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Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

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par Julia Le Floc'h - Abdou
Paris X Ouest - Nanterre La Défense - Master II Droit pénal et Sciences criminelles 2015
  

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II - Une liberté d'expression encadrée

Selon Robert Vaughn, l'émergence internationale du concept de lanceur d'alerte apparaît « concomitamment à la mise en oeuvre de lois sur la liberté de l'information dans de nombreux États »208(*).

La liberté d'information recouvre deux éléments indissociables : celui d'informer (de produire des informations) et celui d'être informé (de disposer de ces informations).Cette liberté s'appuie sur une garantie importante pour toute société ; la liberté d'expression.

La liberté d'expression serait le droit pour toute personne de penser comme elle le souhaite et de pouvoir exprimer ses opinions par tous les moyens qu'elle juge opportun, dans les domaines de la politique, de la philosophie, de la religion, de la morale, etc.

Selon la CEDH, la liberté d'expression constitue « l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, ainsi que l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun »209(*).Toujours selon la CEDH, cette liberté d'expression « vaut non seulement pour les informations ou idées recueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent [...]. Ainsi, le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de « société démocratique » »210(*).

Ces deux libertés associées convergent à mettre en oeuvre un « droit du public à l'information ». Et c'est dans ce champ que se greffe la question du lanceur d'alerte qui dénonce et s'oppose publiquement à certains comportements institutionnels ou industriels.

Comme l'avait explicité Edward Snowden« ma seule motivation est d'informer le public sur ce qui est fait en leur nom et ce qui est fait contre eux »211(*).

La diffusion par voie de presse est privilégiée par un individu détenteur d'informations sensibles.En effet, la presse permet une large transmission au public. L'information est relayée par des journalistes après l'accomplissement d'investigations, ce qui crédibilise la révélation.D'autre part, sans source, le journaliste n'est qu'une courroie d'information relatant des positions officielles. Enfin, à l'heure où le numérique est devenu un acteur considérable, celui-ci permet également la diffusion de l'information212(*).

Que cela se fasse de façon dématérialisée ou non, les divulgations par voie externe ne sont pas tolérées et réprimées quasiautomatiquement. C'est par le droit de la presse que les révélations sont appréhendées213(*).

Alors que le droit à la liberté d'expression a été consacré, comment analyser cette interdiction ? Ya-t-il une forme de divulgation qui permet une approche plus libérale de la liberté d'expression ?

Les lanceurs d'alerte peuvent propager l'information par le biais de journalistes (A) ou à défaut, user directement de leur liberté d'expression (B).

A - Des relais journalistiques inévitables

Le profit d'une divulgation externe tient au fait que le lanceur d'alerte souhaitant garder l'anonymat est protégé, en principe, par le secret des sources.

Le journaliste devenant, dès lors, un relais médiatique indispensable (1) et une « variété de lanceur d'alerte » hors des critères exigés par la loi(2).

1 - Une protection des sources laborieuse et conditionnée

George Orwellaurait, dit-on, déclaré : « Le journalisme consiste à publier ce que d'autres ne voudraient pas voir publié, tout le reste n'est que relations publiques ».

Les journalistes, composants de la presse, bénéficient d'une liberté d'expression quasiabsolue. Garantie par l'article 10 de la CESDH, au nom du droit du public à recevoir des informations sur des questions d'intérêt général, la CEDH a elle-même hissé la liberté de la presse au sommet de la liberté d'expression, selon Jean-Philippe Foegle214(*).

Vecteur d'information, le lanceur d'alerte est une pièce maîtresse du journaliste. Sans ce personnage décisif, il ne pourrait exercer pleinement ses investigations et sa profession. Le lanceur d'alerte, sans ce relais journalistique, ne pourrait divulguer massivement les informations qu'il détient.Ce binôme indispensable, contribuant au débat démocratique et fournissant au public des informations d'intérêt général, doit être protégé. Cette protection passe invariablement par le droit au secret des sources.

Ce credo215(*) de protéger les sources est particulièrement respecté par les journalistes.

Selon Emmanuel Derieux, les journalistes souhaitent « ne pas avoir à révéler l'origine de leur information (personnes, documents, lieux, conditions et circonstances dans lesquelles ils ont connaissance de certains faits) ni le nom de leurs informateurs ; ne pas être tenus de témoigner, ni de remettre aux autorités de police et de justice divers documents et éléments d'informations collectés au cours ou à l'occasion de reportages »216(*).

Cette protection des sources peut être neutralisée par différentes actions effectuées par les autorités judiciaires217(*) : perquisitions, écoutes téléphoniques, visites domiciliaires et saisies218(*).

La loi du 4 janvier 1993 (loi dite Vauzelle)219(*)a introduit, pour la première fois, diverses dispositions permettant aux journalistes d'opposer le secret de leurs sources aux autorités policières et judiciaires au sein du Code de procédure pénale.Malgré ce texte, le droit français n'a pas assuré le secret absolu des sources aux journalistes. Les moyens de contourner la loi n'ont pas manquéset les autorités ne s'en sont pas privées.

La CEDH a condamné la France à de multiples reprises pour ce manquement caractérisant une atteinte à l'article 10 de la CESDH.Par des formules tonitruantes, la jurisprudence européenne a assuré une protection efficace des sources journalistiques : « La protection des sources journalistiques est l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse [...]. L'absence d'une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d'aider la presse à informer le public sur des questions d'intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde » et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s'en trouver amoindrie »220(*).

Prenant acte, la France s'est mise en conformité avec la CEDH en adoptant le 4 janvier 2010 la loi Dati221(*). Cette nouvelle législation a corrigé la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse en insérant un article 2. Celui-ci précisant la définition de journaliste222(*), énonçant que le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information public, et indiquant les possibles atteintes au secret des sources.

L'article 2 alinéa 2 a ouvert un large débat sur les éventuellesatteintes au secret des sources.

En effet, celui-ci énonce « Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ».

La formule imprécise des notions « impératif prépondérant d'intérêt public » et « strictement nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi »rend son appréciation à la seule évaluation des juges. Ce qui eut pour conséquence le prononcé d'interprétation défavorable pour les journalistes et leurs sources, à l'instar de la Cour de cassation en 2013.

En l'espèce, dans le cadre du dossier Woerth-Bettencourt, la Chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Bordeauxavait annulé, le 9 août 2011, des réquisitions tendant à exécuter des investigations sur des factures détaillées (« fadettes ») destinées à identifier d'éventuelles sources d'information de journalistes. Les juges du Quai d'Horloge, suite à cet arrêt, ont cassé la décision de la Chambre de l'instruction puisque, selon eux, les conditions de l'alinéa 2 de l'article 2 n'étaient pas réunies pour que les journalistes bénéficient du droit à la protection des sources223(*).

Cet arrêt avait fait dire à Reporters Sans Frontières que « La loi du 4 janvier 2010 sur la protection du secret des sources avait rapidement montré ses limites, puisqu'il avait été facile pour les magistrats de lever le secret des sources des journalistes »224(*).

Maître Christophe Bigot, avocat spécialisé en droit de la presse, avait également émis des réserves sur la loi Dati en déclarant : « On s'est vite rendu compte que la loi de 2010, qui a constitué une avancée, était insuffisante car elle se prêtait à interprétation »225(*).

Selon Jean-PhilippeFoegle« Les lanceurs d'alerte souhaitant rester anonymes n'ont donc aucune garantie quant à la protection de leur identité dans le cadre d'une affaire judiciaire »226(*).

La loi Dati a également modifié l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse227(*). Réduisant, de fait, le champ de la protection des sources journalistiques.

En modifiant cet article, elle a certes institué une immunité en matière de recel de violation du secret de l'instruction pour les journalistes mais elle a introduit cette dispense lorsqu'ils se trouvent poursuivis pour diffamation exclusivement.

