mais aussi au droit de la famille de certains pays africains comme le Sénégal, le Togo, pour ne citer que ces exemples. L'article 183 du code de la famille du Togo dispose que : « la filiation des enfants nés pendant le mariage se prouve par les actes de naissance inscrits sur les registres de l'état civil ». L'article 184 du même code ajoute que : « A défaut de ce titre, la possession constante de l'état d'enfant né dans le mariage suffit ». C'est en substance la même chose qu'on lit dans le code sénégalais de la famille50(*).

18. La possession d'état d'enfant légitime établit la filiation simultanément à l'égard du père et à l'égard de la mère. En réalité, il n'y a de possession d'état d'enfant légitime qu'autant qu'elle rattache l'enfant indivisiblement à ses père et mère.

2. l'indivisibilité de la possession d'état d'enfant légitime

19. La filiation légitime maternelle et la filiation légitime paternelle s'établissent en même temps par la possession d'état. C'est l'une des particularités de ce moyen probatoire. Elle rattache inséparablement l'enfant légitime à ses deux parents. De même que la filiation légitime qui est indivisible51(*), de même la possession d'état d'enfant légitime est elle-même indivisible52(*). Elle prouve cumulativement la filiation paternelle et la filiation maternelle. L'établissement des deux types de filiation par la possession d'état ne doit pas s'effectuer séparément.

20. La seule spécificité de la possession d'état d'enfant légitime réside dans son indivisibilité naturelle. La possession d'état d'enfant légitime est en effet, par définition même, nécessairement double lien : lien établi entre l'enfant et les deux époux, puisque posséder l'état d'enfant légitime, c'est être traité comme un enfant légitime. Posséder l'état d'enfant légitime de Madame X, c'est nécessairement, tout à la fois être considéré comme le fils de Madame X, et comme le fils de Monsieur X. Par essence, la possession d'état d'enfant légitime rattache indivisiblement l'enfant à ses deux parents et ne peut s'établir à l'égard d'un seul. En effet, soit elle existe, et c'est à l'égard des deux parents, soit elle existe qu'à l'égard d'un des époux, et elle n'est pas, alors, possession d'état d'enfant légitime mais possession d'état d'enfant naturel53(*). Si un enfant a, par exemple, par le truchement de la possession d'état établi sa filiation maternelle, il n'a plus besoin d'invoquer le même moyen pour prouver sa filiation paternelle. Elle s'est trouvée établie lors de l'établissement de la filiation à l'égard de la mère.

Les conditions de preuve de la filiation légitime par la possession d'état remplies, l'invocation de la possession d'état comme moyen de preuve doit se faire suivant des modalités précises.

B. LES MODALITES DE PREUVE DE LA FILIATION LEGITIME PAR LA

LA POSSESSION D'ETAT

21. Les modalités de preuve renvoient à ce qu'il y a lieu de faire pour prouver la filiation légitime par la possession d'état. Il ressort des dispositions de l'Avant-projet de code, qu'il faut réunir suffisamment à son actif les éléments constitutifs de la possession d'état d'enfant légitime (1), avant de s'assurer que la possession d'état dont on se prévaut a une certaine durée (2).

1. La réunion suffisante des éléments constitutifs de la possession d'état

d'enfant légitime

22. L'article 324 de l'Avant-projet de code dispose que : « La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent les rapports de filiation et de parenté entre un enfant et la famille à laquelle il prétend appartenir, notamment :

a) l'enfant a toujours porté le nom du père qu'il prétend être le sien ;

b) le père supposé l'a traité comme son enfant et a pourvu en cette qualité à son éducation, à son entretien et à son établissement ;

c) l'enfant a été reconnu constamment pour tel dans la société ;

d) l'enfant a été reconnu pour tel dans la famille ».

23. Nomen, tractatus et fama, tels sont les trois éléments que l'Avant-projet de code a retenu comme faits constitutifs de la possession d'état. La preuve de la filiation légitime par la possession d'état passe par leur établissement. Il faut avant toute chose prouver que ces éléments sont constitués. C'est vrai qu'en lisant les dispositions de l'article 324 de l'Avant-projet de code, on a plutôt l'impression que les éléments énumérés sont ceux de la possession d'état à l'égard du père légitime54(*). Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue qu'il y a une indivisibilité qui caractérise la possession d'état d'enfant légitime. Les faits constitutifs indiqués établissent par ricochet la filiation à l'égard de la mère légitime.

24. Deux questions au moins demeurent posées. D'abord, les faits énumérés sont-ils limitatifs ? Nous ne le pensons pas. L'énumération faite par l'Avant-projet de code n'est qu'énonciative et non limitative55(*). D'ailleurs, la législation française sur la filiation56(*) elle-même estime qu'il ne s'agit que des faits principaux. Ce qui laisse supposer qu'il peut en exister d'autres qui ne seraient que secondaires57(*). La possession d'état peut le cas échéant, s'appuyer sur d'autres éléments que ceux qui sont énumérés (album de photos, médailles, correspondances, autres souvenirs de famille)58(*). En second lieu, on peut se demander si ces éléments principaux sont exigés cumulativement. Ici aussi, la réponse est négative. Les faits analysés ne doivent pas nécessairement être tous réunis pour qu'il y ait possession d'état59(*). On peut tenir compte de ces éléments pris globalement ou séparément. Tout dépend de la consistance des éléments de preuve en présence. On estime que l'essentiel est que les faits réunis soient suffisants pour emporter la conviction des juges. En tout état de cause, à ce niveau, les tribunaux auront un large pouvoir d'appréciation.

Une possession d'état très brève, qui ne s'inscrit pas dans la durée ne peut établir le lien de filiation. En sus de la réunion suffisante des éléments constitutifs, la possession d'état doit avoir une certaine permanence.

2. Le prolongement dans le temps de la possession d'état

25. A l'instar de la possession d'un bien, qui doit être exempte de vices, la possession d'état doit présenter certaines qualités pour permettre l'établissement du lien de filiation60(*). Pour établir la filiation légitime, celui qui se prévaut de la possession d'état doit pouvoir justifier qu'elle est constante. Cette exigence ressortit clairement des dispositions de l'Avant-projet de code61(*).

26. Une difficulté subsiste dans l'appréhension de cette modalité. Selon le dictionnaire Encarta, le terme constant désigne : « ce qui n'est pas interrompu, se dit de ce qui se répète à un rythme rapide, qui est durable sans modification ». La constance, c'est la persévérance, la stabilité et l'invariabilité de quelque chose. Elle est synonyme d'inébranlable, d'inflexible, de régulier, de durable voire d'immuable. La difficulté dans la mise en oeuvre de cette exigence a poussé le législateur français à lui préférer l'appellation « continue »62(*). La constance qu'exige l'Avant-projet de code paraît une évidence : « appliquée à un état, la possession suppose nécessairement une durée. Fondée sur une façon de vivre, elle correspond à une tranche de vie. Elle est biographique. Qui la restitue se penche sur un passé lié au présent, pour reconstituer un film de l'existence, une rétrospective continuée jusqu'à l'actualité, sans failles toujours »63(*).

27. Continuité ou constance, la possession d'état exige une certaine permanence, une certaine durée, un prolongement dans le temps. Sur ce caractère même, il ne faudrait pas trahir la souplesse du futur code camerounais des personnes et de la famille. La constance n'est nécessairement ni la périodicité, ni la régularité. Elle n'est jamais que l'épreuve dans le temps de la réalité de la possession. L'essentiel est que, dans le temps litigieux de la possession, il n'y ait pas ces trous et ces interruptions qui démasquent l'absence de lien, qu'il y ait au contraire ces signes positifs qui, même inégalement répartis au long de la tranche contestée, indiquent le lien, le fil de son existence64(*).

Ce caractère habituel, n'est pas forcément lié à la communauté de vie. La communauté de vie est sans doute le support naturel et même privilégié de la possession d'état. Elle n'en est pas la condition sine qua non. Un enfant peut parfaitement jouir de la possession d'état d'enfant légitime, quand bien même il ne vit qu'avec l'un des époux par suite de leur séparation65(*).

28. La constance de la possession d'état pose encore la question de ses extrémités temporelles : doit-elle remonter à la naissance et exister encore le jour où l'on s'en prévaut ?66(*) Un certain nombre d'auteurs français estiment que tout dépend du rôle que la possession d'état est appelée à jouer et du moment où le problème est soulevé67(*). Quand la possession d'état est invoquée comme preuve de la filiation, il serait raisonnable d'exiger qu'elle remonte à la naissance. Mais, il n'est certainement pas nécessaire qu'elle soit actuelle : pareille condition enlèverait en effet tout intérêt à un mode d'établissement de la filiation qui s'avère particulièrement utile lorsque celui qui se comportait comme son parent est décédé. Aussi est-il parfaitement légitime d'affirmer que « la possession d'état doit produire ses effets alors même qu'elle aurait cessé depuis quelque temps lorsque l'instance est introduite »68(*).

29. En droit français de la filiation, la possession d'état d'enfant est dotée d'une « valeur probante incomparable », « souple », « vivante », « complète »69(*). Elle permet l'établissement aussi bien de la filiation légitime que de la filiation naturelle. Pour le moment, le code camerounais de la famille à venir est resté muet sur la question de la preuve de la filiation hors mariage par la possession d'état.

* 48 La défaillance de l'acte d'état civil s'entend, de son inexistence, de sa perte, de sa destruction à la suite d'un incendie par exemple.

* 49 Cf. les arts. 319 et 320 de la loi n° 72/3 du 3 janvier 1972, en annexe.

* 50 Cf. art. 197 de ce code, en annexe.

* 51 J. BIGOT, « indivisibilité ou divisibilité de la filiation après la reforme de 1972 », RTD Civ. 1977, p. 243

* 52 F. GRANET-LAMBRECHTS, op. cit., n° 27, p. 4.

* 53 F. TERRE et D. FENOUILLET, op. cit. , n° 751, p. 621.

* 54 Nous le pensons parce que, les deux premiers faits de possession énumérés par l'art. 324 de l'APCPF renvoient au père. Le nomen correspond au nom du prétendu père légitime, porté par l'enfant. Le tractatus est essentiellement l'oeuvre du père. Aussi, l'énumération faite par le texte camerounais, correspond à celle faite par le code sénégalais de la famille (voir art. 200 de ce code en annexe) pour qualifier les principaux faits de la possession d'état à l'égard du père légitime. Or, l'intention du rédacteur camerounais est de lister les éléments constitutifs de la possession d'état d'enfant légitime dans son ensemble ( l'art. 324 du futur code dispose que : « la possession d'état s'établit .... », et non que : « la possession d'état à l'égard du père légitime s'établit en prouvant que : l'enfant a toujours porté le nom du père qu'il prétend être le sien, le père supposé l'a traité comme son enfant ... »). Pourquoi dès lors mentionner l'élément nomen et l'élément tractatus en les limitant au prétendu père légitime ? La possession d'état d'enfant légitime concerne aussi bien la prétendue mère légitime que le prétendu père légitime. S'il fallait énumérer les éléments constitutifs de la possession d'état d'enfant légitime dans son ensemble, il n'était pas, à notre avis, souhaitable d'énoncer le nomen et le tractatus en faisant uniquement référence au père. Peut-être que par souci de clarté, aurait-il fallu rédiger l'art. 324 en ces termes : « La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent les rapports de filiation et de parenté entre un enfant et la famille à laquelle il prétend appartenir, notamment :

a/ L'enfant a toujours porté le nom de ceux dont on le dit issu ;

b/ Que ceux-ci l'ont traité comme leur enfant, et ont pourvu en cette qualité à son éducation, à son entretien et à son établissement ;

c/ L'enfant a été reconnu constamment pour tel dans la société ;

d/ L'enfant a été reconnu pour tel dans la famille ».

* 55 L'emploi de l'adverbe « notamment » dans l'art. 324 du futur code vient en soutien de notre intuition. Cet adverbe, qui signifie : entre autre, spécialement, principalement, spécifiquement, par exemple, laisse deviner qu'en sus des éléments cités, d'autres peuvent être pris en compte.

* 56 V. art. 311-2 de la loi française n° 72/3 du 3 janvier 1972 sur la filiation ; voir également, art. 5 PAR 2 de l'ordonnance n° 2005/759 du 4 juillet 2005 portant reforme de la filiation.

* 57 M. FOLI, op. cit., p. 341.

* 58 G. CORNU, op. cit. , n° 206, p. 334.

* 59 V. en ce sens, Cass. 1re Civ., 5 juillet 1988, D. 1989, p.389, concl. CHARBONNIER. Cass. 1re Civ., 6 mars 1996 : JCP 1996, IV, 990 ; Bull. I, n° 120, p. 85 ; RTD Civ. 1996, p. 374, obs. HAUSER. Cass. 1re Civ., 16 mars 1999 : JCP 1999, IV, 1890; Bull. I, n° 98, p. 65.

* 60 F. TERRE et D. FENOUILLET, op. cit. , n° 747, p. 618.

* 61 V. arts. 322 PAR. II, 332 PAR II, en annexe.

* 62 Il ressort de l'art. 311-1 al. 2 de la loi n° 72/3 du 3 janvier 1972 sur la filiation que : « la possession d'état doit être continue ».

* 63 G. CORNU, op. cit.

* 64 G. CORNU, idem.

* 65 En ce sens, Cass. Civ. 1re, 3 mars 1992, Bull. civ. I, n° 69 ; D. 1993, p. 133, obs. J. MASSIP; RTD civ. 1993, p. 109, obs. J. HAUSER.

* 66 V. F. GRANET-LAMBRECHTS, op. cit., p. 4.

* 67 J. HAUSER et D. HUET-WEILLER, op. cit., n° 500, p. 263. V. aussi, M.-L. RASSAT, « propos critique sur la loi du 3 janvier 1972 portant réforme du droit de la filiation », RTD civ. 1973, p. 207, Spéc. n° 39 et ss.

* 68 V. Cour d'appel de Versailles, 12 avril 1983, D. 1983, p. 554, note D. HUET-WEILLER.

* 69 REMOND-GOUILLOUD, « la possession d'état d'enfant (À propos de la loi du 3 janvier 1972) », RTD Civ. 1975, n° 22, pp. 459 et ss.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams