II.1.3. Le baccalauréat pour trouver un travail.
Nous avons la représentation, chez les lycéens,
du baccalauréat comme passage qu'il faut franchir pour quitter le monde
lycéen et entrer dans un autre monde, le monde des étudiants.
Si nous ne considérons que ces deux aspects que sont la
quête d'une culture générale, du savoir et l'aspiration
à une grande liberté ou une plus grande indépendance nous
pouvons dire que le baccalauréat constitue effectivement ( et seulement
) un rite de passage dans le monde des étudiants
Mais les interviewés introduisent, et cela toujours de
manière spontanée, l'aspect utilitaire du diplôme. En effet
le troisième élément qu'ils associent au
baccalauréat c'est son utilité. Au-delà des deux premiers
aspects précédemment cités ( le baccalauréat pour
continuer les études et le baccalauréat pour
bénéficier de plus de liberté ) le diplôme est aussi
pour les intéressés « une ouverture vers autre
chose » : le travail professionnel,
rémunéré. En dernière instance, les
interviewés veulent le baccalauréat parce qu'il « donne
un avenir certain ». Il signifie pour un grand nombre
d'élèves interrogés la possibilité de trouver un
emploi dans un avenir plus ou moins proche.
Il faut souligner que dans les sociétés
modernes, la place qu'on occupe dans la division du travail est censée
dépendre non de propriétés déterminées
à la naissance ( milieu social, sexe ), mais de caractéristiques
acquises, en particulier le niveau d'instruction. Donc, ce que les
élèves mettent en avant, c'est la
« rentabilité » du diplôme.
Autant les littéraires étaient les plus diserts
quant il s'agissait de voir dans le baccalauréat un moyen de continuer
les études autant les élèves des autres séries (S
et E.S notamment ) établissent plus volontiers, l'équation
baccalauréat = métier. « Aujourd'hui sans le bac, pense
Félix (18 ans, terminale S), c'est pas jouable. Sans le bac pas de
travail, on peut même pas pointer à l'A.N.P.E » (Agence
Nationale Pour l'Emploi ). Mélanie (18 ans, terminale Es) pense le
baccalauréat est obligatoire « parce que c'est très
difficile maintenant de faire quelque chose sans le bac. Et même si mes
désirs, mes orientations vont dans un sens où j'ai pas
forcément besoin du bac, si je m'en sors pas j'aurais au moins le bac
pour être caissière à Carrefour. Sérieusement,
maintenant pour être caissière, il faut être titulaire du
bac. Voilà pourquoi il me le faut». Même si ces camarades
sont moins catégoriques, la plupart d'entre eux ( trente neuf
lycéens sur soixante interrogés ) vont dans le même sens.
Ils voient dans ce diplôme « la clef de l'intégration
dans le monde professionnel ». Ce rôle intégrateur au
monde du travail que les élèves donnent au baccalauréat
est la troisième signification que nous pouvons donner à l'emploi
du terme « passage obligé » prononcé dans
les interviews.
Le diplôme intitulé baccalauréat est
à leurs yeux « le » passage qui mène au
travail. Ils n'envisagent pas d'arrêter leur scolarité à la
classe de terminale, du moins s'ils devaient le faire, ce serait avec
« le bac en poche ». Le diplôme semble être une
sorte de garantie contre la hantise du non-emploi. Ainsi même Guillaume
qui disait : « le bac ne représente rien pour moi, sinon
pour me « casser » du lycée » admet que
« le bac est un minimum pour chercher du boulot ».
Trouver un emploi passerait donc par l'obtention du
baccalauréat. Pour les élèves ce n'est pas une vue de
l'esprit mais une réelle conviction. En effet, le fait marquant qui sort
de beaucoup d'entretiens est la certitude et la foi qu'ils ont au
baccalauréat. Avant même d'entrer dans la vie active, ils ont une
représentation du monde du travail qui se construit dans tous les cas de
figures avec le baccalauréat.
Ces quelques extraits d'entretiens vont tous dans le
même sens : « Pour s'en sortir dans la vie, le bac est
indispensable c'est pour cela que je dois l'avoir absolument. »
(Jonathan, 19 ans, terminale S). «Tu sais, le bac c'est le
déclic qui permet d'aboutir dans le travail donc il faut que je
l'ai » ( Céline, 18 ans, terminale L). « Le bac
c'est quelque chose de très important, c'est vraiment l'examen à
avoir pour le marché du travail. Il est par exemple beaucoup plus
important à avoir que le brevet. Le brevet c'est plus comme une
préparation au bac » ( Samia, 18 ans, terminale S ).
En fait, l'insertion s'inscrit dans un marché du
travail. Il faut rappeler, ici, pour comprendre cette
« obsession » du baccalauréat ou plutôt de sa
« rentabilité » que le risque de chômage est
d'autant plus faible que la scolarité a été longue. A
l'inverse, chez les jeunes sans diplôme, ces taux apparaissent
particulièrement élevés, et traduisent un chômage
plus durable que chez les plus diplômés.
Rappelons encore, si besoin en était, qu'en outre, en
France, le taux de chômage des jeunes est spécialement
fort : si sur l'ensemble des 15 - 29 ans, 8% des jeunes sont
chômeurs en 1996, on compte 25% de chômeurs dans la sous -
population des jeunes non étudiants et présents sur le
marché du travail, soit pratiquement le double que dans l'ensemble de la
population. Cette relation entre niveau de formation et chômage est
très nette, même si certaines distinctions fines sont à
faire ; par exemple, les bacheliers professionnels s'insèrent
sensiblement plus vite que les bacheliers
« traditionnels ». On observe également ( à
partir de 1996) que les taux de chômage des titulaires d'un diplôme
de niveau « bac plus 2 ans » et des titulaires d'un
diplôme supérieur sont quasiment identiques. Pour les
lycéens (garçons et filles) le baccalauréat atteste, en
quelque sorte, du niveau d'instruction minimum requis dans le marché du
travail.
Cependant, il faut souligner que le sexe module cet effet du
niveau d'instruction. En effet, les taux de chômage des filles sont,
à niveau comparable, toujours plus élevés, sauf
au-delà du baccalauréat ; les inégalités entre
sexes sont donc d'autant plus faible que le niveau éducatif
s'élève. Les filles ont donc encore plus intérêt
à obtenir le baccalauréat et poursuivre des études que les
garçons, l'absence totale de diplôme étant pour elles
particulièrement pénalisante.
Le tableau ci dessous est, à ce propos, assez
illustratif.
Taux de chômage des jeunes de 15 - 29
ans,
par sexe et niveau de diplôme en 1995 ( %
)
Niveau de diplôme
|
Aucun diplôme
|
BEPC,CAP/ BEP
|
Baccalauréat
|
Etudes supérieures
|
Garçon
|
28,4
|
14,5
|
10,9
|
12,7
|
Fille
|
40,4
|
25,3
|
20,7
|
11,8
|
Total
|
68,8
|
39,8
|
31,6
|
24,5
|
Source : Enquête emploi INSEE
Cependant, malgré ce chiffre de 31,6% seulement de
chômeurs chez les bacheliers, lorsque nous faisons remarquer, aux
élèves interrogés, que beaucoup de travailleurs n'ont pas
le baccalauréat, ils introduisent pour la plupart une nuance importante.
Sans que cela ne remette en cause la centralité du diplôme par
rapport au marché de l'emploi, ils apportent quelques rectifications. En
effet, les lycéens nuancent plus leurs propos en relativisant
l'équation baccalauréat = travail en considérant que
« sans le bac, on a moins de chances de choisir son
travail ».
Nous voulons pour exemple cet extrait d'un entretien avec un
élève du lycée Victor Hugo :
- « C'est le diplôme qui décide quand
même de l'avenir, sans le bac de toute façon t'as aucune
chance. »
- Mais pourquoi penses -tu que sans le bac on ne peux pas
trouver de travail ?
- « Bien sûr on peut en trouver, mais bon ce
ne sera pas forcément le boulot que tu rêvais d'exercer. Moi je
suis au lycée, je suis obligé d'avoir le bac pour continuer mes
études et trouver le boulot qui me fasse réellement
envie»
Ainsi on passe, d'une radicalisation de l'équation sans
bac = sans emploi, à sa relativisation car ils y introduisent la
variante « choix ».
Donc, si quelques lycéens continuent à
établir la première équation, les autres
préfèrent dire que sans le baccalauréat, ils diminuent
leurs chances d'exercer le métier de leur rêve. En fin de compte
si le baccalauréat « est nécessaire pour entrer dans la
vie active » (Jeanne, 18 ans, terminale L), il est aussi et surtout
« indispensable pour pouvoir exercer plus tard le métier qu'on
aura choisi » (Thomas, 19 ans, terminale ES).
Le baccalauréat élargirait, en fin de compte, le
choix dans la grille de travail qui sera proposé au diplômé
à la recherche d'un emploi. Ainsi l'examen du baccalauréat n'est
plus seulement passé pour permettre la transition lycée /
études supérieures ; mais dans l'imaginaire des
lycéens, c'est aussi un passage obligé entre le monde des
études et le monde du travail. Ici le baccalauréat devient
véritablement un rite auquel ils se soumettent pour pouvoir passer de
l'autre côté : le monde du travail, le travail choisi et
désiré.
En fin de compte, c'est cette notion de « travail
choisi » et non de travail par défaut ou par obligation que
les élèves soulignent. Le baccalauréat offrirait un plus
grand choix dans le marché du travail et par conséquent, pour
certains, un moyen de se démarquer de la trajectoire professionnelle
familiale.
Pour beaucoup, les parents, non diplômés, plus
précisément non-bacheliers n'ont pas eu de choix professionnel.
Ainsi espèrent -ils « vivre autre chose qu'eux ».
Lorsque, par exemple, nous faisons remarquer à Yamina
que ses parents, s'ils n'ont pas le baccalauréat travaillent
néanmoins, sa réponse est : « mais ça a
évolué. Ils voient bien qu'avec la qualification qu'ils ont,
aujourd'hui ils ne pourraient pas exercer le même métier. Ils ne
font pas le boulot qu'ils rêveraient de faire. Ils auraient voulu faire
autre chose, mais ils ne le peuvent pas. Moi j'aimerais pas être comme
eux, ne pas faire ce que je veux faire ».
L'attention portée au baccalauréat est
proportionnelle chez certains lycéens à l'espoir que les parents
placent en eux, surtout si ces derniers n'ont pas eux même le
diplôme. Ils sont de ce fait porteurs d'un projet familial, ce qui
accentue encore plus « la pression et l'angoisse » qu'ils
ressentent dans cette année de baccalauréat. Nous reviendrons sur
cet aspect mais avant, illustrons ces propos par quelques phrases
tirées des entretiens.
Pour Sophie (18 ans, terminale S) « ça compte
beaucoup pour les parents le bac. Vous savez, mon père est ouvrier alors
le bac c'est clair que c'est un examen qui permet de poursuivre des
études supérieures, mais pour quoi faire ? C'est pour
trouver du travail après. Sans le bac, pas de débouché. En
règle générale, sans le bac on a rien ; ça je
le sais bien et mes parents me le répètent assez
souvent. »
Chez certains lycéens, la réussite au
baccalauréat est sans doute, plus ressentie comme une obligation que
chez d'autres, du moins c'est une impression qu'ils ont en écoutant le
discours parental. « Mes parents, de toute façon n'envisagent
pas une seconde que je l'ai pas, dit Nicolas dont le père est un ancien
employé de Moulinex, Ils peuvent pas s'imaginer que je puisse vivre sans
le bac. Mais c'est plus mon père. Ma mère est plus ouverte
d'esprit. Mais pour eux de toute façon, le bac il faut que je l'ai,
sinon ils ne voient pas ce je que je peux faire d'autre. Mais attention, c'est
pour moi d'abord que le bac est important ».
Nicolas (19 ans, étudiant en première
année de BTS ) traduit bien la représentation que ses parents ont
du baccalauréat : c'est tout simplement une
nécessité. « Regarde, mes parents ils ont pas le bac.
Ils sont un peu dans la m... alors ils ont été ravis que je l'ai.
Ils se disent que je m'en sortirai avec les études. Pour eux le bac
c'est quelque chose de formidable. Enfin ils ne pensent pas que c'est
formidable mais ils pensent que c'est nécessaire. J'aurai très
certainement une meilleure situation qu'eux ».
Sans tomber dans les travers de la catégorisation et de
la stigmatisation sociale, nous pouvons soulever le fait que les
élèves issus de milieux modestes ( et qui le précisent )
soulignent le plus clairement l'aspect utilitariste du baccalauréat. Le
baccalauréat c'est surtout pour trouver un emploi plus tard. Le
diplôme est perçu donc par certains élèves et leurs
parents comme un facteur d'ascension sociale. « Le bac c'est pour ne
pas être dans la même galère que mes parents, plus tard.
Déjà je vais sortir dans deux ans avec mon diplôme et
ça va tout changer, par rapport à mes parents » (
Evelyne, 20 étudiante en B.T.S )
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