Face à ce constat, et aux nombreuses condamnations de la France par la Cour européenne228(*), le gouvernement a souhaité renforcer la protection des sources journalistiques et a présenté à l'Assemblée nationale un projet de loi n°1127 renforçant la protection du secret des sources des journalistesle 12 juin 2013.Il avait pour ambition d'élaborer une définition plus précise des motifs permettant de porter atteinte au secret des sources229(*)et de confier au juge des libertés et de la détention le contrôle et la supervision de ces atteintes.Il souhaitait introduire une immunité pénale pour les journalistes en cas de détention de documents en violation du secret de l'instruction, du secret professionnel et de l'intimité de la vie privée.

Déposé en 2013, le projet de loi est actuellement en sommeil, ce que plusieurs ONG et acteurs ont déploré. Pierre-Antoine Souchard (président de l'Association confraternelle de la presse judiciaire) a regretté cette attente « Cela fait trois ans qu'on tourne en rond » et a avoué être « dubitatif quant à la nature du futur texte évoqué par le chef de l'État ».Concernant les atteintes au secret des sources et particulièrement les « intérêts de la Nation », il estime qu'« il ne faut pas que cette notion soit extensible au gré du contexte et de l'actualité »230(*).

Le lanceur d'alerte souhaitant s'abriter dans le secret des sources se confronte à deux problématiques. D'une part, il ne peut débattre publiquement de son alerte sans voir son identité révélée. D'autre part, le journaliste poursuivi ne pourra prouver la véracité de ses informations sans dévoiler sa source. Retenons, enfin, que tous les journalistes ne garantissent pas le secret de leur source, certains étant animés par la recherche de scoop à tout prix.

La liberté d'expression des journalistes prévaut mais le secret des sources comporte des dérogations critiquables et inquiétantes.La tendance frénétique actuelle est à la poursuite de journaliste d'investigation et de lanceur d'alerte suite à une diffusion. L'exemple récent de l'affaire LuxLeaks et du journaliste Edouard Perrin en est symptomatique.

* 208 R. VAUGHN (professeur à l'Université de droit de Washington), The successes and failures or whistleblowerlaws, Edward Elgar, Cheltenham, 2013, p.293 (repris par JP FOEGLE, Les lanceurs d'alerte, étude comparée France-Etats-Unis, mémoire de recherche Master II Droits de l'Homme à l'Université Paris X, p. 50-167).

* 209 CEDH, 29 mars 2001, Thoma c/ Luxembourg, req. n°38432/97, §43

* 210 CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, req. n°5493/72, §49

* 211 G.GREENWALD, E.MACASKILL, L.POITRAS « Edward Snowden : the whistleblowerbehind the NSA surveillance revelations », Guardian.co.uk, 10 juin 2013 (consulté le 8 juin 2016).

* 212Certains individus emploient ce moyen pour divulguer des alertes puisqu'aucune plateforme numérique actuelle ne permet, en toute confidentialité, une publication.

* 213 Voir Titre II, Section 2

* 214JP FOEGLE, « Le « milieu du gué » de la protection législative des lanceurs d'alerte », La Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 20 mai 2014, p. 10-15 (consulté le 9 juin 2016) https://revdh.revues.org/752

* 215Les journalistes ont le devoir d'exercer leur profession en respectant une éthique journalistique et des règles déontologiques (selon la Charte des devoirs professionnels des journalistes français de juillet 1918, la Charte européenne des devoirs et des droits des journalistes du 24 novembre 1971 ou la Résolution 1003 du Conseil de l'Europe relative à l'éthique du journalisme de 1993). Parmi ces règles, à titre d'exemple, la présomption d'innocence, le respect de la vie privée et du secret médical, la rectification rapide et automatique d'informations fausses ou erronées, la protection des sources, etc.

* 216E. DERIEUX, Droit des médias, LGDJ, Lextenso Editions, 7ème édition, octobre 2015, p.366-1006

* 217 Raphaël Halet, lanceur d'alerte dans l'affaire LuxLeaks, a vu son identité révélée à la suite d'une ordonnance du TGI de Metz dans lequel il lui était ordonné de transmettre ses correspondances avec le journaliste Edouard Perrin. Par cette décision et en violation de l'article 2 de la loi de 1881 (selon lequel « est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources le fait de chercher à découvrir les sources d'un journaliste au moyen d'investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d'identifier ces sources »), le tribunal n'a pas respecté le secret des sources.

* 218 Cependant, des règles dispensent aux autorités d'exercer ces opérations en respectant une procédure stricte.

À titre d'exemple, l'article 100-5 du CPP prévoit que ne peuvent être retranscrites les correspondances d'un journaliste qui permettent d'identifier sa source, à peine de nullité.L'article 56-2 du CPP prévoit également que les perquisitions dans les locaux d'une entreprise de presse, d'une entreprise de communication audiovisuelle, d'une entreprise de communication au public en ligne, d'une agence de presse, dans les véhicules professionnels de ces entreprises ou agences ou au domicile d'un journaliste lorsque les investigations sont liées à son activité professionnelle ne peuvent être effectuées que par un magistrat.

* 219Loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale (loi Vauzelle), JO n°3 du 4 janvier 1993, p. 215

* 220CEDH, Grande Chambre, 27 mars 1996, Goodwin c/ Royaume-Uni, req. n°17488/90, §39

* 221Loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes,JO n°0003 du 5 janvier 2010, p. 272

* 222Selon l'article 2 al 1, le journaliste est « toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d'informations et leur diffusion au public ».Avec cette définition, le pigiste et le blogueur ne rentre pas dans la catégorie de journaliste.

* 223Cass, crim, 14 mai 2013, n°11-86626 : Puisqu'il s'agissait de rechercher des personnes soupçonnées de violation du secret de l'instruction, la Cour de cassation a considéré « qu'en se déterminant sans mieux s'expliquer sur l'absence d'un impératif prépondérant d'intérêt public (...) et sans caractériser le défaut de nécessité et de proportionnalité des mesures portant atteinte au secret des sources, (...) la Chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ».

* 224REPORTERS SANS FRONTIÈRES, « Loi sur le secret des sources enterrée ? Déjà un an que Reporters sans frontières a été auditionnée », RSF.org, publié le 31 juillet 2014 (consulté le 11 juin 2016).

* 225A. DUVAL, « Le long chemin du projet de loi sur le secret des sources », Le Monde.fr, publié le 20 janvier 2015 (consulté le 11 juin 2016) http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/01/20/le-long-chemin-du-projet-de-loi-sur-le-secret-des-sources_4559935_1653578.html

* 226JP FOEGLE, « Le « milieu du gué » de la protection législative des lanceurs d'alerte », La Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 20 mai 2014, p. 11-15 (consulté le 9 juin 2016) https://revdh.revues.org/752

* 227Cet article 35 consacre depuis 1881 un moyen de défense pour l'auteur de propos diffamatoires. Appelé l'exceptioveritatis, il permet d'apporter la preuve de la vérité des faits et de légitimer les propos diffamants. Voir Titre II, Section 2, Paragraphe II, B.

* 228 CEDH, 12 avril 2012, Martin c/ France, req. n°30002/08 ; CEDH, 28 juin 2012, Ressiot c/ France, req. n°15054/07 et n°15066/07

* 229À savoir la prévention ou répression d'un crime, la prévention du délit d'atteinte à la personne humaine, la prévention des délits d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et de terrorisme.

* 230 A. DUVAL, « Le long chemin du projet de loi sur le secret des sources », Le Monde.fr, publié le 20 janvier 2015 (consulté le 11 juin 2016)

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon