I.2 CONSTITUTIONNALISME
ECONOMIQUE : UNE APPROCHE DISCUTEE
L'infraction récurrente des règles
économiques, conséquence de l'incohérence temporelle des
décisions des gouvernants, d'une part et, d'autre part, de
l'insuffisance des moyens de pression sur les décideurs publics, a
éveillé la volonté de certains auteurs à
préconiser aux pouvoirs publics des règles. Celles-ci se
traduisent notamment par une maîtrise de l'inflation et du déficit
public. Cependant, des voix s'élèvent de plus en plus pour
remettre en cause la pertinence des normes fixes. Cette remise en cause peut se
traduire par l'inefficacité de ces prescriptions, ou même par leur
caractère non démocratique.
Dans les pays occidentaux, et les pays Africains de la Zone
Franc, l'on assiste à une politique économique pratiquée
avec inflexibilité et qui est régie par des normes fixes qui
traduisent la recherche de la crédibilité. C'est ainsi que, les
deux principaux instruments de politique économique sont confinés
dans une logique d'atteinte des objectifs intermédiaires (la
maîtrise du déficit et le contrôle de l'inflation). La
politique monétaire et la politique budgétaire sont
élaborées dans les buts principaux de maîtrise de ces
objectifs.
Pourtant, même au niveau interne, des auteurs comme
Taouill (2005) dans son analyse sur l'économie marocaine aux prises avec
des règles fixes, montre que ces objectifs intermédiaires sont
atteints au détriment de l'objectif final qui est la croissance.
Même dans un cadre communautaire à l'instar de l'Union
Européenne des auteurs comme Le Cacheux (2005) relève des
externalités négatives qui traduisent les coûts
supportés par l'application des règles fixes. Pour lui,
« le respect du pacte de stabilité fait supporter aux
gouvernements des Etats membres des coûts individuels de divers types
-coûts politiques et de réputation, coûts en terme de
contraintes pesant sur les objectifs spécifiques de chaque gouvernement,
coût résultant de la moindre souplesse de la politique
budgétaire, stabilisateur automatique inclus,... qui expliquent qu'en
dépit des risques de sanction, pécuniaires ou de
réputation notamment, certains choisissent d'enfreindre la
règle ».
L'exigence d'un solde budgétaire de base
supérieur ou égale à 0 ou du moins d'un déficit
budgétaire ne pouvant excéder 3% du PIB, est une règle
destinée à assurer la maîtrise des finances publiques. Une
telle rigueur de la politique budgétaire impose la restriction des
dépenses d'investissements, la vente d'actifs publics, et la diminution
relative de la dette publique. Ce faisant, « elle sacrifie la
qualité des finances au profit d'une approche comptable centrée
sur la gestion du solde budgétaire » (Taouil, 2005).
En cantonnant la politique budgétaire à cette
gestion, les pouvoirs publics Européens (dans le souci du respect de la
règle communautaire) se privent de leur fonction de régulation.
En s'en tenant à cette discipline budgétaire quelque soient les
chocs qui affectent l'économie, ils s'abstiennent d'utiliser le budget
à des fins conjoncturelles en vue de réduire l'ampleur des
fluctuations du niveau de l'activité. Ainsi dans le cadre d'une
croissance faible, le strict respect de la discipline budgétaire impose
des mesures de contraction de la demande globale qui accentue la logique
récessive.
La règle budgétaire peut également
apparaître contre productive. La facilité en matière de
finances publiques permet d'adapter la décision aux évolutions
conjoncturelles. Dans un contexte de sous-emploi ou de chômage dans
l'Union Européenne, une politique expansive est à même de
participer à la résorption du déficit de la demande sans
générer nécessairement une hausse des prix. La
réduction de la part relative de l'endettement extérieur et
l'existence de liquidités oisives augmentent la marge de manoeuvre quant
à la gestion des finances publiques. La pratique d'un déficit de
régulation, financé par l'emprunt interne est de nature à
avoir une efficacité à la fois macroéconomique et
microéconomique. Ce déficit est en mesure de rehausser
significativement le niveau d'activité, de soutenir la demande
auprès du secteur privé, d'améliorer les perspectives de
profit des entreprises, et d'engendrer les ressources nécessaires
à son autofinancement.
De plus,l' expérience démontre
que les catégories de règles susceptibles de s'avérer
utiles dans une phase donnée de réduction du déficit
peuvent ne plus suffire à un stade ultérieur. Les
évolutions récentes ont mis en lumière un certain nombre
d'inconvénients et de carences dans la mise en oeuvre. Aux USA, le cadre
a été de plus en plus contourné et les règles sont
arrivées à expiration sans être prorogées. Dans la
zone Euro, le cadre est actuellement remis en question et le problème de
la conception et de l'application optimale des règles occupe le devant
de la scène. Les USA, engrangeant des excédents, la contrainte
des plafonds de dépenses a été levée par une
série d'ouverture de crédits d'urgence en 1999 et 2000, puis par
une révision à la hausse des plafonds pour 2001 et 2002. Dans
plusieurs pays Européens, le plafonnement du déficit n'a pas
empêché la rechute décrite plus haut et la prescription
d'un budget « proche de l'équilibre ou
excédentaire » n'a pas été plus efficace.
Au total, les effets de règles et budgétaires
intangibles peuvent engendrer un biais restrictif qui se manifeste dans une
croissance atone, accompagnée d'un chômage de masse dans un
contexte de stabilité inefficace. Dans ce contexte donc, on ne peut que
s'interroger sur la pertinence de l'adoption des règles fixes dont le
coût en terme de croissance et d'emploi soit élevées.
A la suite de l'inefficacité plausible des
règles fixes pour le Cameroun, nous pouvons également relever que
ces normes n'obéissent à aucun processus démocratique. En
effet, ces prescriptions sont l'oeuvre de certains économistes qui
conseillent un strict encadrement des décisions publiques. De telles
directives font que les décisions qui engagent l'organisation
institutionnelle, les objectifs et les instruments de la politique
économique sont soustraits aux délibérations publiques.
L'immunité dont jouissent par exemple les règles d'un plancher de
déficit à 3% dans l'Union Economique et Monétaire est
exemplaire de ce déficit démocratique. Ce qui fait dire à
Taouill (2005) que : "La soumission de la politique à des
règles à priori implique un déni de la
démocratie
Il n'est cependant pas toujours aisé d'établir
une similitude entre la volonté des bureaucrates et celle du peuple sur
certaines questions sociales. Le rejet de la constitution Européenne
est un exemple patent du fossé qui peut séparer les aspirations
du peuple des conclusions parfois trop concessionnelles et techniques de la
bureaucratie. De plus, même si le gouvernement est un produit des
élections (c'est à dire de la volonté du peuple), la
théorie sur les cycles politico-économiques et surtout
l'incohérence temporelle des décisions prises par les
décideurs publics montrent une inadéquation entre les promesses
et les réalisations.
Les idées économiques n'agissent pas uniquement
sur les ressources et les revenus des citoyens, mais aussi sur leurs droits de
liberté. Pourtant comme le souligne Sen cité par Taouill (2005)
« on ne peut trancher les dilemmes sociaux qu'à travers des
processus de choix publics fondés sur la participation, le dialogue, les
débats ouverts... Le pilotage unilatéral y compris s'il est le
fait du meilleur des experts, ne saurait en soit constituer une
solution » L'économie est alors trop importante pour
être laissée aux seuls experts.
C'est ainsi que se penchant sur l'indépendance des
banques centrales comme préalable de la crédibilité de la
politique monétaire, Hetzel (1990) pense que « la politique
monétaire émerge comme partie du processus général
des décisions démocratiques plutôt que des paradigmes
économiques des économistes ».Toujours sur cette
autonomie des banques centrales, Aubin (1999) établit que «
la politique monétaire d'un pays doit demeurer compatible avec un
équilibre du système social, dans ces dimensions à la fois
économiques et politiques. L'indépendance de la banque centrale
qui reste toujours conditionnelle à un état de la
législation n'est peut-être pas tant alors la cause d'une plus
grande stabilité des prix que le signe d'une détermination de la
société à renoncer aux facilités de politiques
monétaires plus laxistes ».
En somme donc, la recherche de la crédibilité
qui sous-tend l'adoption de règles peut ne pas être
établie dans la mesure où le cantonnement de la politique
budgétaire peut s'avérer inefficace car où la
maîtrise du déficit budgétaire et le contrôle de
l'inflation peuvent être atteins au détriment de la croissance et
de l'emploi. En outre, une norme immuable du déficit budgétaire
ne pouvant excéder 3% par exemple, dictée sans consultation
préalable des populations sous quelque forme que ce soit, couve en elle
un déficit démocratique.
L'observation dans un cadre global de
l'impérativité d'un constitutionnalisme économique tend
à montrer que celui-ci est justifié. Toutefois, certains
économistes estiment que la définition de normes
économiques devraient épouser les particularités des pays
ou groupements de pays pour être efficace et notamment, la
nécessité d'un soutient du développement économique
qui passe par une stimulation de la croissance à la croissance et
à l'emploi pour les pays comme le Cameroun.
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