B. La violation de la règle est suffisamment
caractérisée.
50.- Cette condition de la méconnaissance manifeste du
droit communautaire est le plus difficile et délicate des trois
conditions cumulatives 54. Pour apprécier si la violation est
suffisamment caractérisée, la Cour de justice des
Communautés européennes laisse aux juridictions nationales qui
sont « seules compétentes pour établir les faits des
affaires au principal et pour caractériser les violations du droit
communautaire en cause »55. Dans l'arrêt
Haïm, elle a déclaré qu'il appartenait au juge
national de vérifier si une violation suffisamment
caractérisée a été commise en
l'espèce56. De même, l'appréciation de la preuve
que l'État en question est coupable d'une méconnaissance
manifeste et grave du droit communautaire est « fonction de chaque type de
situation »57.
51.- Selon M. Barav, l'exigence d'une violation suffisamment
caractérisée est susceptible de conférer au
législateur une immunité virtuelle et a été
étroitement rattachée à la nature normative de la mesure
génératrice du préjudice lorsque les auteurs des actes
disposaient d'une marge d'appréciation
discrétionnaire58.
52.- Dans ce souci, la Cour de justice des Communautés
européennes, après avoir établi des conditions minimales
dans l'arrêt Francovich, précise la conception de
méconnaissance manifeste progressivement à l'occasion des
arrêts suivants pour le but de limiter le pouvoir d'appréciation
du juge national.
53.- Dans l'arrêt Brasserie du pêcheur et
Factortame III, la Cour de justice énonce que la violation doit
être caractérisée. La juridiction compétente doit
prendre en considération « le degré de clarté et de
précision de la règle violée, l'étendue de la marge
d'appréciation que la règle enfreinte laisse aux autorités
nationales ou communautaires, le caractère intentionnel ou involontaire
du manquement commis ou du préjudice causé, le caractère
excusable ou inexcusable d'une éventuelle erreur de droit, la
circonstance que les attitudes prises par une institution communautaire ont pu
contribuer à l'omission, l'adoption ou au maintien de mesures ou de
54 C. BOUTAYEB, Droit européen : Institutions, ordre
juridique, contentieux, op. cit., p. 286.
55 G. VANDERSANDEN et M. DONY, La responsabilité des
États membres en cas de violation du droit communautaire, op.
cit., p. 36.
56 CJCE, 4 juillet 2000, Haïm, aff. C-424/97, Rec.
p. I-5123, n° 111.
57 CJCE, 8 octobre 1996, Dillenkofer, aff. C-178/94,
Rec., p. I-4845, n° 24.
58 A. BARAV, « Responsabilité et
irresponsabilité de l'État en cas de méconnaissance du
droit communautaire », Gouverner, administrer, juger, Paris :
Dalloz, 2002, pp. 431-470, sp. p. 446.
pratiques nationales contraires au droit communautaire
»59.
54.- Pour la suite, la Cour de justice annonce directement
dans son arrêt Köbler que la responsabilité de
l'État pour des dommages causée par la décision d'une
juridiction nationale statuant en dernier ressort est régie par les
mêmes règles60. La seule spécificité
reconnue au régime de cette responsabilité procède de la
prise en compte de la spécificité de la fonction
juridictionnelle61.
55.- La Cour de justice utilise un faisceau d'indices pour
apprécier l'existence d'une violation manifeste du droit communautaire
dans cet arrêt. Le juge national doit tenir compte de tous les
éléments de l'espèce « parmi lesquels figurent
notamment, le degré de clarté et de précision de la
règle violée, le caractère délibéré
de la violation, le caractère excusable ou inexcusable de l'erreur de
droit, la position prise par une institution communautaire ainsi que
l'inexécution, par la juridiction en cause, de son obligation de renvoi
préjudiciel en vertu de l'article 234, 3e alinéa, du
Traité CE »62 . La violation du droit communautaire peut
résulter de la constatation de la violation de l'obligation du recours
à la procédure du renvoi préjudiciel ou d'une
méconnaissance manifeste d'une de ses décisions
préjudicielles d'interprétation63.
56.- Or, dans l'arrêt Traghetti del
Mediterraneo, la Cour de justice a développé la mesure de la
responsabilité et ainsi a élargi l'appréciation de
l'existence d'une violation manifeste à l'exercice d'activités
d'interprétation et d'appréciation. Elle a affirmé les
critères de la méconnaissance manifeste établis dans
l'arrêt Köbler64.
57.- En outre, en cas de transposition incorrecte d'une
directive, la violation ne sera pas suffisamment
caractérisée65. Une telle transposition ne sera pas
considérée comme une violation qualifiée à engager
la responsabilité de l'État, en raison des ambiguïtés
et des incertitudes, et de même, l'État membre a une marge
d'appréciation quant à la mesure de transposition des directives
communautaires.
59 CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et
Factortame III, op. cit., n° 56.
60 CJCE, 30 septembre 2003, Köbler c/ Autriche,
op. cit., n° 52.
61 A.-S. BOTELLA, « La responsabilité du juge
national », op. cit., p. 302.
62 CJCE, 30 septembre 2003, Köbler c/ Autriche,
op. cit., n° 55.
63 A.-S. BOTELLA, « La responsabilité du juge
national », op. cit., sp. pp. 304-306.
64 CJCE, 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo,
op. cit., n° 43.
65 CJCE, 26 mars 1996, British Telecommunications, aff.
C-392/93, Rec., p. I-1631; CJCE, 24 septembre 1998, Brinkmann
Tabakfavriken, aff. C-319/96, Rec., p. I-5255.
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