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Les petites constitutions en Afrique: essai de réflexion à  partir des exemples de la Côte d'Ivoire, de la RDC, de la Tunisie et du Togo.

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par Kakessiwa Kokou KOMLAN
Université de Lomé - Master 2 en Droit Public 2015
  

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INTRODUCTION

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Mémoire Master II - Les petites constitutions en Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de la Tunisie et du Togo.

S'il est, de nos jours, une interrogation qui traverse avec constance et véhémence la science du droit constitutionnel dans la résolution des conflits et crises politiques1 en Afrique, comme partout ailleurs dans le monde, sur fond d'incertitudes juridiques et institutionnelles, c'est bien celle de la sortie de crise2 par la mise sur pied d'un instrument, destiné à assurer la continuité des pouvoirs publics et permettant la transition3 des ordres juridiques. Cet instrument, c'est les dispositions à prétention constitutionnelle, connues sous le vocable de « petites constitutions »4.

Ces petites constitutions constituent un objet de recherche théorique nouveau. En réalité, il y a d'intéressants travaux réalisés récemment sur le continent africain qui abordent cette question des petites constitutions, mais la problématique n'est pas épuisée. En effet, les auteurs qui se sont intéressés à la question, l'ont traité de manière restrictive. D'où l'intérêt de la présente contribution, qui se propose de revisiter la thématique essentielle, en Afrique notamment, d'une normativité politique « apprivoisée » par le droit.

Cependant, l'entreprise n'est pas sans écueil. Le sujet est en effet difficile en raison des contours flous de la notion de « petite constitution » qu'il importe de définir.

Le nom « petite constitution », attribué pour la première fois à la Constitution polonaise de 1919, a dans un premier temps été conceptualisé en France par Marcel PRELOT, qui l'appliqua à la loi constitutionnelle du 2 novembre 19455 avant de développer le concept dans son Précis d'institutions politiques et de droit constitutionnel en1961. Limitée

1 Même si une crise politique est un conflit qui naît entre la classe politique, et une crise juridique celle liée soit à l'interprétation de la Constitution ou à son silence, on voit mal la frontière entre les deux. Une crise juridique est nécessairement politique et vice versa.

2 Voir en ce sens MANDJEM (Y. P.), « Les Gouvernements de transition comme site d'institutionnalisation de la politique dans les ordres politiques en voie de sortie de crise en Afrique », Revue africaine des relations internationales, Vol. 12, no1 & 2, 2009, p. 81.

3 La transition peut être définie comme un processus, un mouvement qui permet de quitter un état donné pour en atteindre un autre. L'intérêt de la transition est la réalisation de ses objectifs à l'achèvement du processus de passage. Cependant dans le cadre de la présente étude, la transition s'entend de la période qui se situe entre la fin d'un ordre juridique et l'instauration d'un nouvel ordre.

4 L'adjectif « petite» ne se rapporte pas à la dimension du texte, mais à son horizon temporel. À titre d'exemple, la petite constitution Sud-africaine comporte quinze chapitres, deux cent cinquante et une sections et sept annexes.

5 Le Gouvernement Provisoire de la République Française, formé à Alger le 3 Juin1943 prévoit, en dehors des formes prévues par les lois constitutionnelles de 1875, la convocation du peuple français en vue de choisir entre le rétablissement des lois constitutionnelles de 1875 et l'investissement d'une Assemblée constituante élue le même jour mais dont l'encadrement de la compétence est laissé au peuple français avec le cas échéant du texte formellement constitutionnel provisoire, promulgué le 2 Novembre 1945.

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cependant par celui-ci, à des normes formellement constitutionnelles investissant un gouvernement de fait6 dans le cadre d'un « régime semi-constitutionnel »7, la notion de petite constitution fut élargie, plus tard, par le professeur PFERSMANN aux normes « provisoires8, parfois même formalisées, souvent uniquement matérielles, intermédiaires entre la Constitution révolue et la Constitution future encore au stade de projet »9. De cette définition, s'impose une précision.

Très souvent les auteurs utilisent d'autres appellations pour désigner les petites constitutions. Il s'agit entre autres de « pré-constitution »10, « Constitution provisoire »11 « Constitution intérimaire »12 ou « Constitution transitoire »13. Il convient donc d'opérer une distinction essentielle de ces termes qui peuvent paraître des synonymes. A cet effet, la présente étude considère les termes « pré-constitution » et « Constitution provisoire » comme celles qui permettent de décrire au mieux le phénomène des petites constitutions en mettant en exergue leur fonction de relais14 entre deux ordres juridiques. Quant aux

6 Selon la définition généralement admise par la doctrine « on entend par gouvernement de facto, un gouvernement créé soit en contradiction avec la constitution existante, soit ipso facto dans le cas de non existence d'un ordre Etatique préalable. L'originalité du gouvernement de fait tient donc à ce qu'il exerce l'autorité gouvernementale en l'absence de tout fondement constitutionnel. Il s'oppose au gouvernement de jure où le pouvoir se trouve exercé conformément à un statut préexistant ». BURDEAU (G.), Traité de sciences politiques, Paris, LGDJ 1969, T4, P. 610.

7 PRELOT (M.), Précis de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1949, p. 307 et s. ; Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Précis Dalloz, 1ère éd. ,1961 , 6e éd. , 1975, pp. 290-291 et 523.

8 L'adjectif « provisoire » est une évolution du terme juridique « provision », datant du XVe siècle. Ce n'est qu'à l'époque de la révolution que le terme provisoire est en entré dans le langage courante. AMSELEK (P.), « Enquête sur la notion de provisoire », RDP, n°1, 2009, pp. 7-9.

9 PFERSSMANN (O.), in Louis FAVOREU et al., Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, coll. Précis Dalloz Droit public-Science politique, 2003, p. 102 et s.

10 BEAUD (O.), La puissance de l'Etat, Paris, PUF, 1994, p. 267 ; ZIMMER (W.), « La loi du 3 juin 1958: contribution à l'étude des actes pré-constituants », RDP, 1995, pp. 385 ; THUMEREL (I.), Les périodes de transition constitutionnelle, Thèse de Doctorat en Droit public, Université Lille 2- Droit et santé, 2008, p. 32.

11 En doctrine, cette appellation a été utilisé par le Doyen VEDEL en 1949, en se référant à la loi française du 2 novembre 1945 portant organisation provisoire des pouvoirs publics. Voir VEDEL (G.), Droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, pp. 273-275.

12 Emmanuel CARTIER utilise cette appellation en désignant la petite constitution sud-africaine de 1993, voir CARTIER (E.), « Les petites Constitutions : contribution à l'analyse du droit constitutionnel transitoire» Revue française de droit constitutionnel, 2007/3 n° 71, p. 518.

13 PECH (L.), « Les dispositions transitoires en droit constitutionnel», RRJ, 1999, p. 1412.

14 Emmanuel CARTIER parle d'un « système juridique relais » qui « a comme fonction première de définir un cadre normatif provisoire destiné à assurer, dans l'attente de l'adoption d'une Constitution définitive, la continuité de l'activité juridique de l'Etat ». CARTIER (E.), « Les petites Constitutions : contribution à l'analyse du droit constitutionnel transitoire », op.cit., p. 523.

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appellations « Constitution intérimaire » et « Constitution transitoire », les termes ne sont pas appropriés. D'une part le mot « intérimaire » évoque l'idée d'assurer, pendant un temps prévu, une fonction dont on n'est pas titulaire15. L'intérim étant prévu par l'ordre juridique en vigueur, le texte intérimaire assure donc la continuité de celui-ci alors que les petites constitutions procèdent d'une rupture avec cet ordre. D'autre part, les normes transitoires ont pour fonction d'aménager progressivement l'entrée en vigueur d'un dispositif définitif déjà édicté alors que, les petites constitutions adoptées dans la phase de transition constitutionnelle ont justement pour but d'organiser l'élaboration d'une Constitution définitive qui n'existe pas encore. Ainsi les petites constitutions seront-elles observées dans le cadre de cette étude comme des « Constitutions de transition » et non des « Constitutions transitoires ». Les deux termes se recoupent largement mais ne se recouvrent pas16.

Cette précision sur la notion de petite constitution semble donc rejaillir sur le concept même de « Constitution » qu'il convient malgré tout de définir.

Il faut dire que, l'unanimité est faite autour de la reconnaissance de la Constitution comme étant « le fondement de l'Etat, la base de l'ordre juridique »17. Cependant le concept de Constitution est diversement apprécié par les auteurs selon qu'on la conçoit formellement ou matériellement. Ainsi Raymond CARRE DE MALBERG enseignait-il que la Constitution au sens formelle désigne un instrument « énoncé dans la forme constituante, par l'organe constituant et qui par la suite ne peut être modifiée que par une opération de puissance constituante et au moyen d'une procédure spéciale de révision »18. Aussi, Pierre PACTET écrivait-il que « la Constitution au sens matériel encadre la dévolution et l'exercice du pouvoir public »19. Cette distinction entre le formel et le matériel est aussi fort observable au niveau des petites constitutions.

15 Voir en ce sens VILLIER (M.), Dictionnaire du Droit Constitutionnel, 4e éd. Armand Collin.

16 Si toutes les « Constitutions transitoires » sont des « Constitutions de transition », l'inverse n'est pas forcément vrai ; parce-que certaines normes de transition sont adoptées dans l'attente d'une décision définitive qui n'existe pas encore alors que les normes transitoires sont adoptées pour assurer la mise en oeuvre progressive d'une norme définitive qui existe déjà.

17 KELSEN (H.), « La garantie juridictionnelle de la constitution», RDP 1928, p. 206.

18 CARRE DE MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de l'Etat, T.2, Paris, Sirey, 1922, p 571 et s.

19 PACTET (P.), MELIN-SOUCRAMANIEN (F.), Institutions politiques et droit constitutionnel, 27e éd., Paris, Armand Colin, 2009, p. 63.

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En effet formalisées, elles sont en règle générale des Constitutions de sortie de crise élaborées dans la perspective d'une Constitution définitive respectant certains principes de base et adoptées par une assemblée constituante20. Au sens matériel, elles sont considérées comme un ensemble de règles concernant l'organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics à la suite d'une rupture totale ou partielle avec l'ordre juridique en vigueur. Les petites constitutions au sens matériel du terme, ne réalisent cependant la structuration21 de l'ordre juridique, qui est l'une des fonctions essentielles de toute Constitution, que sur un plan infra-constitutionnel et selon un faible degré de formalisation. Elles sont donc par conséquent, facteur d'insécurité juridique.

Or, la plupart des petites constitutions ne sont pas édictées en la forme constitutionnelle, mais relèvent le plus souvent de plusieurs actes de formes différentes. C'est pourquoi la question de leur juridicité22 alimente une vive controverse au sein de la doctrine23. C'est donc à cette phase de leur définition qu'une idée sur leur fonction doit être faite.

On distingue cependant trois catégories de petites constitutions subdivisées en deux grands groupes du point de vue de leur fonction.

D'abord, il y a le groupe des petites constitutions dont la fonction est de préparer l'adoption d'une Constitution définitive suite à l'abrogation de la Constitution en vigueur, le plus souvent après une révolution24 ou un coup d'Etat25. En effet le succès de

20 En Afrique du sud par exemple le processus a consisté à dresser un ensemble de trente-quatre principes intangibles annexés à la petite constitution adoptée en 1993, sur la base desquels la Constitution définitive, finalement adoptée en 1996, fut élaborée, sous le contrôle de la Cour constitutionnelle. Sur cette question et les problèmes juridiques qu'elle pose, voir HOURQUEBIE (F.), « La diffusion du constitutionnalisme en Afrique du Sud: une analyse à travers la décision de la Cour constitutionnelle du 6 juin 1995 portant inconstitutionnalité de la peine de mort» p. 3 ; DREYFUS (F.), « La Constitution

intérimaire d'Afrique du Sud », RFDC no 19, 1994, p. 468.

