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Réflexions sur le concept d'états défaillants en droit international

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par Wenceslas MONZALA
Université de Strasbourg - Master II Droit International Public 2012
  

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Paragraphe 1 : L'après seconde guerre mondiale et l'affirmation du principe

d'autodétermination des peuples

Afin de mieux établir la corrélation existant entre la consécration du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et l'émergence du concept d'Etats défaillants dans la doctrine du droit international, il faudrait au préalable préciser la signification de ce principe même et l'historique de sa codification. En effet, le processus de codification du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » ou encore le « principe de l'autodétermination des peuples » remonte aux Révolutions américaine et française qui vont consacrer de façon assez embryonnaire ce droit. La formulation de l'article 2832 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 23 Juin 1793, en consacrant le droit de chaque peuple de revoir, de

31 Voir par exemple la National Security Strategy of the United States of America de 2002, étudiée plus loin.

32 Cette disposition se lit comme suit : « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ».

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réformer ou de changer sa constitution, laisse dès lors présager la future consécration du principe d'autodétermination des peuples. Plus tard, après la première guerre mondiale, le président américain Woodrow Wilson, dans ses « quatorze points » va formellement mettre en lumière le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Un principe désormais fondamental en droit international car il sera repris par la Charte des Nations Unies parmi les « buts des Nations Unies »33 et aussi par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques34. Cette consécration va également être confirmée par deux Résolutions de grande portée à savoir la Résolution 151435 adoptée par l'Assemblée Générale le 15 Décembre 1960 et la Résolution 262536 adoptée par la même assemblée le 24 Octobre 1970. Toutefois, ni la Charte, ni les différentes résolutions sus-mentionnées ne précisent le contenu du droit à l'autodétermination ni d'ailleurs sa nature juridique. A ce sujet, Jean François Guilhaudis propose une lecture du droit des peuples à l'autodétermination selon une double approche classique et moderne37. Sous son aspect classique, le droit des peuples à l'autodétermination renferme, selon, J.-F. Guilhaudis, le droit pour une population de ne pas être échangée ou cédée contre sa volonté et le droit des peuples sur le plan interne et constitutionnel de choisir leur régime politique et, , dans sa version moderne, le droit des peuples déjà constitués en État de disposer d'eux-mêmes38. Toutes ces options, dans l'interprétation du principe d'autodétermination des peuples, ne concourent qu'à la complexification de son application ; or, il s'agit là d'un principe qui sera à la base du droit international après la seconde guerre mondiale. Ainsi, à la suite de J.-F. Guilhaudis, nous pouvons dégager quatre interprétations possibles du principe d'autodétermination des peuples : le droit des peuples à choisir leur forme de gouvernement, le droit des peuples à être consultés sur toute cession territoriale, le droit des peuples à être protégés contre toute intervention extérieure et le droit des peuples à se libérer d'une domination qui les opprime.

Il s'ensuit que le principe d'autodétermination peut recouvrer à la fois une dimension « externe », sans doute celle qui a donné lieu à la décolonisation (A), et une dimension « interne », celle qui sera à l'origine de la dislocation de plusieurs entités fédérées en Europe de l'Est ; laquelle dislocation a entraîné ce qui a été appelé la décommunisation (B). La décolonisation et la décommunisation ont constitué de ce fait l'un des plus grands mouvements de successions d'Etats après la décolonisation de l'Amérique latine au début du XIXe siècle et le démantèlement des empires turc et austro-hongrois à la fin de la première

33 Art. 1. 2 de la Charte des Nations Unies qui se lit comme suit : « [...] Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux - mêmes [...] ».

34 Article 1. 1 du Pacte international sur les droits civils et politiques du 16 décembre 1966 qui se lit comme suit : « tous les peuples ont le droit de disposer d'eux - memes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel ».

35 AGNU/Rés. 1541 (XV), Sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux, 14 Décembre 1960.

36 AGNU/Rés. 2625 (XXV), Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, 24 Octobre 1970.

37 GUILHAUDIS J. - F., Le droit des peuples à disposer d'eux - mêmes, Presses Universitaires de Grenoble, 1976, pp. 168.

38 Id., p. 17

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guerre mondiale. Les tentatives de codification de la pratique de successions d'Etats39 n'ont pas pu empêcher le bouleversement de la configuration de l'espace étatique mondial en raison du contexte et de l'importance de ces deux évènements. Mais, si de l'avis du professeur Serge SUR40, les nouveaux Etats issus de la décolonisation et de la décommunisation témoignent de la vitalité de l'institution étatique, un tel optimisme doit être tempéré au regard des difficultés que vont rencontrer ces Etats dans l'affirmation de leur légitimité et dans la création d'un véritable État de droit, selon les standards admis jusque là par la société internationale.

A. Le contexte de la décolonisation

En dépit de nombreuses controverses sur le fondement juridique du droit à la décolonisation41, cette dernière a toujours été considérée comme la mise en oeuvre par excellence du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La décolonisation va ainsi générer la création de nouveaux Etats, majoritairement sur le continent africain, qui constituera d'ailleurs, dans les développements ultérieurs, le cadre matériel de l'étude de l'émergence des premiers Etats défaillants. A ce titre, l'Assemblée Générale des Nations Unies (ci après AGNU), dans sa volonté décolonisatrice va considérer que « [...] les questions de superficie, d'isolement géographique et de ressources limitées ne doivent retarder en aucune façon l'application à ces territoires de la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux »42. De ce fait, aucune appréciation n'a été portée sur l'aptitude de ces Etats indépendants à assumer l'exercice des fonctions qui découlent de leur nouveau statut d'Etats indépendants. Cette question ne se posait d'ailleurs pas puisqu'elle était en opposition directe avec le principe même de l'autodétermination des peuples et la raison d'être de la décolonisation43. Dans le contexte africain qui nous intéresse, ces nouveaux Etats vont très vite être confrontés à des difficultés économiques et politiques croissantes déclenchant ainsi l'irréversible processus de leur défaillance. Plusieurs auteurs vont, dès le lendemain des indépendances et précisément dans les années 1970, s'interroger sur la nature de ces nouvelles entités étatiques qui n'ont d'Etats que le nom44. A ce titre, Robert Jackson d'une manière

39 Sur la codification de la succession d'Etats, Voir la A/CONF. 80/31, Nations Unies, Convention de Vienne sur la succession d'Etats en matière de traités du 23 Août 1978 ; et A/CONF. 117/14, Nations Unies, Convention de Vienne sur la succession d'Etats en matière de biens, archives et dettes d'État du 7 Avril 1983.

40 SUR S., op. cit. p. 2

41 CHARPENTIER J., « Autodétermination et décolonisation » in Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes : méthodes d'analyse du droit international : Mélanges offerts à Charles CHAUMONT, Paris, A. Pedone, 1984, pp. 117 - 133.

42 AGNU/Rés. 2592 (XXIV), § 4.

43 HELMAN et RATNER, op. cit., p. 3

44 ROTHSTEIN R. L., op. cit., p. 3

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assez provocatrice les qualifie de « quasi states »45 (ou quasi-Etats). Il considère en effet que «The state in Africa is . . . more a personal- or primordial-favouring political arrangement than a public-regarding realm. Government is less an agency to provide political goods such as law, order, security, justice, or welfare and more a fountain of privilege, wealth and power for a small elite who control it [. . .] Many governments are incapable of enforcing their writ throughout their territory. In more than a few countries . . . some regions have escape from national control [. . .] and the states are fairly loose patchworks of plural allegiances and identities some what reminiscent of medieval Europe»46. L'ex-Zaïre, devenu la République démocratique du Congo, constitue une parfaite illustration de la manière dont l'institution étatique, héritée de la période coloniale, s'est rapidement effondrée après l'indépendance du pays.

Depuis son indépendance le 30 Juin 1960, concédée dans la précipitation par la Belgique, le Congo-Kinshasa a connu une instabilité politique presque chronique. La mise en place d'un pouvoir étatique stable a aussitôt échoué car, dès Juillet et Août 1960, auront lieu les sécessions du Katanga et du Sud Kasaï. S'ensuivra ensuite une série de crises politiques et militaires qui vont matérialiser le processus de défaillance d'un pouvoir étatique déjà inexistant dans ce nouvel État indépendant. Sur le plan économique, le pays, comme beaucoup d'autres pays africains dans cette période, ne vivait qu'aux dépens des aides et dons des organismes financiers internationaux, d'anciens pays colonisateurs ainsi que du soutien des Etats-Unis et de l'URSS pendant la guerre froide. Au regard de ces éléments, le principal attribut de l'État, la souveraineté, n'aura été pour de nombreux Etats africains nouvellement indépendants qu'une fiction47.

Partant de ce constat, Robert Jackson évoque l'idée d'une « souveraineté négative » qui caractérise ces Etats et qui se traduit par leur incapacité à faire valoir les prérogatives inhérentes à une pleine souveraineté. Cette phase de souveraineté négative marque le début de la défaillance étatique car, à ce stade du processus, le pouvoir n'a pas encore complètement disparu mais il commence à se reconstituer autour d'autres organisations politiques telles que les mouvements sécessionnistes, les seigneurs de guerre (ou « warlords »)48 ou du crime organisé49. Le cas de la Somalie, considérée comme le cas d'école des Etats défaillants voire

45 JACKSON R.H., op. cit., p. 9

46 Id. p. 10

47 HERBST J., «Responding to state failure in Africa», International Security, Vol. 21, n°3, Hiver 1996 - 1997, p. 122

48 Sur cette question, Voir RENO W., Warlord Politics and african states, London, Lynne Rienner Publishers, 1998, p. 269

49 Sur la description du processus de défaillance étatique, voir BATT J. et LYNCH D., « What is a failing state, and when is it a security threat?», Working Paper (Institut d'Etudes de Sécurité de l'Union Européenne), 8 Novembre 2004, p. 2 disponible sur le http://www.iss.europa.eu/uploads/media/analy099_01.pdf (Consulté le 04 Juillet 2012)

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« faillis »50, illustre fort bien ces propos. Dans les années 1990, la Somalie ainsi que le Libéria, mais également hors d'Afrique Haïti et la Yougoslavie, vont constituer une deuxième génération d'Etats défaillants et justifier l'approfondissement du concept d'Etats défaillants, en particulier à partir de la guerre civile en Somalie. Ancienne colonie britannique, le Somaliland accède à l'indépendance le 26 Juin 1960 et fusionne avec l'ancienne colonie italienne quand celle-ci devient à son tour indépendante le 1er Juillet 1960 pour créer la Somalie51. La guerre civile débutera en 1979 après l'accession au pouvoir du président Siad Barré et sa volonté d'éliminer toute forme de clanisme dans le pays. A partir des années 1980, de nombreux groupes rebelles émergent et les jours du président Siad Barré, qui recherche le soutien des Etats-Unis, sont désormais comptés. Chaque clan constitue son front de libération face aux exactions commises par le régime et ses dérives criminelles et mafieuses. Au début des années 1990, la Somalie est totalement déstructurée par les combats qui se sont étendus sur l'ensemble de son territoire. Le 27 Janvier 1991, le président Siad Barré est renversé par le général Mohamed Farah Aïdid qui le contraint à l'exil. La chute de l'ancien dictateur ne met pas un terme aux hostilités. Les différents clans somaliens se livrent, depuis cette période, à une lutte acharnée pour contrôler le pays52.

Nous pouvons tirer deux principaux enseignements de l'effondrement de l'État somalien. Le premier enseignement est parfaitement mis en lumière par cette métaphore de W. Zartman lorsqu'il considère que la défaillance étatique est « [...] a long - term degenerative disease »53. En réalité, la défaillance étatique se traduit, à l'instar des cas somaliens et congolais cités plus haut, par une incapacité pour l'entité étatique dans l'exercice de l'autorité souveraine, dans l'organisation dans la prise de décision et dans le monopole de la sécurité. Étant donné que ces trois fonctions sont souvent enchevêtrées, la défaillance étatique se matérialise, dans la pratique, par une perte progressive des attributs traditionnels de l'État. Ensuite, l'absence de véritables nations, base de toute construction étatique, peut aussi expliquer la défaillance des Etats issus de la décolonisation. Tel est le second enseignement qu'on peut tirer de l'étude de ces deux Etats défaillants. On peut retenir, en effet, de l'expérience européenne que toute construction étatique viable doit reposer sur un « vouloir vivre ensemble » des différentes composantes de sa population. Dans le cas des Etats africains, l'agrégation de plusieurs ethnies, quasiment tenues à accepter, de facto, de vivre dans un même cadre territorial, présageait un échec certain de ces Etats. Ces derniers acquièrent le statut d'Etats avec un lourd handicap, celui du découpage artificiel de leurs frontières issues de la colonisation ; un handicap qui a compromis les efforts de construction de véritables nations en Afrique. Les Etats africains issus de la décolonisation ont échoué dans la préservation de l'unité de leur base humaine. Cet échec est aussi celui de l'État car, comme l'exprime assez bien ADHEMAR ESMEIN, « l'État est la personnification juridique de la

50 VERON J. - B., « La Somalie : cas d'école des Etats dits « faillis » », Politique étrangère, 2011/1 Printemps, pp. 45 - 47.

51 Sur l'historique de la construction de l'État somalien voir MARCHAL R., « Le Somaliland : entre construction et reconstruction de l'État », Afrique contemporaine, n° 199, Juillet - Septembre 2001, pp. 192 - 204.

52 Voir BALENCIE J. - M. et A. De LAGRANGE, Les nouveaux mondes rebelles : conflits, terrorisme et contestations, Paris, Editions Michalon, 2005, p. 503

53 ZARTMAN W., op. cit., p. 8

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nation »54. Cet impératif de l'existence d'une nation a été également retenu par le conseil constitutionnel français qui, dans sa décision sur le statut de la Corse, a rappelé que l'unicité du peuple français faisait obstacle à toute reconnaissance en son sein d'une quelconque composante55.

Il ressort que dans l'ensemble, l'application du principe d'autodétermination des peuples, dans le contexte de la décolonisation, n'a pas été encadrée juridiquement. La décolonisation a donné lieu à la réussite d'une théorie - celle de l'État - qui va s'appliquer sans la prise en compte des réalités historiques, socio-culturelles des entités nouvelles indépendantes. Ce décalage entre la technique juridique et la difficile réalité de l'effectivité de l'État n'a contribué qu'à la création d'Etats défaillants condamnés dès le départ à l'échec. C'est dans ce contexte qu'on peut expliquer l'émergence du concept d'Etats défaillants mis en oeuvre sous différents vocables au lendemain des indépendances pour expliquer les difficultés des nouveaux membres de la société internationale. Après la décolonisation, la décommunisation, cas d'application « interne » du principe d'autodétermination des peuples, verra aussi l'expansion du concept d'Etats défaillants.

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