Chapitre 1 : Coexistence des procédures
collectives et arbitrales
38. La coexistence des procédures arbitrales et
collectives s'exerce de deux façons, que le Professeur Dominique Vidal a
évoquées1 lors d'un colloque en parlant << de
l'arbitrage dans la faillite à l'arbitrage de la faillite È.
Cette citation traduit deux réalités qui seront
étudiées successivement, en distinguant << l'arbitrage de
la faillite È qui recouvre la question de l'arbitrabilité des
procédures collectives (Section 1), puis << l'arbitrage dans la
faillite È qui correspond à la situation oü une
procédure collective et une procédure arbitrale se
déroulent concomitamment (Section 2). Lorsque procédures
collectives et arbitrales coexistent, la ligne de séparation n'est pas
figée mais évolue. Cette évolution peut se faire au fil du
temps comme c'est le cas pour l'arbitrabilité des procédures
collectives. Mais dans le cas oü les procédures sont concomitantes,
c'est un critère chronologique qui détermine la
prédominance plus ou moins forte des procédures collectives.
Section 1 : L'évolution de
l'arbitrabilité des procédures collectives
39. L'arbitrage de la faillite recouvre la notion
d'arbitrabilité, définie par Monsieur Bucher comme <<
l'aptitude d'une cause à constituer l'objet d'un arbitrage2
È. Cette question de savoir si une procédure collective peut
faire l'objet d'un arbitrage a donné lieu à une évolution
jurisprudentielle importante. Si dans un premier temps le législateur a
été très hostile à admettre l'arbitrabilité
des procédures collectives (Sous-section 1), la jurisprudence et la
doctrine l'ont progressivement consacrée, tout en l'encadrant
(Sous-section 2).
Sous-section 1 : Les obstacles légaux à
l'arbitrabilité des procédures collectives
40. Le domaine des procédures collectives est
fortement empreint d'ordre public et ce dernier constitue l'obstacle majeur
à l'arbitrabilité des procédures collectives (1). Par
conséquent, les procédures collectives font l'objet d'une
attribution exclusive de compétence au profit des juridictions
étatiques dont il convient d'examiner les raisons (2).
§ 1 L'ordre public comme limite à la
compétence de l'arbitre
41. Bien que l'institution arbitrale bénéficie
d'une véritable autonomie, l'ordre public limite la compétence de
l'arbitre en bridant l'indépendance de cette justice privée (A)
et en excluant l'arbitrage des matières qui sont fortement
marquées par l'ordre public (B).
1 Rapport de synthèse, colloque de Nice Sophia-Antipolis
sur les entreprises en difficulté, LPA, 9 janvier 2002, n° 7, p
76.
2 A. Bucher, Le nouvel arbitrage international en Suisse,
éd. Helbing et Lichtenhahn, Théorie et pratique du droit, 1988,
n° 86, p. 37.
A - L'ordre public : rempart contre l'autonomie de
l'arbitrage
42. L'arbitrage est un mode alternatif de règlement
des litiges distinct de la justice étatique. Par conséquent, il
doit en principe obéir à des règles qui lui sont propres,
sans que l'Etat puisse lui imposer ses règles légales.
Néanmoins, si les Etats reconnaissent pleinement l'autonomie de
l'arbitrage (1°), leur ordre public constitue un garde fou efficace pour
limiter ou interdire l'arbitrage de certains litiges (2°).
1 Le principe d'autonomie de l'arbitrage
43. L'arbitrage laisse une place importante à la
volonté des parties qui peuvent ainsi librement décider de
soustraire un litige à la compétence des juridictions
étatiques. Mais leur volonté peut aller encore plus loin car le
concept d'autonomie de l'arbitrage couvre deux réalités : d'une
part, l'indépendance de l'institution arbitrale vis-à-vis des
juges étatiques, mais aussi l'autonomie de l'arbitrage vis-à-vis
des lois1. Ainsi, la convention d'arbitrage peut être soumise
à une loi différente de celle qui régit le contrat
principal. Les règles de droit applicables à l'arbitrage sont
donc détachées de celles du droit étatique.
De ce fait, les arbitres sont libres de s'affranchir des
règles de droit de la procédure judiciaire, en vertu de l'article
1460 alinéa 1 du nouveau Code de procédure civile2. En
outre, ils disposent de pouvoirs étendus quant à la
détermination des règles applicables aux litiges car leur pouvoir
dépend de la volonté des parties. Ils peuvent recevoir mission de
statuer en appliquant les règles de droit ou de statuer en amiable
composition, dans ce cas les règles de droit s'appliquant normalement
sont écartées et les arbitres statuent en équité.
Ils choisissent alors la solution qui leur appara»t la plus juste eu
égard à l'équité ou encore aux usages du
commerce3. Mais si les parties n'ont rien prévu4,
les arbitres doivent appliquer les règles de droit.
44. L'arbitrage international étant lui aussi
autonome, l'arbitre peut ne pas avoir recours aux lois nationales et retenir
des normes non étatiques, ou bien appliquer des lois qui ne sont
rattachées à aucun ordre juridique étatique5.
Par conséquent, la convention d'arbitrage internationale n'a pas
à être rattachée à une loi étatique pour
être valable. Elle est donc décrite comme un << contrat sans
conflits de lois È sans être << un contrat sans
lois6 È. De sorte que la validité de la convention
1 En ce sens, Ph. Fouchard, préface thèse <<
L'arbitrage commercial international et l'ordre public È, J-B Racine,
LGDJ, 1999.
2 Art 1460 al 1 NCPC : << Les arbitres règlent la
procédure arbitrale sans être tenus de suivre les règles
établies pour les tribunaux, sauf si les parties en ont autrement
décidé dans la convention d'arbitrage È.
3 X. Linant de Bellefonds, L'arbitrage et la médiation,
Que sais-je ?, 2003, p. 61.
4 Art 1474 NCPC : << L'arbitre tranche le litige
conformément aux règles de droit, à moins que, dans la
convention d'arbitrage, les parties ne lui aient conféré mission
de statuer comme amiable compositeur È.
5 En ce sens, J-B. Racine, op. cit.
6 P. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, Traité de
l'arbitrage commercial international, Litec, 1996, p. 251.
d'arbitrage est appréciée indépendamment de
toute loi étatique.
Néanmoins, la compétence de l'arbitre est
subordonnée au respect des règles d'ordre public. Car si
l'arbitrage est autonome, il ne doit pas être un moyen de porter atteinte
à l'ordre public d'un Etat.
2° L'autonomie de l'arbitrage limitée par
l'ordre public
45. La notion d'ordre public recouvre l'ensemble des Ç
valeurs fondamentales d'une société auxquelles les parties
à un acte juridique ne peuvent déroger par des stipulations
contraires1 È. C'est un concept difficile à
appréhender dans la mesure oü chaque pays a son propre ordre
public. En effet, l'ordre public correspond à un ensemble de valeurs
jugées essentielles, dans une société donnée -
à un moment donné. C'est pourquoi, l'ordre public est à la
fois Ç relatif et évolutif2 È : non seulement
il est propre à chaque Etat, mais il est aussi progressivement
modifié en fonction de l'évolution de la société.
Notons qu'il existe aussi un ordre public international, qui permet
d'évincer toute législation étrangère3
qui heurterait Ç manifestement È les valeurs d'une
société et qui serait alors remplacé par la loi du
for4. Il a pour effet de limiter la compétence de l'arbitre
lorsqu'il doit statuer en droit.
46. On peut avancer que l'ordre public est avant tout une
manifestation de la suprématie de l'Etat et de sa justice
étatique. Il vient contrecarrer l'indépendance de cette justice
privée qu'est l'arbitrage afin d'en limiter les excès. C'est
pourquoi, le Professeur Philippe Fouchard parle de Ç rempart contre
l'autonomie5 È de l'arbitrage.
Il en résulte que la compétence de l'arbitre est
limitée par le respect de l'ordre public, qui impose des normes
impératives, que la seule volonté des parties ne peut exclure. Or
les procédures collectives sont fortement marquées par l'ordre
public, ce qui limite ipso facto la compétence de l'arbitre. Et
fait également peser une suspicion légitime
d'inarbitrabilité des procédures collectives6.
1 Dictionnaire du vocabulaire juridique, Objectif droit, Litec,
2004.
2 Cours de droit international privé, UT1, 2010.
3 P. Mayer, La sentence contraire à l'ordre public au
fond, Rev. arb. 1994., n°29, p. 639.
4 La loi du for dite aussi lex fori signifie que la loi
appliquée est celle du lieu oii la juridiction a été
saisie.
5 Ph. Fouchard, préface thèse Ç L'arbitrage
commercial international et l'ordre public È, J-B Racine, LGDJ, 1999.
6 Ç Certaines matières éveillent la
méfiance quand il est question d'arbitrabilité car elles sont
empreintes de nombreuses dispositions contraignantes È, O. Caprasse, Les
sociétés et l'arbitrage, LGDJ, 2002.
B - L'inarbitrabilité des matières
intéressant l'ordre public 1° L'inarbitrabilité
légale des procédures collectives
47. Les conditions de validité d'une convention
d'arbitrage peuvent être classées en deux catégories, les
conditions relatives à la capacité de compromettre et les
conditions relatives à l'arbitrabilité du litige. La question de
savoir si les litiges concernant les procédures collectives peuvent
faire l'objet d'un arbitrage est d'importance car le non respect de cette
condition de validité est sanctionné par la nullité de la
convention d'arbitrage1.
Pendant longtemps, l'inarbitrabilité des litiges
concernant une procédure collective semblait ne pas faire de doute. En
effet, la justification n'était autre que légale, puisque
l'article 2060 du Code civil affirme : << on ne peut compromettre sur les
questions d'état et de capacité des personnes, sur celles
relatives au divorce et à la séparation de corps ou sur les
contestations intéressant les collectivités publiques et les
établissements publics et plus généralement dans toutes
les matières qui intéressent l'ordre public È. Nul doute
que les procédures collectives intéressent l'ordre public. Elles
étaient donc interprétées comme étant, de ce seul
fait, inarbitrables.
2° Consécration jurisprudentielle de
l'inarbitrabilité des procédures collectives
48. Cette règle selon laquelle la seule
présence d'ordre public exclut l'arbitrabilité a
été consacrée par la jurisprudence pour qui << le
compromis est nul chaque fois que l'arbitrage suppose l'interprétation
et l'application d'une règle d'ordre public2 È. Cette
solution a pour objectif de faire primer les valeurs essentielles d'une
société, transcrites dans son ordre public, sur la volonté
des parties.
49. Or il est difficile de concilier le caractère
autonome de l'arbitrage avec la nécessaire protection de
l'intérêt général qu'implique l'ouverture d'un
procédure collective. L'inarbitrabilité des procédures
collectives met en exergue cette confrontation entre procédures
collectives et arbitrales. Mais elle permet aux Etats de protéger
certains domaines face au développement de la justice privée.
Ainsi, les litiges concernant des procédures collectives ne peuvent se
voir appliquer des règles détachées du système
étatique, du fait de la présence d'ordre public. Cette
interprétation de l'article 2060 du Code civil, qui a aujourd'hui
évoluée, justifiait l'inarbitrabilité des
procédures collectives et traduisait une manifestation concrète
de la suprématie des procédures collectives.
1 X. Linant de Bellefonds, L'arbitrage et la médiation,
Que sais-je ?, 2003, p. 44.
2 Paris, 9 février 1954, D. 1954, p. 192.
§ 2 Les justifications à l'attribution
exclusive de compétence au profit des juridictions
étatiques
50. Il résulte de l'inarbitrabilité des
procédures collectives, que tout litige concernant une procédure
de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire
relève exclusivement de la compétence judiciaire, dans cette
conception oü la seule présence d'ordre public suffisait à
écarter l'arbitrage. Cependant, d'autres raisons se cachent
derrière l'inarbitrabilité du fait de la présence d'ordre
public. En effet, il para»t opportun de confier les litiges
intéressant les procédures collectives aux seules juridictions
étatiques afin de centraliser les contentieux (A). Mais l'arbitrage des
procédures collectives est aussi exclu dans le but de protéger
l'intérêt des tiers, et plus largement l'intérêt
collectif (B).
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