21 Elle consiste en la détermination de relations d'ordre entre les parties d'un tout qui justifie l'unité de l'ensemble. L'unité procède ainsi du double rapport qu'entretiennent les parties entre elles et avec le tout. En droit, elle correspond à la forme des relations qu'entre- tiennent les normes à l'intérieur d'un même système juridique. Du point de vue positiviste, l'agencement hiérarchique de plusieurs types de règles définit, indépendamment du contenu de ces règles, l'existence d'une structure.

22 Cette problématique rejoint la question classique de l'existence et de la nature du pouvoir constituant dit « originaire » auquel l'école positiviste classique dénie tout caractère juridiquement appréhendable.

23 La doctrine en général est perçue comme l'ensemble de notions considérées comme vraies et par lesquelles on prétend fournir une interprétation des faits, orienter ou diriger l'action de l'homme dans différente matière scientifique.

24 La révolution, selon le Lexique de termes juridiques, est le soulèvement populaire contre le régime en place.

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l'insurrection, du coup de force, du coup d'Etat ou de la guerre subversive26 amène la disparition de l'ordonnancement en vigueur. La Constitution est abrogée et tout acte s'y rattachant est désormais sans valeur. On observe alors une situation juridiquement curieuse où le régime régulier antérieur est prolongé par un régime de fait. Ce dernier édicte alors des petites constitutions en vue de l'adoption d'une Constitution définitive. C'est le cas notamment des Constitutions de crise (Chartes de transition et Actes de conférences nationales) après les insurrections et les guerres subversives ; et des déclarations unilatérales de nature martiale après les coups d'Etat.

Ensuite, il y a le groupe des petites constitutions dont la fonction est de pallier les insuffisances ou les lacunes de l'ordre constitutionnel déjà existant. En effet les acteurs politiques recourent assez fréquemment à des accords ou arrangements politiques pour régler les problèmes juridiques ou politiques nés de la Constitution en vigueur. Ces arrangements qui font partie de ce que la doctrine a appelé le « conventionnalisme politique », sont dans une perspective stratégique, devenus de véritables instruments de résolution de crises et conflits politiques en Afrique.

Au demeurant, quel que soit leur catégorie, les petites constitutions remplissent une triple fonction étalée dans une triple dimension (passé, présent et futur), qui rend essentiellement compte de leur identité. D'abord par rapport au passé, elles opèrent une rupture avec l'ordre juridique précédent. Ensuite par rapport au présent, elles organisent à titre provisoire les rapports entre les pouvoirs publics. Enfin par rapport au futur, elles attribuent et organisent le pouvoir constituant27. Un texte qui, seulement, établit une rupture avec l'ordre juridique précédent et organise à titre provisoire les rapports entre les pouvoirs publics, n'est donc pas une petite constitution au vrai sens du terme28. Ce dernier

25 Pour une étude du phénomène de coup d'Etat en Afrique voir VIGNON (Y. B.), « Le coup d'Etat en Afrique noire francophone », in les voyages du droit, Mélange en l'honneur de Dominique BREILLAT, Paris, LGDJ, 2011, pp. 613-620.

26 La guerre subversive se définit tout simplement comme un conflit armé qui renverse ou détruit l'ordre établi.

27 Le pouvoir constituant, selon le Lexique de termes juridiques, est le pouvoir qualifié pour établir ou modifier la Constitution. Il y a ainsi le pouvoir constituant originaire (celui qui s'exerce d'une manière inconditionnelle pour doter un Etat d'une Constitution alors qu'il n'en possède pas), et le pouvoir constituant dérivé (celui qui s'applique à la révision de la Constitution déjà en vigueur, selon les règles posées par elle.

28 C'est le cas par exemple de la Charte Nationale de Transition adoptée le 16 novembre 2014 au Burkina-Faso. Cette charte qui encadre la gestion du pouvoir politique pendant la période de transition qui suit le

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ne peut alors revendiquer que le titre moins prestigieux de « petites constitution a minima »29. Mais, dans la présente étude, cette distinction « petite constitution » - « petite constitution a minima », ne sera pas observée avec rigueur.

Dès lors, l'usage de dispositions provisoires sous la forme de petite constitution permettant le passage d'un ordre juridique révolu ou contesté vers celui qui a vocation à être mis en place de manière définitive, a pris depuis quelques temps une part non négligeable dans la théorie constitutionnelle en Afrique. En effet, Nées d'un fait grave dans l'histoire constitutionnelle de la France30, ces petites constitutions s'imposent comme une catégorie fonctionnelle du « droit constitutionnel moderne africain ». Elles essayent, de systématiser au fil du temps, l'approche conceptuelle d'un droit des périodes de transition.

renversement du régime de Blaise COMPAORE n'envisage pas expressément la construction d'un nouvel ordre constitutionnel. C'est également le cas de l'Accord Politique Global du 20 août 2006 qu'on ne peut que considérer comme une feuille de route constitutionnelle au service des acteurs politiques au Togo.

29 KPODAR (A.) et KOKOROKO (D.), « Réflexion autour d'une controverse politique : la nature

juridique de l'Accord Politique Global du 20 août 2006 », focus Info, no 126 du 28 janvier au 11 février 2015, pp. 4-5.

30 Le 6 juillet 1789, l'Assemblée nationale réunit un comité chargé de rédiger une constitution et adopte le 3 septembre 1789 un décret concernant les bases fondamentales de la constitution, destiné à assurer la continuité des pouvoirs publics et à fixer les principes que doit mettre en oeuvre la future constitution du royaume de France. Cet acte est adopté en la forme d'un décret simple, en violation des règles de production des lois fondamentales du royaume. Il définit les conditions de production de la première constitution formelle de la France, adoptée par l'Assemblée le 3 septembre 1791 et acceptée par le roi le 13.

De même, par le décret du 10 Août 1791, l'Assemblée législative prononce, en dehors des formes prévues par la constitution de 1791, la suspension du roi et du pouvoir exécutif et prévoit la convocation d'une nouvelle convention nationale. Le Sénat conservateur de l'empire établit le 1er Avril 1814 un gouvernement provisoire « chargé de pourvoir aux besoins de l'Administration et de présenter au Sénat un projet de constitution qui puisse convenir au peuple français » et prononce avec le corps législatif, le 3 Avril, la déchéance de NAPOLEON et de sa famille avant d'appeler LOUIS XVIII au trône par un décret du 6 Avril.

C'est par un procédé similaire que les chambres prévues par la Charte de 1814 proclament le 3 Août 1830 la vacance du trône de CHARLES X et convoquent le Duc d'Orléans, auquel est confié le gouvernement provisoire avec le titre de « Lieutenant général du royaume » avant d'adopter une nouvelle Charte à laquelle celui-ci prête serment, en dehors de la Charte de 1830.

En 1848, la chambre des députés, confrontée aux mouvements révolutionnaires et réformistes ainsi qu'à l'abdication de Louis-Philippe en faveur du jeune compte de Paris, nomme à la régence la Duchesse de NEMOUR. Celle-ci doit accepter, sous la pression des événements, la formation d'un gouvernement provisoire qui se présente au peuple de Paris avant de dissoudre la chambre afin de permettre l'élection d'une Assemblée constituante en dehors des formes prévues par la Charte de 1830.

Selon la même logique mais cette fois à l'initiative d'autorité de fait, le gouvernement provisoire de 1870, formé par « acclamation » convoque le peuple français à des élections générales dans le but de terminer la guerre. L'Assemblée issue de ces élections s'auto-investira de la compétence constituante en dehors de la procédure de révision prévue par la constitution de l'Empire.

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Un droit matériellement constitutionnel pour la plupart et procédant le plus souvent d'une rupture révolutionnaire ou d'un heurt frontal avec l'ordre juridique en vigueur. Ce qui oblige à légitimer les petites constitutions, en Afrique, en tant que mode alternatif de projection vers un ordre juridique que l'on voudrait en parfaite harmonie avec le temps et la réalité des forces politiques31.

En effet, dans le cas spécifique des Etats africains, l'observation des cycles constitutionnels débouche sur un constat. A de rares exceptions près, les Constitutions ont une durée de vie relativement courte. Le professeur Maurice AHANHANZO-GLELE, reconnaissait à cet effet que : « l'Afrique adopte, remet en cause, suspend, abroge puis renouvelle la Constitution »32. Au demeurant, cette fluctuation est symptomatique d'un tourbillon de crises qui semble remettre en cause les vertus proclamées du nouveau constitutionnalisme33, qui a pris son envol dans le cadre des transitions démocratiques des années 199034.

L'Afrique est donc depuis quelques années fragilisée par d'interminables antagonismes qui restent liés à la démocratisation. Ils sont de plusieurs ordres et d'intensités variables. Il s'agit parfois de crises politiques ou de conflits armés provoquant simplement la déstabilisation du système politique ou de l'Etat lui-même. Lorsqu'ils éclatent, ces antagonismes remettent en cause la stabilité politique des Etats et compromettent l'application de la Constitution en vigueur. Les Constitutions qui doivent être en adéquation avec l'ancrage de l'idée de droit qui fonde les valeurs d'une société dans la durée, deviennent à leur tour, source d'inquiétude de dysfonctionnement des institutions, et au pire des cas, de véritables poudrières dégénérant, au moindre mouvement, en crise cristallisée par des conflits armées. Pour expliquer ce paradoxe, Moussa ZAKI estime que « l'urgence et la nécessité qui ont rythmé les Constitutions africaines de deuxième

31 ZAKI (M.), « Petite constitution et droit transitoire en Afrique », RDP 2012-6-008, no6, p 1667.

32 AHANHANZO-GLELE (M.), « La Constitution ou loi fondamentale », Encyclopédie juridique de l'Afrique, T 1, Abidjan, NEA, 1982, p. 33.

33 DU BOIS GAUDUSSON (J.), « Défense et illustration du constitutionnalisme après quinze ans de pratique du pouvoir », in le renouveau du droit constitutionnel, Mélange en l'honneur de Louis FAVOREU, Paris, Dalloz, 2007, p. 609.

34 La quasi-totalité des Etats d'Afrique subsaharienne francophone a connu un processus de transition dans les années 1990. Cette vague de démocratisation résulte d'une conjonction de facteurs tant externes qu'internes tels que : l'effondrement du bloc soviétique et le durcissement de la conditionnalité démocratique perceptible dans le discours de la Baule.

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génération, sont incompatibles avec les enjeux et les nouveaux défis auxquels devraient faire face des Etats en proie à des crises souvent profondes : construction et consolidation à la fois de l'Etat de droit, de la démocratie et de la paix, enjeux qui nécessitent une stabilité juridique et institutionnelle, avec des Constitutions qui s'inscrivent dans la durée »35. Mais les études consacrées aux périodes de crises induites par l'inadaptation des textes constitutionnels (notamment les périodes des conférences nationales des années 1990), et les changements anticonstitutionnels de gouvernement (à travers les coups d'Etat), se sont d'avantage penchées sur la transition démocratique36 (le pluralisme politique et l'amélioration des régimes de libertés) que sur la transition des ordres juridiques. Le recours à un instrument « relais », permettant d'organiser « une transition en douceur »37, dans le cadre d'un processus réfléchi et concerté, entre l'ordre juridique révolu ou contesté, et l'ordre juridique attendu, s'avère donc nécessaire. D'où l'importance des petites constitutions dans la consolidation du nouveau constitutionnalisme en Afrique.

Cependant, la grille d'analyse des récentes pratiques du droit constitutionnel en Afrique révèle des dérives inquiétantes dans l'utilisation d'une catégorie de petite constitution notamment les arrangements politiques ou accords politiques. En effet, si ces derniers doivent avant tout, être interprétés comme des actes politiques conjoncturels de sortie de crise, il n'en demeure pas moins vrai qu'ils constituent en même temps une forme de menace au constitutionnalisme en Afrique. Le professeur Jean DU BOIS DE GAUDUSSON ne déclarait-il pas que « le constitutionnalisme africain est victime de ces nouveaux usages »38? Pour sa part, après avoir relevé que « la portée de ces accords conclus entre acteurs politiques, en dehors du pouvoir constituant, contraste fort bien avec la valeur constitutionnelle qui leur est conférée dans la pratique »39, le professeur Joël AIVO arrive à la conclusion que « dans bien des cas, comme celui en Côte d'Ivoire des accords de Linas-Marcoussis40, d'Accra, de Pretoria et de Ouagadougou, l'application de

35 ZAKI (M.), « Petite constitution et droit transitoire en Afrique », op.cit., p. 1669.

36 CONAC (G.), L'Afrique en transition vers le pluralisme politique, Paris, Economica, 1993, 517 p.

37 ZAKI (M.), « Petite constitution et droit transitoire en Afrique », p. 1669, op.cit.

38 DU BOIS DE GAUDUSSON (J.), « Défense et illustration du constitutionnalisme en Afrique après quinze ans de pratique du pouvoir», op.cit., p. 621.

39 AIVO (F. J.), « La crise de normativité de la constitution en Afrique », RDP 2012, no 1, op.cit., p 143.

40 KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique : les problèmes constitutionnels posés par l'accord de Linas-Marcoussis du 23 janvier 2003 », RRJ-Droit prospectif, 2005, no 4-II, pp. 2503-2526.

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ces instruments prime sur la Constitution »41, et par conséquent « l'on se trouve en présence de textes neutralisant des dispositions constitutionnelles ou prévoyant des révisions de fond42 alors même qu'ils n'ont ni force de loi ni valeur constitutionnelle »43. Le complexe de la « politique saisie par le droit »44 a-t-il cédé le pas à une revanche de celle-ci ?

C'est donc, à la tentation d'ouvrir une nouvelle réflexion sur les voies et moyens de consolidation du constitutionnalisme face aux crises multiformes que traversent les Etats africains, du fait d'une approche contestable de la Constitution, qu'à juste titre, notre modeste contribution se propose, à partir des exemples concrets, d'analyser ces instruments.

Au regard de tout ce qui précède, l'interrogation centrale de la présente étude sera celle de la pertinence et de l'intérêt des petites constitutions dans la recherche de solution durable à la crise de constitutionnalisme à laquelle sont confrontés les Etats africains. Celle-ci n'est que la résultante d'une série de questionnements qui peuvent être résumés en ces termes : comment évaluer si ces dispositions prescriptives qui consacrent la fin de l'ordre juridique précédent et déterminent l'avènement de l'ordre juridique futur, ou bien, qui modifient en profondeur l'ordre juridique existant, ont bien une valeur juridique ? Cela revient à poser la question préalable de savoir si les périodes d'interrègne, situées entre la fin d'un ordre constitutionnel et l'entrée en vigueur d'un nouvel ordre, peuvent donner lieu à un ordre juridique globalement efficace et sanctionné ?

Il faut dire que la période d'interrègne est la phase de structuration de la future Constitution. Elle correspond à une phase a-constitutionnelle45 puisqu'elle est pré-constitutionnelle, si l'on veut s'en tenir à la théorie pure du droit46 de l'éminent juriste

41 AIVO (F. J.), « La crise de normativité de la constitution en Afrique », p. 143, op.cit.

42 MELEDJE (F. D.), « Les révisions des constitutions dans les Etats africains francophones. Esquisse de bilan », RDP 1992, no 1, pp. 111-134.

43 AIVO (F. J.), « La crise de normativité de la constitution en Afrique », op.cit., pp. 143-144.

44 DU BOIS DE GAUDUSSON (J.) « Défense et illustration du constitutionnalisme en Afrique après quinze ans de pratique du pouvoir », in Le renouveau du constitutionnalisme, Mélange en l'honneur de Louis FAVOREU, op.cit. pp. 609-627.

45 C'est-à-dire une phase dépourvue d'une loi fondamentale servant de soubassement au pouvoir et déterminant son organisation ainsi que les conditions de son exercice.

46 KELSEN (H.), Théorie pure du droit, Editions Bruylant, LGDJ, d'après l'édition originale de 1962, 1999, pp. 224-237.

Mémoire Master II - Les petites constitutions en Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de la Tunisie et du Togo.

Hans KELSEN, qui a tant imprégné notre culture juridique. Ce dernier avec certains auteurs dont Raymond CARRE DE MALBERG, estiment en effet que le Droit n'existe que dans la norme et qu'il répond à une logique propre fondée sur l'idée de validité ; « chaque degré de l'ordre juridique constituant un ensemble et une production de droit vis-à-vis du degré inférieur, et une reproduction du droit vis-à-vis du degré supérieur »47 Mais, aussi attrayante soit-elle pour les juristes, cette « pureté »48 du droit ne semble guère satisfaisante pour toute la doctrine. En effet, selon d'autres auteurs comme le Doyen DUGUIT, dans un contexte aussi spécifique que celui d'une situation post révolutionnaire ou post conflictuelle (comme c'est le cas des Etats objet de notre étude), il ne paraît convaincant ni de ramener le Droit à la seule règle juridique comme le veut KELSEN, ni de l'extraire de son contexte politique et social. Il paraît donc essentiel de nourrir l'explication du Droit, d'éléments contextuels, conduisant ainsi à une redéfinition du concept même de droit constitutionnel et de son objet d'étude, afin de mieux appréhender et comprendre le phénomène des révolutions et par ricochet le phénomène des petites constitutions49. C'est ainsi que DUGUIT et d'autres auteurs ont émis des pistes permettant l'appréhension des petites constitutions comme étant des normes juridiques.

Dès lors, face aux difficultés d'ancrage du constitutionnalisme dans les Etats africains, l'utilisation des petites constitutions peut constituer une solution dans la construction d'un ordre juridique durable50. En effet comme l'illustrent les cas des Etats témoins de la présente étude, les petites constitutions assurent l'adéquation de la Constitution définitive au contexte socio-politique des Etats. Cependant, le choix des Etats consacrés à cette étude obéit à des considérations relatives d'une part, à la diversité de catégorie des petites constitutions existant sur le continent, et d'autre part, à la diversité des vagues de processus de transition51 déclenchées sur le continent. Toutefois la présente étude essayera d'établir

47 KELSEN (H.), « La garantie juridictionnelle de la Constitution », RDP, 1928, op.cit., p. 200.

48 Le mot « pureté » est utilisé ici en faisant référence à l'expression « théorie pure du droit » utilisée par KELSEN.

49 Le Doyen DUGUIT avait une conception sociale du « droit » que KELSEN n'avait pas. Il est donc la clé, pour ramener les phénomènes révolutionnaires, que KELSEN et CARRE DE MALBERG rejetaient, dans la science du droit. La présente étude se servira donc de DUGUIT comme la clé qui permet l'appréhension des petites constitutions dans la science du droit.

50 ZAKI (M.), « Petite constitution et droit transitoire en Afrique », op.cit., p. 1671.

51 Il s'agit notamment de la vague des transitions démocratiques des années 1990 et de la vague des révolutions du monde arabe de 2011 appelées : « le printemps arabe ».

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des parallèles chaque fois que cela est nécessaire avec d'autres Etats africains ayant adoptés des petites constitutions.

L'étude des petites constitutions consacrée aux Etats africains présente à cet effet un double intérêt. Dans un premier temps, elle permet d'identifier et de mesurer la capacité, des petites constitutions, à normaliser l'ordre juridique des Etats en crise tout en enrichissant la théorie constitutionnelle en Afrique. Dans un second temps, cette étude permet d'illustrer les réflexions théoriques, en établissant, à partir des cas étudiés, une typologie de ces textes, pour mieux comprendre ce phénomène des petites constitutions.

Ce sont là, les idées essentielles que la présente étude abordera pour relever la portée réelle de ces instruments dans les Etats africains. Pour y parvenir, cette étude mettra en orbite les caractéristiques de ces textes, dans une approche théorique, à travers leur conception juridique (Première partie), avant de s'appesantir sur leur aspect pratique dans les Etats témoins, à travers l'étude de leur typologie (Deuxième partie).

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