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Refexion sur l'inclusion sociale - la double contrainte des collectivités territoriales entre évaluation et prévention

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par Yann WELS
Université Aix-Marseille 3 - Master 2 2006
  

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I. L'inclusion sociale et son décodage

La composition de l'expression en deux termes impose de s'intéresser d'abord à eux de façon séparée de sorte à dégager une définition plus précise. Notons d'ores et déjà que parler d'inclusion sociale donne une importance considérable au signifiant sociale qui l'accompagne, il donne le champ, l'étendue, l'envergure, la profondeur, l'épaisseur : «sociale». «Elle [l'inclusion] est redevable d'un pronom, non pas indéfini mais défini»2(*), cette inclusion-là est : sociale. Dans cette logique dichotomique, il convient donc d'envisager successivement l'appréhension du phénomène d'inclusion (A), puis la compréhension du phénomène d'inclusion sociale (B).

A. L'appréhension du phénomène d'inclusion

L'objet de cette partie est de retracer l'histoire du terme, son apparition, son étymologie, sa diffusion, ses différents sens et les métamorphoses de son usage. L'inclusion : inclure du latin includere, qui signifie enfermer, agrège avec lui tout un vocabulaire périphérique. A ce titre, le rapport exclusion/inclusion, véritable dialectique et couple indissociable, va se révéler très important pour saisir la nature profonde du terme d'inclusion. C'est dans la sphère des mathématiques que cette dialectique va apparaître et plus précisément dans le cadre de l'élaboration de la théorie des ensembles (1) pour ensuite être détournée et déclinée dans d'autres disciplines : de la catégorisation à la Taxinomie (2) et enfin trouver une place centrale dans la systémique (3).

1. L'inclusion dans la théorie des ensembles

«Toute pensée formalisée s'exprime de nos jours dans le langage de la théorie des ensembles, qui a ainsi envahi toutes les disciplines. Dès l'école primaire, l'enfant apprend à classer les objets suivant leur forme, leur couleur, leur taille, à établir entre eux des correspondances, préambules à des manipulations plus abstraites»3(*).

L'idée développée par cette théorie dès les origines préhelléniques, est clairement de permettre une systématisation de la logique dans le cadre de l'élaboration de toute démonstration rigoureuse, à commencer bien entendu par les mathématiques. On retrouve cependant ailleurs et dans d'autres disciplines une formalisation des opérations logiques de la pensée, par exemple dans l'enseignement primaire où elle est introduite par la manipulation de différents types de matériels conçue pour mettre en évidence les opérations qui correspondent aux mots «et» et «ou». La théorie des ensembles est donc d'une importance considérable, toutes disciplines confondues en ce sens qu'elle apparaît comme un pré requis obligatoire dans la capacité même de l'individu à s'exprimer et à mener une réflexion ou une démonstration.

Pour revenir sur les origines maintenant de cette théorie, il convient de retourner, à la fin du XIXème siécle. G. Boole (1815-1864) cherche à systématiser la logique4(*) en s'inspirant des méthodes d'analyse et de l'algèbre. Les mathématiciens ont pris l'habitude de manipuler des objets mathématiques variés : les nombres (réels ou imaginaires), les points du plan ou de l'espace, les fonctions, les fonctions continues,... Il se dégage ainsi la notion de «collection d'objets». Se développe alors des notations pratiques pour traduire le fait qu'un certain objet est bien dans une collection, ou qu'une collection fait parti d'un ensemble plus grand... C'est le langage de la théorie des ensembles. Se pose alors la question de ce qu'est un ensemble. Il s'agit d'une collection d'objets mathématiques, c'est un paquet d'éléments, c'est un sac dans lequel on a rassemblé des objets, de préférence des objets similaires, d'où aussi la volonté de séparer les ensembles dissemblables... Donc l'idée d'un ensemble est de regrouper certains objets5(*) ayant quelque chose en commun, ce qui nécessite de préciser qu'un « ensemble est une collection d'objets caractérisés de telle sorte que l'on puisse répondre sans ambiguïté à la question de savoir si un objet fait partie ou non de cette collection».

L'ensemble ainsi défini permet d'avancer et d'être plus précis sur le contenu, ce contenu est l'ensemble des éléments. Mais on parle rarement d'élément isolément, la notion d'élément est relative à l'ensemble que l'on considère. Une brique est ainsi un élément de construction d'une maison, laquelle est à son tour un élément d'un lotissement,... Le terme pertinent qui fait le lien entre élément et ensemble, est le verbe «appartenir». Le flou n'est donc pas permis, et deux moyens sont alors à la disposition du mathématicien ou du logicien pour caractériser un ensemble :

- donner la liste exhaustive des éléments composants un ensemble,

ou,

- donner une propriété caractérisant les objets de cet ensemble.

Donc si on a un ensemble A (les légumes) et une propriété p (la couleur verte), on peut définir un ensemble B (les petits pois) dont les éléments sont des éléments de A ayant la propriété p. Cette règle impose une définition. En effet, l'ensemble B, défini ci-dessus, est tel que tous ses éléments sont des éléments de l'ensemble A. On dit alors que B est sous-ensemble de A, une partie de A, ou encore que B est «inclus» dans A ou contenu dans A.

Voilà comment est apparu le terme d'inclusion, pour décrire le phénomène d'appartenance d'un sous ensemble dans un ensemble plus vaste, plus étendu, plus grand.

2. De la catégorisation à la taxinomie 

Il est notable de constater que c'est dans la nécessité pour un certain nombre de disciplines de parvenir à élaborer une démonstration rigoureuse, que la distinction exclusion/inclusion a trouvé toute sa place dans les sciences dites dures ou exactes pour petit à petit se répandre aux sciences dites molles. Ce passage, ce détournement linguistique du phénomène d'inclusion, s'est donc retrouvé dans l'ensemble des disciplines, qui au prix d'une scientificité objectivement affirmée, a mené des classifications, des catégorisations, bref développés une taxinomie. Cette taxinomie se retrouve dans bon nombre de domaines scientifiques distincts avec bien sûr en tête de proue, le monde mathématique et le développement de la taxinomie dite numérique élaborée à la fin du XIX siècle, et de façon plus lointaine dans le domaine de la psychologie et de la linguistique. Le lien d'ailleurs avec l'inclusion sociale, trouve en partie son origine dans ce glissement linguistique aux origines d'abord bien ciblés dans le cadre des mathématiques, au monde scientifique de la science sociale, discipline qui a dû dans le cadre d'une démarche scientiste procéder par voie méthodologique, donc user d'une terminologie propre à lui permettre la description des éléments qu'elle entendait analyser et étudier : la société.

La catégorisation a logiquement montré que dans chacune de ces disciplines : des éléments pouvaient s'entrecroiser et ainsi révéler un phénomène d'inclusion ou de façon inverse d'exclusion. La linguistique, qui par souci d'inventorier les classes d'items et celles plus complexes de séquences d'items, a dû rompre avec une démarche purement descriptive pour rentrer dans une analyse en termes de système ou de structure appelant nécessairement l'usage du phénomène d'inclusion, qui révèle toute la richesse, la singularité et le raffinement du passage d'un ensemble à un autre sans pour autant qu'une rupture nette n'existe entre les deux, ce qui rendrait ipso facto l'opposition entre les deux ensembles, structures, systèmes très appauvrissante, réductrice et inadéquate. De même la psychologie, notamment dans sa branche sociale, a repris cette idée. La singularité de l'observation, apparente dans cette discipline, le chercheur, à l'entomologiste qui classe les faits et les hommes. L'intelligence pousse alors à une catégorisation du social : en nommant des aspects qui ne l'avaient pas été jusqu'à ce jour, en rebaptisant des dénominations en subdivisant les catégories des catégories, en créant des espèces et des genres. «Cette manière d'éclairer le social, donnant des dénominations à ses composantes, nous transformerait non plus seulement en entomologiste mais en académicien d'un langage savant, ne demandant qu'à se fermer sur lui-même. L'ordre social serait ainsi sanctifié par la science : les décideurs décident et les savants catégorisent les effets des décisions»6(*).

La nécessité de rompre avec une démarche d'opposition a appelé cette logique de système où finalement l'ensemble appréhendé bien que considéré comme interdépendant est «lié par des relations telles que si l'un est modifié, les autres [ensembles] le sont aussi et que, par conséquent tout l'ensemble est transformé», on est typiquement dans une logique proche de celle de Condillac, qui dans cet esprit évoque : «un ordre où les différentes parties se soutiennent toutes mutuellement»7(*).

Dès lors, les phénomènes d'exclusion/inclusion consubstantiels l'un à l'autre dans une analyse en termes d'ensemble et de système ont pu définir dans les sciences molles sus-citées de type linguistique, psychologie sociale,... à des fins descriptives : le raffinement de l'objet étudié.

3. L'inclusion dans la systémique

La systémique est apparue comme la discipline par excellence de la dialectique exclusion/inclusion en ce qu'elle lui a donné une place centrale. A la veille de la seconde guerre mondiale, Karl Ludwig von Bertalanffy, biologiste austro-canadien, cherchait à lancer dans sa discipline une nouvelle approche propre à dépasser les impasses et les controverses de sa matière, en s'appuyant sur la théorie des systèmes ouverts et des états stables qui était en extension en physique, chimie, cinétique et thermodynamique, il entreprit une refonte de sa matière à travers un ouvrage resté célèbre : General system Theory8(*). Ce n'est cependant qu'après la guerre que ses travaux trouvèrent l'écho escompté dans un contexte plus favorable à la construction de modèle et aux généralisations abstraites, et ce d'autant plus facilement que des disciplines empruntaient des voies similaires : théorie cybernétique, théorie de l'information, théorie des jeux, théorie de la décision,...

L'idée nouvelle de la théorie des systèmes était que, pour véritablement comprendre un ensemble il fallait impérativement privilégier la connaissance des relations entre les composantes comme : l'interaction des processus conscients ou non chez l'individu, les interactions des enzymes dans une cellules,... Approche novatrice, la systémique comme grille d'analyse, repose sur trois principes que sont l'interaction (on ne peut comprendre un élément sans en connaître le contexte dans lequel il interagit), la totalité («le tout est supérieur à la somme des parties») et la rétroaction (forme de causalité circulaire). Il s'agit donc de parvenir à penser la totalité, des totalités, c'est aussi ce que l'on a dénommé la pensée holistique. On retrouve ici une démarche qui n'est pas sans rappeler la théorie des ensembles.

En mathématique, cela c'est traduit par le développement d'une kyrielle de théories (théorie des compartiments, théorie des graphes et théories de réseaux, théorie de l'information, théorie des jeux d'O. Morgenstern9(*)). En physique, cela donna naissance au paradigme de l'entropie. Chez Bertalanffy, cette idée de théorie générale des systèmes procédait d'une volonté de repérer des aspects généraux, des correspondances et des isomorphismes communs aux systèmes. Avec la cybernétique10(*), science de l'information et du contrôle, la systémique s'est trouvée enrichie d'un certain nombre de notions dans des schémas cohérents : énergie, information, processus de «Feed back», processus de contrôle,... Au sein de ce vaste ensemble, le diptyque exclusion/inclusion a permis l'appréhension globale d'un tout cohérent. C'est cette démarche qui sera d'ailleurs à l'origine de la systémique sociale américaine qui va véritablement travailler non plus simplement sur l'inclusion, mais sur l'inclusion sociale.

B. La compréhension du phénomène d'inclusion sociale

«Les idéologies sont un ingrédient naturel de la vie sociale ; que les idéologies surgissent non [pas bien] que l'homme soit rationnel, mais [parce qu]'il est rationnel que les idéologies soient un sous produit naturel et normal des sciences sociales»11(*)

Cette compréhension de l'inclusion sociale se fait dans une discipline déterminée, la sociologie, science étudiant entre autre la structuration de la société, et mettant donc en exergue dans ces études certains faits sociaux, et notamment le phénomène d'exclusion, de pauvreté et de marginalité. La littérature sur la thématique est pléthorique ; par conséquent une présentation non pas par auteur, mais de type chronologique, par mouvement intellectuel ayant traité la thématique, permettra de mieux saisir la notion d'inclusion sociale par les travaux menés sur son antonyme : l'exclusion. La systémique sociale américaine apparaît comme le mouvement intellectuel initiant les études sur le diptyque exclusion/inclusion (1), thématique qui sera encouragée par le structuralisme et le déconstructionnisme (2), pour trouver un second souffle via la promotion de la French Theory d'origine Outre Atlantiste en l'Europe (3).

1. La systémique sociale américaine : précurseur des études sur l'exclusion/inclusion sociale

La première réflexion sociologique sur l'exclusion ne date pas des années 50 aux Etats-Unis, mais remonte à un ouvrage de Georg Simmel intitulé Der Arme, de 1908, dans lequel il explique que le «pauvre» ne saurait représenter une catégorie sociale «en soi», dûment spécifiée, et donc susceptible de faire valoir des attributs univoques. Donc telle quelle une sociologie de la pauvreté ne saurait exister ; par là l'objet d'investigation ne saurait être la pauvreté en tant que telle, mais sa construction comme représentation sociale et objet d'intervention sociale. L'école de Chicago tenta à son tour dans les années 30 de renouveler ces travaux12(*). Mais c'est, durant les années 50/60, sous l'empire d'une tentative visant à déconstruire cette démarche jugée obsolète que se développe, à l'époque précise de la traduction du texte de Simmel, sous l'intitulé The Poor, un courant sociologique venant contredire et ré évaluer l'intérêt de la thématique à l'aune du mouvement systémique.

La préoccupation systémique provient dans la sociologie de la saisie, par les auteurs du milieu du XXème siècle, de la complexification des interdépendances entre les éléments et les processus : économiques, culturels, politiques, technologiques. Ces interdépendances conduisent à développer l'idée que les causalités de type classique sont trop simples et qu'il est par conséquent impératif d'inventer une nouvelle lecture plus approfondie, mieux adaptée à la saisie des interdépendances souvent instables. C'est dans ce contexte que la réévaluation du phénomène de pauvreté, d'exclusion et donc de sa potentielle réponse d'inclusion sociale va se développer. Pour appréhender la société dans sa globalité et tenter d'en échafauder une théorie globale, Talcott Parsons (1902-1979), sociologue américain, professeur à Harvard, «pape de la sociologie américaine» des années 50 et 60 va s'appuyer sur la systémique et développer : la systémique sociale dite «structuro fonctionnaliste».

Pour Parsons, la notion d'action est au centre de l'analyse des organisations sociales, celle-ci inclut les conduites extériorisées manifestes, mais aussi les pensées, les sentiments, les besoins,... C'est ainsi que l'action va se situer sur quatre plans, considérés comme des sous-systèmes du système général d'action (avec des liens d'interdépendance et de complémentarité. Ces quatre plans (biologique, psychique, social, culturel) ne constitue pas un ensemble clos, ils restent ouverts tout en maintenant des liens étroits d'interdépendance.

La société est perçue de la même façon comme un système particulier de collectivités. A ce titre comme le système d'action elle répond à une sub-division en éléments structuraux (valeurs, normes, collectivités, rôles) auxquels correspondent des ensembles structuraux complets ou encore des sous-système (sous-système de socialisation, sous-système d'organisation, sous-système politique et sous-système économique). Chacun de ces éléments structuraux assument un impératif fonctionnel13(*), nécessaire à la pérennisation du système social. Cette notion de fonction apporte la dimension dynamique ; pour Parsons cette fonction est un mode d'ajustement dans les rapports fluctuants entre les modèles institutionnalisés de la structure du système social et les variations provenant des systèmes extérieurs (géographique, biologique, psychique, culturel,...). Ce modèle théorique abstrait est le coeur de l'analyse de la société, expliquant ses réussites, ses dérives, et il offre une grille d'analyse renouvelée sur la thématique de l'exclusion, proposant ainsi la mise en place de correctif inclusif via l'un des sous-systèmes. L'inclusion sociale comme fait social est donc ici consubstantielle comme pouvaient l'être l'inclusion et l'exclusion (en mathématique), à l'exclusion sociale.

Dans une démarche identique mais contemporaine de Parsons, un courant sociologique américain dit Interactionnisme symbolique renouvelle l'approche de Parsons et la couple au travaux de l'école de Chicago14(*) dans la perspective ainsi que le développement de la criminologie américaine. Mettant en place un nouveau cadre théorique en étudiant l'ensemble des relations sociales qui concourent à la déviance : ils observent alors deux systèmes d'actions qui s'affrontent dans la représentation collective et en particulier dans les relations de face à face. Se faisant, l'étude de la déviance par les interactionnistes pousse ces derniers à s'interroger sur les outsiders15(*), qui dans cette optique sont ceux qui transgressent les normes, devenant ainsi étrangers au groupe, mais qui désignent aussi ceux qui sont étrangers au groupe de déviants. Dans le cadre de cette analyse, les interactionnistes listent dès lors les exclus, mais analysent aussi les différentes formes d'exclusion en tentant de montrer leurs similitudes et leurs différences, ainsi que la façon dont elles s'organisent de l'intérieur. Ipso facto, les interactionnistes symboliques abordent au travers de cette démarche l'exclusion et donc forcément son contraire : l'inclusion.

Niklas Luhmann (1927-1998), sociologue allemand, va lui aussi s'intéresser dans ses travaux à l'optique systémique et intégrer, dans son analyse16(*), des systèmes sociaux comme instances autopoïétiques (qui se génèrent eux-même par auto-organisation), la dimension nécessairement inclusive devant être apportée comme un correctif au phénomène de paupérisation ou d'exclusion sociale qui apparaît comme une donnée quasi intangible des sociétés modernes, post modernes, contemporaines.

L'analyse systémique se poursuivra enfin en France, avec Alain Touraine17(*), qui dans ses travaux, propose une conception dynamique des systèmes sociaux, insistant sur la dimension historique de ceux-ci et sur les conflits qui les traversent. «Les relations sociales ne se réduisent pas aux stratégies des acteurs, mais dépendent également des caractéristiques des systèmes d'action dans lesquels les individus sont amenés à interagir»18(*).

2. Le structuralisme et le déconstructionnisme : promoteur de cette thématique

Le structuralisme est le pendant européen de la systémique américaine ; véritable tendance de fond qui traverse aussi bien la philosophie que les sciences humaines et sociales, et que l'on désigne souvent en parlant de tournant linguistique, le structuralisme se singularise par le fait de rompre avec les approches centrées sur le sujet individuel en mettant l'accent sur le primat du langage dans la structuration de la pensée et du sens. En résumé, la systémique américaine trouve son origine dans une littérature de type scientifique, au sens premier du terme, là où son pendant européen va se développer autour des littératures propres à l'élaboration d'une science «molle» qu'est la linguistique. La vague structuraliste en France correspond à l'extension des modèles d'analyse issus de la linguistique moderne associée à Saussure, Hjemslev et Jakobson à l'ensemble des sciences humaines. Ainsi va se développer une anthropologie, une sémiologie et une narratologie structuraliste. L'analyse s'appuie sur : «une théorie de la signification mettant en jeu trois composantes fondamentales : le signifiant (le son, la trace écrite ou l'élément visuel), le signifié (l'idée véhiculée par le signifiant) et le référant (la réalité extérieure au signe et que celui-ci vise)»19(*). Ici l'exclusion n'est ainsi pas un phénomène réel, quelque chose qui existerait en soi, hors discours (de même pour l'inclusion), mais une certaine lecture du réel qu'il s'agit d'interpréter. «Le point de vue définit l'objet», dit Saussure, le regard inscrit le réel dans un réseau de signifiant. Cette démarche qui n'est pas sans rappeler la systémique américaine, va progressivement gagner dans les années soixante l'ensemble de la philosophie et des sciences humaines, donnant naissance à des formes de plus en plus spéculatives d'application. C'est dans cette vague que vont se développer en Grande Bretagne les premières Cult'Studs'20(*), que l'on pourrait définir pour paraphraser la formule surréaliste comme : «la rencontre d'une récente machine marxiste britannique et d'un parapluie théorique français sur le terrain de la société [et de sa compréhension]»21(*). Les Premières enquêtes de politique identitaire, nées autour du Center for contempory Cultural studies à Birmingham début des années 60, vont en partie être à l'origine d'un renouveau des analyses sociologiques sur les Outsiders, littéralement «les exclus» notamment sous la plume de Norbert Elias : La logique de l'Exclusion ( The Established and the Outsiders) parue en 1965, et plus spécifiquement sur le phénomène d'exclusion comme fait social (cette enquête s'appuie pour partie sur la méthodologie du courant des interactionnistes symboliques mais pas sur l'objet de leurs études, ainsi les «Outsiders» de Elias ne se confondent pas avec ceux des interactionnistes). C'est précisément dans ce courant d'analyse que l'inclusion sociale va faire l'objet d'une analyse systématique, en ce qu'elle doit répondre aux problèmes posés par l'exclusion. Il n'est d'ailleurs pas inutile de noter que ce mouvement intellectuel, et les études qu'il véhicule sur le caractère structuré de la société, en relevant l'existence d'un phénomène de pauvreté résiduelle (de marginalité, d'inadaptation, de vulnérabilité, d'exclusion), trouve comme écho l'avènement de courant politique visant une action publique à vocation intégrative, inclusive (dans ce sens la politique de John Fitzgerald Kennedy aux Etats-Unis, celle de Clement Atlee en Grande Bretagne, ou encore celle de Adenauer puis Erhard en Allemagne, la situation française se singularisant par une crise de politique extérieure larvée avec une de ses anciennes colonies qu'est l'Algérie). Cependant, le mouvement structuraliste va connaître une critique importante de la part d'un certain nombre d'auteurs insatisfaits des postulats du structuralisme ou de ses orientations scientistes. Parmi les remises en question les plus notables on trouve l'abandon de l'idée de «système», le décrochage entre le signifiant et le signifié, qui vise à stabiliser la signification et à maîtriser le sens, en bref l'avènement d'une contextualisation, d'une historicisation de la démarche, qui débouche sur une lecture critique des discours sociaux et des institutions qu'ils soutiennent, et en particulier de la philosophie, des doctrines, des récits de légitimation et des énoncées de savoirs et de vérité occidentaux par trois grands noms qui sont : Derrida, Foucault et Lyotard. Ainsi né le déconstuctionnisme dit aussi, post-structuralisme ou French Theory.

3. Le renouveau en Europe de l'inclusion sociale via la French Theory

L'histoire apporte son lot d'étrangeté et la promotion de la French Theory en est une excellente illustration. Il est en effet étonnant de songer que les promoteurs du renouveau théorique, dogmatique et pratique de l'inclusion sociale, que sont Derrida, Baudrillard, Lacan, Deleuze, Guattari, Lyotard, Althusser... «dé-francisés», aient connu leurs premières heures de gloire outre-Atlantique. En effet, les pères du déconstructionnisme, du post structuralisme, bien que français, sont américains.

La raison ? Une querelle universitaire qui a abouti à opposer la France de Mai 68, qui inhumait ces dangereux «échevelés de la pensée 68»22(*) au profit du nouvel humanisme citoyen et de son universalisme abstrait, aux oeuvres françaises de l'après structuralisme écrites aux Etats-Unis dans le cadre d'un mouvement intellectuel fournissant un socle théorique fondamental aux études multiculturelles, aux Gender Studies, aux Cult'Studs, terres d'élection de la description du phénomène d'exclusion sociale et de la mise en exergue de la nécessité d'y apporter un correctif par la mise en place de politiques à vocation inclusive. Le postmodernisme, sur la base de la conception qu'il développe du savoir et de la pratique de la recherche permet de déboucher sur une remise en cause des découpages disciplinaires en vigueur. De sorte, il promeut de nouveaux objets d'étude que la structuration du système universitaire américain facilite par le développement de programmes d'études plus ou moins autonomes, centrés sur des univers de pratiques spécifiques ou des questions, nécessitant une orientation pluridisciplinaire, croisant les humanités et sciences sociales. L'affirmation, la manifestation, la revendication identitaire en oeuvre, particulièrement aux Etats-Unis, offre un terrain très favorable à l'analyse et aux concepts associés au poststructuralisme. C'est dans ce contexte très singulier, que les auteurs/docteurs/chercheurs français vont se montrer prolifiques en renouvelant profondément la méthodologie, l'orientation philosophique, épistémologique et théorique. La sociologie postmoderne qui ressort de ce mouvement va durablement réinscrire, au centre de ses réflexions, l'exclusion comme fait social et donc concurremment l'inclusion comme réponse ; l'actualité du sujet est par ailleurs entérinée par l'éminent impact de la thématique sur la Politique (Policy) elle-même.

«Comment se gouverner en exerçant des actions où on est soi même l'objectif de ses actions, le domaine où elles s'appliquent, l'instrument auquel elles ont recours et le sujet qui agit» ? 23(*).

Il est clair qu'avec l'autonomisation du champ économique, les nouveaux modèles d'organisation productif, le développement concomitant du champ des compétences et des aptitudes requises, le déploiement d'une crise économique systémique que rien ne semble parvenir à enrayer,... l'intérêt des mouvements universitaires doctrinaux est allé grandissant pour expliquer l'exclusion mais aussi et pour surtout tenter de formuler des propositions de type action de politique publique à vocation intégrative, ré-insertive et inclusive. C'est bien dans ce sens que doit être comprise l'interrogation de Foucault. Dans le même ordre d'idée l'ouvrage de référence français écrit par R. Lenoir en 1974, intitulé Les Exclus renvoie bel et bien à la question fondamentale de répondre au phénomène d'exclusion. La réponse théorique de l'inclusion sociale et de sa promotion va justement émerger de la French Theory et des controverses que suscitera le mouvement à la fois outre Atlantique et en Europe. La joute doctrinale va permettre le passage, le transfert, la réception, ici sur le «vieux Continent» de l'inclusion sociale comme moyen de parvenir à enrayer, du moins répondre au vaste phénomène d'exclusion et de marginalité recensé dans l'ensemble de la société européenne justement au moment de l'avènement de cette superstructure politico-économique, qui au terme du mécanisme de Spill Over, a une vocation sociale prégnante.

* 2 S. Kartz, L'exclusion, définir pour en finir, Dunod, 2004

* 3 J.-L. Verley, Théories des ensembles, article de l'Encyclopedia Universalis, 2001

* 4 G. Boole, The mathematical analysis of logic, 1847

* 5 «Un certain système de choses est un tout consistant en certaines parties...Un système dans lequel l'ordre des parties est indifférent s'appelle un ensembles», Bolzano, Les paradoxes de l'infini, Berlin, Mayer et Müller, 1899

* 6 J. Gautra : Le rôle du chômage et de la pauvreté dans le débat public, Allocations familiales, C.N.A.F, n°38, décembre 1994, pp. 69-75

* 7 E. B. de Condillac, Traité des sensations, 1754

* 8K. L. von Bertalanffy, Théorie générale des systèmes, trad. franç. de J.-P. Chabrol, Paris, Dunod, 1980

* 9 O. Morgenstern, Theory of Games and economic Behavior, Princeton University Press, 1947

* 10 N. Wiener, Cybernétique et Société, Paris, Plon, 1962

* 11 R. Boudon, L'idéologie. L'origines des idées reçues, 1986, Paris, Fayard, p.22

* 12 Y. Grafmeyer, L'école de Chicago : naissance de l'écologie urbaine, Flammarion, 2004

* 13 La démarche de Parsons est la suivante :

Pour qu'une société stable puisse exister, il lui faut répondre à plusieurs fonctions qui sont l'adaptation à l'environnement (adaptation=A), la poursuite d'objectifs (goal=G), le système ne fonctionnant que s'il est mû ou orienté par un but, l'intégration interne du système (integration=I), et enfin l'entretien des modèles et des normes (lattent pattern maintenance and tension managment=L). Ainsi naissent les fonctions du système représenté par le sigle AGIL.

* 14 M. Halbwachs, Chicago : experience ethnique, Annales d'histoire économique et sociale, T. 4, Armand Colin, 1932

* 15 Howard S. Becker, Outsiders - Etude de sociologie de la déviance -, Métailié, Paris, 1963

* 16 N. Luhmann, Soziale systeme. Grundriss einer allgemeinen Theorie, Franckfort, Suhrkamp, 1982

* 17 A. Touraine, Production de la société, Paris, le Seuil, 1973

* 18 J.-C. Lugan, La systémique sociale, PUF, Nov. 2005

* 19 Y. Bony, Sociologie du temps présent, Armand Colin, 2005, p.51

* 20 Enquêtes ou études culturelles se donnant pour objet «les formes les pratiques et les institutions culturelles et leurs rapports avec la société et le changement social».Armand Mattelart et Erik Neveu, Cultural studies' stories - La domestication d'une pensée sauvage -, Réseaux n°80, CNET, 1996

* 21 F. Cusset, French Theory, p.145, La découverte, 2ème édition 2005

* 22 M. Gauchet, La condition historique, Stock, Paris, 2003

* 23 M. Foucault, Résumé de cours, 1970-1982

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand