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Refexion sur l'inclusion sociale - la double contrainte des collectivités territoriales entre évaluation et prévention

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par Yann WELS
Université Aix-Marseille 3 - Master 2 2006
  

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Chapitre 2nd : L'extension de l'évaluation aux politiques publiques locales

Evaluer une politique, c'est s'efforcer d'apprécier de façon valide ses effets réels [...] Parler d'effets réels n'exclut [...] pas les conséquences sur les représentations [...]mais souligne que l'on s'intéresse au résultat ex post de la politique considérée par opposition aux effets prévisionnels.

J.-P. Nioche & R. Poinssard, 1984

Si l'évaluation des politiques publiques partenariales a été stimulée par les dispositifs mis en place pour accompagner les financements communautaires et les actions contractuelles, ceux-ci ne rendent pas compte de la totalité du champ de l'évaluation. L'évaluation des actions locales s'est développée dans les années 90 tantôt dans le cadre de dispositifs institutionnels, tantôt selon des formes plus autonomes. Ces démarches connaissent aujourd'hui un succès significatif, même si elles continuent de rencontrer divers obstacles : l'inadaptation des systèmes d'information ou encore l'émiettement de l'action locale, voire la méfiance des acteurs locaux. Mais le concept de l'évaluation, comme la conscience de sa nécessité sont véritablement présent dans les discours, signe d'une association désormais assimilé de l'évaluation à la dynamique même des politiques locales.

L'évaluation associée à la politique locale témoigne de l'appropriation de la notion de territorialité des politiques publiques actuelles par ses acteurs eux-mêmes. Ainsi la politique se déploie sur un territoire. La territorialisation consiste dès lors dans une adaptation des politiques générales aux spécificités locales ; elle participe parallèlement à une expression de la dynamique locale. Ce qu'il faut bien assimiler c'est que le développement des actions publiques sur le territoire s'exerce dans un système d'action très différent de celui de la politique nationale. Il s'inscrit dans un système de coopération associant des acteurs hétérogènes, dans un enchevêtrement de compétence et un emboîtement des niveaux d'intervention. Actions publiques contractualisées, polycentriques, partenariales, associatives ou coopératives, cette nouvelle forme d'action résulte avant toute chose de la superposition des champs de compétences et de la multiplication des centres de décisions rendant éminemment nécessaire : l'appréhension de l'instrumentalité des évaluations dans les politiques publiques locales (I), qui permet de saisir l'opérationnalité des champs de l'évaluation dans le domaine de l'inclusion qu'est le social (II), contribuant ainsi à l'analyse de la productivité de l'évaluation au niveau local (III).

I. L'instrumentalité des évaluations dans les politiques publiques locales

Il est des représentations du monde qui ont la vie dure. C'est indéniablement le cas de celle qui consiste à voire dans l'Etat un organisme extérieur à la société, qui pense pour elle, et intervient pour la réformer au nom d'un l'intérêt général supérieur en réponse à des demandes sociales. Le sens commun notamment journalistique, est imprégné de cette acception systémique et qualifiable de top/down des politiques publiques159(*), mais il n'aurait pas de circonstances atténuantes s'il n'était pas lui-même pénétré, parce qu'héritier, de représentations savantes comme l'analyse séquentielle et ses variantes, et technocratiques comme la planification et la RCB, inspirées par ce schéma. Cependant à ce titre et compte tenu de ce préalable, il apparaît tout à fait évident que la pratique évaluative dont on a pu délimiter le champ et poser le cadre, démontre une réelle instrumentalité qui avant même la légitimation de l'action publique et la rationalisation de la fonction publique entendu ici à des fins politiques, permet de comprendre et de saisir l'empilement des politiques publiques locales (A) première étape vers la maîtrise des interactions de ces dernières (B).

A. Comprendre l'empilement des politiques publiques locales

L'inscription de l'action publique locale dans un lieu géographique et politique propre s'accompagne d'un diversification du champ et des modes d'interventions locaux, qui font intervenir une pluralité d'acteurs extérieurs, publics ou privés. La question du pilotage de l'action publique nécessite alors de prendre en compte les éventuelles mutations affectant la façon dont les organisations politico administratives traitent les problèmes, imaginent des procédés, adoptent de nouveaux modes opératoires. En l'occurrence, la thématique du sociale dans sa dimension inclusive, impose de nouvelle façon de gérer les affaires publiques.

En effet, de nouvelles fonctions sont crées, dont les « pôles d'accueil en réseau pour l'accès aux droits sociaux » (PARADS), prévue par le plan de cohésion sociale. Du point de vue opérationnel, les PARADS visent à améliorer le fonctionnement du partenariat local pour un accueil des publics en difficulté ; à promouvoir l'utilisation, via Internet notamment, de dispositifs d'information partagés entre tous les partenaires intervenant auprès de ces publics ; à mettre en place les outils opérationnels permettant d'éviter les retards dans l'accès aux droits et les ruptures de droits ; à faciliter l'accès aux services et aux droits fondamentaux grâce à l'établissement de liaisons fonctionnelles plus denses et plus efficaces entre institutions, associations et organismes gestionnaires. En outre, ils s'appuient, tant dans la phase d'élaboration des projets que dans la phase opérationnelle, sur l'expérience des usagers pour une meilleure analyse des situations de non accès aux droits et dans une perspective de participation citoyenne. On distingue ainsi le rôle majeur joué par la territorialisation des intervenants locaux se dessiner mais en même temps apparaître la question de l'uniformité des conceptions des thématiques inclusives. Ainsi les régions n'ont sans doute pas toutes la même conception de la formation professionnelle...

Pour en revenir aux acteurs (COG, CNAF, PARADS, CNAM, DRASS, DDASS), dotés de compétences inédites et chargés d'assumer de nouveaux rôles, censés agir en équipe, se pose une question subséquente à la précédente : leur degré de concurrence. Les transformations ont pu être vues comme induisant la genèse d'un nouveau modèle d'action publique caractérisé par l'action globale (ou transversale), le décloisonnement de l'action publique. Mais toutes ces mutations sont conditionnelles. Elles vont en effet à l'encontre d'un mouvement séculaire de sectorisation de l'action administrative. Au sein de l'Etat comme des régions, départements et intercommunalités, des services différenciés, souvent articulés sur des ensembles sociaux spécifiques, sont en position de concurrence. Ces secteurs définissent des intérêts stabilisés, des logiques d'action collective, dont la conciliation avec de nouveau modèle d'action publique n'est pas aisée. En raison sans doute de ces pesanteurs, les réformes envisagées ici ne présentent pas les traits d'un projet volontaire d'action sur le réel, malgré la rhétorique qui peut parfois les accompagner.

Les nouvelles fonctions sont souvent faiblement définis, et doivent s'ajuster avec les dispositifs d'actions existants plutôt que de se substituer à eux. Bref ces innovations doivent être comprises comme des fragments de politiques constitutives.

Il est dès lors tout à fait légitime de s'intéresser à l'empilement des politiques publiques locales en matière inclusives puisqu'elles révèlent le degré d'intégration de la problématique à chaque échelon. Dans cette démarche, la propagation de l'évaluation apparaît comme un pré requis indispensable dans une logique de vérification et de recherche d'efficacité. On comprend alors que prendre part à ce dispositif évaluatif à la fois en tant qu'acteur mais aussi en tant qu'entité administrative évaluée dans le cadre de la politique d'inclusion sociale, permet de montrer son degré d'intégration/participation, permettant de conclure à une «mobilisation multisectorielle», au sens de Michel Dobry : «les mobilisations ne se réalisent pas toujours, loin de là, autour d'enjeux et de stratégies identiques à tous les acteurs, et il est extrêmement imprudent de ce fait de rapporter les processus de mobilisation à la poursuite de certaines fins collectives ou valeurs communes»160(*).

Cette absence, «potentielle» et j'insiste sur ce qualificatif, d'accord sur les finalités n'empêche pas les structures de se mettre en place et témoigne de toute façon de l'imbrication, de l'empilement des politiques publique locales en matière inclusives,ce qui est nécessaire pour saisir les interactions de ces même politiques

B. Maîtriser les interactions des politiques publiques locales

La précédente partie a montré que l'idée d'une politique publique et le développement de la pratique évaluative qui l'accompagne étaient indissociables de celui de sectorisation - même si toutes les politiques publiques ne sont pas sectorielles - dans la mesure ou c'est à partir d'une représentation de la société comme ensemble de secteur que se développent la plupart des interventions publiques. Or, c'est précisément cette représentation sectorielle de la société qui semble aujourd'hui atteindre ses limites plus spécifiquement encore sans doute s'agissant de la politique d'inclusion sociale (cf. Partie 1, Titre 2, Chapitre 2).

Cette remise en cause de la sectorialité se manifeste notamment en France par une perte d'efficacité des modes de négociation fondés sur la représentation corporatiste des intérêts, par la recherche d'une nouvelle forme de proximité et surtout par, le rôle de plus en plus prépondérant pris par la pratique évaluative (dans sa dimension cognitive) eut égard à la maîtrise des interactions des politiques publiques locales qu'elle induit. Elle s'accompagne ensuite par l'émergence d'une nouvelle dialectique entre secteurs et territoires, ou l'analyse verticale des politiques publiques tend à illustrer ses propres limites. Ainsi, «l'idée s'est imposé en France, qu'il fallait désormais trouver des formes de développement adaptées à chaque situation. Celles-ci doivent désormais prendre en compte l'intégralité des actions menées par les pouvoirs publics»161(*). Ce mouvement correspond finalement à un «débordement du cadre d'intervention sectoriel par les politiques territoriales»162(*) qui traduit en fait une volonté politique dans un contexte de concurrence pour le positionnement dans l'espace des compétences partagées, a fortiori en matière sociale. Comme l'écrit Anne Cécile Douillet : «il est aujourd'hui impensable de comprendre l'action publique sans prendre en compte les relations sociales localisées, ce qui constitue un tournant de taille dans la mesure ou les analyses classiques de l'action publiques ont précisément expliqué le développement des politiques publiques par le passage du territoire au secteur comme mode régulation sociale»163(*). C'est ainsi que les analyses de Bruno Jobert et Pierre Muller164(*) qui faisaient référence jusqu'alors, se voient ainsi largement remises en cause, de sorte qu'il soit désormais question de la désectorisation des politiques publiques et concomitamment de leur territorialisation, mouvement rendu visible par la pratique évaluative.

La maîtrise des interactions entre politiques inclusives intercommunales, départementales et régionales permet ainsi une transversalité et une cohérence plus importante. La facilitation de l'accès au logement comme action intercommunale, s'articule ainsi avec la politique de relance de l'emploi via, l'animation territoriale et la valorisation locale du marché du travail, opérée au niveau départementale, qui s'emboîte au dernier échelon régional sur : la promotion de la formation et les aides à la création d'entreprise. L'action publique inclusive trouve ainsi à se structurer localement, territorialement et sectoriellement.

La dimension cognitive de l'évaluation est ici certainement à son apogée ou du moins importante puisque de ses enseignements dépends en grande partie la pérennisation des expérimentations locales mises en places. En effet, l'évaluation en ce qu'elle tente de répondre à un ensemble de questions relatives à une politique, à sa mise en oeuvre et à ses effets en cherchant à apprécier la cohérence (dans la conception et la mise en oeuvre), l'atteinte des objectifs (dans quelle mesure les évolutions constatées de la réalité sociale sont-elles conformes aux objectifs de la politique ?), l'efficacité (dans quelle mesure les effets propres de la politiques sont-ils conformes à ses objectifs ?), l'efficience (les résultats de la politique sont-ils à la mesure des sommes dépensées ?), l'impact (quelles sont les conséquences globales de la politique ?) et enfin la pertinence, apporte une réelle maîtrise de l'ensemble d'une politique transversale de promotion de l'inclusion sociale en permettant de comprendre les interactions des différentes actions publiques locales y afférant.

II. L'opérationnalité des champs de l'évaluation dans le social

Une démarche évaluative d'une politique doit mesurer la pertinence des objectifs référés aux besoins, la cohérence des différents éléments de la politique, l'efficacité de celle-ci (résultats comparés aux objectifs), son efficience (résultats comparés aux ressources économiques mobilisées) et enfin son impact, c'est à dire son effet global sur la société. La démarche est relativement nouvelle et difficile à réaliser. Elle suppose une volonté politique forte (des capacités à se remettre en cause) et repose sur des principes d'objectivité et de transparence. C'est pourtant un processus qui aboutit à l'appropriation des politiques par les acteurs de celle-ci (gage d'efficacité) ou même par ces bénéficiaires (une sorte d'efficacité citoyenne). Ces éléments témoignent ipso facto d'une opérationnalité de l'évaluation qui dans le secteur social impose de parvenir à une détermination des champs dans lesquelles on entend procéder à l'évaluation, comme l'écrit Gérard Martin et Amédine Ruffiot: "si les critères intrinsèques de l'évaluation s'imposent difficilement aux décideurs publics, ces derniers se positionnent par rapport à elle, sérient ses champs de définition en négatif, en recourant à des repères symboliques de comparaison, d'identification ou de distanciation: le temps et l'action"165(*). Ainsi annoncé on vérifiera l'opérationnalité de l'évaluation en matière sociale via la saisine du champ de sa temporalité (A) auquel succédera celui de son agir (B).

A. Le champ de la temporalité

Un des points particuliers d'achoppement des décideurs publics est celui du temps. Cette référence temporelle fréquente chez les commanditaires d'évaluation s'explique par le fait que le temps est un élément prégnant des politiques sociales actuelles.

«Les nouvelles politiques publiques fonctionnent sur des actions finalisées dans le temps, soit par le biais d'une politique de quota à atteindre dans un tel délai, soit par une contractualisation pluri-annuelle»166(*).

Ces contraintes temporelles se concrétisent beaucoup dans des étapes évaluatives, prévues dans l'organisation des politiques territoriales, ou inscrites dans des injonctions étatiques, voir dans le cas de l'inclusion sociales dans des perspectives financières couvrant la période 2007-2013. Ce sont donc ces étapes qui rythment le temps de politiques sociales. Ces rythmes sont identifiés par les commanditaires comme étant ceux de l'évaluation qui sera dès lors et selon la circonstance et la convenance soit ex ante, ex post ou concomitante. L'évaluation ex ante est considérée dans l'évaluation de projet politique, comme une évaluation prospective. Elle est envisagée par beaucoup des décideurs publics comme «possible», «envisageable», mais «peu courante» voir «risquée»167(*). Cette position de retrait peut notamment s'expliquer par le fait qu'explicitement ou implicitement, les politiques sociales en elles-mêmes sont considérées comme peu circonstanciées dans le temps, dans la mesure où leur signification résulte d'un enchaînement complexe d'intervention multiple : l'évaluation ex ante d'un projet de politique sociale ne peut donc pas se limiter à projeter dans l'avenir une expérience ou à impulser des innovations ; pour c faire elle se base sur l'analyse, le bilan, «l'évaluation» de l'existant. En effet, l'évaluation du projet de réforme de parc de logements sociaux par exemple ne peut que se fonder sur l'état, les insuffisances ou les dépassements nécessaires de la politique menée antérieurement. Ainsi la différenciation de l'évaluation ex ante et ex post a, comme l'écrit Gérard Martin et Amédine Ruffiot, «peu de signification dans son rapport à la temporalité des politiques sociales»168(*). En revanche, elle en a fortement dans son rapport à la temporalité des décisions, et c'est précisément à ce titre que l'évaluation ex ante est surtout comprise comme précédent une décision, celle du commanditaire.

Conduire une évaluation ex ante revient dès lors à évaluer sur la base de ce qui a été fait «avant» et représente peu d'intérêt notamment dans le cas de décisions introductives de mandats électifs ou administratifs qui sont un mode d'autolégitimation et qui concernent d'ailleurs souvent des politique sociales, très médiatiques. Ce qui explique la critique ou la suspicion que révèlent les propos recueillis, à savoir l'évaluation ex ante voit son intérêt «phagocyté» par la contradiction entre temporalité des politiques sociales et temporalités des mandats électifs ou administratifs. C'est donc prudemment que l'évaluation ex ante est appréhendée en tenant compte de la réserve développée ; en revanche c'est sans réserve que l'évaluation ex post se voit elle préférée. L'évaluation concomitante quant à elle qui accompagne le déroulement d'une politique sociale inclusive est rarement envisagée, car relevant de l'idéalisation de l'usage évaluatif dans les politiques publiques. Le champ de la temporalité n'en apparaît pas moins comme éléments déterminant, qu'il convient de bien saisir, au même titre que le champ de l'agir.

B. Le champ de l'agir

La référence fréquente au symbole de l'action, comme critère de positionnement par rapport à l'évaluation est aussi fortement chargée de sens pour les commanditaires d'évaluation imposant dès lors qu'on s'y intéresse.

On peut communément lister trois types de compréhension de l'action :

- elle peut ainsi être une référence à l'action comme extériorisation de l'évaluation en dehors de l'activité institutionnelle ;

- elle peut ensuite constituer une référence à l'action assimilée au changement ou l'évaluation est considérée comme une phase d'inaction dans le sens ou l'institution commanditaire est dans l'attente de résultat ;

- elle peut enfin constituer une référence à l'action comme objet de l'évaluation.

Dans le premier cas, la référence est présente essentiellement sous l'utilisation de son vocable symétrique, celui de l'inaction. L'évaluation serait ainsi une phase d'inaction, de pause. Ce peut être le cas concernant des dispositifs à court terme, ou saisonnier telles les opérations de prévention été et l'hébergement d'urgence hivernale. Mais concernant les politiques à plus long terme, comme celles des allocations mensuelles, d'aides à l'enfance, de réhabilitation urbaine, d'aides aux personnes âgées, la commande d'évaluation ne peut pas signifier mise en suspens de l'action, une interruption de l'octroi des prestations : la phase d'évaluation «inactive» est alors plutôt considérée comme une prise de distance, une prise de recul par rapport à l'action. L'évaluation est distinguée de l'action en ce qu'on ne veut y voir que son reflet, son feed-back. Extrêmement peu de décideurs conçoivent l'évaluation dans la conduite même de l'action, dans un souci d'en conserver la maîtrise. Ils sont attachés à voir leur action produite par eux-mêmes et non par l'évaluation qu'ils considèrent comme une source extérieure, non appropriée.

Dans le second cas où la référence à l'action s'assimile au changement : l'évaluation étant considérée alors comme une phase d'inaction dans le sens ou l'institution commanditaire est en attente de résultat, l'évaluation est appréhendée comme une démarche lourde et longue, pendant laquelle tout projet de changement ou d'innovation est suspendu. C'est en effet au vu de ses conclusions que l'on pourra agir (versus changer) ou ne pas agir (versus demeurer). L'attente de la fin de l'évaluation pour envisager le changement explicite bien les positions incertaines de dirigeants à propos de l'évaluation concomitante. Elle éclaire les opinions partagées selon lesquelles «trop d'évaluation peut entraîner l'inaction». Elle éclaire aussi les risques souvent évoqués de l'utilisation de la commande d'évaluation comme «alibi politique» pour ne pas agir, pour ne pas changer, ou pour repousser l'échéance d'une décision.

La dernière acception pause quand à elle en but la question de savoir ce que l'on évalue au final au juste. Il est ce titre intéressant de noter que souvent, l'évocation de l'évaluation, semble se suffire à elle-même dans un trop plein mythique du mot. Lorsque son objet a ainsi était spécifié, on observe que la présentation de la problématique évaluation des politiques sociales, n'influence pas complètement les discours politiques. Il y a là un pragmatisme évidant à mettre en exergue.

Toute cette démonstration révèle donc que la saisine du champ de «l'agir» est nécessaire pour appréhender la difficulté liée à la pratique évaluative notamment en matière sociale. Cependant, il convient de ne pas se leurrer sur le présent propos, il est évidant qu'il est moins attendu de l'évaluation en matière sociale qu'elle analyse un champ de politique dans toute sa complexité institutionnelle que l'étude de l'action intrinsèque des commanditaires. Aussi, si les présents champs révèlent les obstacles liés à la pratique évaluative dans le domaine social, ils n'en sont pas moins non plus les principaux leviers de maîtrise.

III. La productivité de l'évaluation au niveau local

La gouvernance169(*), au sens d'un mode de gouvernement concerté entre acteurs publics, fonde le territoire comme nouvelle catégorie de l'intervention publique, à la fois comme support géographique de déploiement d'une action locale sur le mode de la coordination, et comme enjeu de légitimité politique. Avec la décentralisation, on est passé d'un pilotage centralisé des politiques, dans lequel l'Etat est responsable de la définition des objectifs et de l'allocation des moyens, à un modèle que Jean Claude Thoenig170(*) décrit comme un "polycentrisme à géométrie variable" (cf. Partie 1, Titre 2, chapitre 1). Ce mode d'action publique partagé, fortement déterminé par les comportements et les réactions des acteurs eux-mêmes, fait que "les acteurs publics subissent des situations ou héritent de problèmes qui ne sont pas le fait de leurs propres volontés, mais les résultats d'actes gérés sur des territoires voisins par des décideurs tiers"171(*). La perte de centralité de l'Etat, intervenue tant au niveau national que territorial, impose désormais une approche horizontalisée destinée à mettre en cohérence, au plus bas échelon possible, les politiques sectorielles.

On comprend dès lors que l'évaluation dans sa dimension prescriptive née de la préconisation (A) qu'elle suggère mais plus encore, sa dimension prospective (B) apparaissent comme autant d'atout et gage d'efficacité et de cohérence de l'action publique.

A. De la préconisation

Il est devenu de plus en plus difficile de réfléchir en terme de modèle univoque de fonctionnement et de raisonnement. On saisit alors tout l'enjeu d'une prospective s'appuyant sur une démarche rigoureuse et sur un débat pluraliste prêt à déborder et bousculer les cadres de pensées les plus stabilisées. C'est là le défi de la pratique évaluative engagée dans une réflexion collective sur les compétences et pouvoirs locaux en lien avec la transformation et l'actualisation des problèmes, des modes de gestion et des demandes sociales, plus spécifiquement l'évaluation accompagnant la politique d'inclusion sociale.

Il apparaît en effet, que la pratique évaluative en accompagnant une politique publique autorise et permet la prise de certaines décisions, de certaines préconisations. La question de l'utilité de l'évaluation, de son impact sur la décision, de sa capacité à s'intégrer dans un processus de finalisation de l'action publique autour d'objectifs de performance, est un des sujets sensibles de l'évaluation. L'impact des évaluations de politiques contractuelles est sans doute plus difficile encore à apprécier, du fait de la complexité des politiques et de la multiplicité des acteurs en cause. L'inclusion sociale a pour caractéristique essentielle sa nouveauté et son inscription dans un contexte européano/locale singulier, celui d'un renforcement de la décentralisation/déconcentration que nous avons précédemment évoqué sous le néologisme de déconcentralisation, mais en plus l'inclusion sociale est le réceptacle des nouvelles exigences politiques communautaire d'efficacité et de performance, sur fond de lutte contre les exclusions, dans un pays ayant multiplié historiquement les dispositifs sociaux curatifs et non pas préventifs. Même si l'évaluation, en tant que pratique accompagne différents dispositifs parmi lesquels les contrats de plan Etat/Régions, et a connu une montée en charge progressive et inégale, il est évident qu'il convient de tirer un bilan qui ne peut être que contrasté, s'agissant des préconisations qu'elle a pu permettre et entériner.

Cependant sur le plan social la multiplication des évaluations en oeuvres pousse à penser que leurs conclusions ont en tous cas permis d'améliorer significativement le fonctionnement et l'efficacité d'un certain nombre de dispositifs. Citons parmi eux bien sûr l'avènement du RMA, et le transfert de RMI, mais encore le renforcement des missions locales des jeunes qui se voient octroyer un rôle leader en terme d'optimisation de l'insertion professionnelle des jeunes ou encore l'aménagement des structures permettant l'accès au droit,...Les évaluations ont permis aussi, ici et là, de mettre à jours certaines fragilités du dispositif inclusif, ainsi en va-t-il du Contrat nouvelle embauche tel qu'il en ressort de la dernière mission évaluative dont il a fait l'objet172(*).

Ces exemples méritent d'être cités car ils démontrent dans un contexte singulier qu'est le notre, que l'évaluation peut déboucher dans des délais raisonnables sur des suites significatives, sur de réelles préconisations politiques. Les conditions de l'évaluation ont déjà été analysées à maintes reprises, tant dans les documents de l'OCDE173(*) que dans les ouvrages d'auteurs familiers des démarches anglo-saxonne174(*). Les évaluations ciblées telles qu'elles accompagnent la politique d'inclusion sociale dans le nouveau paradigme de «Collectivité Providence» qui se fait jours appliqués au champ d'action sociale bien délimité, ont toutes les chances de produire des résultats probants aboutissant à des préconisations et pouvant même se prolonger dans des expérimentations locales.

B. ...à la prospection/expérimentation

«Un constat s'impose en premier lieu : dans notre pays, il est difficile de mener des expériences de politiques publiques. Sur ce sujet, le Conseil d'Etat adopte souvent une attitude négative...Et pourtant l'intérêt de l'expérimentation est immense. Il est d'abord de laisser subsister durant quelques temps plusieurs solutions à un même problème, plusieurs modalités vivantes ayant chacune leur avantage spécifique. Ce processus se traduit par le maintient effectif de la diversité, donc une certaine richesse d'aptitude. Il est ensuite d'établir un nouveau type de développement démocratique : lorsque la loi ne permet pas de réaliser efficacement un objectif donné - ce qui est une situation de plus en plus fréquente - il peut être utile de mettre en oeuvre un processus d'expérimentation - des expériences pilotes précisant la faisabilité du projet, - et d'évaluation collective contradictoire aboutissant à des conclusions»175(*).

Ce processus ici décrit suppose une interaction entre ceux qui décident et ceux auxquels s'appliquent la décision : il peut correspondre à une modification profonde du rôle de l'élu qui serait moins un représentant, pour l'exercice de l'autorité, et plus un intermédiaire dans un schéma d'expérimentation/évaluation impliquant une meilleure participation des citoyens. C'est sans doute tout ce que l'on peut attendre de l'introduction dans le marbre constitutionnel du droit à l'expérimentation. L'article 72 quatrièmes alinéas, nouvelle mouture, dispose ainsi que :

« Dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences».

Ce droit à l'expérimentation, outre qu'il consacre et concrétise le principe de subsidiarité176(*) , apporte une dimension supplémentaire à la pratique évaluative en permettant que celle-ci, le cas échéant, permettre que puisse être adaptée l'intervention publique sociale aux circonstances locales.

On est là dans une révolution profonde des us et coutumes ayant jusque lors accompagnées la politique publique française locale. En autorisant des expérimentations locales, on reconnaît ouvertement l'existence de contingences locales nécessitant un pouvoir d'adaptation de l'intervention publique. Au-delà d'un remaniement de la façon de faire, il s'agit là d'une illustration parfaite du changement à l'oeuvre tant politiquement que juridiquement dans la recherche d'une intervention efficace, performante, tenant compte et s'adaptant aux réalités de terrain. Si l'expérimentation locale traduit une extension du pouvoir normatif local, elle ne remet pas en cause pour autant le caractère indivisible de la souveraineté, et partant de la République, cependant elle traduit un droit à la différence, différence qui si on la prend au regard de la politique étudiée, illustre l'avènement d'un nouveau concept politique de «différenciation territoriale». Cette différenciation territoriale est le pendant de la territorialisation des politiques publiques ainsi que la clés de voûte du polycentrisme précédemment évoqué.

Ainsi la politique d'inclusion sociale bien que répondant à un ciblage national, met à jours une multiplication des configurations locales, que le droit à l'expérimentation articulé sur la montée en puissance des évaluations rend possible.

Ainsi, et c'est du moins le sentiment qui se dégage, la révision constitutionnelle avec le redéploiement de la décentralisation qu'elle opère ainsi que le droit à l'expérimentation, le tout, couplé avec le développement de la pratique évaluative signe la fin de la logique de spécialisation des collectivités locales et érigeant ces dernières en Collectivités Providence.

* 159Le Monde, 17 Novembre 1995, p.8

* 160 M. Dobry, Mobilisation muli-sectorielle et dynamique des crises politiques : un point de vue heuristique, Revue française de sociologie, 24, 1983, p. 400

* 161 F. D'Arcy, F. Dreyfus, Les institutions politiques et administratives de la France, Economica, Paris, 1985, p. 333.

* 162 O. Mériaux, Le débordement territoriale des politiques sectorielles, dans A. Faure, L'action publique et la question territoriale, Grenoble, PUG, 2005, p. 30

* 163 A.-C. Douillet, Fin des logiques sectorielles ou nouveaux cadre territoriaux  ?, dans A. Faure, L'action publique et la question territoriale, Grenoble, PUG, 2005, p. 271

* 164 B. Jobert, P. Muller, L'Etat en action. Politique publique et corporatisme, PUF, Paris, 1987

* 165 G. Martin & A. Ruffiot, La commande d'évaluation de politiques sociales territoriales, entre mythes et apprentissages, Revue Politiques et management public, Vol. 19, n°2, Juin 2001

* 166 Guido de Rider, Changement de régime ou crise de l'intervention sociale ? dans Les nouvelles frontières de l'intervention sociale, coord. Guido de Rider, L'Harmattan 1997, p. 21.

* 167 Série de propos recueilli à l'occasion d'un entretien avec un le directeur général des services administratif du conseil général du Gard, Samuel Dyens.

* 168 G. Martin & A. Ruffiot, La commande d'évaluation de politiques sociales territoriales, entre mythes et apprentissages, Revue Politiques et management public, Vol. 19, n°2, Juin 2001

* 169"La gouvernance se définit comme un processus de coordination d'acteurs , de groupes sociaux, d'institutions pour atteindre des buts propres discutés et définis collectivement dans des environnements fragmentés et incertains", Bertrand le Gales, 1998

* 170Jean claude Thoenig, L'action publique locale entre autonomie et coopération, les 2èmes entretiens de la Caisse des dépôts sur le développement local, Quel avenir pour l'avenir des collectivités locales ?, Paris, éd. De L'aube, SECPB, 1999

* 171Jean claude Thoenig, ibid.

* 172 P. Cahuc & S. Carcillo, Que peut-on attendre des Contrats Nouvelle Embauche et Première Embauche?, Février 2006, Paris

* 173 OCDE, PUMA, Guide des meilleures pratiques à suivre pour l'évaluation, note de synthèse n°5, 1998

* 174 Voir notamment S. Trosa, L'évaluation des politiques publiques, Paris, 2004

* 175 G. Fuchs, parlementaire européen dans Jean-Pierre NIOCHE, Robert POINSARD, L'évaluation des politiques publiques, Paris, Economica, 1984

* 176 «Ce principe constitue une invitation lancée au législateur de repenser l'intervention des pouvoirs publics dans son ensemble, de transférer davantage de responsabilité aux autorités locales» J.-F. Brisson, Les nouvelles clefs constitutionnelles de répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités locales, AJDA, 2003, p. 530

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo