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Le prosélytisme et la liberté religieuse à  travers le droit franco grec et la CEDH

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par Hatem Hsaini
Université Panthéon Sorbonne (Paris 1) - Master Droit public comparé 2002
  

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B- La jurisprudence de la CEDH en matière de prosélytisme.

On peut citer à titre d'illustration jurisprudentielle, deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, où il était question du prosélytisme et de la liberté religieuse.

Le premier arrêt, concerne l'affaire Kokkinakis c/ Grèce du 25 Mai 1993. A propos des faits, un homme de soixante-sept accompagné de son épouse, obtient paisiblement accès au domicile d'une habitante de Sitia (Crète) et quand la mari de celle-ci, chantre d'une église orthodoxe de la ville, entend que les visiteurs sont des témoins de Jéhovah présentant leur doctrine de leur confession, il avertit la police. Après avoir passé la nuit au commissariat, les deux contrevenants sont remis en liberté et poursuivis devant le tribunal correctionnel pour infraction à l'article 4 de la loi n 1363/1938, modifié par l'article 2 de la loi n 1672/1939, ayant institué et défini le délit de prosélytisme. Alors qu'ils sont tout deux condamnés par le premier juge, la cour d'appel de Crète acquitte l'épouse et condamne le mari a trois mois de prisons. Par un arrêt du 22 avril 1988, la cour de cassation rejette le pourvoi introduit par le condamné.

Devant la commission et ensuite devant la Cour européenne des droits de l'homme les deux principaux griefs dirigés contre la condamnation sont titrés de l'article 9 et de l'article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le premier garantit la liberté de religion et notamment « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement » ; l'interprétation donnée au second inclut le principe de la légalité des incriminations et des peines.

En ce qui concerne la violation alléguée de l'article 9, la Cour vérifie selon sa jurisprudence si l'ingérence dans la liberté garantie par le premier alinéa est justifiée en raison de l'exception portée l'alinéa 2, c'est-à-dire si elle satisfait à l'application cumulative des trois critères qui sont contenus : l'exigence de la légalité, la légitimité de l'objectif poursuivi et le respect du principe de proportionnalité.

Sur le premier point il y a lieu de distinguer trois aspects. Il n'est pas douteux que les juridictions grecques ont appliqué au requérant une disposition législative au sens formel. C'est toutefois un second point qui semble avoirs fait l'objet principal du débat devant la Cour : la qualification de prosélytisme n'est-elle pas trop vague et trop indéterminée pour satisfaire à l'exigence de légalité. Cette partie du grief aurait pu se conjuguer avec l'allégation de violation de l'article 7, toutefois, dans sa réponse à ce second grief la Cour renvoie à une partie de la motivation relative à l'article 9 (arrêt, §§ 40-41), et elle s'y borne à constater l'application constante que font les tribunaux grecs de la dispositions réprimant le délit de prosélytisme.

Si l'on remonte plus en avant dans la motivation de l'arrêt rapporté, là où la Cour européenne analyse la jurisprudence grecque en la matière (§§ 18-21), on s'aperçoit que l'incrimination du prosélytisme n'a jamais été appliquée que contre ceux qui s'efforçaient de convertir à leur foi des membres de l'Eglise orthodoxe grecque. Dés lors, le grief tiré de l'application conjuguée des articles 9 et 14 de la convention est écarté par le Cour d'une manière expéditive.

Le troisième aspect rencontré par la Cour à propos de la légalité de l'incrimination du prosélytisme a pour objet sa conformité à la constitution de l'Etat. Se référant sur ce point à un arrêt également relatif à la Grèce (arrêt du 16 décembre 1992, affaire Hadjianastassiou c/ la Grèce, § 42), la Cour se borne à constater qu'il appartient aux cours et tribunaux nationaux d'interpréter et d'appliquer le droit interne et, par conséquent, de se prononcer sur la constitutionnalité de la loi. Or, comme les juridictions grecques ont systématiquement rejeté l'exception d'inconstitutionnalité dirigée contre la loi sur le prosélytisme, la Cour estime devoir se rallier à cette évaluation.

Par ailleurs, la Cour concernant la violation du principe de proportionnalité, distingue « le témoignage chrétien du prosélytisme abusif », et elle ajoute que le premier « correspond à la vraie évangélisation » (§48). La question que l'on peut se poser quels sont les critères qui permettent de distinguer la vraie évangélisation par rapport à al fausse et appartient-il au juge laïc de se prononcer sur la « vérité » d'une évangélisation ? Et quelle est la confession, même dominante, qui ne recourt jamais à aucun des moyens ensuite dénoncés comme les caractères « du prosélytisme abusif », tels l'offre d'avantage matériels ou sociaux ou l'exercice d'une pression abusive sur des personnes en situation de détresse ou de besoin (§ 48)28(*)?

Bien que la Cour a condamné la Grèce, c'est évidemment la loi même réprimant le prosélytisme qui aurait dû être jugée contraire à l'article 9 de la Convention, ainsi que l'ont proposé le juge Pettiti dans son opinion partiellement concordante, le juge De Meyer dans son opinion partiellement concurrente et le juge Martens dans son opinion partiellement dissidente. Il y avait trois raisons pour ce faire : l'illégitimité de l'objectif poursuivi, liée au caractère discriminatoire de l'application que la loi avait, de manière très cohérente, reçue des tribunaux, ce but étant la protection de la seule église dominante, et le caractère à ce point vague de la qualification légale que, pour condamner le Grèce, la Cour en est réduite à relever « que les juridictions grecques établirent la responsabilité du requérant par des motifs qui se contentaient de reproduire les termes de l'article 4, sans préciser suffisamment en quoi le prévenu aurait essayer de convaincre son prochain par les moyens abusif » (§ 49). La définition énumérative du délit que contient l'article 4, alinéa 2, de la loi grecque indique clairement qu'il s'agit d'un délit d'opinion, comme tel incompatible avec l'article 9 de la Convention.

Enfin, l'incrimination pénale du prosélytisme porte atteinte à la liberté d'expression en matière religieuse. Elle se distingue nettement, et du pouvoir de l'Etat de reconnaître certains cultes ou leur réserver les avantages prévus par la loi, matière dans laquelle la jurisprudence du Conseil d'Etat en France a évolué dans un sens plus libéral.

Le second arrêt, traite du prosélytisme dans le cadre de l'armée.

En effet, dans cette affaire qui opposait monsieur Larissis et autres contre la Grèce, on peut noter deux differences essentielles avec l'affaire Kokkinakis : d'une part concernant Kokkinakis l'acte de prosélytisme émanait d'une personne civile, Témoin de Jéhovah, à l'encontre d'une personne civile, alors que dans l'affaire Larissis les actes de prosélytisme émanaient d'officiers de l'armée de l'air adeptes de l'Eglise pentecôtiste à l'égard de soldats et de civils. La Cour a pris d'ailleurs un grand soin pour présenter avec précision les faits tels qu'ils résultaient des décisions des tribunaux grecs29(*).

La question de la liberté de religion dans un milieu militaire avait été abordée dans l'affaire Kalaç c/ Turquie en 1997 sous l'angle de la discipline militaire (Journal de Droit International, 1998, page 204 et suivant). Elle se posait différemment dans l'affaire Larissis puisqu'il s'agissait de prosélytisme exercé par des militaires à l'égard d'autres militaires ou de civils. La cour a suivi en tous points la jurisprudence Kokkinakis en ce qui concerne l'existence d'une ingérence, prévue par la loi et poursuivant un but légitime, mais elle a introduit une distinction en ce qui concerne la nécessité de la mesure dans une société démocratique en prenant en compte la qualité des victimes du prosélytisme, selon qu'elles appartenaient ou n'appartenaient pas à l'armée. Sur ce point la Cour a affiné les analyses de la Commission.

En revanche, contrairement à la Commission, la Cour n'a pas tenu compte des impératifs de la discipline militaire pour juger de la légitimité du but poursuivi (maintien de la sécurité publique et protection de l'ordre).

La Cour rappelle que la Convention s'applique aussi bien aux militaires qu'aux civils, mais elle doit tenir compte des particularités de la condition militaire et notamment de la structure hiérarchique qui la caractérise. D'ailleurs, la Cour dit que « les discussions entre individus de grades inégaux sur la religion ou d'autres questions délicates ne tomberont pas toutes dans cette catégorie. Il reste que, si les circonstances l'exigent, les Etats peuvent être fondés à prendre des mesures particulières pour protéger les droits et libertés des subordonnées dans les forces armées » (arrêt, §51). La Cour se montre relativement sévère à l'encontre des militaires : bien qu'elle constate que rien n'indique que les requérants aient recouru à la menace, elle s'en remet essentiellement à l'appréciation des juridictions internes, ce que le juge Van Dijk lui reproche dans son opinion partiellement dissidente.

La Cour note également que « les mesures en question n'étaient pas particulièrement sévères et revêtaient un caractère plus préventif que répressif » (arrêt, §54) et elle en conclut qu'il n'y a pas eu violation en ce qui concerne le prosélytisme envers les soldats.

En revanche, la Cour constate une violation de l'article 9 en ce qui concerne le prosélytisme envers les civils car les requérants n'ont pas cherché à exercer des pressions sur eux. Le juge Valticos, considère pourtant que les sanctions prises à l'encontre des officiers étaient justifiées « car le prestige de l'uniforme a pu avoir un effet même à l'égard des civils ». Ce juge tient compte essentiellement de la qualité de l'auteur de l'acte de prosélytisme (militaire en l'espèce) alors que la Commission, et surtout la Cour, prennent en considération la qualité du destinataire (ou da la victime) de cet acte et font une claire distinction entre les deux30(*).

L'arrêt Larissis se situe ainsi dans la ligne de Kokkinakis et apporte d'utiles précisions en ce qui concerne la liberté de religion dans la société militaire, les officiers devant s'abstenir d'abuser de leur position pour faire du prosélytisme.

On peut toute fois se demander si la Cour n'aurait pas dû aller plus loin et s'interroger sur la compatibilité de la législation grecque en matière de prosélytisme avec la Convention. Le juge De Meyer, dans son opinion concordante, admet que les requérants ont abusé de leur position et de leur rang, mais il affirme que « la loi dont il s'agit en l'espèce est illégitime en son principe même, puisqu'elle porte directement atteinte à l'essence même de la liberté que doit avoir toute personne de manifester sa religion »31(*).

Finalement, à travers ces deux arrêts, deux conceptions s'affrontent, ceux qui sont pour le maintien de la loi grecque en matière de prosélytisme et les autres, qui veulent une abrogation de cette loi, car elle porte atteinte à la liberté religieuse.

En comparaison avec le droit français, il est évident, que le droit hellénique est atypique dans cette matière

La CEDH assure un standard minimum de protection, ensuite les Etats signataires ne doivent pas descendre en dessus de ce seuil minimum, mais le degrés de protection de la liberté religieuse en Grèce est très inférieure a celui de la France (nous développerons se point dans le chapitre II de notre première partie).

Quoi qu'il en soit, la liberté religieuse reste protégée, de ce fait il est intéressant de rechercher quels sont les bénéficiaires de cette protection.

* 28 F. Rigaux, l'incrimination de prosélytisme face à la liberté d'expression : observations sous arrêt Kokkinakis c/ Grèce, Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme, éd. Bruylant, Bruxelles, 1994, pp. 146-147.

* 29P.Tavernier, Larissis et autres c/ Grèce, Cour européenne des droit s de l'homme, arrêt du 24 février 1998, Journal du droit international, éd. Clunet, Paris, n 1du 1 janvier 1999, p.226.

* 30 P Tavernier, larissis et autres c/ Grèce, précité, p. 228.

* 31 P. Tavernier, larissis et autres c/ Grèce, précité, p. 229.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore