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Le prosélytisme et la liberté religieuse à  travers le droit franco grec et la CEDH

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par Hatem Hsaini
Université Panthéon Sorbonne (Paris 1) - Master Droit public comparé 2002
  

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Je tiens à remercier Monsieur le Professeur Mathieu et Monsieur Chaouche pour l'aide qu'ils m'ont apporté pour la rédaction de ce mémoire.

Je dédie ce mémoire à ma mère, à mon père, à Antonia et Katerina XouXoulidaki.

Principales abréviations

I- Juridictions.

CAA : Arrêt de cour administrative d'appel

CC : Décision du Conseil constitutionnel

CE : Arrêt du Conseil d'État (sous section)

CE Ass. : Arrêt du Conseil d'État (assemblée du contentieux)

CE sect. : Arrêt du Conseil d'État (section du contentieux)

Concl. : Conclusions

ComEDH : Commission européenne des droits de l'homme

CourEDH : Arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme

TA : Jugement du tribunal administratif

II- Textes

CEDH : Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme

DUDH : Déclaration Universelle des droits de l'homme

DADH : Déclaration Américaine des droits de l'homme

Comm. : Commission européenne

III- Périodiques

AJDA : L'Actualité Juridique. Droit administratif

D. : Recueil Dalloz

DA: Droit administratif

Gaz. Pal.: Gazette du Palais

JCl. Adm : Juris-Classeur droit administratif

JCP : La Semaine juridique

JDI : Journal de droit international

JO : Journal Officiel de la République française

JT : Journal des tribunaux

JTDE : Journal des tribunaux européens

LPA : Les Petites affiches

Mél. : Mélanges

PUF : Presses Universitaires de France

Quot. Jur. : Le Quotidien juridique

Rev. adm. : La Revue administrative

RDL : Revue de droit local

RDP : Revue de droit public et de science politique

Rec. : Recueil Lebon

RFDA : Revue Française de droit administratif

RFDC : Revue française de droit constitutionnel

RFSP : Revue française du Service Public

RIDC : Revue internationale de droit comparé

RTDH : Revue trimestrielle des droits de l'homme

RUDH : Revue universelle des droits de l'homme

RSMP : Revue des sciences morales et politiques

IV- Divers

p. : page

Éd. : édition

Comm. : commentaire

Requ. : requête

c/ : contre

Sommaire

Introduction 11

PARTIE I- Le prosélytisme comme manifestation extérieure de

la liberté religieuse 20

Titre I- Le fondement juridique du prosélytisme 21

Chapitre I- La liberté religieuse comme fondement juridique 22

du prosélytisme

Section I- Une reconnaissance par voie interprétative du prosélytisme religieux 22

§ I- Le prosélytisme à travers les droits nationaux : une approche divergente 22

A- Le cas du droit français 22

B- Le cas du droit grec 24

§ II- Le prosélytisme et la Convention européenne des droits de l'homme 26

A- Les articles garantissant la liberté religieuse 27

B- La jurisprudence de la CEDH en matière de prosélytisme 28

Section II - Les bénéficiaires de cette garantie juridique 31

§ I -Un droit de tous les hommes ? 31

A- La situation des mineurs au regard du bénéfice 32

du droit à la liberté de religion

B- Prise en compte des seules activités 33

religieuses des groupements religieux

C- Le cas des personnes en détention 33

§ II- La situation des groupements religieux 34

A- Recevabilité des requêtes formulées par 35

les seuls groupements religieux

B- Prise en compte des seules activités 35

religieuses des groupements religieux

Chapitre II- La Commission et la Cour européenne des droits de l'homme 37

rempart quant aux ingérences étatiques en matière de liberté religieuse.

Section I- L'abus de droit et le contrôle de légalité 37

§ I- L'abus de droit 37

A- La notion d'abus de droit 38

B- L'abus de droit dans la Convention européenne 39

des droits de l'homme

§ II- Le principe de légalité 39

A- Existence de la loi 39

B- La qualité de la loi 40

Section II- Le contrôle du caractère raisonnable des 40

mesures portant atteinte à la liberté religieuse

§ I- Application automatique de la Cour européenne des droit 41

de l'homme de la proportionnalité aux interventions étatiques

en matière de liberté religieuse.

§ II- Evaluation de la protection de la liberté religieuse 42

Titre II- Les implications du prosélytisme « religieux  45

Chapitre I- Le prosélytisme en tant que droit de manifester sa religion 46

Section I- Le culte et les rites 46

§ I- Des manifestations a priori paisibles 47

A- La Commission évite de se prononcer clairement 47

sur la nature de la manifestation

B- Des manifestations sous contrôle 48

§ II- Controverse quant au cadre de ces manifestations 49

A- L'exercice de la liberté de religion 49

individuellement ou collectivement

B- Réticence du droit grec quant à la liberté cultuelle 50

Section II- Les manifestations plus ambiguës 51

§ I- L'enseignement 51

A- La forme de l'enseignement 52

B- L'enseignement en vue de la conversion : composante du prosélytisme

§ II- Le prosélytisme, manifestation complexe des convictions religieuses 54

A- Le silence de la Cour quant à la nature de la prédication 54

B- La prédication : une manifestation de la religion 55

garantie au même titre que le culte ou les rites ?

Chapitre II- Le prosélytisme comme support au principe du libre choix de 57

sa religion

Section I- Le principe du libre choix de sa religion 57

§ I- Prédétermination de la religion originaire de chaque homme 57

A- Affirmation de ce droit par la Convention 58

B- Le contenu de ce droit 58

§ II- Le droit de se convertir 59

A- Un doit implicite 59

B- Une réticence du droit grec quant à l'effectivité de ce droit 60

Section II- L'exercice du droit de changer de religion 60

§ I- Liberté de tout homme d'accéder aux informations lui permettant 61

de changer de religion.

§ II- La neutralité de l'Etat 62

PARTIE II- Le prosélytisme comme menace 64

à la liberté religieuse

Titre I- Les limites classiques du prosélytisme 65

Chapitre I- Prohibition unanime d'un prosélytisme abusif 66

Section I- Le prosélytisme ne peut porter atteinte aux exigences 66

de la stabilité de la vie sociale

§ I- Le maintien de l'ordre 67

§ II-- L'hygiène et la santé publique 67

Section II- Le prosélytisme doit respecter l'harmonie des rapports sociaux 68

§ I- Le respect des droits et libertés d'autrui 69

A- Le respect des droits et libertés d'autrui 69

dans les rapports familiaux

B- Le respect des convictions d'autrui 71

§ II- Le prosélytisme abusif : une atteinte aux droits de l'homme 73

A- L'endoctrinement et la manipulation mentale 73

B- Le prosélytisme abusif support de la haine et 74

de la provocation religieuse

Chapitre II- Les sanctions pénales d'un prosélytisme abusif 76

Section I- Le prosélytisme abusif, non exclusif de responsabilité pénale 76

§ I- L'imputabilité du prosélytisme abusif 76

A- La religion, non privative de lucidité 77

B- La religion, non privative de liberté 77

§ II- la criminalité du prosélytisme abusif 78

A- L'ordre religieux, non justificatif 78

B- La nécessité religieuse, exclusive de justification 79

Section II- Le prosélytisme abusif, non exclusif de sanction pénale 80

§ I- La qualification pénale du prosélytisme abusif 80

§ II- La répression pénale du prosélytisme abusif 81

A- L'inaction des victimes de faits religieux 81

B- La peine du fait religieux délictueux 82

Titre II- Les nouveaux défis de l'Europe en matière religieuse 84

Chapitre I- La problématique de l'expression de la liberté 85

religieuse par le biais de signes religieux

Section I- L'interdiction du port de signes religieux par les élèves 85

§ I- La notion de signe religieux. 85

§ II- Interdiction du signe religieux. 89

Section II- Le contrôle juridictionnel 90

§ I- Les mesures d'ordre intérieur, support de la prohibition 90

§ II- L'appréciation des situations au cas par cas et ses limites 92

Chapitre II- Les sectes : un phénomène transnational

95

Section I- Nécessité d'adopter une législation relative aux sectes 95

§ I- Les mouvements dits sectaires : mouvements religieux 95

§ II- Les mesures législatives luttant contre les sectes 96

Section II- La position de la Commission et de la Cour face à ces nouveaux 97

mouvements religieux.

§ I- Absence de distinction entre religion traditionnelle et 97

nouveaux groupements religieux

§ II- Conformité des législations nationales spécifiques aux 99

nouveaux groupement au regard de la Commission et de

la jurisprudence de la Cour.

Conclusion 101

Annexes 102

INTRODUCTION

L'Homme a toujours eu besoin de croire, d'accomplir des rituels et d'exprimer de la manière la plus libérale ses convictions religieuses. La religion n'est-elle pas finalement inhérente à la nature humaine ?

Cependant, la liberté de religion dérange. Personne n'y trouve son compte, surtout pas les croyants eux-mêmes, ni les Eglises. En effet, l'expression renvoie inévitablement à une pluralité des religions, affirmant, chacune détenir la vérité absolue avec plus ou moins de bonne foi et de tolérance1(*).

Cela est d'autant vrai que dans certaines parties du monde le message religieux est récupéré à des fins politiques ou bien par l'Etat lui-même ou encore par des entités non-étatiques. L'école est mobilisée ainsi  « en vue d'assurer la prévalence de la religion, au besoin en dispensant une formation militaire ou paramilitaire. Les lieux de culte peuvent servir de lieux d'orientation, de mobilisation et d'encadrement des fidèles, afin que rien dans la vie sociale et politique n'échappe à l'emprise de la religion »2(*)

Avant même de rentrer dans le coeur de cette étude, il est fondamental de délimiter le champ de notre analyse. En effet, il faut d'emblée définir les termes du sujet.

Pour cerner ce que recouvre la liberté religieuse, encore faut-il savoir ce que signifie le mot religion.

La religion n'est pas définie par la loi française, puisque la loi du 9 décembre 1905 se borne à décrire les associations cultuelles comme « des associations formées pour subvenir aux frais, à l'entretien et à l'exercice public d'un culte » (article 18) sans pour autant indiquer ce que recouvre le terme de culte. A défaut du législateur, il revient aux juridictions administratives et judiciaires, chargées de mettre en oeuvre le principe de laïcité, de définir la religion. On peut citer, un arrêt de la Cour d'appel de Lyon qui donne une définition de la religion ; cette dernière déclare je cite : «dans la mesure où une religion peut se définir par la coïncidence de deux éléments, un élément objectif, l'existence d'une communauté même réduite et un élément subjectif, une foi commune (...) »3(*), la religion suppose alors une communauté et une foi commune.

Pour la Grèce, c'est la doctrine qui a définit la religion, comme étant la conception de la personne en ce qui concerne Dieu et il s'agit d'une conception métaphysique4(*),

Enfin on peut également définir la religion comme étant le fait d'unir et de relier (religare), de former et de structurer une communauté. On sait d'ailleurs que, pour E. Durkheim, le fait religieux ne consiste en rien d'autre qu'en un mouvement d'hypostase ou de sacralisation du corps social lui-même, tendant à lui permettre de fonctionner et de croître en plaçant sous une autorité sacrées les lois mêmes de la vie commune5(*).

D'un point de vue subjectif, c'est un hommage intérieur d'adoration, de soumission ou encore d'amour à l'égard de Dieu ou du divin. Et objectivement, le terme évoque une institution particulière, une organisation sociale hiérarchisée, avec son code, ses traditions, dont l'objet est de rendre à Dieu l'honneur qu'il lui est du.

Enfin, on peut également définir le terme de conviction religieuse, pour la Commission le mot conviction n'est pas synonyme des termes opinions et idées, il s'applique à des vues atteignant un certain degré de force, de sérieux, de cohérence et d'importance.

La liberté religieuse serait alors ce droit à la liberté du choix de sa religion, le droit de choisir et d'exprimer librement ce choix religieux ou ces convictions religieuses.

Mais cette liberté religieuse implique également le droit de manifester en public ou en privé sa religion et négativement le droit de changer ou de n'adhérer à aucune religion ou conviction religieuse et cela dans le dessein de plaire à Dieu ou à une Puissance supérieure à l'homme.

Quant au prosélytisme, historiquement, il se réfère aux païens convertis au Judaïsme et s'assimile à la transmission du savoir religieux en vue de la conversion d'autrui.

Concernant cette notion, seul le droit grec la définit. Il s' agit certes, d' une définition pénale, aussi aux termes de l' article 4 de la loi 1363/ 1938, modifiée par l' article 2 de la loi 1672/1939, on peut capter certains éléments du prosélytisme, ainsi, « le prosélytisme, est toute tentative directe ou indirecte de pénétrer dans la conscience religieuse d'une personne de confession différente dans le but d'en modifier le contenu, soit par toute sorte de prestations ou promesse de prestation ou de secours moral ou matériel, soit par des moyens frauduleux , soit en abusant de son inexpérience ou de sa confiance, soit en profitant de son besoin, sa faiblesse intellectuelle ou sa naïveté»6(*).

En réalité, le prosélytisme peut prendre deux formes : il peut s'agir de la prédication, de l'évangélisation ou du catéchisme, mais négativement il peut être tromperie, propagande ou encore provocation marketing. Ainsi, se caractérise sa nature ambivalente.

Les degrés de tolérance d'une pratique religieuse et sa place au sein d'une société sont intimement liées aux types de relations qu'on pu entretenir l'Église et l'État. En effet, il s'agit d'un constat territorialement universel : les rapports institués entre l'État et une religion déterminée tenue comme traditionnelle ne sont pas sans exercer quelques actions sur la situation faite à la liberté religieuse et à ses manifestations.

En France, il faut se référer à la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 proclamait la liberté de conscience (art.10) et à la constitution de 1791 (titre 1) garantissant le libre exercice des cultes. Pourtant les constituants n'entendaient pas rompre avec un système dans lequel l'Église dépendait du pouvoir civil. Le décret du 2 novembre 1789 décidait de la nationalisation des biens du clergé et en contre partie l'État prenait en charge les frais du clergé et de ses ministres. Progressivement, le régime de la Convention surtout sous la terreur (mai 1793-juillet 1794) mena une politique de déchristianisation systématique. Le décret du 21 février 1795 établissait un régime de séparation des églises et de l'État tout en affirmant le principe du libre exercice des cultes. La république n'en salariait aucun, ne fournissait aucun local, reconnaissait aucun ministre du culte.

Cependant, Bonaparte rétablit une certaine paix religieuse en négociant avec Pie VII un concordat, signé le 15 juillet 1801(26 Messidor an IX). Ce texte prévoit d'une part,

le rapport entre Église et État et ils permettent d'autre part aux autorités civiles d'exercer un étroit contrôle policier sur les ministres des cultes et sur le déroulement de la vie religieuse.

Il faut noter que cette législation concordataire s'appliqua dans des contextes politiques très divers. Gouvernement favorable ou défavorable à l'Église catholique ou à tout autre religion, se succédaient à un rythme rapide. On peut dire que l'Église joua un rôle fondamental dans la vie politique.

A partir de la monarchie de juillet (1830), deux groupes vont s'affronter et donner lieu à deux courants : d'une part, les partisans de l'ordre traditionnel, d'une société renouant avec l'ancien régime et par conséquent défenseurs des cléricales et d'autre part, ceux qui soutenaient un ordre nouveau notamment certaines valeurs dégagées par la révolution de 1789 (comme l'opposition a l'Église catholique et a son clergé).

Lorsque à partir de 1879/1880 les républicains ont pris le pouvoir, ils estimèrent que le régime républicain était incompatible avec le maintien d'une Église forte d'où la mise en place de lois répondant à ce principe d'incompatibilité. Cela a évidemment entraîné la rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège en 1904.

Dans cette logique d'affrontement entre l'Église et l'État fut voter la loi du 9 décembre 1905, instaurant en France le régime de Séparation des Églises et de l'État qui d'ailleurs constitue le régime actuel. Ainsi, la Loi de 1905 pose les principes de base. De fait, la constitution de 1958 ne fixe pas le régime constitutionnel des églises, et ne contient que deux dispositions concernant directement ou non, le statut des églises.7(*) Ces sources constitutionnelles sont fondamentales car elles fondent le régime de neutralité de l'État, qualifié aussi d'État laïque.

Finalement, si on veut résumer la situation de la France on peut se référer à Monsieur Jacques Robert. Ce dernier a retracé la typologie entre État et églises en distinguant trois systèmes de relations entre l'autorité étatique et puissance religieuse8(*).

D'abord, la confusion entre religion et état, dans lequel autorité politique et autorité religieuse se fondent entre les mains d'un même chef.

Ensuite, on trouve l'union entre l'État et la religion qui se manifeste par une collaboration entre les deux autorités, orchestrée par un partage de compétence.

Enfin, la séparation traduite par la non-intervention de l'État dans les questions religieuses compensée par l'effacement de l'autorité religieuse du domaine politique.

Pour la Grèce la situation est différente, les rapports Etat-Eglise est appelé, dans la littérature grecque moderne, système « de la prépondérance de l'État conformément à la loi »9(*). L'Etat dispose du droit, accordé par la constitution, de régler au moyen d'une loi toutes les matières administratives de l'église, même celles présentant une nature interne. Après la prise de Constantinople (1453), le cadre institutionnel a changé. Le sultan Mehmet II va octroyer des pouvoirs politiques à l'église, de sorte que le patriarche était le responsable devant l'autorité ottomane des actes des chrétiens orthodoxes envers le pouvoir de l'État.

Durant l'insurrection de 1821, un système différent de relations a été établi. Les constitutions insurgées établissaient la religion de l'Église orthodoxe orientale comme « dominante » ou « religion d'État »10(*) et assuraient aux membres des autres confessions et tendances religieuses la libre pratique de leur religion. Les constitutions du temps de l'insurrection ne contenaient aucune disposition relative au droit de l'État de légiférer en matière ecclésiastique. En 1821, les grandes puissances ont imposé le régime de la monarchie absolue en Grèce, et le prince de Bavière comme roi du pays.

En 1833, une ordonnance va être publiée, en vertu de laquelle fut établi le système « de la prépondérance de l'État conformément à la loi » et portant indépendance de l'Église grecque, l'État devenait l'autorité législative exclusive pour tout ce qui concernait l'Église. Cette dernière était alors directement soumise au souverain, instance suprême des questions administratives de l'Église.

Du point de vue constitutionnel, on rencontre ce système pour la première fois dans la constitution de 1844, dont l'article 105 contenait une disposition relative aux administratives de l'Église que l'État pouvait régler au moyen d'une loi.

L'introduction de ce nouveau cadre de rapport en 1833 est due à Georg Ludwing von Mauer, membre de la régence et éminent juriste. La Grèce moderne doit à Mauer une oeuvre de codification particulièrement importante.

Les dispositions de la constitution de 1844 concernant la « prépondérance de l'État conformément à la loi » n'ont pas été reprises dans la constitution de 1864, 1911, 1927 et 1952. Cette absence de reprise ne signifie pas pour autant que le système en question n'était plus en vigueur.

Une disposition relative au sujet existait dans les Chartes statutaires correspondantes de l'Église, qui était des lois de l'État. Cette disposition est seulement réapparue dans le texte constitutionnel (1968) au cours de la dictature militaire. L'article 1 paragraphe 5 prévoyait que nul projet ou proposition de loi, concernant l'organisation et l'administration de l'Église, ne serait discuté sans consultation du Saint-synode, sauf après expiration d'un délai de vingt jours sans que cette consultation soit présentée. L'article 72 paragraphe 1 de la constitution de 1975, actuellement en vigueur, comprend également une disposition similaire : les projets et propositions de loi portant sur les matières visées à l'article 3 (position juridique de l'Église orthodoxe) et 13 (liberté de culte) sont uniquement discutés en assemblée plénière du Parlement et non pas dans ses sections d'été11(*).

Finalement nous pouvons synthétiser cette relation Église-État, on nous référons à Alban Doudelet qui écrivait :«les constituants grecs du 19e siècle ont pensé rétablir l'idéal byzantin de coopération entre l'Église et l'État, mais les modèles russes et bavarois, qui ont effectivement prévalu, ont instauré une subordination de l'Église à l'État, il a fallu attendre la Constitution de 1975 et la loi organique de 1977 pour voir l'administration de l'Église libérée de l'État : la situation actuelle conjugue une indépendance mutuelle et une collaboration traditionnelle(....), malgré les situations de conflit ou de concurrence entre les deux institutions »12(*).

On peut d'ores et déjà relever une différence entre la France et la Grèce et qui a toute son importance. En France, c'est un système ou l'État ignore l'Église alors que pour l'État hellénique il y a une sorte de coopération voire une protection de l'Église orthodoxe. La religion orthodoxe est non seulement la religion dominante mais elle prédomine sur toute les autres, en d'autres termes elle est privilégiée. Cette différence démontre que la république grecque et française bien qu'elles proclament toutes deux la liberté religieuse (article 13 de la Constitution hellénique et les articles 1 et 2 d'une loi de 1905 à valeur constitutionnelle en France), elles n'abordent pas de la même manière le phénomène religieux.

La liberté religieuse et le prosélytisme à travers le droit franco-hellénique et la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) présente plusieurs intérêts :

Concernant tout d'abord le choix de la comparaison entre la France, la Grèce et la CEDH, cela tient à plusieurs raisons.

En effet, la France est un Etat laïque et la Grèce un Etat « confessionnel », où il existe une religion d'Etat. Par conséquent, il est intéressant d'analyser la position de l'Etat face à la liberté religieuse mais aussi à l'égard du prosélytisme.

Quant à la Convention européenne des droits de l'homme, cette dernière constitue le modèle le plus accompli en matière de protection des droits de l'homme et de ce fait il est nécessaire d'étudier la position de la convention européenne et de la cour européenne des droits de l'homme en matière de garantie des droits fondamentaux.

Par ailleurs, depuis quelques décennies, nous assistant à une évolution de la religion. De même que le prosélytisme religieux connaît aujourd'hui des développements qui dépassent l'analyse juridique. En réalité, il traduit une crise de légitimité des mécanismes traditionnels de transmission des croyances religieuses.

Actuellement, l'exercice de la liberté religieuse ne se limite plus au catéchisme ou la cérémonie dominicale, mais plutôt par des actions religieuses dont l'objet est de rencontrer les personnes afin de leur prêcher la parole évangélique et cela par tous les moyens de communications. Les mouvements religieux minoritaires bousculent les monopoles institutionnels des églises dominantes et de ce fait ils portent directement atteinte à la vision hégémonique et ethnocentrique des groupements religieux majoritaires13(*).Ainsi, il intéressant d'examiner comment le droit franco-hellénique et le droit européen a travers la CEDH appréhende ce phénomène.

D'autre part, il est fondamental de préciser et d'analyser le prosélytisme qui repose sur une vision infantilisée du public destinée souvent a dévalorisé l'action d'autrui. Or, en dépit des apparences, il n'est pas prouvé que le récepteur du message religieux soit passif et insensible en raison du caractère interactif et réciproque de la communication de tout message. Il serait extrêmement réducteur de supposer bénéfique la transmission des croyances spirituelles par les groupes religieux majoritaires et dangereuses l'action des mouvements minoritaires. D'autant plus que tout mécanisme de communication est intrinsèquement manipulatoire en ce sens qu il implique une réaction souhaitée conforme par l'auteur du message. Si le droit hellénique à l'instar du droit français, affirme la liberté religieuse, concernant l'exercice de la liberté d'expression religieuse, on ne peut pas dire que l'État grec facilite cette dernière, d'ailleurs la Grèce est le seul pays européen qui prévoit le délit de prosélytisme.

Enfin, par l'étude du prosélytisme, c'est la question de la tolérance religieuse qui est en jeu. En effet, nous pouvons dire que l'espace européen est une zone de liberté et de droit. Mais qu'on est-il du degré de cette liberté religieuse, cette dernière n'est-elle pas sujette à la manière dont l'État organise sa relation avec l'Église ? La France a opté pour un modèle laïc ou l'Etat ne s'émisse pas dans les affaires de l'Église, il ignore cette dernière. En Grèce, la situation est tout autre, la religion orthodoxe est omniprésente et surtout elle exerce une pression extraordinaire sur le pouvoir politique, au point que le Patriarche devient une figure non plus seulement religieuse mais également politique. Mais par le biais notamment des exigences de la Convention européenne en matière de liberté religieuse et l'appartenance de la Grèce a l'Union européenne, une évolution a été amorcée dans le traitement des questions relatives à la religion et des opinions se font de plus en plus insistantes sur la nécessité d'exclure l'Église de la sphère politique. Peut-on dire alors que le modèle de la « laïcité a la française » tend a influencer le droit hellénique ?

La problématique du prosélytisme tient à son articulation avec la liberté religieuse ainsi garantie par les législations franco-grecque et la convention européenne des droits de l'homme.

En d'autres termes, doit-on voir dans le prosélytisme, la manifestation extérieure de la liberté religieuse en tant que liberté fondamentale ou alors considérer que le prosélytisme est intentatoire à la liberté religieuse et de ce fait il doit être réprimé afin de préserver l'effectivité de la liberté religieuse ?

Pour répondre à cette question, il est intéressant de confronter l'approche du droit grec avec celle du droit français afin de savoir s'il existe une convergence ou une divergence de position. Mais aussi examiner la position de la CEDH en tant qu'instrument de protection de la liberté religieuse.

On peut d'ores et déjà dire, que la liberté d'exprimer ses convictions en matière religieuse est étroitement contrôlée en Grèce, ce qui n'est pas le cas en France. De plus en matière de liberté de culte, l'État grec la restreint ouvertement, par le biais d'une disposition constitutionnelle (article 13§2) : en effet cette liberté n'est accordée qu'à la religion dominante et aux culte connus, ce qui traduit une discrimination à l'égard des cultes non connus. Néanmoins à partir du moment où les religions sont dominantes ou connues en Grèce, on peu considérer que l'organisation de leur culte connaît une réglementation similaire à la législation française : les manifestations du culte se déroule librement, sous la condition expresse de ne pas contrarier l'ordre public, dont l'État et les autorités publiques sont garants.

Ces remarques préliminaires étant faites nous aborderons notre étude à travers deux parties : le prosélytisme comme manifestation extérieure de la liberté religieuse d'une part (1er Partie), le prosélytisme comme menace à la liberté religieuse d'autre part ( 2e Partie).

1er Partie : Le prosélytisme comme manifestation extérieure de la liberté religieuse.

2e Partie : Le prosélytisme comme menace à la liberté religieuse

* 1 Gérard Gonzalez, la Convention européenne des droits de l'homme et la liberté des religions, Centre d'Etudes et de Recherches Internationale et Communautaires, Université d'Aix-Marseille III, éd. Economica, Paris, 1997, p.5.

* 2 A. Amor, Rapporteur spécial, rapport sur « l'application de la Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérances et de discriminations fondées sur la religion ou la conviction », N.U ; doc. E/CN.4/1997/91, § 85.

* 3 Arrêt de la Cour d'appel de Lyon, 28 juillet 1997, JCP G 1998, II, 10025, note M.R Renard.

* 4 Paroula Peraki, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme relative a la protection de la liberté religieuse en Grèce, in Revue hellénique de droit européen, octobre-décembre 1999, p.790.

* 5 J.F. Collange, la liberté de croyance dans la pensée religieuse, in Publications de l'institut des droits de l'homme, la protection internationale de la liberté religieuse, éd. Bruylant, Bruxelles, 2002, pp. 1-2.

* 6 Charalambos Papastathis, Etat et Eglise en Grèce, in Etat et Eglises dans l'Union européenne, Nomos Verlagsgesellschaft (Baden-Baden), 1997, p.90.

* 7 Le préambule se réfère expressément à la déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et au préambule de la Constitution de 1946 garantissant la liberté de conscience.

L'article 2 prévoit que la république «  ... assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

* 8 J.Robert, la liberté religieuse et le régime des cultes, éd. PUF, Paris, 1997, p 17

* 9 Charalambos Papastathis, Etat et Eglise en Grèce, précité, p. 93.

* 10 Charalambos Papastathis, précité, p. 94.

* 11 . Charalambos Papastathis, précité, p. 93.

* 12 Alban Doudelet, les orthodoxes grecs, éd. Brepols, Paris, 1996, p. 119.

* 13 Alain Garay, liberté religieuse et prosélytisme : l'expérience européenne, Revue trimestrielle des droits de l'homme, numéro 17, 1 janvier 1994, éd. Bruylant, Bruxelles, p.8

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