WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

( Télécharger le fichier original )
par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Paragraphe 2. Dans le Commonwealth

Le constitutionnalisme dans le Commonwealth713 est plus affirmé et manifesté qu?en Grande-Bretagne714. La Constitution y prend toute sa dimension tant sous l?angle matériel715 que formel. Les pays du Commonwealth sont, du moins dans leur essence, des Etats de droit constitutionnel (A) où la hiérarchie des normes est sanctionnée ouvertement par le juge (B).

A. L'Etat de droit constitutionnel

La Constitution forme dans les anciennes colonies britanniques, dont l?île Maurice, un bloc de normes suprêmes (a) et rigides (b).

a. La suprématie de la Constitution

Dans les nouveaux Etats du Commonwealth, la Constitution acquiert une dimension formelle et se distingue de la Constitution anglaise qualifiée de souple et non formelle. Le droit a gagné dans le Commonwealth une structure hiérarchique conformément à la doctrine de Hans Kelsen716. Les grands principes de la Common Law sont constitutionnalisés.

Norme Fondamentale, la Constitution doit être respectée par tous les pouvoirs publics. La pyramide des normes part de la Constitution et il importe

711 BELL John: «Le règne du droit et le règne du juge. Vers une interprétation substantielle de l?Etat de droit», pp. 15 à 28, in MELANGES EN L?HONNEUR DE GUY BRAIBANT: «L?Etat de droit», Dalloz, 1996, 817 p., v. p. 20.

712 CL: 1er mai 1974, Waddington c/ Miah, WLR, 1974, vol. 1, pp. 683 à 696, Lord Reid rédacteur de l'arrêt principal, v. p. 694.

713 MARSHALL Geoffrey: «Parliamentary sovereignty and the Commonwealth», Oxford, Clarendon Press, 1957, 277 p.

714 Historiquement, la suprématie constitutionnelle s?explique par le fait que les colonies anglaises avaient été fondées par des compagnies privées. Elles étaient administrées en conformité aux chartes octroyées par la Couronne. Ces chartes représentaient les premières constitutions et s?imposaient à ceux qui faisaient les lois dans les colonies.

715 La Constitution nigériane de 1959 constitue un nouveau type de Constitution octroyée par le Grande-Bretagne. Le champ constitutionnel est élargi. La Constitution n?est plus seulement un ensemble de règles portant sur les pouvoirs publics, mais comporte aussi un catalogue dynamique des droits fondamentaux.

716 KELSEN Hans: «Théorie pure du droit», (1960), Suisse, Edition de la Baconuière, 1988, 296 p., v. chapitre IX, p. 131 et s.

de vérifier la régularité de la Loi à son égard717. La Loi est création du droit vis- à-vis du règlement mais en est application vis-à-vis de la Constitution de sorte que celle-là est soumise à celle-ci. Pour être effective, la supériorité de la Constitution peut être vérifiée et les atteintes qui lui sont portées pourront être sanctionnées. Le contrôle de la constitutionnalité des normes, la Loi aussi bien que les règlements, est confié à l?organe juridictionnel. Les juges ont pour mission de rendre concrètes et faire appliquer les formules inévitablement vagues que comporte les Constitutions. De cette manière, les valeurs proclamées sont destinées à devenir des réalités politiques. En ce sens, la notion de l?Etat de droit constitutionnel dépasse celle de l?Etat légal.

b. La rigidité de la Norme Fondamentale

La rigidité des Constitutions dans le Commonwealth renforce leur suprématie. La Constitution ne peut pas être révisée par une loi ordinaire, comme c?est le cas théoriquement en Angleterre. La révision est un acte institué, prévu par la Constitution elle-même. Elle doit obéir à des règles précises de forme comme de fond718. En général, la procédure de révision prévue est largement dérogatoire à la procédure législative normale. Dans certains pays du Commonwealth, la révision ne peut intervenir qu?après l?expiration d?un certain délai entre la proposition de révision et le vote. Dans d?autres Etats du Commonwealth, la Loi constitutionnelle ne peut être adoptée qu?à une majorité renforcée ou qualifiée. Aussi, pour certaines révisions, l?adoption nécessaire du texte par référendum est prévue.

Davantage encore, la compétence du constituant dérivé ou constitué, par opposition au constituant originaire, n?est pas totale. Un noyau de dispositions ou de principes jugés intangibles sont soustraits à la révision. Il existe dans les Constitutions du Commonwealth un groupe de normes dites «supraconstitutionnelles»719 se rapportant à certaines valeurs, telles la séparation des pouvoirs, la démocratie ou encore la forme républicaine du gouvernement. Une hiérarchie des normes constitutionnelles a été opérée par le

717 La Constitution nigériane de 1959 dispose dans son article 5, alinéa 1er que toute loi contraire à la Constitution serait nulle. Cette disposition fondamentale est reprise par toutes les Constitutions octroyées par la Grande-Bretagne par la suite. V. article 2 de la Constitution de Maurice de 1968.

718 CJCP: 25 juillet 1967, Mohamed Samsudeen Kariapper c/ S. S. Wijesinha, WLR, 1967, vol. 3, pp. 1460 à 1476, affaire de Ceylan, Sir Douglas Menzies rédacteur de l'arrêt.

719 Sur le sujet en général v. ARNE Serge: «Existe-t-il des normes supra- constitutionnelles ?», RDP, 1993, pp. 459 à 512. V. également sur la supraconstitutionnalité en Afrique du Sud, RUSSEL Alec: «Court throws out South African?s new Constitution», The Daily Telegraph, 7 septembre 1996, p. 7.

Comité Judiciaire. Dans l?affaire Akar720, le juge londonien a annulé une Loi constitutionnelle qui établit une discrimination raciale au motif que cette Loi est contraire à la lettre et l?esprit même de la Constitution. En ce sens, la Cour Suprême de la République de l?Inde a également considéré que le Parlement ne peut modifier la structure de base de la Constitution721.

A l?île Maurice l?article premier de la Constitution proclame le caractère démocratique de l?Etat mauricien qui est politiquement non révisable du fait de la lourdeur de la procédure de révision prévue722. Seule une double expression de la souveraineté nationale est suffisamment légitime pour modifier ce pilier du système politique et juridique de Maurice. Autrement dit, le constituant dérivé n?est pas hors du droit et une Loi constitutionnelle nouvelle peut être invalidée soit au motif d?un non-respect de la procédure, soit pour incompatibilité avec une norme supraconstitutionnelle.

Il est permis de se demander si ces limitations au pouvoir constituant ne sont, en réalité, plus de nature politique que strictement juridique. Le pouvoir constituant dérivé n?est pas un pouvoir d?une autre nature que le pouvoir constituant initial. Si la Constitution prévoit une procédure rigide de révision de certaines normes, celle-ci peut faire l?objet d?une révision selon la voie normale. Il serait ensuite aisé de réviser toute la Constitution selon la nouvelle voie établie.

B. Le contrôle juridictionnel des Lois

Dans de nombreux pays du Commonwealth, le droit traverse et régit tout l?ordre juridique. Le droit se prolonge dans l?institution d?une hiérarchie des normes dont la sanction suprême est le contrôle juridictionnel des Lois. Le principe exige une vérification des normes juridiques au regard de la norme suprême. Aux dix-septième et dix-huitième siècles, le Conseil Privé contrôlait

720 CJCP: 30 juin 1969, John Joseph Akar c/ Attorney-General, AC, 1970, pp. 853 à 873, affaire de Seria Leone, Lord Morris of Borth-y-Gest rédacteur de l'arrêt majoritaire.

721 V. CSI: 24 avril 1973, His Holiness Kesavananda Bharati Sripadagalavary c/ State of Kerala, SCR, 1973, vol. suppélmentaire, pp. 1 à 1002. Cette arrêt comporte les décisions de plusieurs juges, dont Sikri, Shelat/Grover, Hedge/Mukherjea, Ray, Jaganmohan Reddy, Khanna, et est très long. V. également dans le même sens CSI: 31 juillet 1980, Minerva Milles Ltd c/ Union of India, SCR, 1981, vol. 1, pp. 206 à 342, le Chef-Juge Chadrachund rédacteur de l'arrêt principal.

722 V. supra note 352. On se pendra à regretter que le Comité Judiciaire n?a accordé à l?article premier de la Constitution aucune valeur supraconstitutionnelle. V. CJCP: 22 mars 1977, Henri Lilcoln c/ The Governor-General, affaire de Maurice, Vicomte Dilhorne rédacteur de l'arrêt. On peut penser que cette jurisprudence est susceptible d?un revirement vu les changements opérés dans le caractère de la norme depuis lors.

les lois des colonies723 aux grands principes du droit anglais724 et éventuellement aux lois anglaises. Ceux-ci servaient de constitution pour les colonies (a). Aujourd?hui, le principe du contrôle de la Loi est très répandu dans le Commonwealth et est maintenu dans nombreux de pays qui ont aboli le recours au Comité Judiciaire. Le contrôle y est alors exercé par les Cours Suprêmes locales (b).

a. Par le Conseil Privé

On sait déjà que le Conseil Privé contrôlait la conformité des Lois locales adoptées par le législateur de chaque colonie par rapport aux normes fondamentales de la métropole725 et également à la morale. Cet examen d?impérialité (imperial review)726 fut très large, tant selon le principe constitutionnel dominant, seule la loi anglaise était souveraine. La Loi sur la validité des Lois coloniales de 1865 légalisait le principe de l?infériorité des lois locales727.

Parallèlement, il s?était développé au Comité Judiciaire un véritable contentieux constitutionnel à partir de la confrontation des Lois du Parlement canadien à la Loi anglaise sur l?Amérique du Nord Britannique de 1867. Le caractère constitutionnel de cette Loi fut rapidement affirmé par le Conseil Privé. Plusieurs Lois canadiennes avaient été annulées par le Conseil Privé pour avoir méconnu la Loi constitutionnelle de 1867. Ce même type de contrôle s?était aussi manifesté dans le contentieux australien728.

b. Par les cours suprêmes du Commonwealth

Le contrôle constitutionnel des Lois fut légué par le Comité Judiciaire aux cours suprêmes des pays du Commonwealth729. Quand ces dernières avaient accédé au plus haut niveau de la hiérarchie des tribunaux à la fin de leur

723 Le Parlement local avait un pouvoir limité. Il ne pouvait adopter des lois contraires aux grands principes de la Common Law et celles abolissant la monarchie et le Conseil Privé. V. ELIAS Olawale T.: «British colonial law», Londres, Stevens and Sons, 1962, 323 p., v. p. 52.

724 Selon une étude qui n?est pas très certaine, le nombre de lois adoptées dans les colonies et déclarées nulles par le Conseil Privé de 1696 à 1782 s?élève à plus de six cents. V. WAGNER W. J.: «The federal states and their judiciary», Mouton and Company, 1959, 390 p., v. p. 87.

725 SWINFEN David B.: «Imperial control of colonial legislation 1813-1865», Oxford, Clarendon Press, 1970, 202 p.

726 L?expression a été empruntée de BETH Loren P., cité note 16, v. p. 33.

727 ROBERTS-WRAY Kenneth, Sir, cité note 526, v. p. 366 à 409. V. également WHEARE K.C: «The constitutional structure of the Commonwealth», Londres, Greenwood Press, 1982, 201 p., v. p. 45 et s.

728 V. par exemple CJCP: 17 juillet 1936, James c/ Commonwealth of Australia, AC, 1936, pp. 578 à 634, affaire de l?Australie, Lord Wright rédacteur de l'arrêt.

729 «The Supreme Court of these Commonwealth countries can be seen as the lineal successors of the Privy Council», BREWER-CARIAS Allan R.: «Judicial review in comparative law», Cambridge University Press, 1989, 406, v. p. 179.

soumission au Comité Judiciaire, telles la Cour Suprême du Canada en 1947, la Haute Cour d?Australie en 1986 et la Cour Suprême indienne en 1949, elles ont hérité toute la compétence du Comité Judiciaire en matière de contentieux constitutionnel.

La Cour Suprême de la République indienne est sans doute l?une des cours du Commonwealth ayant affronté avec beaucoup de vigueur le législatif et l?exécutif dans l?exercice de ses pouvoirs de gardien de la Constitution tant le contrôle exercé par elle était poussé. Si dans les années cinquante et soixante, le juge indien ne faisait qu?interpréter littéralement la Constitution, il opéra en 1967 un revirement dans le mode d?interprétation des normes constitutionnelles afin de dynamiser les droits fondamentaux, notamment le droit de propriété730. Depuis ce revirement, une série de lois ont été invalidées, en particulier les Lois de nationalisation des banques et celles mettant fin aux privilèges des anciens princes du pays. La hardiesse du contrôle de la Cour a parfois incité le constituant à réagir en révisant la Constitution afin d?atténuer les effets de sa jurisprudence731. Aussi, la déclaration de l?état d?urgence le 25 juin 1975732 avait restreint le champ de contrôle du juge. La Constitution fut pratiquement suspendue jusqu?à la fin de l?état d?urgence en 1977.

Ces confrontations entre la Cour et les autorités politiques ont renforcé la place et le rôle de la Cour Suprême au sein des institutions de la République indienne733.

L?exemple de la Cour Suprême indienne est caractéristique de la réussite, dans certains pays, du maintien et du développement du contentieux constitutionnel initié par le Conseil Privé. Le principe de l?Etat de droit constitutionnel est profondément ancré dans la majorité des pays du Commonwealth et les juges ont créé tout un droit prétorien sur le contrôle de la constitutionnalité.

Aux termes de cette présentation générale sur le constitutionnalisme du Commonwealth, il convient d?examiner le mode de contrôle des normes à Maurice.

730 CSI: 27 février 1967, I. L. Golak Nath c/ State of Punjab, SCR, 1967, vol. 2, pp. 762 à 948, le Chef-Juge Subba Rao rédacteur de l'arrêt principal.

731 DUDEJA Vijay Lakshmi: «Judicial review in India», Radiant Publishers, 1988, 162 p.

732 ZINS Max Jean: «Histoire politique de l?Inde indépendante», PUF, Politique d?Aujourd?hui, 1992, 335 p.

733 Sur le rôle de la Cour Suprême en matière de droits fondamentaux, v. GHANY Joseph: «Les droits fondamentaux des citoyens en Inde et leur mode de protection», RJPIC, 1982, pp. 410 à 422.

Sous-section 2. Le mode de contrôle de la constitutionnalité des normes à

M au ri ce

Le système de la justice constitutionnelle à Maurice s?organise dans le cadre du constitutionnalisme du Commonwealth. Sous l?apparente simplicité de cette affirmation se dissimule un système en réalité infiniment complexe. Certes, le système de contrôle ne peut ni être rattaché au modèle américain, ni au modèle européen. Mais les deux systèmes ont exercé certaines influences de sorte que s?est développé, comme dans beaucoup d?autres pays du Commonwealth dotés d?une Constitution de type néo-nigérian, un véritable modèle hybride ou autrement dit «mixte»734. Des particularités des deux grands systèmes, américain et européen, se retrouvent dans le modèle mauricien. Dès lors, il convient de décrire le mode de justice constitutionnelle à Maurice sous l?angle des deux typologies dominantes. On examinera successivement les éléments du modèle européen (paragraphe 1) et du modèle américain (paragraphe 2) qui sont présents à Maurice.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon