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Les aspects juridiques de la transformation de l'Organisation de l'unité africaine en Union africaine


par Elodie INAMAHORO et Guy-Fleury NTWARI
Université du Lac Tanganyika
Traductions: Original: fr Source:

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§2 La contribution de l'OUA dans le règlement des différends interafricains

D'emblée il n'est pas superflu de préciser que notre propos n'est pas de présenter une étude complète des conflits africains162 plutôt de dégager de quelle manière l'OUA

a contribué à la gestion des conflits interafricains.

A cette fin, nous nous proposons en premier lieu de relever la doctrine développée par l'OUA pour faire face aux conflits interafricains avant de terminer sur la pratique suivie par l'OUA en matière de règlement pacifique des différends.

1. La doctrine de l'OUA

En vertu du droit international et de la Charte elle-même, les Etats membres de

l'OUA sont tenus de régler pacifiquement leurs conflits.

Les conflits dont il est question sont les conflits entre Etats africains à l'exclusion d'autres conflits.163

Suivant cette limitation, l'OUA a défini une doctrine qui s'articule sur deux principes :

le principe de la non-intervention dans les affaires intérieures d'un autre Etat et le principe de l'intangibilité des frontières.

Tout d'abord, en ce qui concerne le principe de la non-intervention, l'OUA en tant qu'organisation de l'unité africaine se devait d'assurer un cadre « de bon voisinage qui inspire largement l'affermissement de la coopération régionale , participant ainsi au

maintien de la paix et de la sécurité internationale »164. Ce principe du fait de son

importance a trouvé un relais nécessaire dans la résolution AHG/Rés.27. sur la condamnation de la subversion.

En fait, la non-ingérence dans les affaires intérieures ainsi que la condamnation de la subversion impliquent l'interdiction d'entretenir sur le territoire d'un autre Etat membre, un gouvernement provisoire tendant à renverser le régime d'un autre Etat africain indépendant.

162 Pour une vue plus détaillée du sujet, Voir GHALI (B.B), Les conflits de frontières en Afrique, Paris, éd. Techniques et économiques, 1972, 158 p.

163 Cf. article 12 du Protocole de Caire (Protocole relatif à la Commission de médiation, conciliation et arbitrage)

164 SANGO (O.), Le système juridique de l'OUA dans l'application du principe de non intervention dans les

affaires intérieures d'un autre Etat, Bujumbura, Mémoire UB, juillet 1983, p. 17

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Cette condamnation vaut également à l'égard de l'établissement dans un Etat membre des foyers de subversion dirigés contre d'autres Etats en vue de fomenter des troubles politiques, raciaux, religieux ou linguistiques.165

Ce principe et son corollaire permettaient, dans la pratique, de créer un climat en permanence propice à la coopération ainsi qu'au maintien des relations pacifiques et amicales entre les Etats africains dans le respect mutuel de la souveraineté de chacun.166 . Bien que cela ne fût pas toujours le cas, les bases juridiques et théoriques étaient jetées.

Le second principe, celui de l'intangibilité des frontières, implique, quant à lui, d'une part l'interdiction de porter atteinte unilatéralement aux frontières ou aux territoires des autres Etats, et d'autre part, c'est un principe qui interdit aux pays issus

de la colonisation de remettre en cause les frontières existant au moment de l'indépendance167 , introduisant ainsi une autre notion : l'«uti possidetis juris ».

Cette notion est l'application de la maxime romaine : « uti possidetis, uti possideatis » dont la traduction est : « Comme tu possèdes, continue à posséder » et qui signifie « le maintien du statu quo provisoire dans la possession d'un bien contesté entre deux parties avant que le juge ne se prononce définitivement sur la reconnaissance du titulaire de la propriété ».168

En réalité, le choix de ces deux principes par l'OUA avait un double but.

D'une part, elle permettait d'éviter, comme en Amérique latine, que ne surviennent des conflits frontaliers tous azimuts ; elle empêchait également la rupture de la fragile unité

du continent noir.169

D'autre part, ce principe permettait, comme le note Andémicael BERHAMYKUN, « de donner du poids à l'action de l'OUA pour la paix ».170

165 YAKEMTCHOUK (R.), L'Afrique en droit international, Paris, LGDJ, 1971, p. 276

166 SANGO (O.), op. cit., p.18

167 NYAMOYA (F.), Application du principe de l'intangibilité des frontières dans les organisations

internationales : exemple de l'OUA, Bujumbura, Université du Burundi, Mémoire, septembre 1982, p.12

168 EL OUALI (A.), « L'uti possidetis ou le non sens du principe de base de l'OUA pour le règlement des différends territoriaux », in Le Mois en Afrique, décembre1984-janvier1985, 227-228, p. 10

169 YAKEMTCHOUK (R.), op. cit. , p. 65

170 BERHAMYKUN (A.), cité par NYAMOYA (F. ), op. cit., p. 16

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En définitive, la doctrine définie par l'OUA en matière de règlement pacifique des conflits est d'une importance et comporte des éléments constructifs : « le triomphe

de la règle de droit dans ses dimensions spatio-temporelles, une garantie pour la sécurité juridique des relations internationales et une source créatrice des rapports interétatiques ».171

A. La pratique de l'OUA dans le règlement des différends interafricains

L'étude de la pratique de l'OUA dans le règlement des conflits interafricains

mérite, de prime abord, quelques observations d'ordre théorique.

D'abord, il est important de souligner que le droit international consacre la liberté de choix du mode de règlement pacifique tel que prévu dans la Déclaration de Manille sur le règlement pacifique des différends, approuvée par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1982.172

Ensuite, il y a lieu de distinguer deux types de règlement pacifique des différends :

- les procédés politiques qui ne font pas appel à un organe judiciaire ;

- les procédés juridiques qui recourent à l'arbitrage ou à des juridictions permanentes.173

Précisément, l'analyse de la pratique de l'OUA nous amène à dégager tout d'abord le cadre organique de règlement des conflits prévu par sa Charte, avant de relever d'autres procédés qui ont fait leurs preuves dans le cadre de l'OUA.

171 YAKEMTCHOUK (R.), op. cit., p. 65

172 AGNIEL (G.), Droit International Public, Paris, Hachette, Coll. «Les Fondamentaux », n°103, 1998, p.118

173 Idem., p. 119

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1. Le rôle de la Commission de médiation, de conciliation et d'arbitrage.

D'emblée, le rôle de la Commission de médiation, conciliation et d'arbitrage a été très faible, voire inexistant pour reprendre l'analyse de François NYAMOYA.174

En effet, comme il le fait remarquer, deux ans après la mise en place de cet organe, la

Commission n'avait pas encore eu l'occasion de fonctionner.

Bien que son Protocole ait été approuvé par la Conférence des Chefs d'Etat et de gouvernement de l'OUA, en juillet 1964, la mise en place de cette Commission n'est intervenue qu'en octobre 1965.

De plus, la Commission n'a jamais été saisie d'aucun litige.

Pourtant, ce n'est pas la matière qui a manqué. C'est à ce titre que François BORELLA constate, en 1974 - soit dix ans après l'institution de la Commission de médiation, de conciliation et d'arbitrage - que l'OUA refuse toujours à rendre fonctionnel la Commission de médiation alors que les litiges frontaliers foisonnent.175

L'analyse de l'inadaptation du Protocole du 21 juillet 1964 à la réalité politique

africaine a été savamment menée par Jean-Marie BIPOUM-WOUM176.

Ici, nous nous bornerons à constater seulement la paralysie dans laquelle est plongée la Commission depuis sa création tout en soulignant la méfiance des Etats africains à l'égard du règlement pacifique des conflits par la voie juridictionnelle, et de surcroît à l'égard d'organes qu'ils ont eux-mêmes juridiquement institués.

Précisément, la Commission de médiation, de conciliation et d'arbitrage n'ayant pas eu

le succès escompté en matière de règlements des différends, les Chefs d'Etat et de gouvernement ont convenu de créer une nouvelle structure en juin 1993, appelée Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits.177

« Ce mécanisme qui a pour principale tâche la prévention et le règlement des conflits prévoit d'agir en parfaite symbiose avec les Nations Unies, étant donné la responsabilité

174 NYAMOYA (F.), op. cit. ,p.40

175 BORELLA (F.), Evolution récente de l'OUA, AFDI 1974, p. 221

176BIPOUM- WOUM (J-M.), Le droit international africain, Paris, LGDJ, 1970, 327 p.

177 Voir Rapport du Secrétaire général sur la création d'un Mécanisme pour la gestion et le règlement des conflits,

58ème session ordinaire du Conseil des ministres, 21-26 juin 1993, Document OUA, CM/1767 (LVIII), p. 1

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principale du Conseil de sécurité en matière de maintien de la paix ».178 Mais aussitôt mis en place, ce nouvel organe devait aussi faire face à des difficultés matérielles, financières et logistiques, rendant ainsi son action limitée.179

Du reste, il est aussi intéressant de constater que certains conflits interafricains ont reçu une solution pacifique en marge de ces cadres organiques mis en place par l'OUA , ce qui signifie donc qu'il existait en dehors du cadre organique prévu par la Charte d'autres procédures de règlement de conflits.

2. Les autres procédures de règlement pacifique des différends.

Malgré la paralysie de la Commission de médiation de conciliation et d'arbitrage,

les Etats africains ont déployé dans le cadre de l'OUA, d'autres procédures à la fois politiques et diplomatiques pour résoudre leurs conflits.

A ce niveau, il faut souligner, d'une part, le rôle des commissions ad hoc de l'OUA, qui le plus souvent étaient composées de ministres des Affaires étrangères en tant qu'agents collectifs d'exécution de la Conférence au sommet à laquelle ils rendent compte.

Ces commissions ad hoc ont offert à maintes reprises leurs bons offices pour favoriser le rapprochement entre les belligérants, en procédant par une étude objective dans une procédure d'enquête des faits, de la cause du litige.

D'autre part, nous ne saurions faire abstraction de l'intervention personnelle des Chefs

d'Etat - que Jean-Marie BIPOUM-WOUM n'hésite pas à qualifier de « souverains ».180

En fait, la personnalisation du règlement des conflits africains au niveau le plus élevé c'est-à-dire les Chefs d'Etat « relève souvent soit de la technique des bons offices, soit

de la médiation décidée par les organes de l'OUA avec l'accord des parties en cause et confiée à quelques Chefs d'Etat dont le prestige et l'autorité sont grands ».181

C'est à ce titre d'ailleurs que beaucoup de ces « Pèlerins de la paix » tels que Hailé

SELASSIE, HOUPHOUËT-BOIGNY, Kenneth KAOUNDA, Julius NYERERE ou

178 GUEUYOU (M. L.), Les rapports entre l'Organisation des Nations Unies et l'Organisation de l'Unité Africaine

au regard du Chapitre VIII de la Charte de l'ONU, Paris, Université Paris X Nanterre, Thèse Droit Public, 2002, p.193

179 Idem., p. 210

180 BIPOUM- WOUM (J.M.), op. cit., p. 253

181 Ibid.

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EYADEMA s'étaient acquis une réputation de conciliateur et de sages d'Afrique. C'est aussi le cas de l'accord de cessation des hostilités et de l'accord de paix conclus entre l'Erythrée et l'Ethiopie sous la direction du Président algérien Abdelaziz BOUTEFLIKA en juin 2000.182

Enfin, il convient de remarquer que si ces procédés tant diplomatiques que politiques sont moins institutionnalisés, simples et souples, il n'en demeure pas moins qu'ils n'épuisent pas souvent le fonds du différend.

Du fait qu'ils ne sont fondés sur aucune règle de droit, leur rôle apparaît plutôt comme

celui d'apaiser les tensions, autant que faire se peut.

En réalité, le rôle joué par l'OUA dans le règlement pacifique des conflits interafricains est indéniable.

Au-delà, et pour terminer, il nous faut faire deux observations.

D'une part, à travers la doctrine élaborée par le règlement pacifique des conflits et la pratique suivie dans ce même sens, il apparaît que les Etats africains ont affirmé leur volonté de régler leurs conflits dans un cadre strictement africain.

D'autre part, si la tendance générale est d'évaluer la contribution de l'OUA en établissant le rapport entre les conflits effectivement nés et ceux effectivement résolus, nous soulignerons qu'une appréciation juste de cette contribution doit aussi tenir compte des conflits - très nombreux - qui ont pu être évités grâce à l'action de l'OUA.

Au demeurant, la contribution de l'OUA sur le plan juridique est aussi indéniable. L'étude rapide et brève sur cette contribution nous aura renseigné sur la valeur de l'OUA tout en nous laissant entrevoir ses limites.

C'est là un aspect qui nous retiendra plus longuement dans le cadre des difficultés

rencontrées par l'OUA, objet de la section suivante.

182 Rapport du Secrétaire général sur le processus de paix entre l'Erythrée et l'Ethiopie, CM/2213 ( LXXIV), p. 1

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