CHAPITRE IV :
CONSTITUTIONNALISME
ECONOMIQUE ET CYCLE POLITICO-BUDGETAIRE AU CAMEROUN
L'idée de plus en plus répandue d'un
encadrement des décisions publiques en matière de politique
économique en général et de politique budgétaire en
particulier découle d'un constat établi depuis longtemps dans la
littérature économique : la volonté
délibérée des gouvernants de manipuler les grandeurs
économiques notamment budgétaires en fonction de leur
aspirations. Une telle attitude tranche avec celle qui devrait être
normalement adoptée, c'est-à-dire prendre des décisions
qui épousent les intérêts communs des agents
économiques. Dès lors, la définition des normes
économiques inflexibles et obligatoires à tous les gouvernants
s'inscrit dans une logique de restriction de ces manipulations
délibérées auxquelles se livrent les dirigeants
politiques. Le constitutionnalisme économique épouse donc cette
argumentation dans la mesure où il « représente un
ensemble de principes de gouvernement : des restrictions effectives aux
pouvoirs des gouvernants, la garantie des droits fondamentaux de la personne,
l'absence de toute forme d'arbitraire » (Friedrich, 1968 ;
Nwabueze, 1973). De plus comme le souligne ces auteurs, le constitutionnalisme
dans son application pénètre la conscience collective des
gouvernants et des gouvernés. Ceci suppose une approche
démocratique, une conscience limitée du pouvoir et un sens des
responsabilités de la part des gouvernants.
De telles prescriptions trouvent également
résonance au Cameroun dans la mesure où comme nous l'avons
évoqué plus haut, les variables budgétaires font l'objet
d'une modification en fonction de l'agenda électoral. Aussi,
après avoir dans une première section, élucidé le
constitutionnalisme d'un point de vu général, nous consacrons la
deuxième section au cas particulier du Cameroun.
I.
CONSTITUTIONNALISME ECONOMIQUE : UNE VISION GLOBALE
L'observation de l'évolution de la vie
économique dans le monde et notamment dans les pays occidentaux consacre
l'idée d'une volonté de plus en plus récurrente de
l'encadrement des décisions économiques. Si au plan national, les
agents économiques désirent une constance dans les
décisions des gouvernants, la tendance des pays à se regrouper
dans des ensembles économiques et/ou politiques accroît cette
volonté de normalisation des décisions en matière de
politique économique. Toutefois si le constitutionnalisme
économique est souhaité et parait justifié, l'on peut
néanmoins relever qu'il ne constitue pas une solution à tous les
cas.
I.1 JUSTIFICATION DES
REGLES FIXES
L'encadrement des décisions des gouvernants en
matière économique à travers des règles fixes peut
trouver une justification aussi bien du fait de l'infraction et l'insuffisance
des règles existantes, mais également de l'incohérence
temporelle et de l'inefficacité des décisions publiques.
I.1.1 INCOHERENCE
TEMPORELLE ET INEFFICACITE DES DECISIONS PUBLIQUES
L'inefficacité reconnue à la politique
budgétaire par certains auteurs économistes repose sur bons
nombres de facteurs parmi lesquels l'incohérence temporelle occupe une
place de choix. Selon Kydland et Prescott (1977), la notion
d'incohérence temporelle développe l'idée selon laquelle
même en absence d'incertitude, les dépenses qu'un agent prend en t
sont parfois en contradiction avec celles qu'il avait prévu de prendre
auparavant. Ce principe ne repose pas sur une hypothèse
d'irrationalité des comportements et/ou des anticipations. Les
décisions sont optimales au moment où elles sont prévues
ou mises en oeuvre. Les dirigeants politiques n'appliquent pas toujours les
décisions qu'ils annoncent. Cette inconstance dans les décisions
des dirigeants politiques au cours du temps suscite beaucoup de
préoccupations auprès de l'opinion publique. Un tel comportement
n'engendre pas un climat économique favorable d'après Kydland et
Prescott(1977).
La justification de la prescription de règles aux
gouvernants pour les obliger à respecter impérativement leurs
décisions, trouve également une place favorable à ce
niveau. En effet, en plus de l'insuffisance et de nombreuses violations dont
elles font l'objet par les gouvernants, on peut aussi relever
l'inefficacité même des décisions que prennent ces derniers
en terme de politique de régulation conjoncturelle. L'incohérence
temporelle des mesures publiques occupe donc une place
prépondérante pour justifier l'adoption des règles fixes
et explicites. Celles-ci seraient en mesure d'assurer la
crédibilité et la transparence des décisions
gouvernementales, et de créer des conditions favorables à la
stabilité de l'économie.
Le mérite d'une telle vision revient à Kydland
et Prescott. Leurs travaux sur l'incohérence temporelle des
décisions publiques « n'ont pas seulement transformé la
recherche économique, mais ont également profondément
influencé les politiques en matière de politique
économique en générale, plus particulièrement en
matière de politique monétaire (...) dans de nombreux pays les
dix dernières années », d'après
l'académie royale des sciences de Suède.
En réponse à l'incohérence temporelle des
décisions de politique économique, les mêmes auteurs
prescrivent que les pouvoirs publics doivent engager leur
crédibilité en fixant des règles de conduite qu'ils
respecteront inéluctablement. Aussi doivent-ils renoncer à leur
pouvoir discrétionnaire au profit des règles codifiées par
des lois ou des traités. Ces prescriptions semblent être
progressivement suivies ou appliquées. C'est ainsi que par exemple, le
principe de l'indépendance des banques centrales apparaît de plus
en plus comme une solution idoine à l'incohérence temporelle, en
matière de politique monétaire. Ceci est une réaction
à la tentation qui peut être grande, pour tout gouvernement (dont
dépend la politique monétaire) d'opter par exemple à la
veille d'élection pour une inflation surprise dans l'optique de
réduire le chômage. Pour lever l'équivoque sur un tel
comportement, l'exercice de la politique monétaire est confié
à des institutions indépendantes du gouvernement en l'occurrence
les banques centrales des pays. Ces nouvelles autorités
monétaires assignent alors librement l'objectif de stabilité des
prix. Un tel mouvement tend à se généraliser de nos jours
dans le monde.
Les gouvernants ou les décideurs publics ayant une
propension à ne pas respecter leurs engagements, un transfert de la
définition et de la conduite de la politique monétaire à
une institution indépendante revêt d'après ces auteurs un
avantage : la Banque Centrale annonce des objectifs fixes et immuables. Ce
qui permet l'ancrage des prévisions des agents, ceux-ci sachant que cet
objectif ne peut être révisé de façon surprise. Si
dans le domaine monétaire l'incohérence temporelle des mesures
gouvernementales peut justifier une adoption de normes intangibles et
explicites, le domaine budgétaire n'est pas en reste.
En effet, des politiques budgétaires de
régulation conjoncturelle peuvent s'avérer totalement
inefficaces. Si par exemple, les entreprises et les ménages utilisent au
mieux l'information pour former leurs anticipations, le système
économique atteint spontanément un état de plein emploi
des ressources. Dès lors, toute décision budgétaire
s'avère inapte à agir sur l'emploi et à créer un
surcroît de bien-être social
L'incohérence temporelle remet ainsi en cause
l'efficacité des décisions publiques en matière
budgétaire. D'où la nécessité d'adoption des
règles intangibles. L'institutionnalisation de telles prescriptions
permettrait alors d'ancrer les prévisions des agents économiques.
Ainsi, en matière de finances publiques, la règle de
maîtrise de déficit budgétaire impose la restriction des
dépenses d'investissement, la vente d'actifs publics, et la
réduction de la part relative de la dette publique.
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