II.2 DES REGLES PLUS
CONTRAIGNANTES ET PLUS ADAPTEES AU CONTEXTE CAMEROUNAIS
La violation permanente des règles économiques
au Cameroun, conséquence du non respect des engagements pris par les
pouvoirs publics auprès de l'électeur donne lieu à un
environnement économique plus ou moins incertain. Dans un tel contexte,
le constitutionnalisme économique semble trouvé sa place pour
répondre à l'insuffisance des règles existantes, l'on
pourrait mettre en place des règles plus contraignantes et mieux
adaptées au cas Camerounais qui ne sont pas un frein aux objectifs de
développement.
L'action gouvernementale sur la monnaie a
commencé à être limitée depuis par la
création en 1972 de la Banque des Etats de l'Afrique Centrale (BEAC).
L'article 1er des statuts de la BEAC établit que la Banque
Centrale définit et conduit la politique monétaire de tous les
Etats membres avec pour objectif la stabilité de leur monnaie commune,
le FCFA. L'indépendance reconnue à la BEAC, ainsi que
l'évolution de sa réglementation au cours du temps limite sans
cesse l'influence des gouvernements. La programmation monétaire par
exemple, en cours au Cameroun depuis 1992 constitue une nouvelle avancée
dans ce sens. Désormais l'augmentation de la masse monétaire est
conditionnée par la création de richesses dans chaque Etat
membre, dont le Cameroun. Dans ce contexte, il est difficile voire impossible
aux dirigeants politiques camerounais d'agir volontairement sur la masse
monétaire aux fins électoralistes.
Comme autre règles, l'on pourrait par exemple
définir dans la constitution une loi qui fixerait les modalités
d'augmentation et de réduction des dépenses budgétaires,
qui soit immuable et non adaptable aux volontés des gouvernants, mais
plutôt à des situations précisées à l'avance
dans la constitution.
Les règles communautaires connues sous le nom de
critères de surveillance multilatérale au sein de la CEMAC,
peuvent par exemple être érigées en lois imposables
à tout gouvernement au Cameroun. Ces lois seraient en plus
encadrées par des sanctions en cas de leur violation par le
gouvernement. En outre, la modification éventuelle d'un de ces
critères ferait désormais l'objet d'un amendement
préalable de la constitution.
Ainsi, les critères suivants pourraient être
requis comme constitutionnelles et leur violation passible de sanctions pour
les auteurs :
- Le solde budgétaire de base rapporté au PIB
nominal supérieur ou égal à 0
- L'inflation maintenue à moins 3% par an
- La non accumulation d'arriérés de paiement
extérieure sur la gestion de la période courante
-L'encours de la dette intérieure et extérieure
rapporté au PIB minimal n'excède pas 70%.
Auxquels l'on ajouteraient « les critères du
second rang » du pacte de convergence, de stabilité de
croissance entre les Etats membres de UEMOA suivants :
- La masse salariale n'excède pas 35% des recettes
fiscales
- Les investissements publics financés sur ressources
internes doivent être supérieurs ou égaux à 20% des
recettes fiscales
- Le déficit extérieur courant hors dons/PIB
nominal n'excède pas 5%
- Les recettes fiscales son supérieures à 17% du
PIB nominal.
La règle du déficit budgétaire contenu
dans les critères de convergence impose la restriction des
dépenses d'investissement, la vente d'actifs publics et la
réduction de la part relative de la dette publique. Une telle discipline
budgétaire peut certes priver le décideur public camerounais de
sa fonction de régulation, mais elle peut permettre par contre de
limiter le laxisme dans la gestion publique et surtout des manipulations
opportunistes du budget , bien que la pilule soit amère à
avaler pour les autorités camerounaises .
L'exemple des réformes économiques que le
Cameroun a conclus avec les bailleurs de fonds et notamment les institutions de
Bretton Woods depuis bientôt 20 ans, montre toute la difficulté
qu'éprouvent les gouvernements successifs à tenir leur
engagement. D'ailleurs la coïncidence entre certaines années
d'élection au Cameroun (1992 à 2004, par exemple) et la mise
« off-track » du pays des programmes du FMI et la Banque
Mondiale les mêmes années , restent très
révélatrice. Cependant, l'avantage de ces accords est qu'
à tout moment le pays peut-être sanctionné par une
exclusion de ces programmes. Et par ricochet, se voir priver du financement des
autres bailleurs de fonds bilatéraux (France, Allemagne, Union
Européenne...) pour qui, le respect des accords du FMI est la condition
sine qua non d'un éventuel appui. Ce qui met constamment le pays sous
pression et contraint l'action gouvernementale.
L'on pourra alors imaginer que de telles pressions soient
requises au niveau des lois constitutionnelles du pays. Ce qui obligerait les
gouvernements à respecter leur engagement. De la sorte, leurs
décisions ne seraient plus temporellement incohérentes et ne
constitueraient plus une entrave aux prévisions des agents
économiques. L'on s'avancerait alors vers un environnement
économique stable dicté par des prévisions des agents bien
informés. Cependant, si ces normes doivent lier les mains aux
dirigeants Camerounais, elles ne doivent pas pour autant d'une part freiner le
développement économique du pays, et d'autre part ne doivent pas
être dénués de toute saveur démocratique. C'est
ainsi que la politique budgétaire ne doit pas seulement se confiner
à atteindre les objectifs intermédiaires comme la maîtrise
du déficit, mais doit également atteindre l'objectif final qui
est la croissance. Même dans le cadre du respect des critères de
surveillance multilatéral de la CEMAC les règles fixes doivent
d'abord être ériger pour satisfaire l'objectif premier du pays
à savoir le développement économique et non l'entraver.
A titre d'illustration La définition d'une cible
d'inflation à 3% par la BEAC pour l'ensemble des pays membres de la zone
CEMAC traduit l'engagement en faveur de la stabilité des prix
définie comme l'objectif prioritaire de la Banque Centrale. Une telle
règle peut s'avérer inefficiente.
Le niveau élevé des taux d'intérêt
réels imposés par l'objectif de la stabilité des prix
produit un double impact négatif sur l'investissement privé d'une
part; il décourage de part son impact sur le coût du
crédit, les projets de développement des capacités de
production. D'autre part, il leste les charges financières des
entreprises en mettant certaines dans l'incapacité d'honorer leur dette.
Conséquence, de nombreuses petites et moyennes entreprises au Cameroun
éprouvent des difficultés financières récurrentes
qui donnent lieu soit à une évasion fiscale de celles-ci soit
à leur disparition pure et simple. Dans ces conditions, les banques sont
amenées à constituer des provisions sur créances douteuses
et à rationner le crédit en imposant des taux
d'intérêt exorbitants. D'où une situation de
surliquidité des banques actuellement d'une part, et d'un
déplacement de l'activité bancaire vers des opérations de
banque moins traditionnelles : assurance, transfert d'argent ..., d'autre
part.
Par ailleurs, « loin d'être vertueuse, une
inflation trop basse est un obstacle à l'ajustement » Taouill
(2005). De ce fait, les entreprises, soumises à la concurrence par les
prix sont amenées faute de pouvoir ajuster les coûts de
production, à réduire l'emploi. La crédibilité
poursuivie par l'engagement en faveur de la stabilité des prix peut donc
s'avérer inefficace, et les retombées escomptées en termes
de surcroît d'investissement et de croissance, amoindries. Ceci du fait
d'une demande d'investissement insuffisante entraînant une diminution de
la formation brute du capital fixe ; d'autant plus que celle-ci
dépend surtout de l'investissement étranger dopé par des
privatisations en cours au Cameroun.
Un tel état de choses peut également avoir des
conséquences sur l'investissement privé national. Celui-ci ne
serait pas entravé par le brouillard des signaux du marché par
l'inflation, mais par la gestion restrictive de la demande globale. Le ciblage
de la stabilité des prix, quelque soit la conjoncture, peut créer
des rigidités qui entraînent un sacrifice en terme de production.
Dans une situation de sous utilisation des ressources financières telles
qu' au Cameroun, les autorités monétaires peuvent user de leur
pouvoir discrétionnaire en stimulant l'offre de crédit. Une
inflation modérée a l'avantage d'alléger les frais
financiers à travers la réduction des taux d'intérêt
réels et d'accroître la production et la demande de travail. Une
règle de ciblage souple de l'inflation peu apparaître mieux
adéquate à la résorption des chocs de surliquidité
bancaire en cours, et un soutien aux prêts bancaires à
l'équipement. Ces discrétions apparaissent d'autant mieux
appropriées qu'il n'y a pas au regard de la faiblesse de la demande
globale actuelle, de tensions sur le prix qui justifient un objectif strict en
matière monétaire. Il apparaît alors que bien que les
pouvoirs publics Camerounais soient dépossédés de la
définition et de la conduite de la politique monétaire,
l'adoption des règles fixées en matière monétaire
par la BEAC ne constitue pas une garantie quant à la santé de
l'économie.
De telles réserves prouvent bien que la
définition des normes intangibles en matière économique au
Cameroun doit tenir compte des particularités du pays et surtout de
l'objectif primordial qui est le développement économique, qui
nécessite une croissance soutenue et une stimulation de l'emploi.
Notre volonté dans ce chapitre était
d'évoquer la nécessité d'un constitutionalisme
économique au regard du cycle politico-budgétaire que nous avons
pu établir dans les chapitres précédent. Dans un premier
temps, l'idée d'une constitution économique aboutit à une
application de plus en plus accrue de celui-ci et qui semble être
justifié dans bon nombre de pays dans le monde, notamment aux USA et
dans l'UE. Cependant, certains auteurs économistes estiment que
l'encadrement des décisions publiques n'est pas toujours efficace et
porte en lui un déni de démocratie. Au Cameroun, la
nécessité de la normalisation économique trouve son
explication dans le contexte de notre travail au niveau de la manipulation des
variables budgétaires aux fins électoralistes par les dirigeants
politiques camerounais. Cependant, il nous parait utile de rappeler que si les
règles intangibles sont indispensables au fonctionnement, de
l'économie Camerounaise tant sur le plan national que dans le cadre de
la CEMAC, ces règles doivent toutefois tenir compte des objectifs de
développement économique auxquels aspire le pays.
Au terme de cette deuxième partie de notre travail,
nous avons pu mettre en relief le cycle politico-budgétaire au Cameroun
de façon effective. L'analyse de ce dernier nous a conduit à
travers un modèle économétrique sur le cas Camerounais
(chapitre3), de ressortir les variables budgétaires qui sont
manipulées aux fins électoralistes et constituent dans ce sens
les déterminants du cycle politico-budgétaire au Cameroun. Cette
analyse s'est poursuivie dans la nécessité d'édictions de
règles inflexibles en matière économique en
général et en matière budgétaire en particulier au
Cameroun. Ce qui a été fait dans le chapitre 4 intitulé
constitutionnalisme économique et cycle politico-budgétaire au
Cameroun.
|