II.1.2. Le baccalauréat pour
bénéficier de plus de liberté.
La perspective d'une plus grande liberté est l'une des
principales raisons pour lesquelles les lycéens veulent réussir
l'examen du baccalauréat. Si les littéraires sont, comme nous
l'avons déjà souligné, les plus nombreux à rappeler
le rôle de liaison du diplôme entre le lycée et
l'université, c'est dans leur globalité que les interrogés
soulignent son rôle « émancipateur ». La
réussite au baccalauréat est en effet pour tous les
lycéens et étudiants des entretiens, synonyme d'emplois du temps
plus « flexibles » et de gestion personnelle des
cours. Il est évident que les études universitaires (ou
supérieures en générale) ne ressemblent pas aux
études secondaires ni sur l'organisation des cours ni sur leur contenu.
De ce fait, le point sur lequel insistent beaucoup plus les
élèves est la « grande marge de
liberté » dont semble bénéficier
l'étudiant.
Pour Guy -Joël (18 ans, terminale S), la liberté
laissée à l'étudiant, pour gérer ses cours, par
rapport au lycéen est indéniable : « Il y a quand
même pas le même rythme de vie, nous dit -il, il y a moins d'heures
de cours à la fac ; on se lève à midi etc. J'ai envie
de vivre ça moi. J'aimerais bien pouvoir gérer mes cours
tranquillement ». La gestion individuelle de ses cours ( choix des
groupes de travaux dirigés) et la possibilité qu'il a de ne pas
assister à un cours magistral, sans encourir la moindre sanction, fait
de l'étudiant un apprenant au statut très enviable.
Yoann (19 ans, terminale S) soulève cette
différence entre le « temps libre » des
étudiants et les emplois de temps
« surchargés » des lycéens :
« Avant on était une bande de copains en première. Tous
ceux qui étaient en série S, l'ont redoublé, les autres en
L et ES sont passés à la fac et ils sont toujours dans les bars
de la fac. Ca veut dire qu'on exige moins des étudiants parce que c'est
comme ça. Je veux dire c'est pas une deuxième terminale. On fait
moins de chose ».
L'envie de réussir l'examen du baccalauréat
s'explique donc chez « nos » lycéens comme une envie
de passer de l'autre coté de la barrière où ils pourront
bénéficier de ces emplois du temps choisis. Mais
« décrocher son bac », c'est aussi et surtout
synonyme de liberté vis à vis des parents. En effet, ce qui
motive à plus d'un titre la totalité des lycéens que nous
avons interrogés c'est la reconsidération de leurs rapports avec
les parents une fois l'examen réussi. « Ils me regarderont
forcément autrement si j'ai le bac » est une affirmation qui
revient souvent dans les entretiens. Mais d'où les lycéens
tiennent -ils une telle certitude ? C'est l'expérience du grand
frère ou de la grande soeur étudiant(e) qui leur permet
d'affirmer avec autant d'assurance que l'obtention du baccalauréat va
« obligatoirement » changer les relations dans la
famille ; ils seront considérés comme des adultes.
Comme les initiés dans les sociétés
traditionnelles, les lycéens considèrent que la réussite
aux épreuves qu'ils doivent passer est gage de reconsidération
due au changement de statut. En devenant étudiants, ils deviennent
« adultes ». L'étudiant est considéré
par les lycées comme un individu au statut à part avec beaucoup
d'avantages. Pour Linda (17 ans, terminale ES), « un étudiant
a plus de liberté et en plus de cela, il y a beaucoup de tarifs
réduits pour les étudiants. Par exemple tu prends la maison de
l'étudiant c'est rien que pour les étudiants et pas pour les
lycéens. Ca c'est des trucs auxquels seul le bac peut permettre
d'accéder ».
« Le bac permet d'aller à la fac,
d'être dans la cour des grands, il y a de la liberté à la
fac et pas au lycée. Les parents surveillent moins quant on est à
la fac. Les étudiants sortent quand ils veulent»
(Héléne,19 ans, terminale L). Guillaume (18 ans, terminale L) va
dans le même sens que ses camarades lorsqu'il souligne l'agacement du
lycéen « pour qui les feuilles d'absence défilent alors
que les étudiants sont plus libres, plus
indépendants. »
La force du baccalauréat réside dans la
transformation qu'il semble introduire dans les rapports entre le bachelier et
les autres. Devenu étudiant, l'élève est
reconsidéré sous un autre angle, celui de la maturité ou
du moins de la responsabilité. Il semble tout simplement être
beaucoup plus libre de ses choix. Cette « liberté »
et /ou « indépendance » dont parlent les
lycéens semble être octroyée indépendamment de
l'âge. Cela a moins à voir avec la majorité qu'avec le
statut même d'étudiant. En effet selon eux, pour être
responsabilisé par les parents et par conséquent être plus
indépendant, il est préférable d'avoir son
baccalauréat que d'avoir vingt ans et être toujours au
lycée. « Avec le bac on est plus indépendant, nous dit
Aurélie âgée de16 ans, j'aurais plus de liberté je
crois vis à vis des parents, je serais carrément moins
encadrée, exactement comme ma soeur qui est à la fac ».
En fin de compte le baccalauréat n'est ni mesurable ni
comparable avec l'obtention du permis de conduire ou le passage à la
majorité (dix huit ans). Il transforme le lycéen en
étudiant ou bien « l'enfant que mes parents voient en moi en
adulte responsable » pour reprendre les termes de Yamina (17 ans,
terminale S). « Le bac est plus important pour moi, nous dit elle,
parce qu'en fait le permis, la voiture de toute façon je l'aurais pas
à 18 ans et les 18 ans, moi je pense pas que ça marque quelque
chose. Parce qu'en fait ça va rien changer. C'est le bac en fait parce
qu'après, on va faire des études plus sérieuses, plus
spécialisées alors qu'avoir 18 ans c'est comme avoir 17
ans ».
La primauté du baccalauréat, comme
critère émancipateur, sur les deux autres
événements est nette chez les quatre vingt quatre
interrogés. Lorsque nous leur demandons de nous donner les raisons pour
lesquelles ils qualifient le baccalauréat «
d'émancipateur », les explications avancées sont
très proches. Il s'agit essentiellement d'une plus grande liberté
liée à leur responsabilisation. Par exemple, pour Michelle (17
ans, terminale S), le baccalauréat est beaucoup plus important que les
18 ans « dans la mesure où chez moi les 18 ans c'est pas
quelque chose qui donne plus de liberté, on a toujours été
assez libre finalement. Donc les 18 ans ne vont pas changer grand chose. Le
fait d'avoir 18 ans ne change rien parce que même à 40 ans je
serais toujours leur petite fille. C'est pas l'âge, c'est vraiment le bac
le truc important ». Bernard ( 18 ans, terminale ES) justifie son
choix par les relations avec ses parents qui changeraient
« forcément » parce qu'il deviendrait adulte.
« Pour eux ça veut dire qu'on est plus responsable, qu'on peut
gérer son avenir. Ca veut dire qu'on a une certaine maturité et
que si on avait rien fait, on l'aurait pas notre bac alors qu'on peut avoir 18
ans et être un peu irresponsable. Avoir le bac ça veut dire qu'ils
vont me lâcher un peu. Enfin, ils vont toujours me guider mais un peu
moins qu'avant. Ils se mêleront pas toujours de mes affaires. Je sais
mettre les limites donc ils m'interdisent pas trop quoi. Mais je sais que pour
eux le bac ça fait passer à l'âge adulte ».
Les propos de Pierre ( 21 ans , terminale S, redoublant )
résument bien cette idée : « Si j'ai
redoublé ma première et ma terminale, c'est que l'école
c'est pas mon truc. La pression des parents « fais tes
devoirs » « travail » et tout ça me gave.
mais en même temps, si je n'ai pas mon bac, ce sera dur parce que dans
cette position on reste en enfance. Quand on a 20 ans et qu'on a tous ses amis
qui sont en fac avec la liberté, on a plus envie d'être
considéré comme un enfant. C'est pourquoi je fais tout pour
être un adulte et me détacher de l'enfance mais c'est dur au
lycée ».
D'autres élèves mettent en avant la
possibilité de quitter le domicile familial. Dans un grand nombre
d'entretiens cette idée revient de manière récurrente. La
réussite au baccalauréat est un grand enjeu pour les
lycéens puisqu'ils l'associent au passage à une vie beaucoup plus
indépendante surtout lorsque cette réussite est suivie d'un
départ du domaine parental. En effet, si le baccalauréat est
synonyme de liberté et d'indépendance, la meilleure façon
dont cela se traduit pour beaucoup de lycéens, c'est la vie en
« solitaire dans son propre chez soi ». « De
toute façon, admettons que si j'ai 18 ans l'année prochaine et
que j'ai pas mon bac, ça changera rien. Je serais toujours chez les
parents et sous leur autorité. Alors qu'avec le bac, j'aurais plus de
liberté vu que je partirais ailleurs » (Jeremy, 17 ans
terminale S). Lorsque je lui demande si vivre seul est synonyme de
liberté, la réponse est : « oui ! bien
sûr parce que si j'ai le bac je serais plus responsabilisé par ma
mère que si j'avais 20 ans et toujours au lycée parce qu'elle est
à fond dans le bac ».
Le baccalauréat est donc pour ces élèves,
le passage « obligé » pour accéder à
l'indépendance à laquelle ils aspirent comme le confirme
Daphné (18 ans, terminale L) : « si j'ai le bac ça
me permet de ne plus habiter avec les parents par exemple, alors qu'avant je ne
peux pas. C'est vraiment la liberté parce que pour les parents on est
quand même plus responsable. Ca veut dire qu'on a franchi un pas, qu'on
arrive dans les études supérieures et puis». Le
baccalauréat, précisons-le encore une fois, est dans l'esprit des
lycéens le passage « obligé » pour
acquérir une indépendance ou du moins une plus grande autonomie.
Passer du lycée à l'université c'est
avoir la possibilité de se gérer tout seul en n'habitant
déjà plus chez les parents. Pour Romuald (19 ans, terminale ES)
avoir le baccalauréat c'est « ne plus être traité
comme un bébé ». Il précise :
« en fait les parents ne vont plus être tout le temps
derrière moi si j'habite à la fac, donc je pourrais sortir le
soir et faire tout ce que je veux ». Nous pouvons aussi
évoquer le témoignage de Pauline (20 ans, terminale S) pour qui
le baccalauréat est également l'échéance
fixée par les parents pour pouvoir disposer d'elle-même. Elle
considère que ses parents, du fait de leur âge avancé,
sont les seuls à avoir ce rapport avec le baccalauréat.
« Avec le bac, je peux partir habiter seule, les parents se diront
c'est bon, elle a son bac. Parce qu'ils sont encore de la mentalité
d'avant qui est passe ton bac d'abord, une fois que t'as ton bac ça va.
Avoir le bac en poche c'est clair que c'est pour moi avoir plus de
liberté. Je pense que mes parents seront soulagés de savoir que
j'ai le bac, donc je pense que j'aurais plus de liberté. Je pourrais
faire ce dont j'ai envie sans problème ».
Si certains élèves ne motivent pas leur
volonté de partir du foyer parental par un conflit d'aucune sorte avec
les parents, d'autres par contre voient dans le baccalauréat, un moyen
d'apaiser les dissensions.
Nous ne prétendons pas que le baccalauréat ait
des vertus thérapeutiques quelconques comme certains rites
initiatiques ; en revanche nous pouvons noter l'importance de sa charge
symbolique.
Le nouveau bachelier semble être plus responsable (ou en
tout cas plus responsabilisé) qu'il ne l'a jamais été. Le
baccalauréat peut donc être, pour les nouveaux bacheliers, le
sésame qui ouvre les portes du dialogue. Obtenir son diplôme peut
éventuellement changer les rapports. Nous prendrons parmi quinze
entretiens qui illustrent cette hypothèse les propos de Pierre -Autrique
qui sont très parlant. « Après le bac je pense que
j'aurais beaucoup plus de liberté parce que les parents c'est
« c'est nous qui décidons parce que c'est nous qui te
nourrissons et te logeons ; si tu veux te barrer tu te barres et tu
assumes. Pour le moment passe ton bac d'abord ». Donc pour le moment
on ne s'entend pas trop bien mais bon, je suis sûr que si j'ai le bac,
ça va s'arranger. C'est obligé parce que j'habiterais plus
à la maison mais à Alençon, pour les études donc du
fait qu'on ne se verra pas souvent, quand on va se revoir ça se passera
mieux». Lui demandant pourquoi cela changerait les relations sa
réponse est « parce que je te l'ai dit, on ne va pas se crier
dessus les rares fois qu'on se verra, ensuite ils me verront
différemment parce j'aurai mon bac que eux ils ont pas. Ca a
été pareil pour ma grande soeur ».
Ce que confirment surtout les étudiants dans les
entretiens (au nombre de vingt quatre) c'est l'indépendance dont ils
jouissent, par rapport aux lycéens, depuis qu'ils ont
« décroché » le diplôme. Ils parlent
d'une autonomie que leur aurait conférée le baccalauréat
en étant plus libres dans l'organisation de leurs études et de
leurs loisirs. Ils insistent sur cette liberté qu'ils ont de n'aller en
cours que s'ils le désirent et de sortir immodérément sans
être réprimandés par les parents. C'est ce que Anthony,
étudiant en première année de sociologie, exprime en ces
termes : « C'est vraiment un grand changement pour moi d'avoir
eu mon bac. C'est clair que là, je fais ce que je veux, enfin je
m'organise comme je l'entends. Dès fois je me réveille, je le
sens pas trop et puis je ne vais pas en cours alors qu'au lycée jamais
je n'aurais pu faire ça d'abord parce que mes parents m'auraient
tué, ensuite parce que les profs m'auraient pas loupé avec les
feuilles d'absence ».
Marie, étudiante en première année
d'A.E.S, souligne les sorties nocturnes avec les copains. « Pour
moi, dit -elle, la fac c'est génial parce que là je sors
beaucoup, trois fois par semaine en moyenne, c'était inimaginable au
lycée »
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