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Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

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par Julia Le Floc'h - Abdou
Paris X Ouest - Nanterre La Défense - Master II Droit pénal et Sciences criminelles 2015
  

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TABLE DES ANNEXES

Annexe 1 - État de la loi française 131

Annexe 2 -Présentation des régimes relatifs au droit à la liberté d'expression en France et aux Etats-Unis 133

Annexe 3 -Exposé de l'affaire des fichiers Zandvoort et entretien avec Serge Garde 136

Annexe 4 -Présentation des affaires Denis Robert 144

Annexe 5 -Présentation de l'exception d'intérêt public et du rapport Omtzigt 145

Annexe 6 - Recherche et exposé détaillé de l'affaire Dreyfus/Zola et de l'utilisation de l'exception de vérité 147

Annexe 7 -Démonstration de l'exception de citoyenneté et de l'état de nécessité 151

Annexe 8 -Illustration de l'affaire LuxLeaks 154

ANNEXE 1 : ETAT DE LA LOI FRANÇAISE

Loi

Secteur concerné

Champ concerné

Protection

Personnes ou autorités à alerter (les canaux d'alerte)

Loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption

Crée l'art. L.1161-1 du Code du travail

Secteur privé

Faits de corruption

-Recrutement, stage

-Formation

-Sanction

-Discrimination (directe ou indirecte)

-Licenciement

-Employeur

-Autorités judiciaires

-Autorités administratives

Loi n°2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité du médicament et des produits de santé (Loi Bertrand)

Crée l'art. L.5312-4-2 du CSP

Secteur privé et public

Faits relatifs à la sécurité sanitaire mais uniquement pour les produits mentionnés à l'art. L.5311-1 du CSP

-Recrutement, stage

-Formation

-Sanction

-Discrimination (directe ou indirecte)

-Licenciement

-Employeur

-Autorités judiciaires (art. 40 al 2 CPP)

-Autorités administratives

Loi n°2013-316 du 16 avril 2013 relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte (Loi Blandin)

Crée l'art. L.1351-1 du CSP

Secteur privé et public (ayant une activité d'expertise ou de recherche dans le domaine de la santé ou l'environnement)

Faits relatifs à un risque grave pour la santé publique ou l'environnement

-Recrutement, stage

-Formation

-Sanction

-Discrimination (directe ou indirecte)

-Licenciement

-Employeur

-Dans un second temps, CNDA ou les autorités judiciaires/administratives

Selon l'article 8 de la loi, le salarié n'a pas le choix et doit d'abord alerter son employeur

Le salarié peut alerter publiquement (art. 1er)

Loi n°2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique

Secteur privé et public

Faits de conflit d'intérêts relatifs aux membres du gouvernement, principaux exécutifs locaux ou personnes chargées d'une mission de service public

-Recrutement, stage

-Formation

-Sanction

-Discrimination (directe ou indirecte)

-Licenciement

-Employeur

-Autorité chargée de la déontologie au sein de l'organisme

-Association anticorruption agréée

-HATVP

-Autorités judiciaires (art. 40 al 2 CPP)

-Autorités administratives

Loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière

Créé l'art. L.1132-3-3 du Code du travail et l'art. 6 ter Ade la loi Le Pors de 1983

Secteur public et privé

Délits et crimes (dont ils auraient eu connaissance dans l'exercice de leurs fonctions)

-Recrutement, stage

-Formation

-Sanction

-Discrimination (directe ou indirecte)

-Licenciement

Omission secteur privé : nullité de l'acte (donc à l'appréciation des tribunaux)

Omission secteur public : non-renouvellement du contrat

-Aucune saisine spécifique explicitée (mais voie externe implicitement autorisée)

Exception :

-Art. 40 al 2 CPP qui en fait une obligation

-Autorité désignée par l'art. 40-6 CPP : SCPC (si l'infraction rentre dans son champ de compétence)

Loi n°2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement (Loi Renseignement)

Crée l'art.L.861-3 du Code de la sécurité intérieure

Secteur des services spéciaux de Renseignements

Faits relatifs aux atteintes au droit à la vie privée

-Recrutement, stage

-Formation

-Sanction

-Discrimination (directe ou indirecte)

-Licenciement

Seule possibilité : CNCTR (qui pourra aviser le Conseil d'Etat et le procureur de la République)

Loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires

Crée l'art. 25 ter I de la loi Le Pors de 1983

Secteur public

Faits relatifs aux conflits d'intérêts

-Recrutement, stage

-Formation

-Sanction

-Discrimination (directe ou indirecte)

-Licenciement

-Supérieur hiérarchique

-Second temps : autorités judiciaires/administratives (si alerte auprès du supérieur hiérarchique a été vain)

ANNEXE 2 -PRÉSENTATION DES RÉGIMES RELATIFS AU DROIT À LA LIBERTÉ D'EXPRESSION EN FRANCE ET AUX ÉTATS-UNIS

La liberté d'expression diverge selon les modèles européens et américains. Néanmoins, la différenciation est de plus en plus ténue, des convergences apparaissent.

1 - Une approche française positive

La liberté d'expression a été constitutionnellement garantie par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.Selon l'article 10« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ».Ce principe général aété précisé par l'article 11« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

La liberté d'expression a été consacrée conventionnellement parl'article 10 al 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme qui énonce que « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière ».Cependantl'al 2dispose : « L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ».

Enfin, l'article 19 § 2 duPacte international des droits civils et politiques de 1966« Toute personne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen ».

En France, la liberté d'expression a une source législative : la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse.

Cette approche positive proclame un principe général de liberté d'expression et, dans le même temps des exceptions (donc des « infractions de presse »).

2 - Une politique américaine négative

Aux États-Unis, la liberté d'expression est absolue et la loi ne peut pas la restreindre. Le Premier amendement de la Constitution américainea cette approche négative. Ainsi, elleinterdit au législateur toute intervention pour limiter la liberté d'expression.Pourtant, la Cour suprême des États-Unis a maintes fois développé des positions jurisprudentielles qui ont restreint certaines formes d'expression. Le Congrès, allant dans ce sens, a également adopté des lois punissant de lourdes sanctions les individus exerçant leur liberté d'expression dans un domaine interdit.Conséquence de ces réglementations, des personnes qui divulguent des informations sensibles au public sont accusés d'avoir eu des comportements infractionnels.

Les restrictions à la liberté d'expression sont au nombre de quatre.

L'une qui touche particulièrement les whistleblowers est l'Espionnage Acte de 1917.Il punit de peines très lourdes les agents ou soldats qui divulguent des informations relatives à la défense nationale à une personne non habilitée à recevoir ce type d'information.Deux ans après l'adoption de cette loi, la Cour suprême va étendre cette dérogation à « tout danger manifeste et présent pour la sécurité nationale »440(*)et condamner des militants qui avaient distribué des tracts incitant les militaires à ne pas participer à la Première Guerre mondiale.Par la suite, la Cour suprême a dû interpréter le Premier amendement et l'Espionnage Acte dans le cadre de publications effectuées par la presse. En effet, dans sa jurisprudence des Pentagone Papers, la Cour a considéré que l'interdiction faite à la presse de publier des documents classés secret-défense, en application de l'Espionnage Acte, était contraire au Premier amendement441(*).

La loi de 1917 et la notion de « tout danger manifeste et présent pour la sécurité nationale » restent les véritables grandes restrictions américaines à la liberté d'expression, qui ont un impact considérable sur la protection des whistleblowers442(*).En France, une disposition converge vers ce type d'interdiction. En effet, les articles 413-11 et 413-11-1 du Code pénal sanctionnent les divulgations, les destructions, les reproductions et diffusions d'informations classées secret-défense.

Identique à l'ordonnancement juridique français, on retrouvela diffamation, limitant l'exercice de la liberté d'expression.La diffamation porte atteinte à la moralité, la renommée ou la réputation d'un individu.Elle est un comportement infractionnel très utilisé contre les whistleblowers que cela soit en France ou aux États-Unis. En 1964, la Cour suprême américaine a mis en place le critère de « l'intention effective de nuire » (Cour suprême, New York Time c/ Sullivan, 9 mars 1964 - 376 U.S 254)permettant à une personne d'intenter un procès en diffamation sous la seule exigence de prouver l'intention de nuire.

Il existe un dernier obstacle à la liberté d'expression américaine :l'obscénité.

La Cour suprême a affirmé, en 1973, que l'obscénité n'est pas protégée par le Premier amendement et adopta le « test Miller » (Miller test) pour déterminer ce qui constitue ou non du matériel obscène (Cour suprême, Miller c/ Californie, 21 juin 1973 - 13 U.S 15).

ANNEXE 3 - EXPOSÉ DE L'AFFAIRE DES FICHIERS ZANDVOORT ET ENTRETIEN AVEC SERGE GARDE

Genèse de l'affaire des fichiers Zandvoort

L'origine de cette affaire remonte aux années quatre-vingt-dix, à l'époque où Marcel Vervloesem, à la demande d'une famille, doit rechercher un jeune garçon de 12 ans, prénommé Manuel, disparu depuis plusieurs mois.Ce belge est connu pour sa lutte contre les abus sexuels sur mineurs et membre d'une association, Morkhoven, luttant contre l'exploitation sexuelle des enfants.

Son enquête l'emmène en Allemagne et au Portugal où il décèle des informations très sensibles sur un homme nommé Gerrit Ulrich.Cet individu, soupçonné de viol sur mineurs et de diffusion d'images pédopornographiques sur internet, accepte de rencontrer Marcel Vervloesem.Au cours de cet entretien, qui se déroulera dans la ville de Zandvoort (en Hollande) en juin 1998, Gerrit Ulrich remet à Vervloesem un CD-Rom afin qu'il retrouve le garçonnet Manuel. Sur ce premier CD-Rom, Vervloesem découvre plus de 400 photos de viols sur enfants (y compris des nourrissons).Ulrich, apparemment prompt à aider Vervloesem, accepte de lui remettre d'autres CD-Rom.Sur ces fichiers informatiques, Vervloesem détecte des milliers d'autres photos et vidéos mais également des dizaines de transferts financiers au travers de plusieurs banques européennes, y compris la Banque mondiale. En effet, dans ces fichiers, se trouvent des adresses, des agendas, des références bancaires, des comptes joints dans différents pays européens.Détenteur de toutes ces informations sensibles, il remet une copie de chaque CD-Rom aux autorités judiciaires de plusieurs pays européens (dont la police néerlandaise, belge et française).

C'est à ce moment précis que le journaliste Serge Garde et Vervloesem vont se rencontrer.

Serge Garde va alors découvrir les fichiers informatiques que les CD-Rom contiennent.

Il enquête sur tous ces fichiers, recoupe les informations et s'aperçoit qu'il est en possession d'informations relatives à un réseau de pédo-criminels.Il décide, alors, de relater son enquête minutieuse avec un dossier de trois pages dans le quotidien L'Humanité, le 24 février 2000 (avec les photos floutées des victimes).Face à la non-réaction des autorités françaises, l'article sera repris par le journal Le Figaro, les 6 et 7 avril 2000.

Suite à cette parution, l'ancienne Garde des Sceaux, Élisabeth Guigou, interviendra dans le journal télévisé de France 3, le 12 avril 2000, dans lequel elle mentionnera que la justice française n'était détentrice que des fichiers papiers, ce qui était insuffisant pour ouvrir une information judiciaire (pourtant Vervloesem avait transmis les CD-Rom aux autorités françaises dès 1999).

Serge Garde se résout, alors, à communiquer les CD-Rom au Procureur de la République de Paris. Suite à cette transmission, une information judiciaire et une saisine de juge d'instruction seront entrepris.En parallèle, des parents vont déposer plainte et se constituer partie civile, découvrant que leurs enfants faisaient partis des fichiers (le journal L'Humanité ayant le 24 février 2000 publié certaines photos). Quatre-vingt-un mineurs seront reconnus par les parents.En 2001, Serge Garde, en collaboration avec Laure Beneux, écrira un ouvrage sur cette affaire443(*).

Le traitement judiciaire de cette affaire sera obscur pour les familles de victimes.

En effet, le Substitut du Procureur de Paris chargés des mineurs, Yvon Tallec, interviendra au journal télévisé de France 2, le 16 mai 2000, en tenant les propos suivants : « Les mineurs ont été photographiés la plupart du temps avec leur accord et ceux de leurs parents. Certaines des photos sont des matériaux très anciens puisque nous savons déjà que certaines photos remontent aux années 70 ou 80. Il faut aussi minimiser, en tout cas en France, la portée de cette affaire, dans la mesure où de nombreux enfants qui sont présentés ici ne sont pas des enfants français »444(*).

Indignées par ces paroles, certaines associations (notamment Enfance en Danger) reprendront les propos tenus par Yvon Tallec. Elles vont dénoncer le peu d'importance des nationalités, vont se demander comment les autorités judiciaires pouvaient connaître la nationalité des enfants, et évoquer que même en cas de parents consentants, il n'y avait aucun motif de ne pas les poursuivre pour viol ou proxénétisme.

L'instruction de ce dossier va se clore en 2003 par un non-lieu général445(*).

Entretien avec Serge Garde, le 1er mars 2016

Question :« D'où provient ce document informatique que vous vous êtes procuré ? »

S. Garde : « Le CD-Rom a été retrouvé chez un pédotrafiquant néerlandais domicilié à Zandvoort qui s'appelait Gerrit Ulrich. C'était une sorte d'activiste informatique. Il intervenait beaucoup sur Internet. Il était évident qu'on se trouvait en face d'un élément important d'un réseau.

Sur le fichier tiré de ce CD-Rom, les visages des enfants sont identifiables, tout comme les visages de certains violeurs. Donc, pour nous il était évident que la police française, tout comme la justice des autres pays européens se trouvait devant une urgence. Rechercher les enfants afin de les sauver et mettre hors d'état de nuire les adultes violeurs.

Nous nous étions dit qu'à partir du moment où nous publiions les révélations sur l'existence de ce document, notre travail de journalistes était terminé et que le travail de la Justice devait commencer. Sauf... que c'est tout le contraire qui s'est produit. Nous avons été contraints de constater que la seule activité de la justice française dans cette affaire a été celle d'essayer de minimiser, voire d'enterrer l'affaire... et le pire, c'est qu'ils ont réussi ».

Q : « Suite à l'intervention télévisée d'E. Guigou, vous avez décidé de remettre les CD-Rom au Procureur. Quelle a été votre motivation ? »

S. Garde : « J'avais rapidement compris que c'était un dossier sensible pour les autorités judiciaires et que sans une intervention extérieure, cela n'allait pas avancer. Mais ce que je ne savais pas à ce moment précis de l'affaire, c'est que les autorités judiciaires détenaient les CD-Rom depuis que Vervloesem les avaient transmis au président de la République, Jacques Chirac, qui lui-même les avait communiqués à la Chancellerie.

J'étais révulsé à l'idée qu'un scandale comme celui-ci pouvait déboucher sur un silence général. Vous savez, il est difficile de regarder pendant des heures et des heures toutes ces photos et vidéos pour vérifier l'authenticité des informations, pour tout décortiquer afin qu'une enquête crédible ressorte de votre travail.

J'avais pleinement conscience que les enfants, dont je voyais les images, étaient en danger. Les fichiers contenaient plus de 90 000 photos d'enfants, tous ces enfants « virtuels » avaient une existence réelle et quand j'analysais les données des CD-Rom, je savais que des actes de torture et de barbarie étaient perpétrés encore sur eux ; que ces enfants n'étaient pas sortis de ces réseaux ».

Q : « Donc, c'est l'intervention d'Élisabeth Guigou, qui vous a décidé ? »

S. Garde : « Indéniablement ! La plus haute autorité judiciaire de mon pays énonçait publiquement que la justice ne pouvait pas enquêter sur un scandale aussi important parce qu'elle manquait d'informations et n'avait pas les CD-Rom ».

Q : « Quels ont été les suites pour vous après la remise des CD-Rom au Procureur ? »

S. Garde : « Le lendemain de l'intervention de la Garde des Sceaux, je remets donc le CD-Rom au Procureur général auprès de la Cour d'appel de Paris, Alexandre Benmaklouf. La veille de cette remise, j'ai été convoqué par la BPM (Brigade de protection des mineurs) et auditionné pendant plusieurs heures en tant que témoin. Mais l'impression qui se dégageait de cette audition, c'était que j'étais placé en garde à vue ».

Q : « Selon vous, que souhaitait la BPM en vous auditionnant ? »

S. Garde : « Ils voulaient connaître la source de mes fichiers. Ils voulaient savoir comment je m'étais procuré le CD-Rom, ils voulaient également connaître les informations que je détenais et les noms mentionnés dans les fichiers. Étant détenteur d'images pédopornographiques, ils m'ont dit que j'étais en infraction et que je pouvais être poursuivi sous cette qualification. Mais finalement, rien ne s'est produit. Pourtant, cette épée de Damoclès pesait sur ma tête ».

Q : « Comment percevez-vous votre rôle à ce moment précis de l'affaire? »

S. Garde : « J'ai excédé mes devoirs de journaliste et mes obligations déontologiques. Un journaliste, n'a pas pour essence, le devoir de dénoncer directement des comportements criminels. Ce n'est pas la nature de sa fonction. Il accompagne la divulgation d'informations et enquête mais ne dénonce pas directement à l'autorité judiciaire. En dénonçant, il met en péril sa source, avec le risque d'engager la responsabilité de celle-ci. Je me suis retrouvé devant un dilemme mais, tout en protégeant ma source, j'ai décidé de fournir à la justice le matériel nécessaire à la poursuite des criminels. J'avais l'espoir que l'on stoppe ces comportements et que l'on retrouve les enfants ».

Q : « Avez-vous l'impression d'avoir été un lanceur d'alerte et non plus un journaliste d'investigation ? »

S. Garde : « Certes j'ai dépassé le cadre de ma profession mais je ne me considère pas comme un lanceur d'alerte. Peut-être que certains peuvent dire que j'ai été un lanceur d'alerte mais j'ai surtout été un citoyen effaré de voir la justice de mon pays ne déployer aucuns moyens nécessaires pour enquêter en profondeur ».

Q :« Combien de documents pédocriminels avez-vous découverts ? »

S. Garde : « Au début de l'enquête, nous avons un CD-ROM contenant 8.500 documents.

Puis, Laurence Beneux a trouvé un deuxième CD-Rom. Lors de la publication au printemps 2000 dans L'Humanité puis dans Le Figaro, Madame la Garde des Sceaux s'est déclarée troublée. Elle intervient alors dans le journal de France 3, où elle va tenir un langage étonnant « Nous avons le fichier [qui était en possession d'Interpol], mais nous ne pourrons rien faire tant que nous ne détenons pas le CD-Rom ». Cela était étonnant, car le fichier contenait des documents assez précis pour pouvoir commencer à travailler.

Le lendemain de cette intervention, je remets donc le CD-Rom au procureur général auprès de la Cour d'appel de Paris, Alexandre Benmaklouf. En remettant le CD-Rom au procureur général, je n'avais pas connaissance qu'il en avait déjà une copie depuis un an. L'affaire avait été classée au bout de quelques semaines, au motif qu'il n'y avait pas matière pour une incrimination pénale. Je rappelle que ce CD-Rom contient des viols de nourrissons.
Laurence Beneux, travaillant à l'époque pour Canal+, a eu accès au deuxième CD-Rom, qui contenait des scènes de torture de petites fillettes insoutenables. Elle décide de le remettre à la justice. Depuis, rien. C'est-à-dire que la justice possède deux CD-Rom, et strictement rien.
Au moment où nous parlons, nous avons vingt CD-Rom. C'est-à-dire entre 80.000 et 100.000 documents pédosexuels et pédocriminels. Ce sont des documents qui doivent servir pour identifier les enfants, pour les sauver. Derrière chaque photo, il y a un enfant réel, qui a été violé et qui souffre. Qu'est-ce qu'on va faire de ces CD-Rom ?

Pour moi, il n'est pas question de les remettre à la justice française ».

Q : « Comment pouvez-vous être sûr de l'existence de véritables réseaux ? »

S. Garde :« Lorsque j'ai eu entre les mains le CD-Rom et le fichier, j'ai également pu disposer de 200-250 feuilles, des photocopies des agendas, des carnets d'adresses de Gerrit Ulrich et de certaines personnes qui gravitaient dans la même sphère. Sur le carnet d'adresses d'Ulrich, on relève des contacts en Hollande, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Suède, aux USA, en Bulgarie, en Pologne en Lettonie et en France ! Il y a aussi des références bancaires : l'Europabank for reconstruction and Development, la Banque nationale d'Ukraine, et le Crédit agricole et le Crédit Lyonnais... ».

Q :« Des enfants ont été identifiés ? »

S. Garde : « En conduisant l'enquête, nous avons été littéralement assaillis par les demandes des parents. Ils éprouvaient des inquiétudes très vives concernant des enfants disparus ou qui déclaraient avoir été abusés devant des caméras ou les objectifs d'appareils photo.

Alors que la justice restait inactive, c'est nous, les journalistes qui avons accepté de recevoir des parents pour qu'ils puissent consulter ce fichier à la recherche d'un enfant.
Un jour, une maman, habitant la région parisienne a déclaré « c'est mon fils ». Puis il y en a eu une deuxième. Ce deuxième enfant a été reconnu par sa mère, par deux pédopsychiatres qui l'ont eu comme patient ainsi que par une travailleuse sociale.

Nous avons reçu la visite de dizaines et de dizaines de parents, grands-parents, je pense que nous avons reçu environ deux cents personnes venues visionner ce fichier, qu'ils ne pouvaient voir ailleurs. Des personnes sont venues de Floride. Et au total, nous sommes arrivés à l'identification d'une vingtaine d'enfants français et belges ».

Q :« Quelle a été la position des autorités judiciaires ? »

S. Garde : « Du côté de la justice la seule activité évidente a été de dire : les mamans qui ont reconnu leurs enfants se trompent. Nous avons même pu constater que des mensonges ont été distillés à la presse. Il y a eu une véritable pratique de désinformation.

Je sais que ce que je dis est grave, mais j'affirme que le parquet de Paris a pratiqué la désinformation en lançant, via les agences de presse, des informations fausses en accréditant l'idée que les parents ayant identifié un enfant sur le fichier s'étaient trompés.

Nous avons même vu une intervention du substitut du procureur des mineurs à Paris, Yvon Tallec, qui devant les caméras de France 2, au cours d'un journal télévisé, a eu une déclaration incroyable.

Il affirmait qu'il fallait minimiser cette affaire du CD-Rom pédocriminel. Et, pour motiver ses propos, il a avancé trois raisons : la première raison étant que les documents contenus sur le CD-Rom seraient des documents anciens. Or, comment peut-on juger à partir d'une photo d'un visage d'enfant s'il s'agit d'une image ancienne ou récente ? Et, même s'il s'agissait d'images anciennes, on est dans le domaine du crime sexuel et la prescription du crime n'intervient que dix ans après la majorité légale de la victime ! C'est-à-dire que les nourrissons qui sont violés, comme c'est le cas de ceux que nous voyons sur le CD-Rom, pourront porter plainte jusqu'à leur vingt-huitième anniversaire.

La seconde raison évoquée par ce magistrat est, elle aussi, aussi incroyable que la première. Il affirme qu'il n'y aurait quasiment pas d'enfants français sur ce fichier. Or, je souhaite qu'un magistrat puisse me dire, sur la base de ces photos, quel enfant est ou n'est pas français. C'est complètement aberrant !

La troisième raison invoquée sidère tout le monde. Il affirme que les images d'enfants photographiés sur le CD-Rom proviennent en réalité de certaines revues, et que les enfants étaient consentants, ou que leurs parents l'étaient. Nous sommes donc confrontés à un magistrat, qui sur Paris a le pouvoir de procéder à un classement sans suite, et qui nous dit en substance que, dans ce cas de proxénétisme, il n'y aurait aucun problème dès lors que les parents seraient consentants ! Si nous le comprenons bien, ce magistrat nous explique que si un enfant dit « oui » il n'y a pas de viol.

Effectivement, si l'on adopte ce point de vue, on comprend pourquoi Paris est une des régions de France où les classements sans suite et les non-lieux dans ce type de crime sont les plus fréquents. Quand nous avons compris comment la justice parisienne commençait ses investigations sur l'affaire du CD-Rom, nous nous sommes rendu compte qu'on allait vers l'étouffement de l'affaire. C'est pour cela que nous avons poursuivi notre travail d'investigation et que nous avons écrit ce livre ».

Q : « Pourquoi la rédaction de ce livre ? »

S. Garde : « Pour informer. Pour vous alerter. Pour dire à ceux qui partagent la responsabilité de la situation actuelle, que nous ne sommes plus dupes. Et que l'ère de l'impunité de la pédocriminalité organisée est en passe de s'achever. Ce qui va être déterminant, c'est le poids de l'opinion publique. Votre intervention en tant que citoyenne et que citoyen. Ce livre participe à ce vaste débat. Il ne nous appartient pas d'apprécier l'importance de cette contribution. Simplement, ce livre, nous devions l'écrire, pour ne pas payer, nous aussi, notre dîme à l'insouciance tranquille et complice du silence ».

Q : « Suite à la publication de votre livre et des articles, avec Laurence Beneux, quelles ont été les répercussions sur votre vie ? »

S. Garde : « J'ai été menacé. Des menaces de mort. Au moment de la sortie du livre. J'interprète cela comme des pressions, des tentatives de vouloir m'empêcher de faire mon travail, on veut me faire peur, me déstabiliser. Je pars du principe que si un jour on voulait m'abattre, on ne me préviendrait pas à l'avance. Je travaille en réseau avec d'autres journalistes. C'est la meilleure protection.Par ailleurs, deux procès en diffamation nous ont été intentés à la suite de la parution du livre.

En publiant nos articles, nous avons sous-estimé plusieurs facteurs. Nous avons également mal évalué la difficulté pour des magistrats d'appréhender la complexité d'un réseau criminel, qu'il soit pédosexuel ou financier.De même, nous n'avions pas perçu le dogme qui règne dans de nombreux palais de justice : celui de l'inexistence de la prostitution organisée des mineurs. Enfin, et cela, nous aurions dû y penser, l'affaire du CD-Rom avait peu de chance d'être prise en compte en France, puisque le document était d'origine étrangère. Une tare pour des administrations débordées qui ne supportent pas que l'on importe un dossier. Encore moins quand il risque de les mettre en porte à faux. Quant à nous, nous devenions, de fait, les passeurs d'un immigré clandestin particulièrement indésirable : un CD-Rom ».

Q :« Selon vous, pour quelle raison la justice éprouve des difficultés à admettre l'existence des réseaux pédocriminels? »

S. Garde : « Je reste convaincu que la pédocriminalité est niée parce qu'elle est invisible. La justice française est habituée à traiter d'abord la criminalité visible, celle qui crée un trouble à l'ordre public. Dans le cas de viols d'enfants, c'est invisible, et le scandale ne va apparaître que lorsqu'il y a le dépôt de la plainte, et que le juge va faire son travail. C'est le juge qui va devenir le vecteur du scandale et ils ne le supportent pas ; ils sont là pour rétablir l'ordre lorsque l'ordre public est troublé par un scandale. La tendance générale de la Justice en France c'est de minimiser ce qui n'est pas visible. C'est valable pour les viols d'enfants, comme pour la délinquance économique. D'autres phénomènes vont jouer et vont conduire à l'étouffement de ces plaintes ».

* 440Cour suprême, Schenk c/ United States, 9 janvier 1919 - 249 U.S 47.52

* 441Cour suprême, 30 juin 1971, New York Times Co c/ United States - 403 U.S 713. Les papiers du Pentagone est une expression populaire désignant 7 000 documents secret-défense émanant du département de la Défense à propos de l'implication politique et militaire des Etats-Unis dans la guerre du Viêt-Nam de 1945 à 1971. Les papiers révèlent que le gouvernement américain a délibérément étendu et intensifié la guerre du Viêt-Nam alors que le Président Lyndon Johnson avait promis de ne pas s'impliquer davantage dans le conflit. Daniel Ellsberg, l'un des rédacteurs de ce rapport, les avait photocopiés et offerts au New-York Time, qui les publiera en juin 1971. Le Président arrivera à obtenir de la Cour fédérale une injonction ordonnant l'arrêt de la publication sur le fondement de l'Espionnage Act. La Cour suprême va rappeler avec force la liberté de la presse même en présence d'une question de sécurité nationale. On peut se demander pourquoi cette décision n'a pas été appliquée à certainswhistleblowers.

* 442Edward Snowden (poursuivi sur le fondement de l'Espionnage Act), Thomas Drake, (ancien agent de la NSA, qui a révélé la mauvaise gestion des écoutes, a été poursuivi sur le même fondement), le soldat Manning (poursuivit sur le fondement de l'Espionnage Act, pour avoir fourni à Wikileaks des documents classés, a été condamné à trente-cinq d'emprisonnement) et John Kiriakou (ancien agent de la CIA qui a révélé publiquement l'usage de la torture pendant les interrogatoires, en particulier le « waterboarding », et qui fut poursuivi et condamné sur le fondement de l'Intelligence Identity Protection Act à deux ans d'emprisonnement).

* 443Voir : S. GARDE et L. BENEUX, Le Livre de la honte : les réseaux pédophiles, Le Cherche-Midi, 12 octobre 2001, p.200

* 444 KARL ZÉRO et SERGE GARDE, « Les fichiers de la honte », film documentaire sur RMC Découvertes, première diffusion le 26 mai 2010, durée de 1h31mn (propos de Yvon Tallec qu'on retrouve à la 27mn et 44s). https://www.youtube.com/watch?v=0lRLztD1SEs

* 445Alors que Juan Miguel Petit, rapporteur spécial de l'ONU sur la vente d'enfants, la prostitution et la pornographie impliquant des enfants, avait, en novembre 2002, remis un rapport très sévère sur la manière dont la justice française aborde les affaires de pédophilie. Il avait pointé du doigt les carences de la justice qui se refuse à enquêter sur la piste d'un réseau.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984